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26 mai 2009 2 26 /05 /mai /2009 12:31
Robert Pickton : Le Saigneur de "Piggy Palace" (III)


Insaisissable psychopathe ou bien attardé chanceux ?

Copie d'écran d'une émission de télévision canadienne montrant Pickton dans sa ferme (© AFP).

Robert Willie Pickton est un serial killer atypique, même si ses victimes et son modus operandi sont pour le moins classiques : des prostituées toxicomanes attirées à l'écart et assassinées au cours d'une soirée de débauche. Son comportement après son arrestation est en revanche surprenant. La plupart des tueurs en série recherchent, avant tout, le pouvoir au travers de leurs actes, et ils jouissent autant de cette puissance par la terreur qu'ils inspirent à autrui que par l'acte lui-même. Certains tueurs sont très exhibitionnistes et exposent leurs victimes avec plus ou moins de raffinement. D'autres se contentent de les abandonner sur place. Comme Pickton, beaucoup dissimulent ou détruisent les corps de peur que la police ne découvre suffisamment d'indices pour les faire inculper. Cependant, rares sont ceux qui, une fois arrêtés et confondus par les indices, ne confessent pas la totalité de leurs crimes ou, tout du moins, une grande partie. Dans la majorité des cas, la psycopathie se caractérise par une absence totale de sentiment de culpabilité, et donc par un manque total de remords. Le tueur n'a donc aucun complexe à expliquer par le menu ce qu'il a fait subir à ses victimes, et égraine en général la liste complète de celles qu'il a trucidées. L'excès de zèle en la matière est même courant, et nombreux sont ceux qui surestiment leur tableau de chasse, la peine encourue n'étant pas proportionnelle au nombre de vies brisées. Rares sont en revanche les serial killers qui nient tout en bloc malgré l'abondance des preuves. C'est le cas de Robert Pickton qui, à la veille de son procès et après cinq années de détention préventive, continuait de clamer son innocence. Deux raisons pouvaient l'inciter à garder le silence : soit il ne tirait aucun véritable plaisir de ses actes et en éprouvait donc de la honte, soit il protégeait un ou plusieurs complices ou des commanditaires.
Il est difficile d'esquisser le portrait psychologique de Robert William Pickton, d'abord parce que n'ayant pas avoué et raconté les meurtres, on ne dispose que de peu d'éléments pour se faire une idée de ses fantasmes et de ses motivations. De ce que nous connaissons de son comportement, Robert Pickton présente quelques similitudes avec le tueur en série français, Patrice Allègre, à ceci près que ce dernier a fini par avouer la plupart des crimes qu'on lui imputait, même s'il reste de nombreuses zones d'ombre dans son histoire criminelle. Comme Allègre, les gens qui ne connaissent Robert Pickton que superficiellement le décrivent comme gentil, sympathique, prêt à rendre service. Il est calme, mais on devine au travers des descriptions faites de lui, qu'il est prompt à s'emporter. Pourtant, rien n'indique qu'en dehors de ses actes criminels, il soit capable de véritable violence.  Il semble fuir les autres, non par réelle misanthropie (il a des amis, des relations régulières), mais parce que, comme Allègre, il n'accepte aucune règle. Le Français a très tôt choisi la petite délinquance, le Canadien a préféré la discrétion des divers petits trafics qui se déroulaient sous le couvert de Piggy Palace. Le témoignage de Kim Kirton, l'une des deux seules rescapées, est particulièrement significatif. Le soir du 23 novembre 2001, Pickton semblait décidé à passer du bon temps en recrutant deux prostituées, Kim Kirton et Mona Wilson. D'après le témoignage de Kim, Pickton aurait même été décidé à louer les services d'une autre fille, mais il y a renoncé pour une raison inconnue. On peut aisément concevoir que "Willie" ait prémédité de tuer une femme dans la force de l'âge – il en avait les moyens physiques. On peut imaginer qu'il ait envisagé de maîtriser deux femmes qu'il aurait préalablement droguées et saoulées. Peut-on croire alors qu'il ait voulu en faire autant avec trois prostituées dans la trentaine (il cherchait les toxicomanes confirmées, faciles à attirer), déjà rompues à la dure existence de la rue ? Ce n'était pas des petites filles faciles à manipuler, et même si leur forme physique laissait à désirer, elles étaient sans doute encore capables de résister à un agresseur. La preuve est que, lorsque Pickton s'en est pris à Mona Wilson, Kim Kirton a pu prendre la fuite. De même, Wendy Eistetter avait désarmé et blessé "Willie". On ignore bien sûr si Wendy était sous l'effet du crack, mais le choix de cette drogue semble pour le moins surprenant de la part d'un tueur qui aurait voulu annihiler les défenses de ses victimes. En effet, le crack, dont les effets sont plus violents et la dépendance plus forte que pour la cocaïne, conduit plutôt à un état d'euphorie, une sensation d'amélioration des performances. Un homme désireux de mettre une victime à sa merci n'aurait donc pas choisi cette drogue et aurait préféré l'héroïne (la plupart des prostitués dépendantes du crack était aussi héroïnomanes) ou des sédatifs du type GHB ou rohypnol, la "drogue du viol", qui diminuent les défenses et le jugement des consommateurs. Quel était alors le plan véritable de Robert Pickton ? N'a-t-il pas réellement été victime d'une bad trip ? Parmi les effets secondaires connus du crack, on note en effet des comportements inadaptés – voire psychotiques – assez semblables à l'épisode décrit par Kim Kirton. Celle-ci rapporte un changement brutal dans l'attitude de Pickton : agitation, yeux exorbités, voix aiguë, débit accéléré, délire paranoïde… Si on tient compte du fait que l'homme avait déjà fumé une grande quantité de crack et buvait de l'alcool (ce qu'il n'était pas habitué à faire aux dires de ses connaissances), on comprend mieux cette dérive soudaine. Mais ces brusques changements de comportement ne sont pas sans rappeler aussi les violentes sautes d'humeur de Patrice Allègre. Ainsi, Karine, une habitante de Foix qui l'avait accueilli en 1997, décrit une dispute soudaine entre Allègre et sa compagne : « Là, il m'a choquée, d’un seul coup il n’avait plus le même visage. Ce n’était plus le même individu… ». Si la comparaison est osée (Allègre n'était pas sous effet du crack), elle est néanmoins troublante.
Le fait que Robert Pickton ait régulièrement fréquenté les prostituées et que beaucoup d'entre elles (certaines étant de futures victimes) l'aient décrit comme un individu sympathique, suggère que la violence et le meurtre ne font peut-être pas partie intégrante de la sexualité déviante du tueur. Il peut avoir des relations sexuelles "normales". Dans le même ordre d'idées, les psychiatres experts (le Docteur Zagary et le Docteur Ajzemberg) ont déclaré durant le procès de Patrice Allègre : « Il ne tue pas pour avoir un rapport sexuel… L’acte sexuel conclut le passage à l’acte mais l’essentiel s’est déjà joué… …Son plaisir de donner la mort est moins grand que celui d’avoir le pouvoir de la donner ». Peut-être Robert Pickton n'a-t-il même aucun plaisir fantasmatique à tuer. Dans cette hypothèse, c’est un "accident de parcours" lié à l'usage des stupéfiants.  La personnalité secrète et solitaire de Pickton n'est d'ailleurs pas sans rappeler certains effets à long terme de la cocaïne tels que l'apparition de comportements de méfiance et de paranoïa conduisant à un isolement et à une difficulté à communiquer.
Un détail troublant demeure. D'après le témoignage de Kim Kirton, Pickton avait disposé deux couteaux sur une table, ce qui contredit en apparence la théorie de la non préméditation. Il faut cependant replacer les faits dans leur contexte. Pickton était un éleveur de porcs, travaillant à journée entière dans une ferme où l'usage d'un couteau était fréquent, notamment pour saigner les porcs. Son frère Dave précise dans une interview : « Savez-vous combien de cochons mon frère tuait par an ? Deux mille », chiffre qui fut confirmé par Patt Casanova, un ami qui venait fréquemment l'aider à l'abattage. De plus, tout ceux qui sont entrés dans la maison d'habitation occupée par "Willie" l'ont décrite comme négligée et en désordre. On peut donc imaginer que si Pickton manquait d'ordre au point de laissait traîner les effets de ses précédentes victimes, il ne rangeait certainement pas les couteaux qu'il devait posséder en grand nombre. Les chiffres sont aussi en faveur de cette hypothèse. On constate une recrudescence brutale des disparitions (et sans doute des meurtres) en 1995 avec un pic en 1997 puis une lente diminution jusqu'à une nouvelle augmentation en 2001 : ces variations pourrait être expliquées par des délires psychotiques (le bad trips) associé à une mauvaise utilisation du crack (associé à l'alcool par exemple) ou a un manque d'habitude conduisant à un surdosage. On peut en effet supposer que Pickton a connu d'avantage d'accès de démence au début de cette période, bien qu'on ignore quand il a commencé à associer drogue et prostituées. Robert Pickton a-t-il tué en overdose ? Cela ne signifie en aucun cas qu'un manque de planification des crimes relève Pickton de sa pleine et entière responsabilité. Car, dans le fond, Pickton ne se sent nullement coupable.

Lettre de Robert Pickton datée du 2 août 2006 en réponse au courrier que lui avait adressé Thomas Loudamy sous le pseudonyme de Mya Barnett. Cet Américain entretint une abondante correspondance avec des criminels dangereux dont plusieurs tueurs en série tels que Clifford Olson (©Vancouver Sun). Cliquer sur la lettre pour l'aggrandir.

L'absence de remords est très sensible dans les lettres que Robert Pickton a adressées en 2005 et 2006 en réponse aux courriers de Thomas Loudamy, un habitant de Fremont en Californie qui a pris l'habitude de communiquer avec des meurtrier nord-américains, en particulier des tueurs en série tels que Clifford Olson, et signe sous le pseudonyme de Mya Barnett. Dans ces trois lettres, qui ont été effectivement postées depuis le North Fraser Pretrial Center, Robert Pickton assure qu'il est innocent des meurtres dont on l'accuse, et prétend que la police s'acharne sur lui, inventant les preuves qui faisaient jusque-là défaut, payant de faux témoins. Lisant régulièrement la Bible, il en cite de nombreux passages, en relation avec sa situation : Dans chaque ville, ils aidaient les Chrétiens a être fort et droits dans leur foi. Ils leurs disaient qu'ils devaient connaître de nombreuses souffrances avant d'être admis dans la Sainte Nation de Dieu. Loin de se sentir impliqué dans toutes cette histoire, Robert Pickton se considère même comme étranger au monde des hommes : Moi-même, je ne suis pas de ce monde, mais je suis né dans ce monde par ma mère terrestre et si je devais changer quelque chose, je n'en ferais rien, puisque je n'ai rien fait de mal, écrit-il dans une lettre du 26 février 2006 signée "Willie". "Etranger au monde des hommes", Pickton l'est certainement si l'on songe qu’il a très certainement assassiné une trentaine de femmes et sans doute beaucoup plus. Dans un anglais approximatif bourré de fautes et constellé d'annotations et de phrases soulignées, Pickton décrit les conditions de sécurité draconiennes qui président à ses transferts entre le centre de détention préventive de Port Coquitlam et le tribunal de New Wesminster, et déplore les coûts prohibitifs d'une enquête qui a coûté près de 110 millions de dollars, un record en la matière.
Robert Pickton n'est pas le seul à défendre la thèse de l'erreur judiciaire, même si son frère Dave le fait de manière beaucoup moins appuyée, apparemment déchiré entre doute et abattement. Pour lui, Robert a été manipulé « Il y avait un tas de gens inquiétants qui tournaient autour de lui… Quelqu'un a été assez malin pour ça. On voyait des types bizarres débarquer tout le temps : "Willie, puis-je utiliser le téléphone dans la roulotte ?" ». Peut-on imaginer que quelqu'un d'extérieur à la ferme y ait entassé des affaires sans que Willie ne s'en soit rendu compte ? Et comment imaginer alors que des cadavres aient été donnés en pâture aux cochons et que d'autres restes humains aient été mêlés à la viande de porc sans que Robert Pickton n'en ait eu connaissance ? Mais le raisonnement inverse est également possible : peut-on un instant imaginer que ces crimes organisés (même s'ils n'étaient pas prémédités au sens littéral du terme) aient été accomplis par un seul homme aux capacités intellectuelles limitées, et que ses proches soient restés dans l'ignorance totale de ses agissements ?


Robert Pickton a-t-il bénéficié de complicités ?

Le moins que l'on puisse dire est que Robert Pickton n'inspirerait que peu de crainte à qui le verrait sans connaître ses antécédents criminels. C'est un homme de taille moyenne pesant environ 70 kilos, à l'allure nonchalante, renfermé mais pas asocial. Rien à voir avec un Clifford Olson, un Michael MacGray ou un Allan Legère dont le caractère violent est évident. On peut imaginer que le crack a amplifié, sinon induit, des pulsions meurtrières chez Robert Pickton. Mais cela n'explique pas comment il parvenait à se débarrasser incognito des corps en les découpant, en les broyant, opérations qui ne pouvaient guère passer inaperçues. Comme se plaît à le répéter son frère David : « Je suis déconcerté. Je me tape la tête contre les murs. Il ne savait pas utiliser le matériel. Il n'avait pas l'intelligence, la coordination ». Il ne savait peut-être pas utiliser l'outillage complexe, mais il savait tout de même conduire… Dès lors, on peut s'étonner que Dave lui-même, qui habitait alors dans une autre parcelle de la ferme sur Dominion Avenue, n'ait jamais eu vent des agissements de son frère. Dave s'occupait lui aussi de Piggy Palace, et il participait aux soirées où des prostituées (dont beaucoup disparurent par la suite) s'exhibaient lors de stripteases. Il ne pouvait ignorer que certaines de ces femmes étaient portées manquantes, au moins dans les dernières années d'activité criminelle de Robert Pickton et qu'elles faisaient l'objet de recherches intensives. Et si Robert était trop attardé pour imaginer et réaliser une élimination systématique et méticuleuse des cadavres, qui donc le conseillait et l'assistait dans cette tâche ?
Il est aussi possible que Robert Pickton ait agit seul, mais dans ce cas, il est beaucoup moins "simple" que ne le prétend son frère, et sa responsabilité pleine et entière ne fait alors aucun doute. En effet, bien que la viande porcine (et occasionnellement humaine) qu'il produisait n'ait jamais été mise sur le marché officiel (contrairement aux inquiétude de la population), Robert Pickton approvisionnait ses amis, ses connaissances, ainsi que de nombreux émigrés originaires des Philippines, dans le cadre d'un abattoir clandestin. Il devait donc savoir manier le matériel de boucherie, y compris les machines, même s'il était assisté lors des campagnes d'abattage. N'oublions pas que, d'après la cassette où il racontait son histoire, il disait avoir débité des carcasses pendant 7 ans ! Et s'il était réellement incompétent pour utiliser le matériel, on revient immanquablement à l'hypothèse d'une tierce personne, complice, participant ou sauveur, se chargeant de faire disparaître les traces compromettantes.

Patt Casanova, un ami de Robert Pickton, fréquentait régulièrement la ferme. Malgré son rôle trouble qui conduisit à son arrestation, aucune charge ne fut retenue contre lui (© CBC)

Ainsi, Patt Casanova, un homme de 62 ans, connaissait Robert Pickton depuis 20 ans et l'aidait régulièrement dans ses campagnes d'abattage, en particulier le week-end. Bien qu'il ait été (à ses dires) davantage une relation d'affaires qu'un véritable ami de Willy, il revendait la viande à l'extérieur pour le compte de Pickton et lui prétait du matériel. Pouvait-il ignorer le manège de Pickton et confondre cadavre humain et carcasse de porc ? On devait ainsi retrouver des tissus adipeux d'origine humaine sur une scie à ruban lui appartenant… Mais le rôle ambigu de Casanova ne s'arrête pas là : En effet, il semble qu'il ait régulièrement demandé à Gina Houston de lui procurer des prostituées à la ferme où il restait parfois seul pour des périodes assez longues…
Une autre hypothèse doit être envisagée, même si elle ne repose sur aucun fait tangible. Dans le cadre des activités festives de Piggy Palace, Robert et Dave Pickton étaient fréquemment en contact avec des membres d'organisations criminelles tels que les Hell's Angels, qui ne devait pas manquer de rencontrer les prostituées. Quand on sait tous les excès dont sont capables les bandes de motards criminalisés (trafic de drogue, proxénétisme, meurtre etc…), on imagine aisément les débordements éventuels auxquels pouvaient se livrer des gangsters imbibés d'alcool et probablement drogués. Cependant, il existe un décalage d'un an entre l'augmentation des disparitions et la création de la "Piggy Palace Good Time Society" en 1998. Des soirées avaient-elles lieu clandestinement dès 1997 ? Robert Pickton s'est il au contraire servi de Piggy Palace pour drainer vers la ferme des prostituées qui ne se méfiaient plus ? Quoi qu'il en soit, l'implication de membres du crime organisé serait une raison largement suffisante pour que Robert Pickton reste muet jusqu'à la fin de ses jours. Les Hell's Angels sont en effet suffisamment puissants et encore assez bien implantés au Canada pour réduire Pickton au silence, soit en l'atteignant directement au sein de l'établissement pénitentiaire, soit en s'en prenant à sa famille. On a d'ailleurs appris que Scott Chubb, l'informateur qui permit la perquisition en février 2002, fut victime de menaces en 2003 de la part d'un membre des Hell's Angels qui lui déconseillait de témoigner au procès.
Lors de ce type de disparitions en série, il est également difficile de ne pas imaginer que les victimes aient été trucidées à l'occasion du tournage de snuff movies, ces films pornographiques hyper-violents distribués et vendus très chers par des réseaux parallèles et montrant tous les stades d'une mise à mort réelle filmée par un cinéaste amateur. En effet, quel meilleur certificat d'authenticité qu'un avis de recherche émis par la police ? Paradoxalement, les prostituées vivant en marge du système n'étaient peut-être pas les meilleures cibles pour ce genre d'activité cinématographique. Vivant au contact permanent du danger, elles devaient être informées de ce genre de pratiques et se seraient montrées beaucoup moins coopératives que des mineures naïves. Qui plus est, la recrudescence des meurtres, environ 25 ans après l'apparition des snuff movies, supposerait la création d'un nouveau marché alors même que celui-ci reste très confidentiel.
Même si on ne peut rejeter d'emblée ces hypothèses, il est fort probable que les meurtres sont en grande partie imputable aux seules activités de Robert William Pickton et qu'elles sont la conséquence de bad trips particulièrement violents. Sans doute ne connaîtrons-nous jamais le modus operandi précis du tueur, pas plus que celui-ci ne dévoilera l'existence d'un éventuel complice.
L'inspecteur Don Adam, de la GRC, dirigeait la Task Force menant l'enquête sur les disparues de Vancouver (© Vancouver Sun).

 Difficile aussi de ne pas aborder une nouvelle fois le problème de l'inefficacité navrante des différents corps de police canadienne qui n'ont réagi que très tardivement, embourbés dans leurs dogmes et leurs dissensions. Comme toujours, les autorités policières se retranchent derrière la difficulté qu'elles éprouvent à différencier les disparitions réelles des changements volontaires d'adresse et d'identité de la part de personnes aussi instables que des prostituées toxicomanes. Ce problème, certes réel, ne peut être invoqué lorsqu'on prend le temps de regarder les chiffres. Il ne faut pas être un statisticien confirmé pour constater une augmentation inquiétante du nombre de disparitions inexpliquées de femmes à Vancouver à partir de 1995 et surtout de 1997. Même si les chiffres exacts n'étaient effectivement connus qu'avec plusieurs années de retard, beaucoup de disparitions avaient été signalées à l'échelle de quelques semaines ou de quelques mois. Des enquêteurs tels de Kim Rossmo (qui avait une certaine expérience en matière de tueurs en série) et Dave Dickson (un ancien de l'Eastside) n'avaient pas manqué de relever ce fait. Sans que la police de Vancouver soit complice au sens propre du terme, il est clair que son inertie a largement profité au meurtrier. Beaucoup de questions restent encore sans réponse, mais l'un des problèmes les plus déstabilisants, celui qu'aucun procès ne solutionnera jamais, concerne ce point précis : combien de victimes seraient encore en vie si ses supérieurs avaient écouté Rossmo ? C'est probablement à ce genre de question absurde et angoissante que des dizaines de parents tentent de répondre lorsque le silence des médias les laisse seuls, face à leurs souvenirs.


Le procès du plus grand tueur en série de l'histoire canadienne

Une des pièces à conviction : un inhaleur contre l'athme ayant appartenu à Sereena Abotsway (© Vancouver Sun).

Achevées en novembre 2003, les recherches, qui ont déjà coûté la somme faramineuse de 70 millions de dollars, ont finalement conduit à une identification ADN de trente-deux femmes dont quatre restent inconnues. Les preuves recueillies ont permis d'inculper Robert William Pickton de vingt-sept meurtres au premier degré, l'infraction la plus grave du code criminel canadien. Pour une raison que nous ignorons encore du fait du black-out imposé aux médias, les preuves concernant Dawn Crey et Yvonne Boen n'ont pas été retenues par l'accusation, de même que les restes de trois "Jane Doe" n'ont pas été présentées comme preuves à charge. En juillet 2003, alors que Pickton était inculpé de quinze assassinats, le juge David Stone de la cour provinciale de Colombie-Britannique, avait décrété qu'il y avait assez d'éléments pour commencer le procès mais les retards s’accumulèrent et un délai d'auditions préliminaires de 6 mois repoussa encore le début des audiences qui furent programmées pour le printemps 2005. A cette occasion, Robert Pickton ne fut pas transféré au tribunal et répondit aux questions par vidéoconférence depuis sa prison. En décembre, l'équipe de six avocats (dont Peter Richie), demanda un délai supplémentaire pour examiner les analyses d'ADN. Une nouvelle fois, le début du procès fut reporté lorsque le procureur ajouta douze nouvelles charges en mai 2005.

Peter Richie, l'avocat de Robert Pickton : une mission presque impossible (© CBC).

 La procèdure commença le 30 janvier 2006 par la phase du "voir et dire", une procédure préliminaire qui permet aux deux partis d'examiner quelles preuves peuvent être ou non admissibles. Comme nous l'avons vu, la justice avait bloqué la diffusion d'informations précises au sujet des preuves réunies contre Pickton afin que d'éventuels jurés ne soient pas influencés avant le début du procès. En effet, Peter Richie craignait que l'affaire, dont l'ampleur était sans précédent au Canada, ne soit traitée "à l'américaine", avec force détails racoleurs et révélations choquantes. Par exemple, les bruits les plus fantaisistes colportés à propos de la commercialisation de la viande des cochons nourris à la chair humaine, viande à laquelle aurait été mêlée la chair des victimes, avait soulevé une vague d'horreur qui pouvait influencer le jury. Comme le confiait Peter Richie :  « Notre problème permanent est que nous ne pouvons pas contrôler ces rumeurs… …Il va nous falloir surveiller tout ce qui est publié sur le sujet ».
Le risque d'un jugement partial a d'ailleurs justifié l'appel de trois mille cinq cent jurés potentiels au lieu des cinq cents généralement pressentis dans les procédures pour meurtre. Sachant que seulement douze jurés plus deux suppléants seront finalement choisis, on imagine le temps nécessaire pour parvenir à un accord sur la composition du jury. En fait, une telle abondance de candidats se justifie aussi par le fait que le juge avait décidé que deux procédures indépendantes seraient intentées contre Pickton : le premier procès devait juger le prévenu pour les meurtres de Sereena Abostway, Mona Wilson, Andrea Joesbury, Brenda Wolfe, Georgina Papin et Marnie Frey qui sont "matériellement différents" des  autres cas. Vingt autres accusations de meutre furent regroupées dans une seconde procédure indépendante. En effet, en mars 2006, le juge Williams estima que les preuves concernant la première "Jane Doe" ne satisfaisaient pas les exigences minimales de l'article 581 du code criminel (qui stipule que la victime doit être identifiée) et ramena le nombre total d'accusations à vingt-six. La constitution du premier jury fut achevée en décembre 2006, en vue d'un procès en janvier 2007, soit près de 5 ans après l'arrestation de Robert Pickton. La lenteur des procédures s'explique en partie par l'ampleur des recherches entreprises, mais aussi par l'abondance des informations en résultant. Ainsi, on estime que le dossier de l'affaire Pickton représente deux millions de pages et cent mille procédures distinctes ! La durée du premier procès était évaluée à un an au minimum, ce qui n'était pas sans poser des problèmes pratiques aux jurés choisis pour l'occasion, que ce soit en matière de vie familiale ou professionnelle. Cette durée inhabituelle se justifiait par le fait que 260 témoins allaient être auditionnés… Les coûts sont également astronomiques : le procès Pickton devrait coûter au bas mot 46 millions de dollars (sans compter les recherches), une somme que beaucoup voudraient voir utilisée à d'autres fins.

Le juge Williams eut la difficile mission de présider le tribunal jugeant Robert Pickton pour les meutres de 6 victimes (© CBC).

Le procès de Robert William Pickton pour les six meurtres au premier degré s'ouvre le 22 janvier 2007 sous la présidence du juge James Williams. En plus de 310 journalistes accrédités, dont beaucoup d'étrangers, une foule nombreuse se presse au palais de justice de New Wesminster. On s'attend en effet à un véritable déballage d'horreurs et de révélations fracassantes, peut-être même à des aveux de l'accusé… Il est vrai que les audiences préliminaires ont amené la Cour à examiner des preuves si impressionnantes que plusieurs journalistes ont été obligés de consulter un psychiatre. Dès la seconde journée d'audience, le jury composé de sept hommes et cinq femmes va visionner l'enregistrement du premier interrogatoire de l'accusé, un document de piètre qualité. Divers témoins vont de succéder. Andy Bellwood déclare : « Il m'a parlé de la façon dont il les tuait ». D'après Bellwood, Pickton tuait les femmes d'une balle derrière la tête, les saignait et les donnait en pâture à ses cochons. Ce témoignage est confirmé par Lynn Ellingsen, qui a vécu sur la propiété de Pickton. Elle assure avoir vu une femme suspendue à un crochet à l'endroit même où Willie écorchait les porcs. L'ayant surprise, celui-ci l'avait alors menacé de la placer "à côté" si elle parlait à quiconque de ce qu'elle avait vu. Lynn Ellingsen est la première à placer Pickton sur les lieux du carnage au cours du procès, et son témoignage semble capital. Scott Chubb, l'informateur qui a permis l'arrestation de Pickton, a travaillé périodiquement sur la ferme entre 1993 et 2001. Il a également confirmé les soupçons des enquêteurs qui avaient retrouvé des seringues avec de l'antigel dans la ferme de Port-Coquitlam et cite les paroles du tueur : « Si tu voulais te débarrasser de quelqu'un comme une toxicomane ou quelque chose comme ça, tu pourrais prendre du lave-glace, en mettre dans une seringue et lui injecter ».  Le jeu de 70 photos prises dans la roulotte montreront d'ailleurs deux seringues contenant un liquide bleu…

Trois témoins-clé dans l'affaire Pickton : (de gauche à droite) Andy Bellwood, Lynn Elingsen et Scott Chubb (© CBC).

Tout ces témoignages accablants vont pourtant être remis en cause par la défense qui conteste la crédibilité des témoins que la police a d'ailleurs arrêté. En effet, Lynn Elingsen est une prostituée, toxicomane et alcoolique. Elle continue de consommer du crack de manière régulière et était sous son emprise le soir où elle prétend avoir vu le tueur écorcher une femme. Patt Casanova, dont le rôle exact est bien loin d'être élucidé, ne pouvait ignorer l'activité nocturne de l'éleveur. Il déclare d'ailleurs avoir vu des effets féminins dans la roulotte. Collaborateur de Pickton lors des scéances d'abattage de porcs, il est également intimement lié à Lynn Ellingsen à qui il prêtait de petites somme d'argent. Incapable de lui rembourser en monnaie sonnante et trébuchante, celle-ci payait ses dettes en nature, à priori plusieurs dizaines de fellations. La femme vivait alors avec Robert Pickton qu'elle volait à l'occasion pour satisfaire ses besoins en crack. Le troisième témoin, Dinah Taylor, elle aussi arrêtée par la police, est accusée par Dave Pickton et Gina Houston d'avoir participé aux meurtres. Quant à Scott Chubb, il s'avère qu'il a été payé par la GRC pour fournir les renseignements… Les pièces à conviction sont également remises en causes puisque des policiers, pourtant formés à la préservation des scènes de crime, ont souillé des indices.

Début février, la procédure s'enlise dans les méandres juridiques et, après deux semaines de procès, la salle se vide peu à peu. Ce désintérêt du public s'explique aisément : victimes marginales, tueur à la personnalité insignifiante, procès se déroulant dans une petite salle d'un tribunal de province alors même qu'un nouveau tribunal avait été construit à Vancouver… Il est vrai qu'on est loin de la surmédiatisation du procès de Paul Bernardo et Karla Homolka. Pourtant, le 6 février, le témoignage d'un membre de la GRC va attirer les foules : cet agent, dont le nom reste confidentiel pour des raisons de sécurité, a été incarcéré dans une cellule de 9 mètres carrés où Robert Pickton, fraîchement arrêté, viendra le rejoindre. Il lui fera des révélations qui seront intégralement enregistrées. D'abord timide, Pickton a commis l'erreur de faire confiance à cet inconnu qui disait ne pas le connaître. La totalité des onze heures de cohabitation ont été enregistrées. Alors que l'homme lui racontait sa propre histoire criminelle inventée de toute pièce, Pickton déclara : « Mais ce n'est rien comparé à la mienne ». Il aurait alors affirmé avoir assassiné cinquante femmes. Alors qu'il écoutait le policier lui expliquer comment il se débarrassait des corps en les jetant dans l'océan, Pickton s'est exclamé : « J'ai fait mieux que ça… Une usine d'équarrissage ». Précisant qu'il avait tué quarante-neuf prostituées, il a amèrement regretté ses maladresses : « J'ai été imprudent avec quatre… J'ai creusé ma propre tombe en étant imprudent. Ça m'emmerde. C'est le problème. Ils n'ont rien autrement ». Au cours de la conversation, l'éleveur de cochons a affirmé avoir eu pour objectif d'atteindre le chiffre de cinquante victimes avant d'observer une pause pour reprendre de plus belle. Un cynisme digne des pires psychopathes !

La procédure va alors se poursuivre 10 mois durant par l'audition de 128 témoins et l'examen de 200 preuves et s'achève en décembre 2007. Maître Adrian Brooks, l'un des avocats de Pickton, va étaler sa plaidoierie sur trois jours et demi. Il remet en cause la crédibilité des témoins à charge, dont beaucoup ont connu des passés cahotiques : repris de justice, drogués, alcooliques, marginaux… Lynn Ellingsen est-elle crédible lorsqu'elle voit une femme suspendue à un crochet alors qu'elle-même est sous l'effet du crack ? Maître Brooks sait également tirer parti des antagonismes entre les différents témoins. Ainsi, Gina Houston prétend que Dinah Taylor, qui a passé trois mois chez Pickton au printemps 2001, annonçait à qui voulait l'entendre qu'elle allait tuer "cette salope" d'Andrea Joesburry… Les preuves matérielles sont également remises en cause : l'expert Ron Nordby a estimé que les taches de sang dans la roulotte, identifiées comme appartenant à Mona Wilson, ne sont pas compatibles avec un "évènement majeur" et proviennent sans doute de l'accumulation de petites hémorragies consécutives. Les prélèvements ADN sont également mis en doute puisqu'on a détecté peu de traces de Pickton et beaucoup provenant d'autres personnes ayant fréquenté la ferme. Que dire alors de la confession de l'accusé enregistrée à son insu alors qu'il était en cellule ? L'expert Lary Krywaniuk a soumis Pickton à deux tests de Q.I. à quelques mois d'intervalle : il obtient un score de 86, en limite basse de la tranche 85-115 qui correspond à une intelligence moyenne. Peut-on alors imaginer que Pickton se soit laissé manipuler ?

Mike Petrie, l'avocat de la Couronne (© CBC).

L'avocat de la couronne, Maître Mike Petrie, va utiliser les arguments contraires au cours d'une plaidoirie de presque trois jours, démontrant que les six victimes faisant l'objet de cette première procédure avaient été démembrées de manières semblables et étaient identiques à celle que l'accusé utilisait pur débiter les porcs. En accord avec une dizaine de témoins, Robert Pïckton est décrit comme "pas si bête". Nul n'a forcé l'accusé à faire des confidences à son codétenu, et le témoignage d'Andy Bellwood est pour le moins accablant : Pickton lui a bel et bien montré comment il tuait les prostituées, exhibant les menottes qu'il utilisait pour les attacher par surprise alors qu'il avait un rapport sexuel avec elles, et un collet en fil de fer qui servait à les étrangler. Et si tous les témoignages sont sujets à caution, il n'en reste pas moins des centaines de preuves ADN découvertes sur la propriété, ainsi que des restes humains et de nombreux objets personnels ayant appartenu aux victimes.

Le 28 novembre 2007, le juge Williams entame trois jours de recommandations au jury, une durée inhabituelle qui s'explique par le nombre de preuves et de témoignages, et par les pressions psychologiques que ce procès fleuve a fait peser sur les jurés. Les consignes font l'objet d'un document écrit de 700 pages ! Le 1er décembre marque le début des délibérations. Elles dureront 10 jours, avec une interruption par le juge Williams au terme du 6ème jour, suite à une demande des jurés pour savoir s'ils peuvent envisager le cas où Pickton ne serait pas directement responsable des crimes… Enfin, le dimanche 9 décembre, le verdict tombe : au grand dam des familles de victimes, Robert William Pickton n'est reconnu coupable que de meurtre au second degré, c'est-à-dire sans préméditation. Comme dans le cas d'un meurtre prémédité, la loi canadienne prévoit que la peine maximale est la prison à vie, mais contrairement au premier degré qui prévoit une durée incompressible de 25 ans, Pickton pourrait être remis en liberté après seulement 10 années de détention, autrement dit, il pourrait demander une libération anticipée à partir de la fin février 2012 ! C'est, bien sûr, sans tenir compte du résultat du second procès pour le meurtre de vingt autres femmes, ni de la décision du juge Williams qui peut décider seul de la durée de la peine et du délai avant qu'une demande de libération soit recevable. Le verdict soulève tout de même une vague de protestation : comment peut-on avoir tué six personnes de manières identiques sur une période de 4 ans sans rien avoir planifié ?

Les 6 victimes dont l'assassinat faisait l'objet du premier procès Pickton : (de gauche à droite)
Marnie Lee Frey, Brenda Wolfe, Georgina Faith Papin, Sereena Abotsway, Mona Wilson, Andrea Joesbury (© GRC).

Bien entendu, les proches des victimes sont déçus, mais pas désespérés. Greg Garley, le frère de Mona Wilson, déclare : « Nous le savions. Nous savions qu'il était coupable. Maintenant la province le sait, le monde entier le sait », ajoutant qu'un poids vient de lui être enlevé des épaules. En revanche, Jean-Paul Brodeur, spécialiste de criminologie à l'université de Montréal, ne cache pas sa surprise : « C'est inhabituel d'avoir un verdict de non-préméditation dans le cas de meurtres en série… …Cela va aux limites de la crédibilité ». Comme beaucoup de personnes au Canada et à l'étranger, il estime qu'il s'agit "plus d'une victoire pour la défense que pour la couronne". Bill Fordy, le principal enquêteur de la GRC ayant interrogé Pickton, s'est déclaré déçu du verdict : « La principale équipe d'enquêteurs ont probablement l'impression d'avoir laissé tomber (les victimes) ».
Cette décision découle certainement de l'absence d'aveux de Robert Pickton. La conversation enregistrée à son insu avec son pseudo-codétenu n'a pas apporté de preuve décisive, aucun détail précis, et s'il a reconnu avoir assassiné quarante-neuf femmes, il n'en a cité aucune. De plus, ses lettres à Thomas Loudamy ne constitue pas non plus des preuves suffisantes puisque, s'il justifie plus ou moins ses actes avec des connotations bibliques (Pickton y écrit avoir pour mission " en ce monde de le débarrasser du mal ", et que les êtres " immoraux, impurs et avides… …subiront la terrible colère de Dieu "), il n'apporte aucun élément compromettant. La crédibilité des témoins de l'accusation est pour le moins sujette à caution et cela a certainement semé le doute dans l'esprit des jurés. Robert Pickton n'a-t-il pas joui de complicités actives ou passives ? Et dans ce cas, est-il vraiment le seul et unique tueur ? La seule certitude le concernant est qu'il était au courant et qu'il a participé au dépeçage des cadavres et à leur élimination.

On ne peut pas non plus compter sur le second procès pour allonger notablement la sentence. Il s'ouvrira sans doute au début de l'année 2009, pour l'assassinat de vingt autres femmes, mais ces meurtres avaient été déconnectés des six précédents parce que les preuves présentées étaient moins claires… Ce second procès sera-t-il seulement une procédure "pour la forme" ? Curieux avertissement que transmet la société aux meurtriers potentiels : ainsi, la sœur de Wendy Crawford estime que "le Canada envoie un mauvais message aux criminels, leur disant qu'ils peuvent tuer autant de gens qu'ils le veulent, puisqu'ils ne seront accusés que de six meurtres".
Quoi qu'il en soit, il serait vain d'attendre une quelconque vérité de la part de Robert William Pickton : sans surprise, celui-ci a plaidé "non coupable" et maintiendra sans doute sa ligne de défense. Au cours de son procès, il n'a guère montré d'intérêt que ce soit pour sa propre personne ou l'histoire dramatique des victimes. Il n'avouera sans doute jamais les crimes dont on l'accuse. Malgré les preuves et les témoignages, nul ne saura jamais le fin mot de l'histoire, et c'est peut-être ce qui sera le plus pénible pour les familles de victimes : continuer à croire et espérer. Clifford Olson est sans doute un monstre odieux et cynique, mais quoi de pire qu'un silence de mort ? En ce sens, Robert Pickton le vaut largement.
Plusieurs livres ont déjà été consacré à Robert Pickton, en particulier "The Pig Farm" et "The Pickton File" de Stevie Cameron. "Killer Pickton", un film Australien interdit au Canada lui a également été consacré en 2005. Mais le plus surprenant et le plus choquant est, qu'à l'image de Karla Homolka, Pickton a lui aussi ses fans… Ainsi, il est possible d'acheter par correspondance des T-shirts "I love Robert Pickton" !
Seule consolation dans cette affaire : le mardi 11 décembre 2007, le juge James Williams, choqué par l'absence de remords de Pickton et profitant de l'absence de recommandation du jury concernant l'incompressibilité de la détention, condamne Robert William Pickton à la peine maximale, soit la prison à vie accompagnée d'une durée incompressible de 25 ans. Lorsqu'il sortira de prison, Pickton sera devenu un vieillard de presque 80 ans.
En revanche, rien n'a été épargné aux familles de victimes : on a parlé des femmes disparues en termes de droguées et de prostituées, mais on les a rarement considérées comme des êtres humains. Leurs proches se sont sentis exclus de la procédure, jusqu'au jour de la délibération où ils ont été priés de faire disparaître jeux de société et passe-temps qui leur permettaient de tromper l'attente alors qu'ils campaient dans les couloirs du palais de justice de New Wesminster, et ce, afin de "respecter le decorum" !
On peut également supposer que divers procès "satellites" vont se dérouler en marge de la procédure principale. Ainsi, dès l'annonce de la condamnation de Pickton, les familles des victimes ont demandé l'ouverture d'une enquête publique. En effet, il semble impensable que les responsables du Vancouver Police Department ne soient pas amenés à s'expliquer sur le déroulement pour le moins étrange de l'enquête criminelle. Un comble quand on sait que les polices canadiennes sont parmi les plus efficaces au monde et qu'au Canada, la criminalité tend à baisser depuis le début des années 1990, au point qu'en 2002, Robert Pickton était responsable d'une augmentation de 4 % du taux d'homicides en Colombie-Britannique ! Malheureusement, l'Eastside de Vancouver continue de concentrer une criminalité active, et le "nettoyage" du centre-ville en vue des jeux olympiques de 2010 ne fera que déplacer le problème. Nombreux cont ceux qui réclament des logements sociaux et des programmes de réinsertion pour les marginaux plutôt que des actions de prestige. Quoi qu'il en soit, il est fort probable que la misère et la criminalité seront déplacées vers d'autres sites et que d'autres femmes disparaîtront dans les années à venir. La police, l'opinion publique réagiront-elle enfin, ou se contenteront-elle d'accrocher encore et encore de nouveaux visages sur les avis de recherches ?

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© Christophe Dugave 2008

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Published by Christophe Dugave - dans Deuxième partie

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Mes romans et recueils de nouvelles sont visibles sur le site de LIGNES IMAGINAIRES.

Clifford Olson est décédé le 30 septembre 2011 à Laval, près de Montréal. Il fut, non pas par le nombre mais par son sadisme et son absence totale de remords, l'un des pire sinon le pire tueur en série du Canada. Sa triste histoire (non réactualisée) peut être lue ici.

 

Dans un tout autre registre, voici mon second roman "Lignes de feu", un thriller qui se déroule aussi au Québec mais cette foi-ci en septembre 2001, rencontre un certain succès…

 

lignes de feuPour en savoir plus, cliquez ici ou sur la couverture (© photo : S. Ryan 2003)

 

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Un nouveau cas de serial killer jugé en Colombie Britannique : Davey Mato Butorac, 30 ans, est actuellement jugé à Vancouver pour les meurtres de deux prostituées droguées, Gwen Lawton et Sheryl Korol retrouvées mortes en 2007 à Abbotsford et Langley. Il est également suspecté d'avoir assassiné une troisième victime.  Comme c'est maintenant la mode au Canada pour les affaires de tueurs en série, le procès est frappé d'une interdiction de diffusion des informations. Et comme cela semble également en vogue depuis le procès Pickton, Butorac n'est poursuivi que pour "meurtre au second degré", c'est à dire sans préméditation…

Citations

Si seulement les filles savaient qui je suis et ce dont je suis capable !
Si on pouvait lire dans mes pensées, on m'enfermerait et on jeterait la clé.

Angelo Colalillo (1965-2006), tueur en série (Québec)

       
Les enfants ont besoin d'un endroit pour jouer !… 

Les prédateurs ont aussi besoin d'un endroit pour jouer.

Peter Woodcock (1939- ), tueur en série (Ontario).

 

Robert Pickton a le cœur sur la main. Mais le cœur de qui au fait ?

Anne Melchior, journaliste à propos de Robert William Pickton (1950- ), tueur en série (Colombie-Britannique).  

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