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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 12:30
Course mortelle

"A ce stade, c'était juste une jeune fille disparue depuis peu et il n'y avait pas suspicion d'agression sexuelle". Cette phrase trouvée dans un document de la GRC relatif à la disparition de Sandra Lynn Wolfsteiner peut laisser perplexe, sinon  choquer. Sandra avait 16 ans et habitait avec sa sœur à Langley, dans la banlieue de Vancouver. En fin de matinée le 19 mai, elle se dirigea vers Surrey pour déjeuner avec son petit ami. Elle passa tout d'abord chez sa mère et, vers 11 heures 30, elle tenta sa chance auprès des automobilistes, espérant qu'un d'entre eux voudrait bien la prendre en stop. Par hasard, la mère de son petit ami l'aperçut alors qu'elle embarquait dans un coupé de couleur gris métallisé, probablement l'un des véhicules loués par Olson. Il semble que celui-ci soit parvenu ensuite à la convaincre de l'accompagner – probablement en lui proposant un petit boulot – et  l'emmena sur la route de Chilliwack Lake, une zone peu fréquentée où il disait avoir une cabane. Elle le suivit dans les broussailles où il la tua en la frappant sur l'arrière du crâne avec un marteau. Ce crime purement sexuel n'excluait pas non plus la recherche d'un petit profit puisqu'Olson était également un voleur patenté. Il fouilla donc sa victime et ne découvrit que 10 dollars dans ses poches. « Elle m'avait dit qu'elle en avait 100 ! », devait-il expliquer après son arrestation.
Après une nouvelle pause de presqu'un mois, Clifford Olson devait accélérer sa course mortelle, cherchant de nouvelles victimes de manière compulsive, qu'il soit en voiture ou dans les centres commerciaux où flânaient de nombreuses jeunes filles. Prudent et psychologue, il savait se faire discret et choisissait précautionneusement ses futures victimes. Ainsi, il enleva Ada Anita Court, 13 ans,  alors qu'elle attendait le bus pour aller voir son petit ami au retour d'une soirée de baby-sitting chez son frère et sa belle-sœur, le 21 juin 1981. Ce n'était pas un hasard. Olson vivait alors dans ce même ensemble d'immeubles situé à Burnaby, et il lui avait été aisé de suivre la jeune fille qu'il connaissait. Sans doute lui avait-il proposé de la raccompagner, peut-être lui avait-il promis un petit job bien payé…
Cette fois, la police prit davantage au sérieux sa disparition — non pas qu'elle relia les différentes affaires (le corps de Coleen Daignault n'avait pas encore été retrouvé), mais il était évident qu'Ada n'avait pas fugué puisqu'elle n'avait pas vidé son casier à la Cascade Heights Elementary School et n'avait rien emporté des affaires rangées dans sa chambre. Cette fois-ci, Olson faillit se faire prendre alors qu'il se débarrassait du corps. Jim Parranto, le responsable du camp de Weaver Lake, une aire de pique-nique réputée, patrouillait dans les environs lorsqu'au détour d'un chemin, il tomba nez à nez avec Clifford Olson qui était penché sur le corps d'une jeune fille en jogging multicolore. L'homme de 52 ans demanda à Olson ce qui se passait mais celui-ci ne lui répondit pas, se contentant de le dévisager d'un air mauvais. Comprenant qu'il était en danger, Parranto remonta dans sa voiture et s'enfuit, bientôt poursuivi par le pick-up noir du meurtrier. Il réussit finalement à rejoindre le camp, mais l'émotion et le sentiment de lâcheté le découragèrent d'aller prévenir la police. Plus tard, il finit par contacter la Gendarmerie Royale et expliqua : « J'ai compris que quelque chose n'allait pas… Je me suis dit qu'il fallait que je me sorte de ce mauvais pas ». Confronté à Olson après son arrestation, il reconnaîtra le tueur : « C'était Olson, je le regardais droit dans les yeux ».
La disparition de Simon Partington à Surrey le 2 juillet 1981 réveilla les médias et la conscience populaire. Cette fois-ci, la police pouvait difficilement prétendre que ce gentil garçon de 9 ans avait fait une fugue alors même qu'il avait sagement avalé son bol de corn-flakes et avait enfourché sa bicyclette vers 10 heures 30 pour aller chez un ami, son nouveau livre de Snoopy à couverture orange bien en évidence dans le panier de son vélo. Il parut alors évident que le petit Simon (qui mesurait moins d'1 mètre 30 pour 36 kilos) avait été enlevé. Les recherches mirent en branle un dispositif impressionnant qui activa jusqu'à deux cents agents et enquêteurs, et une liste de suspects fut rapidement établie. Clifford Olson en faisait partie en raison de ses antécédents, mais il ne fut pas inquiété. Pourtant, cinq jours après la disparition de Simon Partington, Olson prit en stop une jeune fille de 16 ans et son amie. Il leur fit son habituelle proposition de lavage de carreaux et persuada l'une des jeunes filles de l'accompagner. Il tenta de la saouler avec des boissons alcoolisées et se laissa aller à des attouchements, mais la fille résista. Cette fois-ci, il fut dénoncé et la police l'auditionna, mais pour des raisons qui défient l'imagination, il ne fut pas arrêté et nul ne songea à faire le lien avec les meurtres de Christine Weller et de Daryn Johnsrude, pas plus qu'avec les disparitions de Coleen, Sandra et Ada, alors même que les enfants s'étaient évaporés à quelques blocs seulement de l'endroit où Christine Weller avait été vue pour la dernière fois. Contrairement à la police, les médias commencèrent à faire leur autocritique en prenant conscience qu'ils avaient sous-estimé les précédentes disparitions en n'en faisant pas une large couverture médiatique. La série ne devait pourtant pas se limiter à ces six premières affaires.
Une semaine plus tard, Judy Kozma, une jolie petite brune de 15 ans plutôt timide, disparaissait après avoir passé un coup de téléphone. Le 23 juillet, c'était au tour de Raymond King Junior, 15 ans, qui cherchait un travail d'été, et dont la bicyclette fut retrouvée abandonnée. Depuis une semaine pourtant, l'enquêteur Les Forsythe s'intéressait fortement à Clifford Olson qui habitait à proximité du domicile des victimes ou bien du dernier endroit où on les avait aperçus. A ses yeux, Olson présentait un profil de suspect idéal. On savait qu'il recherchait des mineurs à qui il proposait de l'argent en échange d'un travail de lavage de vitres pour le moins improbable. Il avait une prédilection pour les voitures de location ou les véhicules empruntés à des amis, et il changeait souvent de moyen de locomotion. Enfin, il avait été arrêté précédemment pour une tentative de détournement de mineure à qui il avait proposé des pilules d'hydrate de chloral. Cependant, ce faisceau de présomptions ne suffisait pas à en faire  un coupable, même si on considérait le fait qu'il avait été en contact avec Gary Marcoux, le violeur multirécidiviste et tueur d'enfants, et avait été impliqué dans diverses autres affaires de détournement de mineurs. Forsythe présenta ses conclusions au cours d'un brainstorming qui réunissait toutes polices de la région de Vancouver impliquées dans la recherche des enfants disparus. Le document de cinq pages qu'il présenta à propos d'Olson retint cette fois-ci l'attention des responsables. Cela n'empêcha pourtant pas la liste de s'allonger encore.
Sigrund Arnd, une touriste allemande de 18 ans, ne fut pas portée disparue immédiatement. Cette étudiante de Weinheim visitait le Canada, et ses parents ne s'inquiétaient guère pour cette jeune femme prudente qui assurait ne jamais faire de stop et ne jamais monter dans la voiture d'un inconnu. Malheureusement, elle avait été conquise par la gentillesse des Canadiens, et il est possible qu'elle ait oublié ses bonnes résolutions… Des témoins déclarèrent l'avoir aperçue dans le train alors qu'elle était abordée par un homme d'âge moyen qui fut identifié par la suite comme étant Clifford Olson. Deux jours plus tard, le 27 juillet, Terri Lynn Carson, une jeune fille fluette âgée de 15 ans, quitta le domicile familial sur le coup des 8 heures pour tenter de trouver un job d'été. Elle disparut à son tour après qu'Olson lui ait offert de l'emmener en voiture. L'homme était pourtant sous surveillance… Deux jours plus tard, la police estima qu'Olson avait certainement eu vent du dispositif à son encontre et décida de le lever, sous-estimant totalement la rapidité d'action du tueur. Ils décidèrent d'utiliser un autre moyen pour le coincer.
Ce n'était un secret pour personne qu'Olson était avide d'argent et le constable Fred Maile de l'Unité des Crimes Graves de la GRC proposa un stratagème. Il allait offrir une récompense à Olson en échange d'informations : si l'homme était le meurtrier, il les mènerait tout droit aux scènes de crime et il serait alors facile de le confondre. Si en revanche il n'avait que des informations fragmentaires, ce serait toujours bon à prendre, et peut-être finirait-il par dévoiler le nom du tueur. Il n'était pas improbable en effet qu'Olson ait fréquenté un autre homme de la trempe de Marcoux et qu'il ait suivi son parcours criminel, comme voyeur ou même comme complice. Clifford Olson rencontra le détective Tarr et les caporaux Maile et Drozda dans un restaurant White Spot, le 30 juillet 1981. La conversation fut enregistrée intégralement et a été depuis reprise dans le livre "Final Payoff" de Ian Mulgrew.
« Pas mal de meurtres dans le coin, pas vrai ?  », commença Maile.
Olson s'arrêta de boire et souffla sur son café. Tous les yeux étaient tournés vers lui. Pendant un moment, il demeura silencieux.
Finalement, Olson annonça qu'il voulait toucher un salaire de 3000 dollars par mois. En échange, il donnerait des informations à propos des disparitions. Lorsqu'il les quitta avec un classique "Je vous recontacterai si je trouve quoi que ce soit", aucun des policiers ne songea à le suivre.  Si l'un d'entre eux l'avait fait, sans doute la petite Louise Chartrand serait-elle encore vivante…
Clifford Olson s'inquiétait tout de même d'être dans le collimateur de la police et, le soir même, il alla voir Robert Shantz, son avocat. En chemin, il repéra la petite Louise, une Québécoise récemment installée avec trois de ses sœurs à Maple Ridge, dans la vallée de la rivière Fraser. Bien qu'elle ait 17 ans, elle était menue et faisait plus jeune que son âge. Elle occupait un poste de serveuse de nuit dans un restaurant et s'y rendait en auto-stop. Alors qu'elle achetait des cigarettes au centre-ville de Mission, à moins de dix minutes du restaurant où elle travaillait, elle rencontra Olson qui l'embarqua dans son auto et la drogua avant de l'emmener à Whistler. En chemin, il se paya le luxe de faire un arrêt au détachement de la GRC de Squamish où il devait récupérer une arme à feu qui lui avait été confisquée. Il revint bredouille parce que l'officier en charge du dossier n'était pas disponible, et repartit avec sa proie comme si de rien n'était. Par les hasards de la géographie, Olson emprunta la Killer Highway pour aller à Whistler, autoroute dont le nom faisait référence aux nombreux accidents mortels survenant à cause de la neige. Il emmena Louise dans une carrière et lui fracassa le crâne avec un marteau avant de l'enfouir superficiellement.
Lorsqu'elle ne se présenta pas à son travail à 8 heures du soir, la direction du Bino's Restaurant contacta une des sœurs de Louise qui prévint la GRC à son tour. Cette fois-ci, la police réagit immédiatement et commença l'enquête dès l'annonce de la disparition. Il était temps car la canicule qui écrasait alors le sud de la Colombie-Britannique commençait à échauffer les esprits, et les pressions politiques se faisaient de plus en plus lourdes. La population commençait elle aussi à céder à la panique, égarée dans le dédale des informations, perdant toute confiance dans les forces de police morcelées en une douzaine de structures indépendantes.
Les polices municipales et les différents détachements de la GRC impliqués dans les recherches furent fédérés dans une task force commandée par le superintendant Bruce Northorp dès le début Août. En plus de mettre au diapason les différents corps policiers et de régler les problèmes de juridiction qui avaient paralysé l'enquête jusque-là, Northorp était particulièrement réceptif aux conclusions de Les Forsythe qui mettaient clairement Olson sur la sellette.
Surveiller Olson n'était pas une chose simple, même pour des policiers expérimentés, car celui-ci se sentait pisté et changeait souvent de route, faisant brutalement demi-tour. Il changeait aussi continuellement de voiture et conduisait tout le temps, franchissant des distances énormes. Ainsi, il parcourut 20 000 kilomètres en trois mois avec quatorze véhicules distincts, et à la mi-juillet, il effectua 5569 killomètres avec une Ford Escort en à peine deux semaines. Olson prit même le Ferry pour l'île de Vancouver située au large du continent. Après avoir cambriolé deux résidences à Victoria, la plus grande cité de l'île, il se dirigea vers la vieille ville minière de Nanaimo. En chemin, il s'arrêta pour prendre deux jeunes auto-stoppeuses. Trois heures plus tard, lorsque la voiture d'Olson vira sur un petit chemin de graviers qui s'enfonçait dans une zone peu habitée au milieu des sapins de Douglas et des épicéas, Northorp décida de mettre fin à la traque et ordonna l'interception du véhicule. La route fut bouclée pour interdire toute fuite et un important dispositif comprenant un hélicoptère se déploya dans la zone. Lorsque le tueur, qui avait commencé à saouler ses victimes, comprit que les jeux étaient faits, il tenta de prendre la fuite mais fut intercepté au barrage. La destinée de Clifford Olson venait, elle aussi, de prendre un nouveau tournant. C'était le 12 août 1981.


Le prix de la vérité

« Ce 6 août est un jour mémorable, avait déclaré Northorp. C'est le début d'une procédure qui va probablement retirer Olson des rues du Canada pour le reste de sa vie ».
Moins d'une semaine plus tard, le redoutable tueur en série était mis hors d'état de nuire. Les choses étaient cependant un peu plus délicates qu'elles pouvaient paraître au premier  abord.
Olson avait été arrêté le 12 août pour conduite dangereuse et non pour meurtres. La fouille de la voiture de location allait cependant fournir une première piste. On y découvrit en effet un carnet d'adresses vert au nom de Judy Kozma, la septième victime d'Olson, qui permit d'inculper le prévenu de meurtre au premier degré.
A ce moment-là, Seuls les corps de Christine Weller et Daryn Johnsrude, Raymond King et Judy Kozma avaient été retrouvés. Les nombreuses similitudes entre les différentes disparitions et la zone géographique relativement localisée ne laissaient guère de doute sur la culpabilité effective d'Olson. Celui-ci était bien conscient qu'il ne se sortirait pas de ce mauvais pas. D'un autre côté, la police ne pouvait ignorer qu'elle entamait une enquête marathon sous haute surveillance, un véritable enfer pour les détectives et leurs supérieurs. Les médias s'étaient déjà beaucoup épanchés sur l'inefficacité des services de police, et nul n'était près à supporter des investigations longues, pénibles et incertaines. Olson proposa alors un accord qui ressemblait bien à un pacte avec Satan. Contre la somme de 100 000 dollars versés sur un compte ouvert pour sa famille, il était prêt à aider les enquêteurs à retrouver les corps manquants et à leur fournir des preuves à charge. Sa seule exigence était qu'il leur ferait découvrir un seul corps à la fois (avec versement de la somme correspondante en échange), et ce, dans un ordre très précis.
Pour monstrueuse que soit la proposition, elle présentait d'énormes avantages pour les instances policières et judiciaires. Une enquête de cette ampleur allait impliquer tant de monde et d'argent que la note se chiffrerait en millions de dollars et durerait probablement des années. Ainsi en Angleterre, Peter Sutcliffe, "l'Eventreur du Yorkshire", confessa finalement le meurtre de treize enfants après que deux cent cinquante détectives aient enquêté sur son compte et que huit millions de dollars aient été dépensés. Pour les familles de victimes aussi, la solution pouvait être acceptable (même s'il n'était pas question de les consulter) puisque la découverte des corps leur permettrait de faire leur deuil.
« Je vous donnerai onze corps pour 100 000 dollars, proposa Olson. Le premier sera gratuit ». A vrai dire il ne restait plus à trouver que sept cadavres, mais la police et la justice acceptèrent le honteux marchandage. Clifford Olson remplit donc sa part du contrat : il mena les enquêteurs sur les lieux de ses forfaits et les corps furent retrouvés un à un. Bien évidemment, chacun était conscient que ce psychopathe calculateur pouvait tenter de s'échapper à l'occasion des nombreux transbordements. Northorp le fit donc transporter dans une voiture avec trois hommes non armés, l'un d'entre eux étant attaché à lui par les menottes. Deux autres véhicules bourrés de policiers lourdement équipés, escortaient la voiture. « S'il avait dans l'idée de s'échapper, il n'aurait pas réussi », assura plus tard le superintendant. Mais Olson n'avait aucune intention de filer en douce. En fait, il s'accommodait de la situation : il gagnait de l'argent pour les siens, pouvait bavarder tout son saoul, et faisait parler de lui. Il donna donc de nombreux détails sur chacun des meurtres. Il raconta ainsi qu'il avait rencontré Judy Kozma dans un McDonald's où elle travaillait à temps partiel comme caissière. Ils avaient sympathisé et la jeune fille lui avait parlé de ses problèmes d'emploi. Lorsqu'il l'avait aperçue le 9 juillet alors qu'elle sortait d'une cabine téléphonique un peu avant midi, il l'avait abordée. Tout s'était passé devant témoin car Olson voyageait en compagnie d'un garçon de 18 ans, Randy Ludlow, qui confirma ses dires.
« Nous roulions en direction du centre-ville de New-Wesminster, devait expliquer celui-ci. Olson a repéré une fille qui sortait d'une cabine sur Columbia Street devant le Royal Columbian Hospital. Il la connaissait visiblement et se dirigea vers elle. Elle souriait et semblait heureuse de le voir. Il s'est rangé le long du trottoir. Elle a traversé la rue et est venue lui parler ».
Comme à son habitude, Olson abreuva les jeunes gens avec la bière qu'il n'omettait jamais d'emmener dans sa voiture. Il adorait boire en conduisant et aimait que ses passagers boivent aussi. Judy se rendait à un rendez-vous pour tenter de décrocher un second boulot mais, comme elle était en avance, Olson lui proposa encore à boire et ils allèrent chercher ensemble des bouteilles dans un bar de Richmond. Ludlow fut chargé de préparer les cocktails et mélangea rhum et Coca selon les instructions d'Olson qui encourageait la jeune fille à consommer davantage.
« Olson me disait de mélanger, expliqua Randy. Je lui ai donné un verre de Coke sans rhum. J'ai attiré l'attention de Judy pour lui signaler que ce n'était que du Coke ».
Olson donna des petits cachets verts à Judy, lui assurant que cela la requinquerait et l'empêcherait d'être saoule. Elle les avala. Il s'agissait d'une drogue surnommée "Mickey Finn".
Par la suite, alors que Clifford Olson avait laissé Judy et Randy dans la voiture, le jeune homme nota que l'adolescente semblait anxieuse et pleurait. Il pensa qu'elle se rendait compte qu'elle avait manqué son entretien et qu'elle avait bu plus que de raison, mais il est également possible qu'elle ait mal réagi à l'absorption de "Mickey Finn" qui pouvait provoquer une réaction dépressive. Lorsque Ludlow revit Olson, celui-ci lui assura avoir déposé Judy à Richmond. En fait, Judy était déjà morte et, le lendemain de son crime, il partait en vacances avec Joan et Clifford III dans la région de Los Angeles.
Olson répétait sans cesse le même mode opératoire : il abordait les enfants, sympathisait, leur proposait du travail et les attirait dans sa voiture où il les faisait boire et les droguait. Son arme préférée était le marteau, mais il n'hésitait ni à poignarder, ni à étrangler ses victimes. Il les ensevelissait ensuite rapidement dans une zone géographique relativement réduite qui se situait entre Wisthler, Surrey, Chilliwack, Agassiz et Richmond. En général, il préférait aborder les enfants attendant le bus ou pratiquant l'autostop, une activité qui était très à la mode au début des années 80.
A vrai dire, une fois les pièces du puzzle assemblées, l'affaire semblait relativement simple. Olson apparaissait comme un serial killer classique quoi que particulièrement compulsif. Il avait pris de court la police, et le temps de réaction des autorités allait être un sujet de controverse plutôt brûlant. L'accord financier passé entre la justice et Olson allait également soulever un tollé médiatique sans précédent.


Division policière et règne criminel

Il est clair que la relative "longévité criminelle" de Clifford Olson a grandement profité de la multiplicité des forces de police en Colombie-Britannique. Au début des années 80, on comptait pas moins de six mille représentants de la loi dans la province, répartis entre douze forces de polices municipales indépendantes et une importante représentation de la Gendarmerie Royale du Canada (la police fédérale), elle-même subdivisée en une centaine de détachements. Si la GRC formait une entité cohérente, elle n'était pas concernée au premier chef lorsque les meurtres avaient lieu dans des municipalités qui n'était pas sous sa juridiction pour les affaires courantes. Ainsi, la GRC traitait les affaires inter-provinciales et les délits aux lois fédérales tels que le trafic de drogue, les infractions aux lois sur les armes à feu, la contrebande etc… Elle intervenait aussi dans les petites localités qui n'avaient pas les moyens d'entretenir des forces de police. En revanche, chaque police municipale, qui avait pouvoir d'enquête, conservait frileusement ses prérogatives et limitait jalousement sa juridiction. Ainsi, la transmission des données entre les différents corps policiers était quasiment impossible tant qu'il n'était pas prouvé qu'un même individu agissait de manière répétitive en différents points du territoire, et même dans ce cas, elle restait difficile. Chaque corps ayant sa propre bureaucratie avec une chaîne de commandement distincte et pas toujours fonctionnelle, une enquête de l'importance de celle des "Enfants disparus" ne pouvait être que vouée à l'échec.
Les luttes intestines entre les services de police, et parfois même à l'intérieur d'une même structure, ne furent pas non plus étrangères à cette lenteur de la réaction. Ainsi, au début de l'été 1981, les rivalités dans la hiérarchie de la GRC contrarièrent considérablement le processus d'enquête qui réclamait au contraire une collaboration de tous les services. Le "saupoudrage" des agents sur l'ensemble du territoire et la présence de "brebis galeuses" aux sein de la Gendarmerie Royale limitaient considérablement son efficacité. Sans remettre en cause la compétence des enquêteurs, ceux-ci souffraient d'être isolés les uns des autres sans réels moyens d'investigation. Les choses changèrent radicalement avec la création de la task force multi-corps qui agissait sous le commandement unique de Bruce Northorp.
Détecter un tueur multirécidiviste n'était pas très simple. En effet, à cette époque, le phénomène des serial killers était encore mal connu, et il est certain que les spécificités d'Olson, compulsivité et bisexualité, pouvait tromper les enquêteurs. Les victimes étaient des deux sexes, d'âges différents, phénomène assez rare pour un pédophile. Ainsi, les enquêteurs avaient admis comme règle générale qu'un maniaque s'attaquant aux préadolescents n'avaient pas de préférence sexuelle alors que ceux qui agressaient des individus plus âgés était plus sélectifs. En cela, les profilers, qui avaient alors tendance à classifier les délinquants, ne furent pas d'une grande utilité aux policiers. Seule l'augmentation du nombre de disparitions d'enfants apparemment "sans histoire" aurait pu les interpeller. Encore aurait-il fallu que les enfants manquants aient été immédiatement reconnus comme "missing persons" (personnes manquantes) et non comme fugueurs. Contrairement à la politique pratiquée de nos jours par de nombreuses polices de par le monde, la disparition d'un adolescent en 1981 ne déclenchait pas des recherches immédiates, et on attendait souvent plusieurs jours avant de s'inquiéter vraiment. Il fallut que des enfants prépubères (peu sujets aux fugues) ou des adolescents partiellement émancipés, disparaissent pour que la police prenne les dispositions nécessaires. Ainsi Derrick Murdoch écrit dans "Disappearances" : "Quand un enfant de 10 ans ou moins est porté manquant plus de 24 heures, il est peu probable que ce soit volontaire de sa part".
Le phénomène de l'auto-stop, très en vogue chez les jeunes au début des années 80, n'a pas non plus été anodin dans l'affaire Olson. Peu sensibilisés au risque d'une telle pratique, les enfants ou les jeunes adolescents crédules se laissaient facilement berner par cet homme sympathique qui semblait exercer une forte emprise sur les enfants.
Restait que la forte cohérence géographique, qui excluait Vancouver alors même que les communes de la banlieue sud étaient touchées par les disparitions inexpliquées, aurait pu être utilisée pour retracer le parcours criminel d'un suspect. Malheureusement, le profilage géographique n'existait pas encore, et le manque de collaboration entre les services n'aidait pas à la transmission de ce genre d'informations, certains considérant comme fugueurs des enfants disparus et d'autres s'alarmant à bon escient. De plus, l'absence de corps dans la plupart des cas ne permettait pas de déterminer un modus operandi précis. Durant la presque totalité de l'enquête, seuls les cadavres de Christine Weller et Daryn Johnsrude furent découverts : d'âges et de sexe différents, il ne semblait y avoir aucun rapport entre les deux affaires puisque Christine était prépubère et Daryn avait 16 ans et une certaine autonomie. La cause de la mort elle-même différait quelque peu : coups de couteau et strangulation pour Christine Weller, coups de marteaux pour Daryn. Bien évidemment, la comparaison des secrétions éventuelles de l'agresseur aurait pu permettre de relier les meurtres, mais à l'époque, la comparaison d'échantillons  ADN était encore à venir. Les autres indices, permettant une mise en relation des deux meurtres, étaient pour le moins ténus.
Plus encore que les difficultés d'organisation et de matériel, un des obstacles à la détection d'un serial killer était certainement (et reste encore) la volonté des autorités de ne pas admettre son existence. Cette évidente mauvaise fois appelée "linkage blinkness", littéralement "cécité dans la corrélation" est un phénomène général qui cherche à anticiper l'effet négatif que pourrait avoir une telle nouvelle sur l'image des services et leurs futures ressources. C'est même de nos jours la principale raison qui permet à des criminels multirécidivistes de continuer à tuer alors qu'on dispose d'outils performants pour les détecter. Il est évident que dans le cas Olson, cette "cécité" a joué pour beaucoup dans l'échec de l'enquête, comme le prétend Bruce Northorp dans le livre qu'il a écrit avec Leslie Holmes "Where Shadows Linger: The Untold Story of the RCMP's Olson Murders" où il met en cause les précédents enquêteurs, prétendant qu'on aurait pu épargner la vie de sept victimes.  Ceux-ci bien sûr ont réagi : ainsi Fred Maile et Ed Drozda, les policiers qui avaient rencontré Olson pour lui demander de les "aider" moyennant rétribution, ont déclaré que ce genre d'allégations était fantaisiste. Le responsable hiérarchique de Maile, le Staff Sergeant Arnie Nylund, a même tenu à préciser : « Fred semblait savoir ce qu'il faisait, et je n'ai jamais eu connaissance de quelque chose qui témoigne du contraire. C'est facile de voir les choses avec du recul et de tirer des conclusions. Nous avions d'autres suspects qu'Olson. N'oubliez pas, il n'était pas évident qu'un tueur en série ait été dans le coup. De plus, les gars travaillaient durs sur d'autres homicides qui n'avaient aucun rapport avec ce cas précis. Une fois qu'Olson a été emprisonné, nous nous sommes posés un tas de questions. Nous avons fait de notre mieux avec ce que nous avions. J'ai seulement du respect pour ces gars et ce qu'ils ont fait ».
C'est peut-être oublier un peu vite qu'à la sortie du restaurant où ils s'étaient rencontrés, Olson, qui admettait implicitement qu'il savait quelque chose, n'avait pas été filé. Il s'était même payé le luxe d'enlever et de tuer Louise Chartrand le jour même. On aurait certainement pas pu éviter sept meurtres comme le prétend Northorp, mais Louise Chartrand serait sans doute en vie si les policiers avaient mis en place une filature discrète. Le manque d'effectifs n'est pas vraiment une excuse puisque ce jour-là, ils étaient pas moins de trois enquêteurs à l'affût dans le restaurant.
L'affaire Olson a donc beaucoup perturbé les instances policières qui ont montré une réactivité quasi nulle et une organisation inadéquate pour ce genre de cas. Le fait que quatre victimes aient été tuées alors qu'Olson était sous surveillance plu sou moins étroite peut sembler hallucinant. Même en considérant le fait que la police ne disposait pas de profileurs expérimentés ni de techniques de profilage informatique, la GRC a tout de même montré une incompétence coupable, mais fort heureusement inhabituelle.
Il est en revanche certain que, comme dans beaucoup de cas, le temps ne fut pas l'allié des policiers. Olson tua en effet onze enfants en moins de 9 mois, dont dix en 3 mois, d'avril à juillet 1981. Cette fréquence élevée, qui en fait presque un spree killer plutôt qu'un serial killer, a un côté déconcertant et atypique, d'autant plus que l'homme a commencé fort tard (à 40 ans passés) son terrifiant parcours criminel.


Psychopathe ou psychotique ? La personnalité complexe de Clifford Olson


Le parcours criminel de Clifford Olson est quasiment unique dans les annales, du moins pour un pays moderne tel que le Canada. Sa "vocation tardive" (quoi que discutable) et la fréquence de ses crimes, en font un tueur en série à part, une sorte de chimère entre serial et spree killer.
Le spree killer (littéralement le "tueur festif") est en effet capable d'assassiner un grand nombre de personnes en un temps relativement court et dans des endroits différents, accomplissant une sorte de "virée criminelle du samedi soir" qui s'étendrait sur quelques jours ou quelques semaines. Il finira donc par se faire prendre en manquant de prudence ou en attirant l'attention, par exemple en permettant aux policiers de relier rapidement les crimes entre eux (ce qui ne fut pas le cas dans l'affaire Olson, mais pour d'autres raisons déjà évoquées).
Au contraire du serial killer psychopathe bien organisé et prudent, le spree killer obéit souvent à une pulsion de mort, parfois ancienne et non exprimée, parfois émergente, et ce (pour la forme la plus aiguë du phénomène) sans se préoccuper de laisser des traces ou d'être vu. Ainsi, Olson a continué de tueur sans changer de région bien qu'il ait été vu avec le corps d'Ada Court à Weaver Lake, et répéré alors qu'il embarquait plusieurs de ses futures victimes. Cela n'en fait pas pour autant un individu psychotique. Sans doute a-t-il fait quelques erreurs d'appréciations, mais il estimait probablement qu'il prenait assez de précautions en changeant régulièrement de véhicule. Il est également évident que Clifford Olson se moquait pas mal de retourner en prison, non pas qu'il ait voulu se faire prendre, mais parce que la prison faisait partie intégrante de sa vie. Il obéissait à son instinct, à ses fantasmes, sans s'imposer de barrières par soucis de sa propre sécurité.
« C'était une envie très forte… Vraiment très forte, et plus je la laissais aller et plus elle s'intensifiait, jusqu'au point où je prenais des risques pour aller tuer des gens, des risques que normalement, selon mes règles d'opération, je n'aurais pas pris parce qu'ils auraient pu mener à mon arrestation » a déclaré Ed Kemper. Il est probable qu'Olson relève de la même logique criminelle que ce tueur en série Américain qui assassina huit femmes dont sa propre mère en 1972 et 1973 après avoir abattu ses grands-parents une dizaine d'années auparavant. Clifford Olson satisfaisait son besoin de sexe morbide sans se préoccuper des conséquences pour les autres ou pour lui-même. Le problème était qu'adulte malgré tout, ses fantasmes et ses besoins défiaient la norme.
Contrairement à beaucoup de tueurs en série, Olson n'a pas eu une enfance malheureuse. Aucun évènement tragique n'est venu perturber le cours de sa jeunesse. A partir de l'adolescence, il a simplement opté pour une route difficile qui le menait régulièrement en prison. On peut donc imaginer qu'Olson est fondamentalement mauvais dans le sens où il n'est pas uniquement le produit d'une personnalité et d'une histoire, mais qu'il doit apparemment son parcours de délinquant et de criminel à son seul psychisme déviant. Il n'est peut-être pas un individu psychotique privé de repères et muré dans un univers fantasmatique, mais c'est certainement un psychopathe extrême. Pourquoi n'a-t-il donc pas tué avant ? Sans doute parce qu'il n'a été que rarement en liberté… Mais l'explication ne se suffit pas à elle-même.
Comme nous l'avons vu précédemment, sa rencontre avec Gary Marcoux au SHU a certainement été un facteur déclenchant. Il aurait tout aussi bien pu s'inspirer de l'histoire de John Wayne Gacy, le tueur américain d'adolescents qui prétendait qu'il était aisé de trouver des victimes : motels, clubs, parkings, épiceries, et plus particulièrement pour les enfants, les écoles, les centres d'achat, les arcades ou les rues. De simple délinquant sexuel, il est devenu tueur et Marcoux semble avoir initié les besoins sadiques d'Olson.
Les similitudes entre les deux cas Olson et Marcoux sont nombreuses et pour le moins troublantes. Ainsi, Olson dissimula les cadavres de cinq enfants dans la zone du Lac Weaver, là même où Marcoux avait enlevé Jeanna Doove, et l'un des enfants fut même retrouvé près de l'endroit où Jeanna mourut. Un autre fut assassiné à Whitstler, non loin de la route qui relie la ville au lac Weaver, voie que Marcoux avait maintes fois parcourue. La théorie semble donc se vérifier à moins qu'il s'agisse d'un pur hasard lié à la domiciliation d'Olson qui habitait dans cette zone. Car loin de vouloir seulement imiter le "maître", Clifford Olson voulait devenir le plus grand tueur en série de tous les temps et c'est peut-être aussi ce qui explique son insatiable besoin de meurtre. La mégalomanie dont il a fait preuve depuis abonde en ce sens. Ainsi, Peter Worhington, éditeur du Toronto Sun,  demanda un jour à Olson s'il se comparait au célèbre Hannibal Lecter, le tueur sadique et cannibale du "Silence des agneaux". Olson répondit d'un air suffisant : « Peter, il n'y a pas de comparaison. Hannibal Lecter est une fiction, moi, je suis réel ». Cette remarque ne fait qu'illustrer en partie l'incroyable orgueil d'Olson, un trait de caractère commun à la plupart des tueurs en série qui se conjugue en même temps à une mésestime d'eux-mêmes. La réponse à cette "agression", qu'ils prennent comme "extérieure", est une recherche de puissance à tout prix, ce pouvoir suprême ne pouvant s'exercer que par la possession et la destruction de l'autre. Il en résulte un comportement antisocial extrêmement marqué chez Olson qui est un voleur et un violeur multirécidiviste ne respectant ni les biens, ni la vie d'autrui. Son comportement quotidien le démontre : brutal avec les voitures qu'il loue, il l'est aussi avec sa femme. On peut alors supposer que si Olson a demandé que 100 000 dollars soient remis à sa famille en échange d'informations sur les victimes, c'est plus par calcul que par amour. Cet homme, qui se définit lui-même comme un mari aimant et un bon Chrétien assistant aux offices, n'est rien de tout cela. De Dr. Jekyll, il n'a que l'apparence.
Bien qu'il n'ait guère joué la comédie au cours de son procès, Olson sait parfois se forcer pour prendre l'image qu'il tente vainement de se donner. Ainsi, le 5 février 1982, il écrivit à Geneviève Westcott, journaliste à CBC, pour expliquer pourquoi il avait plaidé coupable. Il expliqua que la veille d'être inculpé pour le meurtre de Judy Kozma, il avait rencontré sa femme et son fils pendant deux heures.
« Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer pendant ces deux heures… J'ai dit à ma femme que j'étais responsable de la mort des enfants et que je ne pourrais pas vivre avec moi-même ni avoir la moindre paix de l'âme tant que je n'aurai pas confessé ce que j'avais fait et rendu les corps à leurs familles afin qu'ils reçoivent une sépulture chrétienne décente ».
Personne ne croit vraiment à ces regrets de façade. Il est clair que son absence de remords découle d'un manque total de culpabilité. Cela ne remet pas en cause l'intelligence du tueur qui, si elle n'est pas supérieure à la moyenne, n'en est pas moins normale. « Il y a un groupe de psychopathes, auquel Olson appartient clairement, qui peut être fascinant, charismatique, attachant, prévisible et sinistre, avec la capacité de manipuler leurs semblables », explique le Dr. Russell Fleming, le psychiatre en chef du Penetang's Mental Health Center dans un article du Toronto Sun.
Un autre signe de l'immense orgueil d'Olson, et de sa course au pouvoir, est ce jeu dangereux d'indicateur qu'il a joué avec la police et la justice, que ce soit pour confondre d'autres malfrats et pour s'accuser lui-même. Il revendiquera d'ailleurs à plusieurs reprises un tableau de chasse plus considérable, peut-être une soixantaine de victimes  comme il le déclarera au palais de justice de Surrey en août 1997 alors qu'il tente d'obtenir une révision de sa peine, mais ces allégations n'ont jamais pu être vérifiées. Il est peu probable qu'en si peu de temps (il a passé la majeure partie de sa vie adulte en prison), Olson ait eu la possibilité matérielle de tuer beaucoup plus. Paradoxalement, il niera avoir assassiné quatre autres jeunes filles : Verna Bjerky dans la région de Hope et de Yale, Pamela Darlington à Kamloops, Monica Jack à Quilchena et Marney Jamieson à Gibsons. En revanche, cette véritable "vente de cadavres" pour la somme de 100 000 dollars est un pied de nez flagrant  adressé à la police et à la justice canadiennes, et par là même, à tous ses semblables. Mégalomane, Olson n'hésitera pas à envoyer des lettres au Premier Ministre Canadien de l'époque, Jean Chrétien, et au Président Bill Clinton, ainsi qu'à bon nombre de journalistes influents ou à des PDG. Un tel comportement n'est pas exceptionnel : Jack l'Eventreur, le plus célèbre des tueurs en série, multiplia lui aussi les provocations, les fausses pistes, les moqueries, envoyant des dizaines de lettres à la police et aux journaux et discutant avec les agents avant de commettre ses horribles meurtres. On ne sait si tous les crimes qui lui sont attribués sont réellement de son fait, mais il est certain qu'il a tout fait pour qu'on le soupçonne d'une véritable hécatombe. De la même manière, Olson ne se limita pas à son propre cas et réclama aussi sa contribution dans le tableau de chasse morbide du Green River Killer dont une grande part a été assumée par Gary Leon Ridgway, le serial killer US arrêté en 2001. Ridgway a réalisé une épopée criminelle d'une intensité comparable à celle d'Olson, mais d'une plus grande longévité : au moins quarante-huit femmes dont quarante-quatre furent assassinées entre 1982 et 1985 sur la Pacific Highway, certains des corps étant abandonnés sur les rives de la Green River qui donna son nom à l'affaire. Le parallèle avec Ridgway ne se limite d'ailleurs pas à ses actes : bien que leurs histoires et leurs caractères soient clairement différents, Olson et Ridgway se marièrent, eurent des enfants et manipulèrent tous les deux la police et la justice avec succès. Cependant Ridgway, un homme discret et de bonne réputation, n'a jamais cherché à se moquer aussi ouvertement de la justice que l'a fait Olson.
Le texte qu'Olson a écrit sur lui-même, pompeusement intitulé "Profil d'un tueur en série : l'histoire de Clifford Robert Olson" où il se voit avec un regard extérieur, en dit long sur la démesure de son ego. Inversement, il n'y mentionne les enfants qu'en termes médico-légaux pour expliquer la nature et l'effet des lésions occasionnées à chacun d'entre eux, une autre preuve de la dépersonnalisation des victimes. Il a également écrit un rapport détaillé sur chacune de ses onze victimes ; ces comptes-rendus devaient être donnés à son fils pour ses 20 ans en l'an 2000. Le pauvre Clifford III se serait sans doute bien passé d'un tel héritage…
La vision du futur d'Olson est déconcertante. S'il est conscient du fait que son fils grandira dans le souvenir d'un père meurtrier, et que sa femme supportera le poids de ses fautes tout le restant de sa vie, il écrit : "Elle m'a dit de faire ce qui est bien et qu'elle m'aimera toujours et qu'un jour nous nous retrouverons au paradis, priant Dieu ensemble"… A tout cela bien sûr s'ajoute un comportement sadique classique chez un psychopathe : violence gratuite, mise à mort brutale et barbare, et surtout l'horrible cassette audio qu'il passa au téléphone aux parents de Judy Kozma, un autre moyen de prolonger son emprise sur sa victime par-delà le trépas, en s'en prenant à ses proches. De même, il téléphona et écrivit des lettres à plusieurs autres familles, décrivant à loisir le traitement pervers et cruel qu'il avait fait subir à leur enfant. Si Olson n'est pas le plus grand tueur en série de tous les temps de par le nombre de ses victimes, c'est sans aucun doute l'un des plus abominables. Après son procès, le procureur de la Couronne, John Hall, confia aux journalistes du Vancouver Sun que c'était "le cas le plus pathétique et le plus bizarre" qu'il lui ait été donné de voir. A ceux qui l'interrogeaient à propos des motifs d'Olson, il répondit : « Qui en sait quelque chose ? C'est difficile d'explorer la pensée humaine. Il est fou dans le sens large mais pas au sens légal. C'est un psychopathe paradoxal. Il peut aller à l'église et battre sa coulpe tout en disant "J'aime ma femme, j'aime mes enfants", mais il ne peut pas. Il peut croire qu'il a de vrais sentiments mais c'est superficiel. Il n'a pas de conscience ».


Le jugement éclair

Loin d'être un détenu modèle, Clifford Olson multiplia les provocations, indifférent aux conséquences que cela pourrait avoir sur un très improbable libération.

Inculpé du meurtre de Judy Kozma dont on avait trouvé le carnet d'adresses dans sa voiture, Olson avoua finalement tous ses crimes. Il savait qu'il ne risquait finalement que la prison à vie puisque le Canada avait aboli la peine de mort en 1976. Depuis son adolescence, il n'avait pas beaucoup connu la liberté et il est probable qu'il espérait bien malgré tout être relâché après 25 ans de détention. Ayant obtenu la somme demandée, il avait conduit les enquêteurs sur les lieux où il avait sommairement enfoui les corps. Restait à le juger.
On attendait un monstre. Le public découvrit un homme sans personnalité, plutôt médiocre et terne, d'autant plus pitoyable qu'il se rendait compte qu'il n'était pas à la hauteur de l'image que les médias avaient projetée. Clifford Olson était un individu à la personnalité monstrueuse, mais ce n'était pas le grand, le puissant tueur en série qu'il prétendait être.
Le procès ne dura que quatre jours, du 11 au 14 janvier 1982. Le troisième jour, Olson se décida à plaider "coupable", conseillé par son avocat Robert Shantz.  Il ne fallut que peu de temps pour que le jury prenne sa décision. Le lendemain, le juge Harry McKay le condamna à onze peines de prison à vie concurrentes. En théorie, Olson pouvait donc être libéré au cours de l'été 2006, mais il était évident que nul n'était disposé à envisager sa remise à l'air libre.
« Je n'ai pas de mots pour décrire l'énormité de vos crimes, la douleur et l'angoisse que vous avez causées à tant de gens, déclara le juge McKay. Aucun châtiment que pourrait vous infliger un pays civilisé ne saurait convenir à un homme tel que vous…  Vous ne devriez jamais être libéré sur parole pour le reste de vos jours. Ce serait de l'inconscience que de vous remettre en liberté ».
La cause était entendue. Clifford Robert Olson allait probablement passer le reste de sa vie en prison, mais cette victoire apparente ne satisfaisait pas totalement les familles des victimes. Non seulement Olson avait eu la satisfaction de voir sa famille toucher 100 000 dollars mais en plus, le bruit courrait qu'il écrivait son histoire et qu'il comptait la publier. Les parents des victimes rédigèrent une lettre commune qu'elles adressèrent au Solliciteur Général Kaplan. Certes, l'avocat général de la province, Allan Williams, avait expliqué qu'en payant 100 000 dollars, la Couronne s'assurait d'obtenir contre Olson une condamnation pour meurtre au premier degré, mettant fin à l'angoisse des parents de disparus et faisait l'économie d'une longue et coûteuse enquête, mais celà ne suffisait pas à calmer l'opinion publique.
"Nous souffrons de nouvelles blessures à présent que nous avons appris que Clifford Olson a profité financierèrement de la mort de nos enfants. Tout cela est aggravé par le fait que Monsieur Olson pourrait tirer bénéfice de la publication de son histoire dégoûtante, malfaisante et perverse. Clifford Olson tire un évident plaisir moral de la publicité qui lui est faite et ne connaît pas de limite morale qui pourrait le dissuader de profiter financièrement, directement ou indirectement, de la vente de ses mémoires".
La lettre n'eut que peu d'effet malgré la centaine de signatures qui la paraphaient. La presse s'empara de l'affaire et appuya la protestation des familles. Depuis que l'accord secret avec Olson avait été dévoilé en 1982, une véritable marée de protestation s'était élevée du pays tout entier. Le 14 janvier 1982, le Vancouver Sun titrait : "Olson a été payé pour localiser les corps". Bien que le deal ait été connu officieusement au moment du procès, la police avait renoncé à en parler pour que l'accusé ne pâtisse pas d'une publicité aussi négative. Le calcul n'était sans doute pas judicieux car ce silence des autorités donnait l'impression que la justice avait traité avec un tueur en série pour de sombres raisons financières et se moquait pas mal des familles de victimes. Le tremblement de terre médiatique secoua l'ensemble de l'autorité judiciaire, du procureur général de Colombie-Britannique, le ministre fédéral de la justice, le chef de la GRC et son adjoint jusqu'au Premier Ministre du Canada.
Le superintendant Bruce Northorp revint plus tard sur ces évènements : « Je trouve impensable qu'on l'ait payé pour que celui-ci fournisse des preuves. La proposition de payer la femme d'Olson fait tout simplement se hérisser mes cheveux sur la tête. Ils n'ont jamais été séparés et Olson est en mesure de profiter lui aussi de l'argent payé à sa femme. La situation aurait été différente s'ils avaient été divorcés et s'il avait donné des informations sur son passé criminel. Ce n'était pas le cas ».
Clifford Olson n'en resta pas là. Prétendant localiser d'autres corps en novembre 1981, il traîna les enquêteurs jusque dans les Territoires du Nord-Ouest où il n'avait probablement jamais mis les pieds. Lassée de ses mensonges, la police renonça définitivement à l'extraire du pénitencier de Kingston, Ontario.
Au cours de l'automne 1984 s'ouvrit une audience pour le moins sulfureuse sous la présidence du juge William Trainor : la Cour Suprème de Colombie-Britannique devait statuer sur le bien fondé de l'accord conclu entre la police et Olson pour la somme de 100 000 dollars. Dès le début de l'audience, les insultes fusèrent à l'intention de Joan Olson et de son fils, au point que le président dut faire sortir le public. La réaction de la foule, qui associait Joan Olson et son enfant aux actes criminels de Clifford, était sans aucun doute excessive : on parlait de "Rosemary's baby" et de "graine de démon"… Joan déclara d'une voix tremblante : « Cela me navre qu'on pense que j'ai quoi que ce soit à voir avec tout ça. J'ai pleuré, j'ai pleuré pour tout ça. Je ne sais pas comment expliquer ». Joan Olson apparut comme une femme brisée par sa vie avec deux hommes peu recommandables : un alcoolique qui la battait, et un criminel abominable qui avait fini par la violenter également. « Je le hais pour la nuit où il a dirigé un couteau contre ma gorge. Il me terrorisait, m'effrayait, me battait. Je n'avais personne vers qui me tourner ». Des années après les faits, la vie de Joan Olson était un cauchemar, à l'image de ces nuits où elle voyait le fantôme de Simon Parrington la supplier. A son propre fils, elle a pourtant exposé simplement la situation : « Je lui ai juste expliqué que son père était quelqu'un de mauvais, qu'il allait passer le reste de sa vie en prison et que nous n'irions jamais le voir, et il a accepté ça. Ce qu'il fera plus tard, je n'en sais rien ».
Pourtant Joan restait Madame Olson malgré tout. Son opinion à propos de Clifford n'était pas totalement négative : « C'est vraiment un charmeur. Il avait une façon de parler telle que je ne connais pas de femme pouvant ne pas être attirée. Je ne sais pas ce que c'est en réalité. J'aime dire que ce sont ses yeux marron, mais ça ne pouvait pas être ça.
Suivant le sentiment populaire, le juge Trainor décida que Joan Olson devait rendre les 100 000 dollars plus intérêts, et payer les frais de justice. Nul ne manifesta la moindre sympathie pour la femme et l'enfant de Clifford Olson tout au long de ces années. Pourtant, Shantz et McNeney, les avocats de la famille Olson, contre-attaquèrent, et quelques mois plus tard, la Cour Suprême du Canada, la plus haute instance juridique du pays, annula le précédent jugement et rejeta l'appel des parents de victimes. La fin de l'épopée était aussi honteuse que l'avait été l'accord qui avait permis à un tueur en série d'être le "commis" de la justice.
Par la suite, Olson fut transféré à Prince Albert dans la Saskatchewan puis dans la SHU du pénitencier de sécurité maximale de Sainte-Anne-des-Plaines au Québec où il est toujours détenu.


Les conséquences de l'affaire Olson


Manifestation menée par les familles et proches des victimes d'Olson alors qu'il allait comparaître devant la Cour envue d'une improbable libération.

 Un an après la libération pour le moins controversée de Karla Homolka, reconnue responsable du meurtre de sa sœur et complice dans le viol de plusieurs femmes Ontariennes ainsi que dans le rapt, le viol, la torture et l'assassinat de deux jeunes filles, la demande de libération sur parole de Clifford Olson fit couler beaucoup d'encre et de salive. Contrairement à Karla Homolka qui n'était pas une psychopathe au sens légal du terme et ne semblait pas représenter à elle seule un danger manifeste pour ses semblables, chacun s'accordait pour penser que Clifford Olson était toujours un tueur sadique et que les 25 années de détention ne l'avaient en rien changé. En plus d'être un psychopathe, Olson avait maintenant un comportement psychotique avec des troubles rappelant la schizophrénie tels que les discours désorganisés et délirants. Loin de s'être amélioré d'une quelconque manière, l'état d'Olson s'est même considérablement aggravé. Fort sagement, la commission chargée d'évaluer les chances de réinsertion du détenu estima qu'il n'était absolument pas prêt à être libéré. Quoi qu'il en soit, Clifford peut officiellement déposer une nouvelle demande de libération en 2008… Savoir que son cas sera une nouvelle fois examiné peut faire frémir quand on connaît ses capacités de manipulateur et de simulateur. Comme il l'écrit lui-même dans son autobiographie, "Olson était un vantard, un menteur et un voleur"…
La vague médiatique soulevée par son procès et l'accord financier en 1982 puis par sa demande de libération conditionnelle 24 ans plus tard ont forcé les autorités, en particulier le pouvoir politique, à réaliser que pour ce type de détenus, le système judiciaire était trop permissif. De nombreuses voix se élevées pour demander un changement de la loi concernant la libération sur parole, à commencer par les familles de victimes qui, à chaque fois, vivent un nouvel enfer. « L'examen des demandes de libération pour ce type de délinquant violent "revictimise" les familles » a déclaré John Les, le Solliciteur Général de Colombie-Britannique.

Olson n'a manifesté ni remords, ni compassion pour ses victimes et leurs familles. Homme dangereux, pédophile et sadique, les longues années de détention en ont fait un individu psychotique et haineux. En juillet 2006, il comparut devant une commission de libération conditionnelle au grand désespoir des proches de victimes. C'est un vieillard de 66 ans, amaigri et délirant, qui fut présenté aux juges : ceux-ci, conscients de sa dangerosité extrême, rejetèrent sa demande.

 Il est vrai que même si Olson semble parfois perdre le sens des réalités, il ne doit probablement pas se faire grande illusion quant à ses chances d'être libéré, et pour le moment, il ne fait rien pour simuler une "guérison". Il a même refusé en 2006 de se soumettre à un examen psychiatrique. Un autre tueur en série tel que David Threinen, qui enleva et étrangla quatre jeunes enfants à Saskatoon (Saskatchewan) en 1975, a fait preuve de plus de réalisme : alors qu'après 25 années de détention, on étudiait sa libération conditionnelle, il présenta ses excuses aux parents des victimes et déclara qu'il méritait de finir sa vie en prison. Olson n'a jamais montré le moindre remords. Encore une fois, son motif est purement sadique comme le souligne Darylene Perry, la sœur de la petite Ada Court :« Il ne veut même pas être là, il veut que nous soyons là ». Gary Rosenfeldt, le père de Daryn Johnsrude et fondateur du "Centre de Ressources Canadien pour les Victimes de Crimes" est persuadé qu'Olson "jouit de la douleur et de la souffrance qu'il inflige aux familles".
Vic Toews, le nouveau ministre de la justice du Canada, annonça que le gouvernement allait se pencher sur le problème au cours de l'automne 2006.  « Maintenant, nous devons y aller et disposer d'appui pour effectuer ce changement pour que nous n'ayons pas à recommencer dans deux ans, a déclaré Darylene Perry. Je ne veux plus revivre ça ». Le solliciteur général de Colombie-Britannique, John Les, abondait également dans ce sens :« Tout changement à la loi fédérale, règlement ou protocole qui donnerait davantage de pouvoir aux victimes et irait dans leur sens est soutenu par ce gouvernement  ». Depuis, les législateurs canadiens réfléchissent, et réflechissent encore… Et en mai 2008, rien n'a pu empêcher Olson de déposer une nouvelle demande. Seule parade, le National Parole Board a repoussé l'audition pour cause de "dossier incomplet".
Il serait également indispensable de limiter la liberté de communication de tels détenus, que ce soit au téléphone ou par courrier. Comment admettre qu'un homme tel qu'Olson puisse donner des interviews comme une star, ou écrire des lettres monstrueuses comme celles qu'il a envoyées aux parents de ses victimes et aux journaux qui les ont publiées un temps. Certes, des mesures ont été prises pour que Clifford Olson ne puisse plus recommencer de telles ignominies, mais les règles carcérales en la matière ne sont toujours pas modifiées. De plus, bien qu'il n'aie pas accès à Internet, une page personnelle consacrée au tueur est apparue du "MySpace.com" au cours du printemps 2008, affichant des photos d'Olson en prison et proposant des histoires qu'il aurait écrites. A la demande des services correctionnels, MySpace a depuis retiré la page de l'accès publique.
Sans doute l'affaire Olson va-t-elle contribuer à rendre le système juridique canadien moins permissif pour les délinquants sexuels, et plus humain pour les familles de victimes. Les traces seront pourtant indélébiles comme le souligne Gary Rosenfeldt dans un récent interview par la Canadian Press : « Ma petite fille avait 9 ans à l'époque où son frère a été assassiné. C'est pénible de s'asseoir et de la regarder en pleurs alors qu'elle parle de son frère. Elle ne devrait pas avoir à connaître cela. Elle devrait avoir d'autres choses en tête que d'essayer de maintenir en prison un tueur fou ».
En prison, Clifford Olson y restera, mais pour combien de temps encore ?

[Carte]

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© Christophe Dugave 2008

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Published by Christophe Dugave - dans Deuxième partie
19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 11:15
Une vie tumultueuse

Clifford Robert Olson Junior ne naquit pas avec une cuillère d'argent dans la bouche mais il la rata de peu. C'était en effet l'un des lots attribués aux premiers nouveaux-nés du jour de l'an 1940, mais comme il n'était né qu'à 22 heures 10, il n'obtint que des cadeaux mineurs, un livre et des bons d'achat. Par la suite, trois autres bébés viendront agrandir la famille : Denis et Richard, ses deux frères, puis une fille, Sharon.
Sa mère, Léona Olson, était une fille des "prairies", mais elle était venue vivre à Vancouver pour travailler dans une conserverie. Son époux, Clifford Senior, livrait les bouteilles de lait avec une charrette à cheval. A la naissance de Clifford Junior, la famille vivait dans une petite maison près du parc des expositions du Pacific National. Après un séjour à Edmonton en Alberta, les Olson revinrent en Colombie-Britannique pour s'installer dans une modeste maison à un étage au sein d'un complexe que le gouvernement avait construit pour les vétérans de la guerre dans la banlieue de Richmond, au 1029 Gilmore Crescent.
A l'école élémentaire de Bridgeport, le jeune Clifford se tailla une réputation de provocateur et de bagarreur : « C'était comme s'il cherchait à se faire prendre », se rappellera plus tard un de ses professeurs. Bavard compulsif, il était difficile pour quiconque de parler lorsqu'Olson était à proximité et, comme il devait le démontrer plus tard, il parvenait à manipuler les gens rien que par la parole. Il faisait souvent l'école buissonnière dès l'âge de 10 ans, et ses résultats s'en ressentirent au point qu'il échoua régulièrement à ses examens tandis qu'il connaissait davantage de succès en boxe. Sans qu'il soit un colosse — il mesurait 1 mètre 70 et pesait 72 kilogrammes — il était teigneux et opiniâtre. A 16 ans, il abandonna la Cambie Junior High School pour des petits boulots, mais un an plus tard, il fit la connaissance d'une nouvelle école, la prison, qui allait marquer la majeure partie de sa vie.
Ses parents, qui venaient de déménager pour une nouvelle maison à Richmond, finirent par abdiquer, le laissant à son triste sort, exaspérés de recevoir les visites fréquentes des officiers de police et de devoir répondre des frasques de leur rejeton. Rien, pourtant, dans sa vie ne pouvait expliquer ce parcours difficile : la famille était unie, il ne subissait pas de violence ou de mauvais traitements… Il avait même pris l'habitude de fuir et cherchait à s'échapper à chaque fois qu'il en avait l'occasion, ne retenant jamais la leçon, montant crescendo à l'échelle du crime. « S'il ne se rend pas, j'espère qu'ils l'attraperont avant qu'il fasse quelque chose de vraiment grave », déclara un jour son père. L'avenir devait lui donner raison.

Photo de Clifford Robert Olson telle qu'elle parut dans les journaux en 1981 alors qu'il était accusé de onze crimes monstrueux perpétrés sur des jeunes de 9 à 18 ans (© Jon Ferry & Damian Inwood).

 Olson fut incarcéré pendant 9 mois au New Haven Borstal Correctional Center à Burnaby pour bris et effraction. Après une évasion rocambolesque au cours de laquelle il vola un bateau à moteur à Richmond, il fut envoyé au Haney Correctional Center. Il n'y resta guère. Ajoutant un peu de sang dans ses urines, il fut envoyé au Shaughnessy Hospital d'où il s'échappa sans coup férir. Il devait s'évader à sept reprises entre 1957 et 1968, allongeant considérablement sa peine à chaque fois. Entre 18 et 41 ans, Clifford Olson ne resta que quatre ans en liberté (principalement autour de 1959 et 1972), collectionnant plus de 90 inculpations diverses qui l'envoyèrent dans divers centres correctionnels.
La plus incroyable de ses captures eut sans doute lieu alors qu'il "visitait" le vieux pénitencier de Colombie-Britannique plus connu sous le nom "d'Oakalla", qui avait été fermé en 1981 et venait d'être ouvert au public en attendant d'être détruit. Par pure nostalgie, il entra dans la cellule qu'il avait occupée pendant presque cinq annnées, ignorant qu'un mandat de recherches avait été émis contre lui dans tout le Canada. Par hasard, un de ses anciens gardiens le reconnut et donna l'alerte. Olson fut rapidement arrêté par la police de New-Wesminster et on l'envoya finir de purger sa peine.
La prison faisait incontestablement partie de l'existence de Clifford Olson  qui y avait passé la majeure partie de sa vie d'adulte, mais les séjours, que ce soit à "Oakalla" ou ailleurs, n'étaient pas de tout repos. Bien qu'il soit costaud et habitué à se battre, il s'était taillé une réputation peu flatteuse de "balance", ce qui lui valait bien des désagréments. Ainsi, Olson témoigna contre Gary Francis Marcoux, un codétenu qui était accusé de deux viols et du meurtre de Jeanna Doove, une petite fille de 9 ans. Il remit à la justice les lettres que Marcoux lui avait écrites dans lesquelles il avouait avoir mutilé et tué la petite fille. Bien que le témoignage d'Olson n'ait pas été le seul élément à charge, sa déposition pesa lourd dans le jugement qui condamna Marcoux à la prison à vie. Les autres prisonniers de droit commun n'aiment ni les violeurs, ni les tueurs d'enfants, mais Olson avait transgressé une loi sacrée, ce qui lui valut une haine plus grande encore de la part des autres détenus. Une autre fois, au pénitencier de Prince Albert, il dénonça une contrebande de drogue à l'intérieur de la prison et s'arrangea pour obtenir des autorités de la Saskatchewan la somme de 3500 dollars pour "niveau inhabituel de courage moral et physique" après avoir été agressé et poignardé à sept reprises par un gang de détenus…
Pourtant, Olson était loin d'être un détenu modèle, connu pour rosser les jeunes prisonniers, cherchant à obtenir d'eux des faveurs sexuelles, par la force si besoin. Ainsi, en 1974, il harcela et violenta un détenu de 17 ans qu'il viola à plusieurs reprises. C'était un homme craint à défaut d'être respecté, et un indicateur précieux pour les autorités, un des nombreux paradoxes de la personnalité d'Olson qui agissait pourtant comme un asocial typique présentant tous les traits du parfait psychopathe.
Plus curieusement encore, Olson recontra une femme, Joan Hale, qu'il devait épouser par la suite. Elle se remettait à peine d'un divorce avec un homme alcoolique et violent qui l'avait laissée seule avec deux enfants, et eut l'impression de rencontrer le Prince Charmant. Clifford était gentil, drôle, prévenant avec "de beaux yeux bruns". Sans doute usa-t-il de sa capacité à la manipuler, car il mit moins d'une heure à la séduire lorsqu'il la rencontra au Cariboo Hotel, un saloon style western situé à Quesnel, au nord de Vancouver, et emménagea avec elle trois jours plus tard. Elle tomba donc des nues lorsqu'elle apprit que son prétendant était aux prises avec la justice, mais celui-ci la rassura en inventant une histoire de "chèques en bois". Il oublia bien entendu de lui annoncer qu'il totalisait 94 arrestations différentes en 25 ans pour des motifs allant du vol jusqu'à l'agression sexuelle, motif pour lequel il était précisément poursuivi… Malgré la vérité, Joan passa outre car la prostituée qui l'accusait de viol n'était pas considérée comme un témoin fiable et ne se présenta pas en cour lorsque Clifford Olson fut jugé et finalement acquitté. Joan expliqua aussi par la suite que Clifford correspondait à ce qu'elle cherchait au moment : « J'avais besoin de compagnie, je pense, et j'avais besoin de quelqu'un pour me protéger contre mon mari qui me harcelait. Et Clifford semblait être la solution idéale ».
Elle l'épousa le 15 mai 1981 à Surrey alors même qu'elle attendait un enfant de lui. Le petit Clifford III devait naître peu après, ignorant qu'il avait un père violeur et meurtrier sadique. A cette époque en effet,  Christine Weller avait déjà été assassinée et Coleen Daignault avaient mystérieusement disparu…


Une marathon meurtrier

Sur la côte Ouest-Canadienne, les journées de novembres sont bien souvent sombres et humides, avec un vent venu des îles qui draine une petite pluie persistante. Ce lundi 17 novembre 1980, une averse froide dégringolait d'un ciel tourmenté, mais ce n'était pas suffisant pour rebuter la jeune Christine Weller qui pédalait à perdre haleine. Christine avait passé une partie de l'après-midi avec des amies dans la nouvelle section du Surrey Place Mall qui venait d'ouvrir, et se hâtait de rentrer au Bonanza Motel, sur la King George Highway, à une quinzaine de kilomètres du centre-ville de Vancouver. Elle avait emprunté le vélo d'une de ses camarades et le trajet de trois minutes qui descendait vers le motel n'était pas pour effrayer cette jeune fille de 12 ans au caractère bien trempé dont l'apparence de garçon manqué affichait son amour de l'action. Pourtant, Christine ne devait jamais atteindre la chambre numéro 2 du motel qu'elle occupait avec ses parents. Ceux-ci pensèrent d'abord que leur fille était allée passer la nuit chez une amie comme cela lui arrivait parfois, et il leur fallut plusieurs jours pour signaler sa disparition. A ce moment-là, Christine était plus considérée comme une fugueuse que comme une disparue, puisqu'à cette époque, environ trois cent personnes manquaient à l'appel dans la région de Vancouver. Les opinions changèrent radicalement lorsqu'on retrouva la bicyclette abandonnée à quelques blocs du motel, mais il était déjà trop tard.
On resta sans nouvelles de la petite disparue jusqu'à ce qu'un homme, qui promenait son chien le jour de Noël, découvre son corps martyrisé, en bordure d'un dépotoir à la limite de la ville de Richmond. L'autopsie montra que Christine avait été violée puis frappée de dix coups de couteau dans la poitrine et l'abdomen ainsi que deux impacts plus superficiels au cou avant d'être finalement étranglée avec une ceinture. La police enquêta, mais ce meurtre isolé et sans suite n'attira pas spécialement l'attention des enquêteurs.

Coleen Marian Daignault disparut le jeudi 16 avril 1981. C'était une gentille fille avec un doux sourire et de longs cheveux bruns. Petite et timide, elle n'attirait guère l'attention avec son T-shirt Adidas blanc et rouge, son jean et ses baskets. Pourtant, tout comme Christine, elle avait croisé la route de Clifford Olson alors qu'elle attendait le bus qui devait la ramener chez sa grand-mère après avoir passé la nuit chez une amie. En fait, Colleen avait emprunté le pont Patullo, enjambant la rivière Fraser, avant de rejoindre l'arrêt du bus qui devait la ramener à l'Old Yale Road, trajet qu'effectuait souvent Olson. Il habitait lui-même au 935 King-George Highway où il louait un appartement avec sa femme, à quelques blocs seulement du lieu de résidence de la première victime. Les restes de Coleen furent découverts le 17 septembre dans un massif forestier isolé de Surrey, non loin de la frontière américaine. Trois jours avant l'anniversaire de Coleen, sa sœur Coreen fut appelée par la police pour venir identifier ce qui restait de ses vêtements. Elle reconnut sans doute possible le soutien-gorge déchiré de Coleen et le T-shirt Adidas qu'elle lui avait prêté. Les enfoncements de la région occipitale montrèrent que l'adolescente avait été tuée à coups de marteau dans le crâne.
Daryn Todd Johnsrude habitait dans Province de la Saskatchewan avec son père et n'avait aucune raison de croiser le chemin de Clifford Olson. Malheureusement pour lui, sa mère, qui habitait sur la côte Ouest, lui offrit en cadeau d'anniversaire un voyage à Coquitlam où vivaient sa sœur de 9 ans et son frère de 12 ans. Bien qu'âgé de 16 ans, Daryn était un petit gabarit avec ses 1,68 mètres et ses 41 kg, mais il était débrouillard et espérait bien trouver du travail à la fin de l'année scolaire. Le hasard voulut que sa mère habita non loin du lieu de résidence de Clifford Olson qui venait de se marier et avait eu un premier enfant, le petit Clifford troisième du nom.
On vit Daryn pour la dernière fois à Burquitlam Plaza où il achetait un paquet de cigarettes, le 21 avril 1981, trois jours seulement après son arrivée à Vancouver. Daryn fut visiblement choisi parmi les enfants présents dans la zone commerciale, beaucoup d'entre eux venant du complexe d'habitations où demeurait Olson. Celui-ci était en effet plutôt apprécié des jeunes sur qui il semblait exercer un certain magnétisme. Son sourire facile et avenant les charmait au même titre que les friandises qu'il distribuait. Lui-même était physiquement et émotionnellement attiré par les enfants. Peut-être était-ce aussi lié à sa relative petite taille qui lui permettait cependant de venir à bout d'adolescents, alors qu'il aurait eu plus de mal avec de jeunes adultes. Pour Daryn, cette attirance fut mortelle. On retrouva son corps en décomposition le 2 mai à Deroche, dans une zone rurale de la rive nord de la rivière Fraser. Comme dans le cas de Coleen, le médecin légiste conclut à une mort consécutive à un enfoncement de la boîte crânienne sans doute due à des coups de marteaux, mais les deux cas ne furent pas reliés. En effet, à cette époque, on connaissait encore mal les serial killers, et la plupart des enquêteurs pensaient qu'ils ciblaient davantage leurs victimes, choisissant le sexe et l'âge, ce qui n'était pas le cas d'Olson. La Gendarmerie Royale ne fit donc pas la relation avec les précédents assassinats.
Nul ne sait ce qui fit de Clifford Olson ce tueur implacable qui devait assassiner de manière quasi compulsive dix enfants en l'espace de 3 mois 1/2. Certains pensent que ce goût du meurtre lui vient de sa rencontre avec Gary Marcoux, le délinquant sexuel et meurtrier qu'il devait trahir par la suite. Les deux hommes étaient soumis au régime de sécurité maximale appliqué aux délinquants sexuels (Olson était alors accusé de viol) et bien qu'ils soient isolés, Marcoux avait ressenti le besoin de se confier à ce détenu qu'il appréciait. Ainsi, il lui avait adressé plusieurs lettres dans lesquelles il décrivait comment il avait trompé la petite Jeanna Doove, 9 ans, pour l'attirer dans sa voiture et de quelle manière il l'avait violée, étranglée puis mutilée, un modus operandi dont Olson s'était peut-être largement inspiré par la suite. A sa sortie de prison, Clifford Olson semblait pourtant devoir s'assagir en épousant Joan Hale. Mais depuis l'arrivée du petit Clifford III, le conte de fée avait tourné au sordide.
Le mariage de Clifford et de Joan était un curieux assemblage qui connaissait des hauts et des bas et correspondait en tous points à la double personnalité d'Olson qu'il définit lui-même comme "Docteur Jekyll et Mr. Hyde" dans l'étude qu'il a depuis consacrée à son propre cas : "Profil d'un tueur en série : l'histoire de Clifford Robert Olson". Après la mort des trois premières victimes, Olson se mit à boire plus souvent et devint violent avec sa femme. D'une manière assez incroyable, il s'était retrouvé seul avec plusieurs enfants la veille de son mariage, alors que sa future épouse allait fêter l'événement avec ses amies. Il en avait profité pour se débarrasser du plus grand en l'envoyant acheter des chewing-gums tandis qu'il abusait sexuellement d'une petite fille de 5 ans. Celle-ci avait tout raconté à sa mère qui avait porté plainte, cependant, les enquêteurs de la GRC de Coquitlam n'avaient rien pu prouver. Pourtant, Clifford Olson était déjà fiché par la police.
A la suite d'un accident de la circulation on avait surpris Olson en compagnie d'une mineure de 16 ans. Celle-ci avait été embarquée dans le quartier où habitait Olson et Daryn Johnsrude à Coquitlam avant de se retrouver à Agassiz où la police les avait interceptés. Elle précisa aux policiers qu'elle n'était pas convaincue qu'Olson voulait abuser d'elle, mais elle leur confia qu'il lui avait proposé un travail (laver les vitres pour 10 dollars de l'heure), lui avait acheté de l'alcool et donné des pilules qui furent identifiées comme étant de l'hydrate de chloral, un sédatif puissant connu sous le nom de Mickey Finn. Pour tout résultat, Olson fut inquiété pour "contribution à la délinquance juvénile" alors même qu'en 1978, soit 3 ans plus tôt, il avait agressé sexuellement une petite fille de 7 ans à Sydney, en Nouvelle-Ecosse. Si la police avait pu relier les différentes affaires, elle aurait mis en évidence des modus operandi identiques. L'agresseur repérait ses victimes sur le bord de la route, les prenait en stop dans une des voitures de location qu'il utilisait pour l'occasion, et entamait une conversation qu'il menait avec sa verve habituelle. Il droguait les enfants à l'aide de sédatifs mélangés à l'alcool et abusait d'eux, alors qu'ils étaient hors d'état de se défendre. Mais de tout cela, la police ne savait rien, et elle allait mettre plusieurs semaines à comprendre la tragédie qui se jouait en Colombie-Britannique. Pourtant, une affaire quelque peu similaire avait eu lieu dans la province de Québec, vingt ans auparavant : même cibles, stratagème identique… L'homme s'appelait Léopold Dion et n'avait pas volé son surnom de "Monstre de Pont-Rouge".


Un précurseur : le monstre de Pont-Rouge

L'hiver se meurt sur la ville de Québec, ce 20 avril 1963. Il fait plus doux et des écharpes de brume glissent sur le fleuve Saint-Laurent, mais le vent encore frais rappelle que les bancs de neige sale tavelaient les plaines d'Abraham quelques jours auparavant. Au milieu des herbes grillées par le gel, un petit garçon de 12 ans déambule : il s'appelle Guy Luckenuck. Résidant à Kénogamy au Saguenay, il est venu prendre sa seconde leçon de piano de la saison au conservatoire de musique. Son cours s'est terminé à 14 heures et il tue le temps en attendant l'autobus qui partira à 16 heures 30 pour le ramener chez lui, prenant le frais, avide de grand air comme tant de Québécois à la sortie de la mauvaise saison. Un inconnu l'aborde : c'est un homme de grande taille et de forte corpulence, mais son aspect n'inquiète guère le jeune garçon. Il ressemble vaguement à un touriste avec son vieil appareil photo autour du cou. Tous deux discutent un moment et comme l'homme, qui prétend travailler pour un magazine américain, lui propose de le prendre en photo, le jeune garçon esseulé et naïf accepte. Aussitôt, le photographe prend une série de clichés puis, prétendant qu'il aimerait changer de décors, il entraîne l'enfant dans sa voiture. Nul ne le reverra jamais vivant. Léopold Dion lui accordera juste le droit de faire sa prière avant de l'étrangler, et rien ne l'arrêtera malgré ses suppliques. Plus tard, on apprendra que l'appareil photo ne contenait pas de pellicule.

Léopold Dion, "le Monstre de Pont-Rouge" assassina quatre garçons à Québec en 1963 en les trompant lui aussi avec ses boniments. Condamné à mort, sa peine fut commuée en prison à vie. Il fut tué par un autre détenu (© Marc Pigeon).

 Né en 1921, Léopold Dion est un délinquant sexuel multirécidiviste. Il a purgé une peine de prison pour un viol et une tentative de meurtre, et a bénéficié d'une première libération conditionnelle qui a pris fin après qu'il se soit rendu coupable d'une série de viols, dont celui d'une enseignante . A 42 ans, c'est sa seconde libération pour bonne conduite après 16 ans de détention, et les autorités vont avoir bien tort de lui faire confiance. Sur une période de cinq semaines, il va tuer à quatre reprises, sans jamais marquer la moindre hésitation.
Depuis le trottoir en bois qui longe le château Frontenac, il aperçoit Alain Carrier, 8 ans, et Michel Morel qui habitent Québec. Comme avec le petit Guy Luckenuck, il les aborde en prétendant faire un reportage pour un magazine. Sans hésiter, les deux enfants s'embarquent dans la Vanguard noire modèle 54 qui se dirige alors vers Saint-Raymond-de-Portneuf jusqu'à un vieux chalet délabré construit par Dion lui-même. L'endroit est probablement assez lugubre et, sans doute angoissé par l'isolement, le petit Alain est pris d'un malaise. Dion l'enveloppe dans une couverture et le transporte à l'intérieur, l'étendant sur le plancher. Cette relative affection redonne confiance aux deux enfants et, après quelques minutes, le petit garçon se sent mieux. Comme son camarade, il accepte de poser pour le photographe et de se dévêtir pour enfiler un maillot fabriqué pour l'occasion. Sous le prétexte de jouer au prisonnier, il se laisse attacher à l'intérieur. Dion a alors les mains libres pour s'occuper du petit Michel qu'il étrangle avec un garrot pendant que celui-ci fait ses besoins, avant de l'achever à coups de pierre sur le crâne. Sa sinistre besogne achevée, Léopold Dion retourne à l'intérieur du chalet où Alain l'attend sagement, toujours persuadé qu'il s'agit d'un jeu. Le maniaque sexuel recouvre sa tête avec un sac de jute avant de l'étrangler lui aussi en utilisant une corde. Sans plus de cérémonie, il les enterre dans une petite fosse qu'il creuse non loin du châlet.

Une Vanguard identique à celle que Léopold Dion utilisait pour emmener ses victimes dans un endroit isolé où il pouvait les étrangler et les violer.

 Trois semaines après le double meurtre, Dion évite de fouler de nouveau les trottoirs du château Frontenac où il risque être reconnu, car bien sûr, les disparitions successives de trois jeunes enfants ont mobilisé l'opinion publique. Il se rend donc à l'Anse-au-Foulon, une plage paisible de l'arrondissement de Sainte-Foy, au bord du Saint-Laurent. Le temps est magnifique ce dimanche 26 mai, et nul ne s'étonnera donc qu'un homme seul déambule au soleil. Au cours de sa promenade, Léopold Dion rencontre Pierre Marquis, un garçon de 13 ans originaire de Québec, qui se laisse abuser par ses habituels boniments, et le suit jusqu'à sa voiture. Arrivé au pied d'une dune de sable, l'enfant se laisse photographier et s'exécute même de bonne grâce lorsque Dion lui demande de poser nu. Il ignore alors que cinq semaines auparavant, un drame s'est produit au même endroit, et que le petit Guy Luckenuck repose à quelques mètres de là, recroquevillé dans une position fœtale, seulement recouvert de quelques pelletées de sable. Lorsque lassé de jouer la comédie, Dion tente de maîtriser Pierre Marquis, le petit garçon oppose une résistance farouche et parvient même à échapper à son agresseur. Malheureusement, celui-ci le rattrape, le mordant cruellement, et finit par l'immobiliser (Dion mesure en effet 1m85 et pèse 100 kilos). Il l'étrangle finalement de ses mains comme il l'avait fait avec le jeune Guy, puis l'enterre non loin de la tombe de celui-ci. Satisfait quelques jours, le maniaque éprouve de nouveau ce besoin de sexe et de sang qui le pousse à tuer. « Dion était incapable de résister à ses impulsions sexuelles devant le corps d’un enfant nu. Il devenait comme un taureau devant un drap rouge », expliquera son avocat. Comme pour de nombreux autres tueurs en série, cet instinct sexuel débridé signera sa perte.
Quelques semaines après la mort de Pierre Marquis, Léopold Dion se met en quête d'une nouvelle proie, mais cette fois, la victime potentielle ne se laissera pas berner et refusera de suivre cet homme qu'elle ne connaît pas. Chacun a alors entendu parler des quatre disparitions, et l'enfant est méfiant. Il va même parler de son étrange rencontre, décrivant l'individu aux policiers. On ne tarde pas à identifier Léopold Dion qui est en liberté conditionnelle. Celui-ci niera fermement ses crimes pendant un mois avant de craquer et de conduire les enquêteurs sur les lieux des différentes sépultures. Aux dires de son avocat, il montrera alors un certain repentir : « Il voulait s’enlever la vie, il disait avoir fait trop de mal ».
En décembre de la même année, le procès du "Monstre de Pont-Rouge" commence dans une ambiance électrique. Il est défendu par Maître Guy Bertrand, un jeune criminaliste qui lui est commis d'office mais qui connaîtra, par la suite, une carrière prestigieuse. Dion, qui totalise pourtant vingt et un viols dont quatre homicides n'est accusé, par manque de preuves, que pour le meurtre de Pierre Marquis. Son avocat ne peut rien pour lui et il ne faut que quelques minutes au jury pour délibérer et le déclarer coupable. Le 13 décembre 1963, le juge Gérard Lacroix le condamne à mort et fixe la date de sa pendaison au 10 avril 1964. Léopold Dion accueille la sentence sans la moindre réaction et se contente de déclarer : « Avec mes deux maudites mains, j’ai fait quatre petits saints ».
Farouche opposant à la peine capitale, Maitre Guy Bertrand va porter le jugement devant la Cour Suprême du Canada qui rejette sa requête. En 1967, en dernier recours, il s'adresse au Gouverneur Général et au Premier Ministre du Québec Jean Lesage qui intervient en faveur du condamné. Finalement, Léopold Dion est sauvé à quelques heures de son exécution, sa peine étant commuée en réclusion à vie. En celà, il aura plus de chance que son prédécesseur, Michael Angelo Vescio, un sadique sexuel qui viola trois enfants et en tua deux autres en 1945 et 1946, crimes qui lui valurent d'être pendu deux ans plus tard. Cette mansuétude ne sauvera pourtant pas Dion d'une mort violente.
A la prison fédérale d'Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines, Dion est un prisonnier calme et coopératif : « En prison, il a écrit toute l’histoire de sa vie, racontant ses meurtres dans les moindres détails. Il a aussi peint différents tableaux », précise Maitre Bertrand. Cette autobiographie sinistre ne sera jamais publiée.  Dion fait la connaissance de Normand Champagne alias "Lawrence d'Arabie", un individu psychotique et violent qui se croit chargé de la mission d'éliminer le délinquant sexuel. Le 17 novembre 1972, Champagne profite de la sortie des détenus de leurs cellules pour poignarder son codétenu avec le canif que celui-ci lui avait prêté, et lui fracasser la tête avec une barre de fer. L'histoire raconte qu'il brisa la boîte crânienne de Léopold Dion et déposa sa cervelle sur un autel qu'il consacrait au colonel Lawrence.
Le "Monstre de Pont-Rouge" disparut sans laisser le moindre regret à quiconque. Mais d'autres tueurs allaient suivre, plus monstrueux encore. Clifford Robert Olson était du lot, et ce n'était certainement pas le moins abominable.

[Carte Colombie-Britannique] [Carte Québec]

[Retour tête de chapitre] [Lire le volet II]

© Christophe Dugave 2008
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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 11:13
Clifford Olson :
La bête de Colombie-Britannique

 

 

Clifford Robert Olson lors de sa comparution en 2006, alors qu'il prétendait à une libération sur parole.


Le 18 juillet 2006, Clifford Robert Olson comparaît devant une commission de trois juges après avoir purgé 25 ans de prison, notamment dans l'unité de sécurité maximale (la SHU) au pénitencier de Sainte-Anne des-Plaines, au Québec. Condamné à la prison à vie, cet homme âgé de 66 ans peut maintenant présenter une demande de libération sur parole tous les 2 ans. Les magistrats devant lesquels il se présente prennent leur décision en à peine plus d'une demi-heure : Ils rappellent qu'Olson est un meurtrier sadique, un psychopathe et un maniaque sexuel, et estiment, en accord avec les services correctionnels, que le détenu n'est pas du tout réhabilité et recommencera très certainement à tuer s'il est relâché. L'agente de libération conditionnelle Nancy Baudoin indique qu'Olson "continue de ne manifester ni remords ni empathie pour les victimes". Jacques Letendre, l'un des membres de la commission, annonce que Clifford Olson représente un risque qui n'a pas diminué en 25 ans, et que par conséquent, il restera en prison [Voir le rapport du National Parole Board].

L'homme qui apparaît à la presse, un quart de siècle après ses crimes, n'est pourtant plus que l'ombre de lui-même : échevelé, délirant, il annonce qu'il va quitter le pays et qu'il détient des informations sur les attentats du 11 septembre. Ces allégations fantaisistes ne font pourtant rire personne, surtout pas les familles des victimes. Une femme dont la sœur de 13 ans a été assassinée par Olson déclare à son intention : « Je ne crois pas que vous devriez vivre un seul jour à l'extérieur des murs de la prison ». Il est vrai que si Clifford Olson n'est pas le tueur en série Canadien le plus meurtrier, il est sans doute le plus odieux. 

De 1980 à 1981 dans la région de Vancouver en Colombie-Britannique, Olson viola et assassina huit filles et trois garçons âgés de 9 à 18 ans. Nullement effrayé par l'horreur de ses actes qu'il avait, pour certains, enregistré sur une bande audio, il téléphona aux parents d'une de ses victimes pour leur faire entendre les cris et les pleurs de leur enfant alors qu'il le torturait. Il n'accepta de localiser les corps qu'après que les autorités aient versé la somme de 100 000 dollars à sa famille, décision qui fut extrêmement controversée à l'époque. Au cours de sa détention, il envoya aux familles en deuil des lettres dans lesquelles il décrivait par le menu tout ce qu'il avait  fait subir à leur enfant, non parce qu'il éprouvait des remords mais parce qu'il se complaisait dans ses souvenirs sadiques. Ses confidences au journaliste Peter Worthington sont pour le moins édifiantes : alors que dans le message qu'il avait envoyé au Pape, il affirmait avoir des regrets et avait reçu une réponse encourageante de la part du nonce apostolique, il déclara : « La religion Catholique est quand même une putain de bonne religion ! On te pardonne à peu près tout… ». Cet humour cynique se double même de quelques bourdes qui pourraient être comiques si on les sortaient de leur contexte. Ainsi, il prétend avoir tué deux femmes qui vivaient dans un "condom" (préservatif) en Floride au lieu d'un "condo" (copropriété). Il dit aussi avoir violé une autre fille alors qu'elle était peu consciencieuse (unconscientious) au lieu d'inconsciente (unconscious) et confond allègrement "sexe annuel" et "sexe annal". Cela a d'ailleurs fort peu d'importance pour lui : il a violé des enfants sans se soucier de leur âge ni de leur sexe. La seule chose importante pour lui était qu'ils soient isolés et à sa merci. Sans être homosexuel, il a fréquenté un homme en prison pour répondre à son seul besoin de sexe. Il s'est inventé des meurtres imaginaires, il a joué avec la police et la justice, tentant de monnayer des indulgences et des avantages. En cela, Clifford Olson est certainement le Mal ou du moins est-il l'une de ses facettes. Il n'a jamais été énurétique, n'a jamais allumé d'incendies ni torturé d'animaux et n'a commencé à tuer, semble-t-il, qu'à partir de l'âge de 40 ans, une vocation tardive quand on sait que l'immense majorité des serial killers  commence entre 20 et 30 ans. Pourtant c'est bien un psychopathe qui a tué au moins à onze reprises. Sans doute a-t-il réellement assassiné davantage de monde, mais rien n'a jamais pu être prouvé antérieurement aux années 80. On l'a surnommé "la Bête de la Colombie-Britannique" mais ce n'est pas un prédateur : il tue pour le plaisir et non pour survivre.

Les victimes de Clifford Olson, huit filles et trois garçons rencontrés au hasard des rues, trompés et enlevés avant d'être violés et tués sauvagement :
Christine Weller, Coleen Daignault, Daryn Johnsrude, Sandra Wolfsteiner,
Ada Court,  Simon Partington, Judy Kozma, Raymond King Jr.,
Sigrun Arnd, Terri Carson, Louise Chartrand (© Gendarmerie Royale du Canada).

Rien cependant ne semblait prédestiner cet enfant dont la seule particularité était celle d'être né un des premier, le jour de l'an de 1940 à l'Hôpital Saint-Paul de Vancouver. Sa célébrité en tant que "Bébé de l'Année" était alors bien sympathique même s'il n'obtenait pas la première place. Quarante années plus tard, il allait faire la une des médias et décrocher pour un temps une pole position peu enviable dans la hiérarchie criminelle, après avoir galéré dans la sous-pègre de la côte Ouest. Il compensa ce sentiment de frustration et de mésestime de lui-même en accomplissant un parcours meurtrier d'une rare intensité qu'il retranscrit dans un manuscrit jamais publié : "Profil d'un tueur en série : L'histoire de Clifford Robert Olson" où il parle de lui à la troisième personne, comme s'il y avait chez cette homme une autre composante, normale celle-là, presque critique à son égard. A n'en pas douter, Olson est un être complexe sous ses allures de bête féroce ou de vieillard haineux, mais ce qu'il y avait de bon en lui est mort depuis bien longtemps au cours de la petite enfance. Ce gamin-là fut sans doute sa première victime. [Lire le volet I] [Lire le volet II]

[Carte]

Bibliographie :


• Ian Mulgrew, Final Payoff: The True Price of  Convicting Clifford Robert Olson. Seal Books. McClelland-Bantam  Inc. Toronto, 1990.
• Jon Ferry & Damian Inwood, The Olson Murders.  Cameo Books. Langley, B.C. 1982.
• W. Leslie Holmes & Bruce L. Northrop, Where  Shadows Linger: The Untold Story of the RCMP’s Olson Murder.  Heritage House Publishing Co. Ltd., Surrey: B.C., 2000.
• Derrick Murdoch, Runaways, Ramblers and Rascals. In  Disappearances: True Accounts of Canadians Who Have Vanished  (pp. 44-53). Doubleday Canada Ltd., Toronto: Ontario, 1983.

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© Christophe Dugave 2008 
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18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 09:10

Thomas Neil Cream et Earle Nelson : les pélerins de la Géhenne

 

 

Longue de 8891 kilomètres, la frontière qui sépare le Canada et les Etats-Unis se résume à un simple couloir de 6 mètres de large sans grillage ni protection particulière. Sur un peu plus de 5000 kilomètres de frontière terrestre, 150 postes de contrôle sont censés réguler les mouvements de population entre le Canada et son puissant voisin du Sud, une tâche quasiment impossible quand on sait que plus de 2000 kilomètres du tracé coupent à travers une forêt dense où la surveillance est quasi impossible. Ceci explique aisément que de nombreux fugitifs, des déserteurs et des contrebandiers, aient trouvé refuge, sans coup férir, en terre Canadienne au cours des siècles passés. Il peut donc sembler surprenant que relativement peu de serial killers américains soient allés exercer leur talents plus au nord, alors même que de nombreuses organisations criminelles étendent leurs tentacules de part et d'autre de cette ligne presque imaginaire.

En fait, les tueurs en série sont des criminels atypiques : ils préfèrent sévir sur un territoire dont ils ont la maîtrise, jamais tout près de chez eux, rarement très éloignés, une habitude qui explique en partie le succès du profilage géographique. Mais ce schéma général connaît de nombreuses exceptions. Certains psychopathes voyagent pour leur métier, leur plaisir, ou pour changer d'air lorsque la pression policière se fait trop insistante dans leur région d'origine. Ils trouvent aussi leur compte dans ce déménagement puisqu'ils brouillent les pistes. Pour la police, tout se complique lorsqu'il s'agit de relier des meurtres ayant eu lieu dans des provinces ou des états différents, a fortiori lorsque les méfaits ont eu lieu dans des pays distincts et sur une échelle de temps de plusieurs années. Malgré les relations étroites entre services de police – rapports parfois empoisonnés par des guerres intestines, compiler les informations est un exercice fort délicat, même avec des systêmes informatiques très performants. Les policiers des siècles passés, qui ne disposaient que de moyens de communication limités et ne pouvaient se déplacer que lentement, devaient donc penser et réagir très vite s'ils tenaient à identifier et arrêter un tueur nomade. On sait que Gary Leon Ridgway, le "Green River Killer", voyageait beaucoup avec son camping car, et qu'il pourrait avoir sa part de responsabilité dans les disparitions constatées à Vancouver dans les années 90 et attribuées en grande partie à Robert Pickton. Michael Wayne McGray semble également avoir beaucoup voyagé au Canada et dans l'Etat de Washington aux USA, et il s'est venté d'avoir tué une quinzaine de personnes en autant d'années, un tableau de chasse difficile à vérifier. Malgré les moyens modernes, ces serial killers ont longtemps défié la police avant d'être appréhendé.
On connaît plusieurs exemples de "perméabilité criminelle", que ce soit entre les pays d'Amérique du Nord ou entre Ancien et Nouveau mondes. Contre toute attente, on constate que peu de serial killers étrangers ont trouvé refuge au Canada. Inversement, rares sont les tueurs multirécidivistes qui ont essaimé vers d'autres pays et d'autres continents, confirmant en cela que les tueurs en série n'aiment guère changer leur routine. Ainsi, tout changement semble profondément perturber John Martin Crawford, le tueur de quatre autochtones dans la région de Saskatoon. Il faut cependant prendre en compte le fait que de nombreux meurtres non élucidés pourraient être attribués à des itinérants dont le parcours est souvent difficile à retracer. Deux affaires ont plus particulièrement frappé l'opinion publique canadienne. Tout d'abord au 19ème siècle, Thomas Neil Cream défraya la chronique au Canada et en Angleterre, au point qu'on prétendit, à tort, qu'il était Jack l'Eventreur. Dans la première moitié du siècle dernier, Earle Nelson surnommé le "Gorilla Killer" assassina au moins vingt et une femmes et un bébé. Image quasi caricaturale du tueur au physique surpuissant et à l'esprit psychotique, il sema la terreur dans tout le nord des Etats-Unis avant de sévir au Manitoba.

On dispose de relativement peu d'informations sur le Docteur Thomas Cream. Beaucoup d'archives ont disparu de part et d'autre de l'Atlantique, et retracer son parcours criminel est délicat, d'autant plus qu'il s'est plus ou moins superposé à celui du célèbre "Jack l'Eventreur" dans l'Eastside de Londres. On possède en revanche beaucoup plus de documents relatifs à l'affaire du "Gorille Tueur", d'abord parce que les évènements sont plus récents, mais aussi parce que ses victimes, fort nombreuses, n'étaient pas issues des bas-fonds, mais étaient de respectables logeuses auxquelles beaucoup de femmes de cette époque pouvaient s'identifier. La durée des faits (environ 18 mois), relayée par la dissémination rapide de l'information, a certainement contribué à cette notoriété. Earle Stanley Nelson a été et demeure un cas d'école, celui du sadique sexuel nécrophile, un monstre dont la genèse tient autant de la génétique que de l'histoire.

Ces deux parcours criminels ont néanmoins un point commun : ils illustrent comment deux tueurs en série ont pu se perdre à trop parler, alors même qu'ils sévissaient depuis des mois, voire des années, au nez et à la barbe de différents corps policiers.


Thomas Neil Cream : Jack l'Empoisonneur

 
 

Thomas Neil Cream, médecin psychopathe qui assassina sept personnes entre 1879 et 1892 au Canada, aux Etats-Unis puis en Angleterre. Il fut un moment soupçonné d'être "Jack l'Eventreur", une théorie qu'on sait maintenant fantaisiste (© crimelibrary.com). 

Bien qu'il soit né à Glasgow, en Ecosse, Thomas Cream vécut toute sa jeunesse au Québec où sa famille avait émigré en 1854, quatre ans après sa naissance. Etudiant brillant, il intégra l'université McGill où il commença ses études de médecine. Un évènement imprévu le força à les interrompre pour fuir en Angleterre en 1876 : mené manu militari à l'autel par le père de sa bien aimée, qu'il avait mise enceinte et avortée illégalement, Thomas Cream abandonna sa nouvelle épouse avec, pour toute explication, une lettre écrite à la va-vite. Il reprit ses études de médecine à Londres et ne revint au Canada qu'une seule et unique fois pour revoir sa femme qui décéda peu après d'une maladie mystérieuse. Installé à Edimbourg, en Ecosse, il y pratiqua la médecine jusqu'à ce qu'une de ses patientes et amante décède en août 1879 des suites d'un empoisonnement au chloroforme alors qu'elle était enceinte. Il s'enfuit alors pour les Etats-Unis et ouvrit un cabinet spécialisé dans les avortements de prostituées à Chicago. Il fit l'objet d'une enquête lorsqu'une femme qu'il opérait mourut soi-disant des suites de l'intervention. En absence de preuves à charges, il ne fut pas inculpé. Les choses se gâtèrent cependant pour Thomas Neil Cream lorsqu'il fournit de la strychnine à une certaine madame Stott qui l'administra à son mari qu'elle suspectait d'adultère. Celle-ci parvint à éviter la prison, rejetant la faute sur Thomas Cream et le laissant seul face à la justice. Convaincu de meurtre, il fut condamné à la prison à vie. Dix années plus tard, il bénéficia d'une mesure d'indulgence et fut libéré.

De retour à Londres, Thomas Cream utilisa l'argent qui lui venait de l'héritage de son père pour s'installer à Lambeth, un quartier miséreux où vivaient de petits malfrats et des prostituées.  Il put ainsi laisser libre cours à ses pulsions criminelles encouragées par son mépris des femmes que l'affaire Stott n'avait pas apaisé, bien au contraire, puisqu'il s'était senti trahi. Le 13 octobre 1891, il empoisonna Ellen Donworth, une prostituée de 19 ans, avec qui il sortait pour boire un verre. Huit jours plus tard, Mathilda Clover, une prostituée de 27 ans, mourut apparemment des suites d'un alcoolisme chronique. C'était compter sans sa rencontre avec Thomas Cream, la veille de son décès, mais à cette époque, la police n'avait pas eu vent de la relation. Le 11 avril 1892, il recommença son manège avec Alice Marsh âgée de 21 ans et Emma Shrivell, 18 ans, à qui il offrit des bouteilles de bière empoisonnées à la strychnine. Tuer de cette manière était apparemment facile et grisant : pas de sang, pas de trace puisque le meurtrier avait disparu depuis longtemps au moment du décès. Son identité se fondait dans la masse de clients que les victimes fréquentaient chaque nuit. Cream se croyait intouchable comme beaucoup de serial killers. Trop confiant, il accumula les erreurs qui allaient conduire à sa perte.

Le 2 avril, au retour d'un court séjour au Canada, Thomas Cream avait tenté d'empoisonner une prostituée mais celle-ci avait refusé de boire le verre qu'il lui offrait. Alors même que les journaux faisaient leurs gros titres de "l'Empoisonneur de Lambeth", il y avait fort à parier qu'elle allait se souvenir de cet épisode. Mais Cream commit aussi une série de bourdes monumentales. Il accusa dans une lettre anonyme deux confrères – connus pour leur intégrité – d'être les meurtriers des prostituées, y compris Mathilda Clover dont la mort était alors considérée comme accidentelle. Les enquêteurs comprirent immédiatement que l'auteur des lettres était "l'Empoisonneur de Lambeth" et mirent hors de cause les médecins incriminés à tort.

Non content de s'être fourvoyé dans un faux témoignage bien embarrassant, Thomas Cream fit incidemment la connaissance d'un policier new-yorkais en visite au Royaume-Uni. Pour satisfaire la curiosité de sa nouvelle relation qui avait entendu parler de "l'Empoisonneur de Lambeth", il lui fit faire le tour des scènes de crime. Le policier mentionna l'obligeance de cet homme bien renseigné à un collègue anglais qui fit le rapprochement et commença de suspecter Cream. A Scotland Yard, on décida de mettre le médecin sous étroite surveillance. Les enquêteurs découvrirent ainsi que Thomas Cream fréquentait assidûment les prostituées, ce qui pouvait paraître suspect compte-tenu de sa condition et de son physique attrayant qui aurait pu lui valoir des conquêtes d'un autre rang. La police de Chicago les informa qu'il avait fait l'objet d'une enquête pour empoisonnement en 1881. Arrêté en juillet 1892, Thomas Neil Cream fut jugé, reconnu coupable de quatre meurtres et condamné à mort le 21 octobre de la même année. La légende veut qu'alors qu'on allait le pendre à la prison de Newgate le 16 novembre, moins d'un mois après la sentence, il ait déclaré : « Je suis Jack… ». Nul ne sait si la phrase fut mal interprétée ou tout simplement inventée par la suite puisqu'à l'époque, les meurtres de "Jack l'Eventreur" faisaient encore couler beaucoup d'encre et que le véritable éventreur avait mystérieusement cessé ses activités. Une chose est cependant certaine : Thomas Neil Cream n'avait pu se rendre coupable des crimes perpétrés en 1888 par le serial killer anglais, puisqu'à cette époque, il était en prison. La théorie selon laquelle il aurait été le célèbre éventreur est pour le moins fantaisiste, d'autant plus que jusque-là, son modus operandi avait été beaucoup moins sanglant et sauvage, même s'il affichait à l'égard de ses victimes la même froideur et le même manque de pitié. En revanche, il ne semble pas avoir à rougir face à son collègue britannique puisqu'on lui attribue sept assassinats, et que jusqu'à la fin, il ne sembla n'en éprouver aucun remords.

 

 

Earle Nelson : le Gorille Tueur

 

 

Earle Stanley Nelson, le "Gorille Tueur", pervers sexuel qui étranglait ses victimes et violait leurs cadavres. Il assassina au moins 21 femmes d'âge mûr et un bébé Etats-Unis puis au Canada entre le 20 février 1926 et le 10 juin 1927 (© Corbis).

S'il n'est pas nouveau, le phénomène des serial killers doit sa notoriété tardive (au début des années soixante-dix) à la généralisation et à la rapidité des moyens d'information et de comparaison des données. En effet, au début du vingtième siècle, il était difficile de détecter et de suivre les exploits criminels de tueurs multirécidivistes opérant dans l'ombre, abandonnant ou cachant des corps que la police avait bien du mal à identifier et analyser. Il n'y avait sans doute pas moins de violence et de meurtres, mais ils faisaient partie du quotidien, des risques d'une vie plus incertaine que celle que nous connaissons aujourd'hui. Il est également fort probable que les préjugés, le manque de moyens d'enquête et la justice expéditive, conduisaient à soupçonner de nombreux innocents condamnés à tort pour la simple raison qu'ils étaient différents et que leur présence dérangeait. Que survienne un meurtre d'enfant et la vindicte populaire se soulevait contre le vagabond, le romanichel ou le handicapé mental aperçu à proximité des lieux du crime. Une enquête bâclée, une procédure judiciaire des plus rapides, excluaient toute possibilité de recoupement avec des cas similaires, et il fallait que le nombre de victimes grossisse démesurément pour qu'on évoque l'existence d'un monstre psychopathe ou d'une organisation criminelle.

Ainsi, dans les années vingt, l'imagination populaire était frappée par des cas devenus célèbres : le massacre de la Saint Valentin, l'affaire Lindbergh, Henri Landru, Peter Kürten (le "Vampire de Düsseldorf") mais aussi Earle Nelson plus connu sous le sobriquet de "Gorille Tueur" qui faisait allusion à sa force prodigieuse. Le caractère "inhumain" de ses actes l'a souvent fait comparer au tueur mystérieux du roman d'Edgar Poe, "Double Assassinat dans la Rue Morgue".

Earle Stanley Nelson, né Ferral, eut une enfance malheureuse : orphelin à 9 mois (ses parents étant morts de la syphilis), il fut élevé à San-Francisco par sa grand-mère, une femme dévote qui s'occupait de deux autres enfants. Dès ses plus jeunes années, Earle se révéla difficile : sauvage, violent, bipolaire. Tout en lui révélait un caractère presque bestial, à commencer par la manière de manger, la tête dans l'assiette, lapant les plats qu'il noyait dans l'huile d'olive. Souvent dépenaillé malgré les efforts de sa tutrice, il était rebelle à toute autorité, et l'enseignement de la bible eut sur lui un effet néfaste puisqu'elle en fit un fanatique plutôt qu'un pratiquant.

A 11 ans, alors qu'il roulait en vélo, Earle Nelson fut violemment heurté à la tête par un tramway qui le traîna sur plusieurs mètres. Souffrant de graves lésions cérébrales, l'enfant alterna entre périodes de délire et céphalées douloureuses. Pourtant, après deux semaines difficiles, il sembla récupérer ses facultés sans que les douleurs aient pour autant disparu. Lorsque sa grand-mère décéda en 1908, deux ans après le grand tremblement de terre de San-Francisco, Earle fut recueilli par sa tante, une jeune femme aimante et tolérante malgré les étranges manies de son neveu. A 14 ans, celui-ci allait d'apprentissages en petits boulots qu'il perdait presque aussitôt en raison de sa fainéantise et de son manque de sérieux. En revanche, sa sexualité débridée l'amena à fréquenter des prostituées dès l'âge de 15 ans, pratique qui ne calmait en rien l'appétit sexuel de ce masturbateur compulsif. Il se mit également à boire et à fuguer, ce qui inquiétait fortement sa tante maintenant mère de deux enfants. Fort heureusement, Earle quitta le domicile peu après, vivant de rapines et de coups tordus. Il ne tarda pas à être arrêté et condamné à deux ans de prison pour cambriolage.

A sa sortie de prison en 1917, Earle Nelson s'enrôla dans les forces armées qui recrutaient puisque les Etats-Unis s'engageait dans la "Grande Guerre" Après plusieurs hésitations qui lui firent intégrer la secte des Mormons à Salt Lake City avant de retourner dans la Navy comme cuisinier puis comme infirmier, Nelson réalisa qu'il n'était pas fait pour la vie militaire, et déserta. Réintégré dans la marine, il posa toutes sortes de problèmes et finit par échouer dans le Napa State Mental Hospital. Il est vrai que son état psychique et sa santé physique étaient pour le moins préoccupants : obsédé sexuel, alcoolique profond, il professait l'apocalypse. Il avait aussi contracté plusieurs maladies vénériennes graves dont la syphilis. Il s'échappa de l'asile à plusieurs reprises et retourna finalement chez sa tante qui lui trouva une place de concierge à l'hôpital St-Mary à San Francisco. C'est là qu'il rencontra Mary Martin, une vieille fille de 58 ans, introvertie et maternelle, qu'il demanda bientôt en mariage. Au début, il se montra attentionné malgré ses pratiques choquantes, mais son affection se mua rapidement en jalousie possessive. Le choix de Mary était très révélateur : Earle Nelson retrouvait en elle la grand-mère dominante qu'il avait perdue et il se complaisait dans le double rôle de garçon rebelle et de mari. Alors que Mary vieillissait et était de moins en moins capable de satisfaire les besoins sexuels de son époux, celui-ci commença de flirter avec des femmes plus jeunes, mais qui présentaient un certain degré de ressemblance avec sa femme (et par extension, sa grand-mère).

Un second accident vint bouleverser la vie d'Earle Nelson. Il souffrait toujours de terribles migraines et, lorsqu'une crise le surprit alors qu'il était sur un échafaudage, il tomba et sa tête heurta violemment le sol. Les épisodes suivants s'accompagnèrent alors d'hallucinations visuelles et auditives tandis que sa violence et sa paranoïa atteignaient les limites du supportable. Mary commença de craindre ses réactions et le mit à la porte. Furieux, Earle Nelson chercha à se venger sur la première femme dont il croiserait la route. Il se fit admettre dans une maison de Palo Alto en prétendant être un plombier, et attaqua la jeune Mary Summers, âgée de 12 ans, qui jouait dans le sous-sol. Celle-ci réussit néanmoins à donner l'alerte. Son frère de 24 ans mit en fuite l'agresseur qui fut arrêté par la police. Ses troubles mentaux étaient si évidents qu'Earle Nelson fut renvoyé sans délai au Napa State Hospital dont il s'était déjà évadé à trois reprises. Il devait d'ailleurs tenter de s'échapper deux fois au cours des deux premières semaines de son incarcération, malgré les mesures de sécurité prises à son égard. Petit à petit pourtant, son état mental s'améliora tandis qu'on le guérissait peu à peu de la syphilis. Malheureusement, cette embellie ne dura guère et il réitéra ses tentatives de fuite. Il réussit à s'évader le 2 novembre 1923, se réfugia chez sa tante qui, effrayée, réussit à le convaincre de ne pas rester dans les environs. Il fut finalement capturé alors qu'il errait dans les rues de San-Francisco. Les médecins le diagnostiquèrent comme étant un "psychopathe constitutif avec des accès paranoïdes" et le gardèrent en traitement pour 16 mois, période au terme de laquelle il montra à nouveau des signes d'amélioration. Libéré, il réussit à convaincre Mary, son épouse, de le reprendre avec elle.  Ses accès de "démence nomade" ne devaient pourtant pas le laisser longtemps en paix.

On a beaucoup discuté l'importance de traumatismes ou de malformations du cerveau dans le développement de tendances psychopathiques. Prétendre que des modifications accidentelles, pathologiques ou génétiques de l'encéphale peuvent avoir une influence sur le comportement des êtres humains n'est pas une grande révélation puisque le système nerveux central est le siège de notre logique, de nos émotions et de notre instinct (notamment sexuel). Ainsi, on connaît plusieurs cas similaires sans pour autant qu'il soit possible de savoir si ces évènements ont joué un rôle de déclencheur, d'amplificateur ou au contraire n'ont eu aucune influence significative. Ainsi Wesley Evans, le tueur de deux femmes de la région de Vancouver en 1984-85, avait été heurté par un camion à l'age de 9 ans. Il avait été grièvement blessé et s'était réveillé après 8 jours de coma, temporairement paralysé. Après 4 mois passés à l'hôpital, il avait retrouvé une vie presque normale bien  que présentant de sérieux problèmes de diction. "Normale" n'était d'ailleurs pas le terme exact : enfant hyperactif, Wesley Evans vivait une scolarité difficile et cumulait les imprudences. Ainsi, 8 mois après son accident, il fut brûlé sur 20 % de sa surface corporelle en jouant avec un briquet. Quelle fut donc l'importance de ces évènements sur sa future vie carrière criminelle ? Difficile de le dire avec précision.

Dans plusieurs cas, une malformation de l'encéphale fut même directement reliée à un comportement violent. Ce fut notamment le cas de Bruce Hamill, le meurtrier récidiviste complice du tueur en série Peter Woodcock qui assassinat un autre malade mental en 1991. Hamill présentait en effet une atrophie du lobe temporal droit à qui les médecins attribuaient ses fautes de jugement et sa violence extrême et difficilement contenue. En 1997, la cour provinciale de Colombie-Britannique jugea Terry Driver alias "Le Tueur d'Abbotsford", meurtrier d'une jeune fille de 16 ans, Tanya Smith, dont il avait également tenté d'assassiner le petit ami. Cet homme aux pulsions sexuelles hors du commun était aussi un client régulier des prostituées de Vancouver au cours des années 80, et il aurait pu être impliqué dans plusieurs meurtres non résolus. Dans sa jeunesse, Driver avait été diagnostiqué comme hyperactif et souffrant du syndrome de Tourette, un problème neurologique caractérisé par des tics et des troubles obsessionnels compulsifs. Il présentait, depuis la petite enfance, un dysfonctionnement de l'encéphale moyen qui semblait avoir causé la plupart des symptômes, démultipliant son appétit sexuel et brutal. Bien que les causes aient été différentes, la violence devait également marquer la vie d'Earle Nelson.

Par un petit matin frileux du mois de février 1925, Nelson se présenta, en costume, chez une logeuse de San Francisco du nom de Clara Newmann, prétendant qu'il désirait louer une chambre. La dame de 62 ans le laissa donc entrer chez elle pour lui faire visiter la location. Quelques heures plus tard son neveu, qui logeait à l'étage, la retrouva étranglée, les jupes retroussées, visiblement violée, détail qui ne fut pas rapporté dans les journaux à l'époque. Il se souvint alors avoir aperçu un homme à l'apparence imposante et à la peau assez sombre, caractéristique qui allait valoir à Earle Nelson le sobriquet de "Dark Strangler" ("Sombre Etrangleur"). Il ne s'en était pas formalisé puisque sa tante était, de par ses activités, en contact fréquent avec des étrangers. Les médias s'intéressèrent à l'affaire lorsque moins de deux semaines plus tard, un meurtre similaire eut lieu à San Jose : une autre logeuse fut retrouvée dans un appartement à louer, étranglée avec la ceinture de soie de sa robe puis violée post-mortem. Il fallut attendre le mois suivant pour que le tueur réapparaisse à San Francisco, tuant une nouvelle propriétaire dont il avait trouvé l'adresse à la rubrique des petites annonces d'un journal. La femme, du nom de Lilian St-Mary, avait été violée après avoir été étranglée, le tout sans que l'assassin ait émis le moindre bruit, ce qui laissait à penser qu'il avait aisément maîtrisé sa victime et devait de ce fait avoir une force prodigieuse. Peu de temps après, une nouvelle femme d'âge moyen fut étranglée à Santa Barbara. Dans les années vingt, cette petite ville balnéaire était encore peu peuplée, et les meurtres perpétrés dans la région de San Francisco semblaient bien lointains. Ainsi, Ollie Russell, 53 ans, avait ouvert à son assassin sans se méfier une seconde. Pourtant, celui-ci avait été suffisamment peu discret pour réveiller William Franey, un cheminot qui se reposait dans une des chambres louées par Ollie Russell. Celui-ci était descendu pour voir d'où venait ce bruit inhabituel et avait aperçu dans une chambre ce qui lui semblait être un couple en train de faire l'amour. Gêné, il s'était retiré jusqu'au départ de l'individu. Ce n'est qu'en revenant plus tard en compagnie de Monsieur Russell, qu'il découvrit le corps sans vie de la propriétaire, sauvagement étranglée avec une corde puis violée. Il comprit alors qu'il avait été témoin de l'agression. Comme il n'avait vu l'individu que de dos, il ne put que décrire un homme grand et fort vêtu d'un costume défraîchi.

En août, Nelson frappa de nouveau près de San Francisco, plus précisément à Oakland, et ce, avec une barbarie inouïe. Sa victime, Mary Nisbet, 50 ans, avait été étranglée avec son torchon à vaisselle et avait eu le crâne fracassé avec tant de violence que plusieurs de ses dents avaient été arrachées par le choc. La fréquence des meurtres augmenta de pair avec la violence des attaques. A Portland, Oregon, deux logeuses furent assassinées à deux jours d'intervalle, leur corps portant la signature du "Dark Strangler". Celui-ci étendit son rayon d'action à tout le Nord-Ouest des USA sans que la police ait pu réunir suffisamment d'indices pour détecter un suspect. A la fin de 1926, Earle Nelson avait tué 13 femmes et un bébé de 8 mois. Pendant tout ce temps, le tueur logea dans différents endroits, laissant en vie certaines de ses propriétaires qui se souvenaient de lui comme d'un charmant jeune homme étudiant la Bible et ayant soudainement abandonné sa location. Il vivait de petits boulots pas toujours légaux et de rapines, notamment en détroussant ses victimes.

Au cours des mois suivants, le "Gorilla Killer" poursuivit sa route vers l'Est, tuant encore six victimes à Detroit, Philadelphie et Buffalo, toutes étranglées à mains nues ou avec une serviette ou une corde. Arrivé à Chicago, Earle Nelson fit marche arrière et passa la frontière canadienne au niveau du Minnesota, mettant le cap sur Winnipeg. Ce devait être sa dernière étape.

Dans la capitale du Manitoba, il loua une chambre sur Smith Street dans la sympathique pension de famille de Catherine Hill. C'est là qu'il réussit sans doute à attirer la petite Lola Cowan qui faisait du porte-à-porte pour vendre des fleurs en papier afin d'aider sa famille dont les fins de mois étaient difficiles. La jeune écolière de 14 ans fut portée disparue dès le 9 juin 1927. Le lendemain soir, William Patterson découvrit sa femme, Emily, étranglée, violée et cachée sous le lit d'une des chambres qu'elle était censée louer. Saisie de l'affaire, la police de Winnipeg envisagea la possibilité que le "Dark Strangler" ait passé la frontière. Les enquêteurs visitèrent donc l'ensemble des meublés proposés à la location et découvrirent le corps martyrisé de Lola Cowan dans la chambre de la pension de famille située sur Smith Street. Personne, et surtout pas Catherine Hill, n'aurait pu imaginer que le "charmant Monsieur Woodcoats", qui louait la chambre, pouvait être un tueur en série.

Earle Nelson avait cependant commis plusieurs erreurs qui allaient précipiter sa perte. Il avait fait le fanfaron dans une friperie puis chez le coiffeur, exhibant une liasse de billets qu'il avait dérobée chez Emily Paterson. Dans le tramway, il avait lié connaissance avec un homme à qui il avait confessé son penchant pour l'alcool et, heureux d'avoir trouvé une oreille compatissante, lui avait offert son chapeau. Winnipeg était une petite ville et trop de gens avaient vu le visage de cet étranger atypique. La barbarie de ses actes avait dressé contre lui la vindicte populaire et il ne devait pas seulement se méfier de la police montée mais aussi de tous les honnêtes citoyens. Sa photo fleurissait un peu partout sur les affiches placardées aux quatre coins de la ville. De plus, il parlait à tort et à travers, peu familier des habitudes canadiennes qui lui semblaient, à tort, si identiques aux manières américaines. Ainsi, lors d'une discussion, Nelson prétendit qu'il travaillait dans un ranch, alors que les Canadiens de souche parlaient de farm pour désigner indifféremment une terre d'élevage ou de culture. Les gens commencèrent à le suspecter et avertirent la police. Alors qu'Earle Nelson achetait de la nourriture à Wakopa à moins de dix kilomètres de la frontière américaine, il fut reconnu par le gérant du magasin qui prévint les autorités. Le tueur fut arrêté sans coup férir par un constable alors qu'il tentait de s'enfuir en suivant la voie ferrée.

A la grande surprise des policiers, Earle Nelson n'opposa aucune résistance, prétendant s'appeler Virgil Wilson, coopérant avec les policiers et ne montrant aucune agressivité. En voyant cet homme calme qui refusait de se séparer de sa bible, ceux-ci commencèrent à douter et, après l'avoir arrêté, l'enfermèrent dans une cellule avant de télégraphier à Winnipeg pour obtenir davantage de renseignements. Lorsque les agents revinrent interroger le suspect, celui-ci avait une nouvelle fois mis les voiles. Cependant, sans chaussures ni ceinture, Nelson n'alla pas très loin et il fut repris, enfermé, et étroitement surveillé cette fois-ci.

Tous les témoins qui avaient vu le "Gorilla Killer", en particulier Catherine Hill, reconnurent Earle Nelson qui finit par avouer son identité. Sa propre femme, interrogée sur son emploi du temps, permit de montrer que l'homme était absent du domicile conjugal au moment des premiers meurtres. Après une enquête qui nécessita la collaboration des différentes polices canadiennes et américaines, Earle Nelson fut inculpé de vingt-deux homicides s'étendant sur la période du 20 février 1926 au 10 juin 1927.

Le procès fut un évènement, d'une part en raison de la monstruosité des actes et du nombre de victimes, mais aussi à cause de la personnalité de l'accusé. La défense produisit sa propre épouse qui décrivit ses curieuses manies, sa jalousie, ses hallucinations, mais son témoignage ne fut pas pris au sérieux en raison des liens qui l'unissaient à l'accusé. Le même schéma se reproduisit lorsque sa tante Lillian vint témoigner en sa faveur.

Le jury mit moins d'une heure à le déclarer coupable. Earle Nelson resta de marbre quand le juge Andrew Dysart le condamna à la peine capitale le 14 novembre 1927. Jusqu'à la fin, le 13 janvier 1928, le tueur plaida son innocence. Aux témoins de son exécution, il déclara : « Je suis innocent devant Dieu et devant les hommes. Je pardonne à ceux qui m'ont fait offense et je demande pardon à ceux que j'ai blessés. Dieu est miséricordieux ! ».

Dieu, à cet instant, avait en effet plus de pitié qu'Earle Nelson n'en avait jamais eu au cours de sa sombre existence, puisqu'il lui permit de mourir sans souffrance apparente lorsque la trappe de l'échafaud s'ouvrit sous ses pieds.

[Carte]

Bibliographie (E. Nelson) :

• Harold Schechter, Bestial, Pocket Books, New York, 1998.

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© Christophe Dugave 2008 

 

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Published by Christophe Dugave - dans Deuxième partie
15 mai 2009 5 15 /05 /mai /2009 14:22

Angelo Colalillo : Les lettres de l'enfer

 

 

Angello Colalillo peu après son arrestation en octobre 2002. Accusé de trois meurtres, il se suicidera en prison quelques jours avant l'ouverture de son procès (© Radio-Canada).

Lorsque les gardiens de la prison de Rivière-des-Prairies, près de Montréal, viennent réveiller le détenu Angelo Colalillo le samedi 7 janvier 2006, ils découvrent un homme inconscient qui a sombré dans un coma profond. Toutes les tentatives pour le réanimer sur place échouent et le prisonnier est rapidement dirigé vers le service des urgences de l'hôpital Santa Cabrini. Il va ainsi flotter entre vie et mort pendant trois jours entiers dans sa chambre de l'unité des soins intensifs avant de décéder finalement le mardi 10 au petit matin. A 41 ans, ce violeur en série, assassin de trois jeunes filles en 1993 et 2002, a trouvé le moyen ultime d'échapper à son procès qui devait commencer le 9 janvier. Il laisse derrière lui des victimes et des familles de victimes soulagées mais aussi frustrées par cette échappatoire inattendue.

L'affaire Colalillo a marqué les esprits au Québec, non seulement parce qu'elle faisait suite au procès de Paul Bernardo et Karla Homolka — cette dernière ayant été libérée 6 mois auparavant de la prison de Sainte-Anne-des-Plaines — puis à l'affaire William Fyfe, mais aussi parce que ce prédateur sexuel avait laissé de nombreuses preuves écrites retraçant ses méfaits, à tel point qu'on l'avait comparé à Paul Bernardo et ses vidéos diaboliques. Il était même devenu une sorte de mentor pour son ami, Nick Paccione, un autre violeur en série destinataire des missives compromettantes. La similitude ne s'arrête pas là puisque les deux hommes ont été impliqués dans de sombres affaires d'agressions sexuelles et de projets meurtriers mettant en cause leur agente de probation, Marlène Chalfoun. La presse se demanda alors si la fonctionnaire n'était pas une nouvelle Karla Homloka au point que les autorités, soucieuses de ne pas laisser médiatiser l'affaire comme cela avait été fait en Ontario, limitèrent les informations et les photos au strict nécessaire et interdirent la diffusion des lettres qui contenaient des détails de nature pédophile. L'histoire de Colalillo n'est pas moins sordide que celle de Bernardo, mais elle est, de loin, beaucoup moins documentée. Certains points sont même flous, peut-être à dessein, puisqu'il semble qu'une fois encore, ce délinquant sexuel notoire ait bénéficié d'indulgences diverses et n'ait pas été inquiété jusqu'à ce qu'un portrait-robot soit enfin établi.

Privé de ce procès qui devait mettre en lumière de nombreux points sombres de l'histoire, la justice ne pourra statuer sur le cas Colalillo. Les psychologues exploreront sans doute sans espoir la pensée tordue et cruelle de cet obsédé, incapable de museler ses pulsions sexuelles violentes. Restent les lettres promises à la destruction, comme un testament criminel que personne ne voudrait voir exécuté.

 

 

Viols avérés et meurtres déguisés

 

En février 1993, le temps jusque-là relativement clément se refroidit sur le Québec : le thermomètre franchit plusieurs fois les – 30 °C et ne remonte guère au-dessus du point de congélation. La neige et la glace paralysent à plusieurs reprises la Montérégie. Comme souvent pendant les vagues de froids, des incendies éclatent, réduisant en cendres les maisons à bardeaux ou les petits immeubles dans lesquels le bois tient une place importante. La plupart du temps, ces incendies accidentels sont dus à une surchauffe ou à une installation électrique défectueuse ou saturée. C'est sans grande surprise que l'enquête concernant la mort de Christine Speich, 12 ans,  conclut à un court-circuit ayant entraîné l'incendie de l'appartement qu'elle occupait avec sa mère et sa sœur dans une petite résidence de Montréal-Nord, le 19 février. Personne ne comprend vraiment comment la jeune fille n'a pas été alertée par le feu qui a débuté dans sa chambre où elle faisait la grâce matinée après s'être couchée tard pour terminer un projet scolaire. On finit par supposer qu'elle a été intoxiquée dans son sommeil. C'est sa mère qui, en rentrant pour le déjeuner, donne l'alerte, mais il est déjà trop tard et les pompiers ne découvrent qu'un corps totalement calciné. Nul ne peut alors imaginer que Christine a été agressée chez elle, violée et tuée, et que son assassin, un homme du nom d'Angelo Collillo, a maquillé le meurtre en accident.

Christine Speich n'est pourtant pas la seule à subir ce sort horrible cette année-là : au mois d'avril, Colalillo viole, tue et brûle une jeune fille de 20 ans, Anna-Lisa Cefali, dans la maison de ses parents à Rivière-des-Prairies. Cette fois, les enquêteurs concluent à un incendie volontaire, mais l'attribuent à un suicide. L'affaire passe rapidement aux oubliettes, d'autant plus que personne ne fait la relation avec Christine Speich. De manière inexplicable, la police ne pense pas à suspecter Colalillo alors même qu'Anna-Lisa devait le rencontrer le matin même de sa mort pour un entretien en vue d'un poste de secrétaire. Les années passent et or mis leurs familles, tout le monde oublie les jeunes victimes.
 

Jessica Grimard, une écolière de 15 ans habitant à Rivière-des-Prairies. Violée et poignardée le 6 mai 2002, elle fut la troisième victime de Colalillo après Christine Speich et Anna-Lisa Cephali en 1993 (© LCN).

Le 6 mai 2002, la jeune et jolie Jessica Grimard, 14 ans, se rend à l'école, non loin de son domicile à Rivière-des-Prairies. Elle n'y parviendra jamais. Ses professeurs s'inquiètent de son absence et préviennent son père, Yves Grimard, qui part à sa recherche, craignant qu'elle ne se soit fait agresser. Il découvre son corps dans un petit-bois situé non loin du domicile familial, violé et poignardé. La police procède bien sûr à une autopsie et à des prélèvements, mais n'effectue aucun rapprochement avec Colalillo qui n'est pourtant pas inconnu des tribunaux. Il est vrai qu'à ce moment-là, ce violeur en série n'est pas suspecté d'homicide puisqu'il a habilement maquillé ses crimes précédents en accident ou en suicide. De plus, il a suivi un mode opératoire tout à fait différent. Son histoire est pourtant un classique du genre : agressions suivies de viols, escalade dans la violence jusqu'au meurtre prémédité… Colalillo est en revanche "remarquable" par son esprit cruel et tordu qui en fait un archétype du déviant sexuel dangereux et l'a souvent fait comparer à Paul Bernardo.

A l'âge de 22 ans, Angelo Collalillo était marié et travaillait comme agent d'assurances, mais son couple allait mal et il traînait en voiture dans Montréal-Nord, proposant aux femmes qui attendaient le bus de les raccompagner. Il les menaçait ensuite avec un pistolet et les conduisait dans un endroit isolé où il pouvait les violer à loisir. Finalement arrêté, il avait été condamné à 11 ans de réclusion et libéré sur parole en 1993 alors même qu'il avait refusé de suivre une thérapie. Il fut de nouveau incarcéré en 1995 pour deux nouveaux viols dont la nature brutale montrait cette progression indéniable dans la violence. En effet, l'une des victimes avait été battue et l'autre avait été frappée avec un marteau. Il devait être néanmoins libéré deux ans plus tard…

En prison, Colalillo avait rencontré un autre délinquant sexuel, Nick Paccione, avec qui il s'était lié d'une amitié ambiguë et qu'il conseillait pour ses forfaits futurs. Nick était aussi un violeur récidiviste condamné à 7 ans de prison, peine qu'il purgea en entier. Les psychiatres avaient estimé que l'individu présentait "une importante déviance sexuelle s'aggravant avec les années". La suite devait leur donner raison. En mai 1998, à peine six mois après sa sortie de prison, Paccione agressa sa voisine qui parvint à prendre la fuite. Il fut arrêté peu après et condamné à une sentence de prison à vie. Devant les risques de nouvelles récidives, il fut déclaré "délinquant dangereux" et incarcéré à la prison de Port-Cartier. C'est quelque temps plus tard qu'il rencontra Marlène Chalfoun, une agente de probation appréciée de ses supérieurs. Chargée d'évaluer les possibilités de réinsertion de Paccione, elle jouait un rôle de liaison entre les services correctionnels et le tribunal de Montréal. Au cours de la même période, Angelo Colalillo, qui n'avait pas oublié son compère encore emprisonné, commença de lui envoyer de biens curieuses lettres qu'il signait "Frank" où il parlait à la troisième personne d'un "Bob" qui se livrait à de coupables occupations avec de jeunes femmes et de petites filles. Commença alors un bien curieux manège d'échange de courrier entre Colalillo, Paccione et Chalfoun qui exaltait les penchants criminels des deux délinquants et incitait Colalillo à intensifier ses sinistres activités.

 

 

Les lettres sataniques

 

On ne sait pas très bien ce qu'a fait Angelo Colalillo entre sa libération en 1998 et l'année 2002, sinon qu'il semble avoir travaillé dans une magasin de téléphonie mobile. Il est peu probable qu'il se soit arrêté de commettre des viols mais, jusqu'à présent, la police n'a pu lui attribuer aucun délit précis pour cette période. L'homme était pourtant décrit comme sexuellement insatiable.

Le 17 février 2002, il utilise sa technique préférée : cibler une jolie fille abritée sous un Abribus, lui proposer de monter en voiture et la menacer avec un pistolet. Pourtant, cette fois, tout ne se passe pas comme prévu et la victime parvient à s'enfuir, mais, manquant d'informations, la police n'inquiète nullement Colalillo. Tout va changer ce 30 septembre 2002. Il parvient à pénétrer dans l'appartement d'une étudiante à Sainte-Thérèse, toujours dans la région de Montréal, en se faisant passer pour un huissier de justice. Il la viole, tente probablement de l'étrangler et la laisse inconsciente au bas de son lit auquel il met de feu avant de s'en aller. Commotionnée, la jeune femme est réveillée par l'alarme incendie et prend la fuite. Auditionnée par la police de Sainte-Thérèse, elle donne une description précise de son agresseur qui permet d'établir un portrait robot. Les polices de Sainte-Thérèse et de Montréal mènent alors des enquêtes parallèles qui les orientent vers Angelo Colalillo. Celui-ci est arrêté début octobre et interrogé. Il ne faut guère de temps aux enquêteurs pour s'apercevoir que c'est Colalillo qui écrivait des lettres à Paccione, lettres qui ont d'ailleurs été entre temps découvertes. Une trentaine de missives auraient été envoyées à Paccione sur une période de un an à compter de septembre 2001. Incarcéré à la prison de Rivière des prairies, Colalillo est détenu mais pas formellement arrêté… Les enquêteurs préparent leur coup, étudiant en détail les lettres incriminées, et ils vont de surprise en surprise.
 

Nick Paccione, violeur multirécidiviste et psychopathe dangereux. il échangea une abondante correspondance avec Angelo Colalillo dans laquelle le tueur conseillait Paccione sous le pseudonyme de "Frank" en utilisant sa propre expérience (© National Post).

Dans cette correspondance suivie, Angelo Colalillo alias "Frank" ou "Frankie" raconte les exploits  de "Bob" qui commet des viols et élimine ses victimes en utilisant une technique qu'il a baptisé "la sortie de secours", "fire exit" en anglais… Les enquêteurs sont troublés par certains détails jamais divulgués et qui rappellent des faits anciens remontant à 1993 classifiés comme "accidents". Le rapprochement est fait et Colalillo est suspecté du meurtre de Christine Speich et d'Anna-Lisa Cephali. L'homme décrit aussi un viol suivi de meurtre qui ressemble beaucoup à l'affaire Jessica Grimard dont le dossier est toujours d'actualité. Il est alors officiellement accusé des trois meurtres et de plusieurs viols avec violence, trahi par le modus operandi qu'il a scrupuleusement suivi avec sa dernière victime et qu'il a précisément décrit dans les lettres envoyées à Paccione. 

La police ne va pas s'arrêter là car en mettant Paccione sous écoute, elle surprend des confidences qu'il fait à un autre prisonnier à propos de ses délires littéraires. Il y parle de "Frank", son mentor qui le conseille sur les protocoles à suivre pour camoufler un viol et un meurtre en accident. Visiblement, Colalillo s'est largement inspiré de la série télévisée "Crime Scene Investigation", une série américaine qui donne de nombreux "conseils" aux apprentis criminels. Mais le plus troublant est que les enquêteurs interceptent la correspondance de Paccione et s'aperçoivent qu'une troisième personne est impliquée : il s'agit ni plus ni moins de Marlène Chalfoun, l'agente de probation de Paccione, une femme au-dessus de tout soupçon…

 

Une complice insoupçonnable

 

Marlène Chalfoun, une agente de probation qui assurait la relation entre le service carcéral et le tribunal municipal de Montréal, échangea une quarantaine de lettres avec Nick Paccione dans lesquelles elle inventait des mises en scènes érotico-morbides. Elle demanda même à Colalillo, alias "Frank", de tuer sa propre cousine et ses deux enfants, mais ne mit jamais ses projets à exécution. Arrêtée en septembre 2003, elle sera acquittée en novembre 2005 (© National Post).

Marlèn
e Chalfoun, 35 ans, est une jolie femme de type méditéranéen. C'est aussi une fonctionnaire bien notée et appréciée de sa hiérarchie. Agente de probation, son rôle est d'estimer le devenir carcéral des détenus condamnés pour des délits de nature sexuelle, fonction qui la met en relation avec des individus à l'esprit plus que tourmenté. A lire le courrier qu'elle envoie à Paccione en réponse aux lettres dans lesquelles il décrit les exploits (imaginaire ?) du dénommé "Frank", on comprend qu'elle n'est pas insensible non plus à ce genre de sexualité déviante, et ses réactions démontrent des fantasmes qui vont bien au-delà du simple sado-masochisme. Non seulement Marlène Chalfoun "rentre dans le jeu", mais en plus, elle encourage les fantasmes sauvages de Paccione et de son ami Colalillo dont il a imprudemment parlé. Elle va même jusqu'à demander au tueur, qui profite largement de sa liberté, de violer et de tuer sa propre cousine et ses deux enfants ! "Ce devra être très dégueulasse et très violent" écrit-elle. Elle donne de nombreux détails sur les futures victimes, omettant toute fois de préciser leur adresse. Ses fantasmes portent également sur son ex-compagnon, sur des "amies" ou sur des personnages fictifs.

Le 4 septembre 2002, Marlène Chalfoun est arrêtée et incarcérée. Au cours de son interrogatoire, elle nie toute implication réelle dans les délires sadiques de Paccione et soutient aux policiers que son but était de tester le détenu… Un test de longue durée puisqu'il s'étale sur de nombreuses lettres et une période de plusieurs mois. L'explication ne semble guère satisfaire les autorités qui lui refusent une libération sous caution.

Fin septembre 2003, après onze mois de détention préventive, Marlène Chalfoun comparaît en Cour sous le chef d'inculpation d'avoir "comploté avec deux prédateurs sexuels". Colalillo alias "Frank" a été entre temps arrêté et inculpé de meurtres au premier degré, et chacun sait maintenant que la fonctionnaire jouait un jeu dangereux. Elle propose pourtant une singulière relecture de ses lettres qualifiée par la presse "d'impressionniste" et "d’aventure littéraire à vocation thérapeutique". Elle se dit s'être investie dans une sorte de mission de sauvetage psychologique, allant dans le sens de Paccione pour essayer de le guérir. Elle voulait notamment permettre à Paccione de "ventiler son imagination" pour mieux évacuer ses fantasmes. Bien évidemment, tout cela était bien loin de sa mission officielle et, de par sa formation, elle n'avait pas les capacités d'assumer une telle charge. Ses propos, prétend-elle, ont été mal compris. Quand par exemple, elle souhaite à Nick Paccione de s'évader, elle veut dire "non pas de la prison" mais de ses sombres projets.

Associée directement par Paccione aux délires du dénommé "Frank", elle prétend avoir voulu "tester Frankie". La personnalité de l'inconnu l'intrigue en effet. Elle se demande s'il s'agit réellement d'un pervers sexuel et d'un tueur sadique, ou bien si c'est tout bonnement un autre grand romancier… C'est là que la personnalité réelle de Chalfoun apparaît et que sa thèse de la correspondance "thérapeutique" montre quelques faiblesses. En effet, elle se dit « à la recherche de nouveaux hommes, de nouveaux amants, de nouvelles aventures menant à des orgies ». Elle a même demandé les coordonnées de l'homme afin de pouvoir l'observer incognito. Elle n'aura pas le temps de mener son projet à terme puisque Colalillo et elle-même seront arrêtés peu de temps après. D'après certaines sources, Marlène Chalfoun aurait cependant rencontré "Frank" à deux reprises, une première fois à son commerce dans l'est de Montréal à la fin Août 2002 puis à l'automne de la même année. Si cela est bien réel, il semble que Chalfoun soit effectivement allée très au-delà du simple fantasme. Une lettre échangée entre les deux hommes est d'ailleurs significative puisqu'ils semblent se demander si Marlène Chalfoun a bien l'étoffe d'une nouvelle Karla Homolka. 

 

Jugement controversé et jugement avorté : la fin d'une affaire sordide.

 

Le jugement va quelque peu surprendre : la juge Micheline Corbeil-Laramée estime "que la correspondance échangée avec les deux hommes ne constituait pas un véritable complot, mais se situait plutôt dans la zone des fantasmes d'une femme ayant d'importantes carences affectives" et décide de l'acquitter le 21 novembre 2005. La thèse du complot était pourtant fortement étayée par la demande écrite que Marlène avait faite à Frank de tuer plusieurs de ses connaissances et amies et de s'arranger pour faire retomber les soupçons sur leurs maris respectifs… Le jugement s'appuie en fait essentiellement sur l'analyse psychiatrique du Dr. Louis Morissette qui analyse les intentions de Marlène Chalfoun comme purement fantasmatiques. Le psychiatre la croit sans réel désir de passer à l'acte et se réfère au fait qu'elle n'était ni dangereuse, ni violente, ni impulsive, et n'avait pas de casier judiciaire. Sur la base de cette expertise, il semble que la juge se soit convaincue du fait que Chalfoun n'avait pas la réelle intention de faire assassiner une mère et ses deux enfants avec tous les risques que cela comportait, et fit bénéficier l'accusée du doute qu'elle avait à propos de ses intentions criminelles. Il était pourtant indéniable que dans l'une de ses lettres, Marlène Chalfoun expliquait qu'elle aimerait bien assister à la torture d'une femme qu'elle aurait choisie…

La réaction de la Couronne à la clémence de ce jugement fut pour le moins étrange : le procureur Miville-Deschesnes décida de ne pas faire appel de la décision, assurant qu'il "n'était pas déçu" : « Notre rôle est de mettre la preuve devant la cour, une preuve que le juge a écoutée depuis le mois de mai », expliqua-t-il. On se doit de constater que si Marlène Chalfoun a eu l'occasion de parler plusieurs jours pour étayer sa défense, elle n'a curieusement jamais été interrogée par le procureur, une situation qui traduit peut-être l'embarras de la Couronne de voir une fonctionnaire modèle accusée de collusion avec des violeurs, et traduite en justice alors qu'elle se devait d'agir en garante de la loi et de la morale. Si Marlène Chalfoun s'est laissée entraîner plus loin qu'elle ne l'a voulu, on peut tout de même s'interroger sur sa réelle maturité et de l'adéquation de sa personnalité tourmentée avec le poste à responsabilité qu'elle occupait… De même, le procureur n'a pas jugé bon de produire une contre-expertise en opposition à la déposition du Dr. Morissette, celui-là même qui concluait que Karla Homolka n'était pas responsable.

La comparaison des deux cas est même allée plus loin pour une raison qui semble tenir davantage de la fiction que du bon déroulement d'une procédure judiciaire, mais qui est néanmoins bien réelle. Alors même que l'authenticité des lettres était remise en cause, un accord avait été conclu entre l'accusation et la défense : la défense reconnaissait que Marlène Chalfoun les avait effectivement écrites en échange de quoi l'accusation ne s'opposait pas à la requête des avocats de ne pas les divulguer. La manœuvre était simple : éviter de créer une nouvelle affaire Homolka, comme cela avait été le cas avec les vidéos et les photos prises par Bernardo, pour ne pas choquer l'opinion publique et diaboliser l'accusée, situation qui avait beaucoup nuit à Karla Homolka.

Le procès de Marlène Chalfoun fut en effet relativement discret et, finalement, après l'acquittement de la fonctionnaire, la juge Carole Cohen décida d'interdire la diffusion de tout ou extrait des lettres par la presse. En mai 2003, le juge Kevin Downs de la Cour Supérieure rejeta la demande des représentants des médias de divulguer le contenu des lettres incriminantes. En dehors de la nature choquante des propos tenus dans cette correspondance, la décision peut aussi se comprendre par la teneur très "technique" des conseils meurtriers que Colalillo prodiguait à Paccione et donc par la crainte de voir apparaître et se multiplier des meurtres semblables perpétrés par des imitateurs.

Restait à juger Colalillo qui devait répondre d'agression, d'enlèvement et de sequestration, de viol avec tentative de meurtre, et de trois meurtres avec préméditation. Prévu à l'origine pour débuter le 14 mars 2005, il fut repoussé au 11 janvier 2006, soit plus de trois ans après le meurtre de Jessica Grimard, pour la simple raison que Marc labelle, le défenseur de Colalillo, assurait la défense d'un accusé dans un procès qui devait se tenir simultanément.

Le 12 décembre 2005, l'accusation décida d'utiliser à charge la trentaine de lettres échangée entre l'accusé et Nick Paccione sur une période d'un an environ, ainsi que les enregistrements de ses confidences à un autre détenu. Acculé de toute part, Angelo Colalillo comprit que cette fois, il ne s'en sortirait pas. Sa situation était alors très comparable à celle du tueur en série français Sid Ahmed Rezala, le "tueur des trains" assassin de trois femmes en 1999 et emprisonné au portugal, qui s'était suicidé en dernier recours pour échapper à son extradition. Quelques jours avant l'audition préliminaire, Colalillo déroba sans doute des médicaments à l'infirmerie et mit fin à ses jours. L'autopsie confirma l'absence de coups ou de blessures pouvant accréditer l'hypothèse d'une agression de la part d'autres détenus, et confirma la thèse du suicide.

Honte, remords ? C'est peu probable car les psychiatres ont décrit Angello Colalillo comme irrécupérable, mais il semble qu'il ait voulu éviter à ses parents – les seules personnes auxquelles il semblait tenir – l'opprobre de sa propre déchéance. Car tout en étant un authentique psychopathe, Angello Colalillo n'en était pas moins conscient de sa perversité. Ainsi, il aurait écrit dans l'une de ses lettres :

« Parfois, je me sens comme un loup dans la bergerie. Si seulement les filles savaient qui je suis et ce dont je suis capable ! Si on pouvait lire dans mes pensées, on m'enfermerait et on jeterait la clé ».

La famille de Jessica Grimard n'a pas oublié. Sa cousine notamment a créé un site Internet à sa mémoire. On dit que tant qu'on pense à vous et qu'on vous aime, on ne meurt pas tout à fait. Alors sans doute, Jessica est plus vivante que Colalillo ne l'a jamais été. 

[Carte]

[Site Jessica Grimard]

Bibliographie :

• Articles de journaux (cyberpresse.ca)

•  Reportages (Radio-Canada, CBC News, TQS) 


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© Christophe Dugave 2008  
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Published by Christophe Dugave - dans première partie
14 mai 2009 4 14 /05 /mai /2009 11:33

William Fyfe : Tueur à tout faire

 

 

Hazel Scattolon (+ 25-03-81) (© Le journal de Montréal)

Lorsqu'Alan Scattolon, 43 ans, consulte le journal "The Gazette" au cours des congés de Noël 1999, il a bien du mal à cacher sa surprise : il connaît bien William Patrick Fyfe, l'homme dont on annonce l'arrestation pour le meurtre de Mary Glen. "Bill" et lui ont fait partie de l'équipe de hockey des "Flanders 63" lorsqu'ils étaient enfants. Ce n'était pas son ami ; il s'en souvient plus tôt comme d'un gosse à problèmes, un petit gars vindicatif mais pas très courageux, un "effronté-poltron". Mais plus que le meurtre lui-même, ce sont les conditions de l'agression sauvage dont a été victime Mary Glen, 53 ans, qui retiennent son attention et le glacent d'effroi. Cette habitante de Baie-d'Urfé, dans la banlieue de Montréal, a été retrouvée chez elle, le 15 décembre, par une amie. Son corps était affreusement mutilé : au moins huit lacérations sur le visage, os du crâne fracturés en plusieurs endroits laissant voir les méninges, quinze impact de couteau sur les mains et pas moins de vingt et un coups sur l'abdomen. L'œuvre d'un enragé. Mais Alan Scattolon ne connaissait pas Mary Glen. En revanche, il se souvient de sa propre mère, Hazel Scattolon, 53 ans comme Mary Glen, qui a été agressée sexuellement et lardée de vingt-sept coups de couteau le 25 mars 1981 dans son appartement du quartier Mont-Royal à Montréal. A cette époque (environ dix ans après qu'Alan et Bill aient joué ensemble au hockey), William Fyfe avait 24 ans. Se pourrait-il que…? Les souvenirs assaillent Alan ; des images terribles.

En mars 1981, Alan Scattolon et sa femme venaient d'avoir un bébé. Ils étaient très proche d'Hazel qui appréciait sa belle-fille et ils venaient souvent lui rendre visite. Ce 25 mars, Alan a tenté toute la journée de joindre sa mère au téléphone, sans succès. Lorsqu'il arrive avec son épouse pour dîner comme convenu dans l'appartement qu'Hazel occupe au 25 rue Glengarry, il s'aperçoit que la porte n'est pas verrouillée. Il entre et entend la musique d'une radio. Ses appels restent sans réponse et Alan se rend dans la chambre à coucher. Le cadavre d'Hazel gît dénudé sur le lit dans une mare de sang. La pièce porte des traces de lutte alors que le reste de l'appartement est en ordre. Il n'y a aucune trace apparente d'effraction… Hazel Scattolon connaissait-elle son meurtrier ? L'a-t-elle laissé entrer en toute confiance ?
 

William Patrick Fyfe, quelques heures après son arrestation par la police provinciale de l'Ontario, le 22 décembre 1999 (© Marc Pigeon).

Toutes ces idées se télescopent dans la tête d'Alan Scattolon, d'autant plus qu'au cours des mois de janvier et de février 2000, on parle beaucoup de William Fyfe en termes de plus en plus sinistres : "Des dizaines de Québécoises victimes d'un tueur en série ?", "Vingt-sept dossiers de meurtres activés par la police" titre le Journal de Montréal. Car le modus operandi de William Fyfe a été relié à plusieurs autres meurtres commis au Québec au cours de l'automne 1999, des crimes sauvages qui inspirent l'horreur. Alan Scattolon va contacter la police, en particulier le sergent-détective Yves Beaulieu de la Section des Homicides de la police métropolitaine de Montréal qui est en charge l'affaire. L'enquêteur va prendre en considération les craintes de son interlocuteur et va réactiver ce dossier vieux de près de vingt ans qui contient de nombreux indices, en particulier des spermatozoïdes recueillis sur la victime, qui seront confiés aux services de biologie de l'Identité Judiciaire. Déjà, William Fyfe a été trahi par ses empreintes digitales et par l'ADN, que ce soit celui de ses victimes ou son propre sang laissé en quantité infime aux domiciles des femmes qu'il a agressées. L'affaire Fyfe va en effet mettre en lumière l'extraordinaire potentiel des techniques de la police scientifique. Elle va également creuser un fossé entre la Police Métropolitaine de Montréal d'une part et la Sûreté du Québec d'autre part, dont le désaccord en matière de méthodes d'enquête va devenir flagrant. Enfin, elle va prouver la fragilité de notre société moderne face à ces tueurs sans signe particulier mais sans pitié. Pour beaucoup, y compris pour les policiers de Saint-Hippolythe où il était employé par la municipalité, William Fyfe était un bon gars, impliqué dans le bénévolat et la vie de la commune. Pour d'autres, c'était un sexiste borné qui harcelait les femmes mais partait la queue basse pour peu qu'elles se rebiffent. Pour d'autres enfin, c'était un être inquiétant, un "homme aux yeux creux", un regard mort, vide d'expression. Une chose est certaine, personne ne connaîtra vraiment William Patrick Fyfe ; ni ses proches, ni ceux avec qui il a travaillé, pas même les policiers qui ont passé des mois à suivre sa longue route meurtrière retracée dans le livre de Marc Pigeon, "William Fyfe, tueur en série. Autopsie d'une enquête policière" : au moins neuf meurtres, peut-être plus, sur une période de vingt ans, de 1979 à 1999, une impressionnante série de viols en 1984 et 1985 et puis aussi de nombreux vides qui laissent craindre le pire.

Curieusement, l'affaire William Fyfe n'a pas fait longtemps la une des journaux. Son procès, en septembre 2001, a été largement masqué par la couverture médiatique des attentats terroristes à New York et Washington. William Fyfe purge toujours quatre peines concurrentes de prison à vie dans un pénitencier de la Saskatchewan et sera éligible à une libération conditionnelle en 2024. Il aura alors près de 70 ans, mais comme il a refusé, jusqu'à présent, de subir une expertise psychiatrique et de suivre un traitement, il est fort probable que la demande sera refusée. Car à l'image de tous les serial killers, Fyfe ne ressent ni pitié ni remords. Cet ancien émondeur et homme à tout faire reste secret et renfermé sur sa petite personne. « Vous ne saurez jamais pourquoi j'ai fait tout ça », avait-il l'habitude de dire aux policiers lorsqu'il mettait un terme aux aveux qu'il savait monnayer contre des avantages matériels. « Vous ne saurez jamais », et dans un certain sens, quand on imagine qu'il pourrait avoir assassiné vingt cinq femmes en vingt ans, sans doute cela est-il préférable.

 

 

Cinq meurtres sauvages

 

Le 15 octobre 1999, un peu avant 22 heures, les services d'urgence du SPCUM (Service de Police de la Communauté Urbaine de Montréal) doivent intervenir sur une scène de crime particulièrement sanglante. Quelque temps auparavant, Robert Yarnold, un industriel, a découvert le corps martyrisé de son épouse Anna dans le jardin de la propriété qu'ils ont récemment acquise à Senneville près de Montréal. La police est en train d'interroger le mari d'Anna Stagg-Yarnold puisque dans une forte proportion des cas, le meurtrier est un proche de la victime et c'est souvent lui qui avertit les secours. Il sera cependant mis hors de cause quelques heures plus tard.

D'origine anglaise, Anna Stagg-Yarnold est honorablement connue dans la communauté. On ne connaît pas d'ennemi à cette femme passionnée par le théâtre amateur. Il semble que le vol soit le motif du meurtre puisque la fouille des lieux montre qu'il manque une carte bancaire. L'étude des relevés d'opérations révèle qu'on a tenté de l'utiliser sans succès à 18 h 55 dans un guichet automatique de la Banque de Montréal à Sainte-Anne-de-Bellevue, le code saisi étant erroné. Peu de temps après, une nouvelle tentative a été couronnée de succès dans une succursale de la Banque Nationale pour un premier montant de 400 dollars suivi d'un second retrait de 200 dollars, effectué quelques minutes plus tard. Le guichet sécurisé possédait une caméra vidéo montrant un homme de taille moyenne, mais la qualité des images est insuffisante pour permettre de distinguer ses traits. Quoi qu'il en soit, ce comportement, caractéristique d'un voleur de carte, indique qu'Anna Yarnold a été tuée entre 16 heures (heure du dernier appel téléphonique de son mari) et 18 heures 50, mais personne dans le voisinage n'a vu quoique ce soit de suspect au cours  de cette période. L'identité judiciaire ne découvrira rien de particulier non plus puisque toutes les empreintes relevées dans la maison appartiennent à la victime. L'autopsie d'Anna Yarnold montrera que la malheureuse a reçu plusieurs coups au visage et a eu six côtes fracturées. Le décès résulterait à la fois des coups portés à l'aide d'un objet contondant, et d'une asphyxie résultant de la pression exercé sur le visage qui était coincé contre la terre meuble du jardin. La nature des blessures suggère fortement que la victime a été torturée afin qu'elle livre son code confidentiel, puisque l'individu qui a utilisé la carte en avait connaissance.

Ce meurtre aurait sans doute retenu peu d'attention de la part des médias s'il n'avait été précédé de l'assassinat de Janet Kuchinsky, 43 ans, retrouvée morte en bordure de la piste cyclable de Pierrefonds. Comme Anna Yarnold, Janet Kuchinsky était fortement impliquée dans la vie communautaire, et le parallèle était tentant, même si le premier meurtre avait clairement une connotation sexuelle (ce qui n'était pas le cas pour celui d'Anna Yarnold). Les médias commençaient à exhumer des histoires de crimes non résolus datant de la fin des années 80 et du début des année 90. L'ombre de Serge Archambault, un tueur au profil relativement similaire, s'étendait de nouveau. Un nouveau serial killer sévissait-il dans la région du Grand Montréal ?
 

Anna Yarnold (+ 15-10-99) et Monique Gaudreau (+ 29-10-99) (© Le journal de Montréal).

La question ne resta pas longtemps sans réponse. Deux semaines après le décès d'Anna Yarnold, Nicole Gaudreau découvrit le corps sans vie de sa sœur Monique, 45 ans, qui travaillait au "Centre Hospitalier Laurentien" à Sainte-Agathe-des-Monts, une ville de dix mille habitants située à une centaine de kilomètres au nord de Montréal. La victime habitait un magnifique chalet en bordure du Lac-des-Sables, un endroit réputé pour son air pur et sa tranquillité. Monique Gaudreau gisait sur le plancher de sa chambre, dénudée et maculée de sang.

Le hasard voulut qu'un enquêteur de l'Unité des Crimes contre la Personne de la SQ ait été présent à Sainte-Agathe et qu'il ait supervisé la préservation de la scène de crime. Les techniciens de l'identité criminelle purent ainsi collecter de nombreux indices sans crainte d'une pollution externe. Ainsi, on retrouva, sur le sol de la chambre, l'empreinte d'une chaussure de sport qui n'appartenait pas à la victime. De même, le bois du balcon avait conservé la trace d'une goutte de sang que les enquêteurs attribuaient plutôt à l'assassin. La malheureuse femme avait été lardée de coups de couteaux, cinquante-neuf au total ! S'y ajoutait une longue balafre sur la poitrine, une marque peu profonde qui suggérait que le tueur avait torturé sa victime.

Malgré tous ces indices, l'enquête piétinait : on avait pas retrouvé la paire de baskets incriminées, pas plus qu'il n'était possible d'identifier le tueur grâce à l'ADN contenu dans la goutte de sang. Cependant, le modus operandi (entrée sans effraction, torture et meurtre à l'arme blanche avec une rare sauvagerie) n'était pas vraiment classique et ne semblait pas être l'œuvre d'un cambrioleur surpris en pleine action. Le vol n'était donc pas le seul mobile.

L'histoire rattrapa les enquêteurs. Le 19 novembre 1999, Enrique Sudenberg, le patron d'une entreprise qui fabriquait des vêtements pour femmes, s'inquiéta de ne pas voir son employée, Teresa Liszak-Shanahan, qui s'occupait de la tenue des livres de compte. Il attendit le lundi suivant pour lui rendre visite dans son appartement du complexe Havre-des-Iles, à Laval. Accompagné d'un ami et du concierge, Enrique Sudenberg pénétra dans l'appartement 307 où flottaient déjà des relents de putréfaction. Les secours découvrirent la victime dans sa chambre à coucher. Elle était allongée sur le dos et recouverte d'une couverture. Poignardée à cinquante-cinq reprises, battue et étranglée, la victime était morte par asphyxie et hémorragie massive. Des sucs acides s'étaient échappés de son estomac, accélérant ainsi le processus de décomposition. L'autopsie montra que la victime, âgée de 55 ans, n'avait pas été violée, mais qu'en revanche, deux cartes de débit avaient été dérobées. Là encore, le relevé de transaction permit d'établir l'heure approximative de la mort de Teresa Liszak-Shanahan. En effet, un individu avait tenté en vain de prélever 400 dollars sur le compte que la victime possédait à la Banque Scotia à Laval, le 19 novembre à 9 heures 45. Visiblement, il avait entré un code erroné et l'opération avait été refusée. Moins de deux minutes plus tard, il avait effectué deux retraits successifs de 500 dollars à la Banque de Montréal, ce qui correspondait au débit maximum journalier de la carte. Le meurtrier avait réédité ces opérations dès le lendemain en retirant une somme de mille dollars. Les enquêteurs comprirent donc que Teresa Liszak-Shanahan avait été assassinée vers 9 heures du matin puisque le tueur avait dû s'empresser d'essayer les cartes bancaires. Plusieurs témoignages venaient d'ailleurs accréditer cette thèse.

En effet, la nouvelle de la découverte du corps s'était répandue comme une traînée de poudre, et plusieurs personnes vinrent spontanément au-devant des enquêteurs pour leur rapporter certains faits inquiétants. Ainsi, une femme de 40 ans, habitant le même immeuble, avait ouvert sa porte à un homme coiffé d'une casque de chantier qui lui avait demandé si elle n'avait pas des problèmes d'eau chaude. La femme avait demandé à son conjoint d'aller vérifier et, comme tout était normal, l'ouvrier s'était retiré en s'excusant. Pourtant, il était revenu un peu plus tard. Constatant que la femme n'était toujours pas seule, il s'était excusé en prétextant que les portes se ressemblaient toutes. « Pourtant, on est la seule porte bleue, les autres sont brunes », précisa la témoin. Elle avait alors prévenu le concierge, car l'individu lui semblait louche. Il n'avait pas une tenue de plombier, aucun outil, et son casque semblait neuf. De plus, aucun travail de plomberie n'avait été entrepris dans l'immeuble. Deux autres témoins, un homme et une femme, avaient contacté le concierge vers 8 heures 30 pour signaler la présence d'un individu suspect qui rôdait dans l'immeuble, un type bizarre affecté d'un bégaiement. Le concierge avait effectué une ronde qui n'avait rien donné.

 

Teresa Liszack-Shanahan (+ 22-11-99) et Mary Glen (+ 15-12-99) (© Le Journal de Montréal). 
 
Ainsi, les policiers étaient en mesure de reconstituer le scénario tragique qui avait mené à la mort de Teresa Liszak-Shanahan. Le tueur avait réussi à entrer en se faisant passer pour un plombier et avait maîtrisé sa victime. Il l'avait alors consciencieusement torturée pour lui faire avouer les codes de ses cartes bancaires avant de l'achever. En revanche, l'examen minutieux de l'appartement ne permit de retrouver ni trace, ni empreinte. L'assassinat de Mary Glen à Baie-d'Urfé, le 15 décembre, devait en revanche fournir davantage d'indices.

Massacrée à coups de couteau alors qu'elle se trouvait dans la cuisine, Mary Glen s'était pratiquement vidée de son sang dans lequel l'agresseur avait piétiné alors qu'il s'affairait autour du corps. Alors que le cadavre avait été retrouvé au rez-de-chaussée, on découvrit des traces de sang au premier étage, ce qui indiquait que le tueur avait fouillé la maison. Sur le montant de porte de la cuisine, les techniciens en scène de crime découvrirent 4 empreintes digitales et une empreinte palmaire qu'ils identifièrent comme étant celles de l'assassin présumé. Injecté dans le système AFIS (Système Automatisé d'Identification des Empreintes Digitales), les empreintes furent rapidement scannées et comparées aux empreintes de tous les individus appréhendés par toutes les polices du Canada. Parmi les candidats, un seul présentait les quinze points de similitude indispensables pour une identification formelle. Il se nommait William Patrick Fyfe et résidait à Innisfil près de Barrie en Ontario. Il conduisait un pick-up Ford Ranger immatriculé TLC 318 qui allait faire l'objet d'une surveillance discrète mais permanente. Dès cet instant, la police n'allait plus lâcher d'une semelle ce petit voyou sans avenir qui avait sauté le pas de la grande criminalité.

 

 

Petits boulots et petits délits

 

Fils de William Edward Fyfe, 27 ans, et de Verna Middleton, à peine 19, William Patrick est né le 27 février 1955 à Toronto. Ballotté au gré des crises du couple, de Toronto à Victoria, au large de Vancouver, l'enfant va connaître une jeunesse difficile, coincé entre une mère trop jeune et un père violent condamné une vingtaine de fois pour de petits délits. Prise en étau entre les menaces de son mari et sa peur de la police, Verna Middleton décide de confier son enfant à sa sœur Frances et son mari qui vivent à Montréal. Le garçon continue de voir ses parents régulièrement, mais refuse de retourner vivre chez sa mère. Il craint son père qui se montre brutal avec lui. William Patrick va suivre une scolarité difficile en milieu anglophone, mais il démontre très tôt de très bonnes aptitudes pour le sport, en particulier le hockey, le volley et le badminton. Bien classé au hockey, il jouera même dans  l'équipe de "Flanders 63" où il rencontrera Allan Scattolon.

La personnalité de William Patrick Fyfe ne fait pas l'unanimité parmi ses camarades. C'est un "coucou", un mauvais garçon qui fait le fou, un amuseur public qui cherche les problèmes. Au cours de son adolescence, alors qu'il suit les cours de la Montreal High School, il urine dans le bus scolaire et montre ses fesses. Le chauffeur devra même faire appel à la police pour le calmer. Il fait le spectacle mais n'a pas de véritable ami. En effet, être l'ami de "Bill" revient à s'attirer beaucoup d'ennuis car ce n'est pas quelqu'un de fiable. Son assurance, qui lui vaut du succès auprès des filles, n'est qu'une apparence : fort devant les faibles qu'il agresse volontiers, il se révèle beaucoup plus couard devant ceux qui lui tiennent tête. Il aime les coups tordus, mais il redoute les confrontations directes.

Dès l'âge de 18 ans, William Fyfe est reconnu coupable de vol. Libéré sous condition, il ne respecte pas sa période de probation de deux ans  et le jour de son vingt et unième anniversaire, il est à nouveau condamné pour vol. Employé dans une entreprise de plomberie dirigée par un homme qui l'a pris en amitié du temps où il pratiquait le hockey, il semble s'assagir. Jouissant de la confiance du patron, c'est un employé sérieux qu'on hésite pas à envoyer chez des clients. Ses collègues le prennent pour un bon gars. Seule, la femme du patron l'évite car ses yeux lui font peur : « Des yeux de mort, expliquera-t-elle plus tard. Ses yeux me donnait l'impression qu'il pourrait faire du mal sans en être conscient ». En réalité, Fyfe n'a pas stoppé sa carrière criminelle.

Spécialisé dans les vols avec effraction, une qualification qui devait lui servir plus tard, il est condamné alors même qu'il est sous le coup d'une probation, et les peines, d'abord insignifiantes, augmentent rapidement. En 1978, il est forcé de suivre une cure de désintoxication, car s'il ne boit pas, il consomme régulièrement de la drogue. Malgré une évaluation positive, Fyfe replonge et il profite des autorisations de sortie au cours de sa cure pour commettre de nouveaux vols qui lui vaudront 10 puis 12 mois de prison.

La relation de William Fyfe avec les femmes est également difficile. D'abord charmant et plein de bonne volonté, il se montre rapidement sous son vrai visage, et ses conquêtes se lassent vite du prince pas trop charmant. Egoïste et goinfre, il se montre avare pour son couple, mais peu dépenser des sommes faramineuses pour des choses inutiles ou de la nourriture. Pourtant, sa relation avec la gent féminine n'est pas difficile, du moins tant qu'il n'est pas en concurrence avec une femme. Il épouse ainsi Sandra à Montréal le 27 décembre 1983. Fyfe a 28 ans, sa femme 20. Un enfant naît sept mois plus tard, mais il connaîtra peu son père : un an après la naissance, le couple divorce. Dans tous les cas, ce seront ses compagnes qui prendront l'initiative de la rupture, une situation qui va certainement conditionner les actes futurs de Fyfe. Installé à Saint Hyppolyte dans les Laurentides, "Bill l'Anglais" s'y fait de nombreuses connaissances, pourtant, il a la réputation d'être un homme difficile à cerner : d'un abord agréable, il peut changer brusquement d'humeur et devenir très nerveux. Il s'absente soudainement, sans explication ou pique des colères mémorables Avec le recul, on peut se demander comment il occupait ce temps libre et ce dont il était capable alors… Ainsi, William Fyfe revient un jour blessé à la cuisse et soutient à sa compagne du moment que c'est un accident, mais celle-ci est inquiète, d'autant plus que Fyfe est en possession de chèques-cadeaux du magasin Eaton et qu'il est pressé de partir en week-end. Plusieurs de ses relations féminines seront étonnées par son comportement étrange. Elles reçoivent ainsi des présents d'occasion, souvent des bijoux, dont elles ignorent la provenance. Alors même que Fyfe ne participe guère à la tenue du ménage, il insiste pour faire sa lessive lui-même. Passionné par les fims ultra-violents, il visionne seul et des dizaines de fois le film "8mm" qui traite du problème des "snuff movies", ces films pornographiques où des femmes sont réellement assassinées et filmées alors qu'elles sont violées ou agonisent. Au moment, ses petites amies considèrent qu'il s'agit de simples manies de vieux garçon.

Brouillé avec son patron, William Fyfe va s'installer à son compte. Il prend en charge des travaux d'extérieur chez les particuliers et va devenir l'homme à tout faire du village. De 1990 à 1999, William Fyfe est employé par la municipalité de Saint-Hyppolythe pour laquelle il élague et défriche. On lui devra ainsi plusieurs pistes de ski de fond dans les Laurentides. Apprécié par le maire, Yves Saint-Onge, et par les policiers du cru qu'il fréquente assidûment, il est impliqué dans le bénévolat, surtout auprès des jeunes.

A la suite d'une rupture avec une certaine Lucie, Fyfe retourne à Innisfil, en Ontario. Il demande à sa mère de l'héberger, ce qui ne manque pas d'étonner Verna Middleton qui n'a pas revu son fils depuis 1984. Il tient à s'installer dans la maison qu'elle occupe depuis 23 ans, à 88 kilomètres de Toronto. Le 7 septembre 1999, il emménage dans une petite chambre à coucher inoccupée au second étage de la demeure. William va également débuter une relation avec Lois qui travaille dans un service de comptabilité et vit avec sa fille. Il accepte assez mal l'indépendance de cette femme qu'il courtise, et comme toujours, il se montre prévenant, voire insistant.

Curieusement, William Fyfe va effectuer plusieurs voyages à Montréal au cours de l'automne 1999 et n'hésitera pas à faire quelque 150 kilomètres depuis Innisfil pour se procurer des journaux québécois. Sa mère, son amie, s'étonneront de ce manège, mais aucune ne reliera ces voyages à l'assassinat de quatre femmes. Pourtant, le 19 novembre 1999, alors de Terasa Liszak-Shanahan venait de mourir, William Fyfe tenta de joindre Lois à plusieurs reprises. Le lendemain, il l'invita à souper à grands frais et lui offrit un peu plus tard une bague de valeur qu'elle refusa. Lorsqu'elle lui demanda d'où elle provenait, il prétendit avoir récemment récupéré une importante somme qui lui était due. Nul ne s'inquiéta alors du fait que cet homme sans revenus réguliers (il était alors au chômage) faisait de ces journées, et de ses nuits.

 

 

Des indices les plus infimes

 

A partir du 17 décembre 1999, William Fyfe est surveillé en permanence par la police qui l'a identifié grâce à ses empreintes digitales. Parallèlement, les enquêteurs commencent à se renseigner sur les habitudes du suspect et reconstituent son histoire personnelle : qui est-il ? Où a-t-il travaillé ? Qui a-t-il fréquenté ? Ils contactent notamment ses différentes compagnes, celles qui pourraient leur fournir des indices, des renseignements susceptibles de le  confondre. Toutes reconnaissent William Fyfe sur la photo prise au guichet automatique de la Banque de Montréal à Senneville, le soir même de la mort d'Anna Yarnold. Lorsque Fyfe franchit les limites du Québec pour retourner à Barrie, les policiers du SPCUM donnent le relais à leurs collègues de l'OPP, la Police Provinciale de l'Ontario. Au matin du 21 décembre, ceux-ci vont bénéficier d'une chance incroyable.

Ce jour-là, à 9 heures 10, William Fyfe quitte le domicile de sa mère pour se rendre à Toronto. Après une visite au siège de l'Assurance-Emploi, il se rend au centre-ville où il achète des journaux puis repart pour Barrie. Après un arrêt dans une laverie automatique où il nettoie et sèche son linge, il se rend à Trinity Church, un dépôt de vêtements et de meubles usagés à l'intention des plus démunis. Il y abandonne trois paires de baskets en bon état. L'agent Richard Bell, qui mène la filature, va récupérer les chaussures. L'une d'entre elles possède une semelle dont la sculpture correspond trait pour trait à la trace relevée chez Monique Gaudreau.

Déjà munis de mandats d'arrestation et de perquisition, les policiers vont attendre le 22 décembre pour agir. Un policier en civil suit William Fyfe jusque dans la librairie Leitman's Book Store à Toronto et l'entend demander qu'on lui mette de côté un exemplaire de "The Gazette" et du "Journal de Montréal" pour le surlendemain. Bien sûr, les enquêteurs se demandent s'il n'est pas en train de préméditer un nouveau meurtre et décident de lancer l'opération. Sur l'autoroute 400 entre Toronto et Barrie, William Fyfe fait un arrêt au restaurant Husky Truck Stop. Pour plus de sûreté, ils attendent que le tueur sorte de l'établissement. Contrairement à l'idée monstrueuse que l'on peut se faire du tueur en série, c'est un homme de taille moyenne à la carrure peu impressionnante, mais les policiers ont appris à ne pas juger les gens sur la mine. C'est le sergent-détective Yves Beaulieu qui l'aborde en français pour mieux le déstabiliser : « Bill, c'est la police de Montréal, tu es en état d'arrestation ! ». Pour éviter tout problème ultérieur, il lui lit ses droits en anglais. Ce à quoi Fyfe répondra : « Tu ferais aussi bien de me tuer ».

 La Ford Ranger de William Patrick Fyfe au moment de son arrestation au Husky Truck Stop à Barrie, Ontario (© Ontario Provincial Police).   


Dans l'après-midi, la police investit la maison de Verna Middleton. C'est une bâtisse plus ou moins insalubre envahie par les chiens et les chats. La fouille de la chambre de William Fyfe fournira de nombreuses preuves : trois bagues de valeur retrouvées dans un tiroir et une dent provenant d'un cabinet dentaire et appartenant au prévenu, un élément de grande valeur puisqu'on peut aisément en extraire l'ADN (on ne peut normalement pas faire de prélèvements biologiques sans l'accord du suspect). Les vêtements saisis vont aussi livrer leurs petits secrets : ainsi, malgré des lavages répétés, l'intérieur des coutures des jeans de Fyfe contiennent de minuscules taches de sang dont on peut extraire et amplifier l'ADN pour analyse. De même, deux des trois paires de baskets récupérées présentent de minuscules traces de sang révélées par le luminol, un produit très sensible réagissant en présence du fer contenu dans l'hémoglobine. Tous ces indices analysés permettent de relier formellement les ADN : William Patrick Fyfe a tué, sans doute possible, Anna Yarnold et Monique Gaudreau. Pour couronner le tout, l'ADN contenu dans les gouttes des sang retrouvées sur la balcon et le parquet de la demeure de Monique Gaudreau est également identique à celui de William Fyfe. De même, quelques cellules humaines sont retrouvées à l'intérieur d'une des bagues découvertes dans la chambre de Fyfe. La technique d'amplification et d'analyse de l'ADN permettra même de l'identifier comme ayant été portée par Teresa Liszack Shanahan. Mais la preuve décisive est à venir.

Les policiers ont ressorti les plaques sur lesquelles ont été fixés les prélèvements effectués au cours de l'autopsie d'Hazel Scattolon en 1981. Grâce à l'habileté des scientifiques et au potentiel énorme des analyses d'ADN, plusieurs marqueurs appartenant à la fois à la victime et à William Fyfe vont être mis en évidence, prouvant ainsi que celle-ci avait bien été violée et tuée 19 ans plus tôt par celui qui allait devenir l'un des pires tueurs en série canadiens.

Quelle que soit son habileté à mentir et à manipuler, Fyfe ne pourra rien opposer ontre des preuves aussi accablantes. Il ne cherchera d'ailleurs pas longtemps à nier. Depuis son arrestation, il sait qu'il est perdu : « J'ai vu la peur dans ses yeux », a déclaré le sergent-détective Yves Beaulieu. Sans doute les yeux de Fyfe ont-ils un peu reflété de cette peur qu'ils avaient vue si souvent chez ses propres victimes.

 

 

Marchandages et avantages

 

 D'une psychologie fragile et instable, William Fyfe va changer d'avocat à deux reprises au cours de sa détention préventive, et fixe désormais son choix sur Maître Marc Labelle qui répond à ses exigences car Fyfe accapare son défenseur à la limite du harcèlement. L'enquête préliminaire, qui voit défiler une cohorte de témoins à charge, s'ouvre le 6 novembre 2000 à Montréal sous la présidence de la juge Suzanne Coupal, et se tient en anglais. Les arguments des accusateurs — 78 pièces à conviction et une quinzaine de rapports d'analyse sanguine –  pèsent bien lourd face aux quelques témoins présentés par la défense qui donnent plutôt l'impression d'avoir été floués par un tueur manipulateur se donnant des apparence d'honnête citoyen. Le comportement ambigu de la propre mère de Fyfe est pour le moins édifiant. Ainsi, Verna Middleton répondra sans ambages aux questions du procureur Lecours alors même qu'elle se montre acide lorsque Maître Labelle procède au contre-interrogatoire, prenant faits et cause contre son fils. La juge Coupal est aisément convaincue qu'il y a suffisamment de preuves pour la tenue d'un procès et retient les cinq chefs d'accusation pour meurtres au premier degré (c'est à dire prémédités), Janet Kuchinsky étant toujours une victime supposée de Fyfe bien qu'on ait pas de preuve tangible la concernant. On s'achemine donc vers la tenue de deux procès distinct, l'un pour les meurtres perpétrés en 1999, et l'autre pour la mort d'Hazel Scattolon.

L'avocat de Fyfe tente alors de dissocier les différentes accusations et demande la tenue de cinq procès distincts. La manœuvre est un peu grossière puisque dans ce cas, les débats ne pourraient faire référence aux autres affaires, atténuant ainsi le caractère monstrueux du parcours criminel multirécidiviste de l'accusé. Devant le refus d'une telle dissociation des accusations, Maître Marc Labelle va alors proposer un plaidoyer de culpabilité de meurtre au second degré (volontaire mais sans préméditation) afin d'éviter la tenue d'un procès coûteux et destructeur pour les familles des victimes. En effet, au Canada, le juge peut prononcer directement la sentence si l'accusé plaide coupable. Ainsi, William Fyfe échapperait à une peine de prison à vie, mais Maître Lecours, l'avocat de la Couronne ne l'entend pas de cette oreille puisqu'il dispose de preuves indiscutables. Maître Labelle va alors tenter une autre stratégie.

Incarcéré à la prison de Rivière-des-Prairies, William Fyfe craint les autres détenus qui ne cachent pas leur animosité à son égard, puisque les tueurs psychopathes sont très mal perçus par l'ensemble des prisonniers. Cette peur des autres va même jouer un rôle déterminant dans la suite de l'enquête. De plus, il se sent perdu dans ce milieu purement francophone. Enfermé 23 heures sur 24, isolé des autres détenus pour sa propre sécurité, William Fyfe cède au désespoir et tente par deux reprises de se pendre. Ainsi, l'avocat va proposer un accord à l'accusation : en échange d'un plaidoyer de culpabilité pour meurtre au premier degré, William Fyfe sera incarcéré dans un pénitencier loin du Québec. Contre toute attente, Maître Lecours refuse la proposition, sans doute parce qu'il a une autre idée derrière la tête…

Le procès pour les meurtres d'Anna Yarnold, Monique Gaudreau, Teresa Liszak-Shanahan et Mary Glen est sans cesse repoussé jusqu'au mois d'octobre 2001, ce dont personne ne se formalise. L'information est alors monopolisée par les suites des attentats à New York et Washington et de plus, les médias ne peuvent, de par la loi, diffuser des détails relatifs à l'enquête ou à la procédure judiciaire en cours. Pourtant, à la surprise générale, William Fyfe décide finalement de plaider coupable pour éviter ce procès qu'il redoute tant puisqu'il a compris qu'il n'a aucune chance de le gagner. Un procès à Montréal signifierait qu'il devrait demeurer à Rivière-des-Prairies où les autres détenus lui menaient la vie dure. Le verdict tombe, sans surprise : prison à perpétuité. Au mieux, lorsqu'il sortira, William Fyfe aura presque 71 ans. Parallèlement, Maître Labelle tente de négocier avec les services correctionnels pour faire affecter son client dans une unité psychiatrique de la Saskatchewan. Cette fois-ci, sa demande sera acceptée. Mais avant le départ de Fyfe, la police va tenter un jeu subtil de séduction et de menaces.

Le sergent-détective Yves Beaulieu de la police de Montréal (celui-là même qui a interpellé Fyfe) va aller rendre visite au tueur en compagnie du détective Lino Maurizio de la Sûreté du Québec. Habitué à un Beaulieu plutôt compréhensif, le tueur a mal évalué Maurizio qui ne s'en laisse pas compter. Même si les différences de comportement des deux enquêteurs les séparent et vont provoquer une crise entre les deux corps de police, elles ont un effet positif sur le comportement de William Fyfe qui se rapproche de Beaulieu. Dans l'après 11 septembre, l'avion de la Gendarmerie Royale pour le transfert des prisonniers n'est pas disponible et le serial killer tarde à être envoyé à Prince-Albert. Beaulieu le fait donc transférer aussi souvent que possible dans le centre d'enquêtes Nord de Montréal où Fyfe va disposer d'une cellule confortable, au grand dam des policiers de la SQ. Il va tellement prendre goût à ce relatif confort que la simple perspective de le perdre ravive sa mémoire. Questionné par les policiers à propos d'autres meurtres, il en avoue deux puis encore deux autres après une intervention musclée de Maurizio qui fait vider sa cellule. Comprenant qu'il ne sera pas maître de la situation, Fyfe n'a eu d'autre alternative que de tout avouer. Tout au plus a-t-il réussi à extorquer aux policiers la promesse que les meurtres supplémentaires ne seront pas annoncés avant son départ pour la Saskatchewan. Mais a-t-il raconté tout ce qu'il avait à dire ?

 

 

Les victimes oubliées de William Fyfe

 

Sous la pression de la police et afin de préserver ses privilèges en détention, William Fyfe avoua quatre autres meurtres : Suzanne Marie Bernier (+ 17-10-79, non représentée), Nicole Raymond (+ 14-11-79), Louise Poupart-Blanc (+ 26-09-87), Pauline Laplante (+ 09-06-89) (© le journal de Montreal, Marc Pigeon, Allô-Police).

Dans son livre, "William Fyfe, tueur en série ; autopsie d'une enquête policière", Marc Pigeon décrit en détail les subterfuges déployés par Beaulieu pour faire parler le serial killer. Curieusement, ce sera en utilisant des arguments très terre-à-terre qu'il y parviendra, alternant promesses de menus avantages et menaces d'un retour à la prison de Rivière-des-Prairies. Bien que le SPCUM démente officiellement que Fyfe ait bénéficié d'une régime de faveur, les enquêteurs de la SQ tels que Maurizio critiquent ouvertement cette stratégie qui offre à un tueur en série un "condo de luxe" en guise de cellule. Pourtant, la stratégie va payer, et William Fyfe va raconter quatre nouveaux meurtres, dans les détails. « Quand il raconte ses crimes, c'est comme s'il les vivait à nouveau. Il raconte tout ça froidement comme s'il décrivait un film. Il se souvient de tout : un banc de neige, un objet sur le balcon, la porte par laquelle il est entré, etc… » rapporte un policier. Curieusement, Fyfe ne donne aucun détail sur les sévices sexuels qu'il a fait subir à ses victimes.

La première d'entre elles fut une certaine Suzanne-Marie Bernier, une secrétaire de 62 ans qui habitait à Montréal, retrouvée chez elle violée et égorgée le 17 octobre 1979. De l'aveu même de Fyfe, il avait aperçu la pauvre femme à sa fenêtre alors qu'il attendait l'autobus et avait soudain éprouvé le violent désir de la tuer. Le plus ironique, sans doute, est qu'à l'époque des faits, William Fyfe était en détention et avait bénéficié d'une permission de sortie d'une journée. Un mois plus tard, c'était le tour de Nicole Raymond, une habitante de Pointe-Claire au sud de Montréal, elle aussi violée et poignardée. Elle devait être la plus jeune victime du tueur qui semblait préférer les femmes mûres. Dans les deux cas, William Fyfe avait utilisé un subterfuge pour s'introduire dans l'immeuble puis dans l'appartement des victimes puisqu'il n'y avait aucun signe d'effraction. Il avait ainsi mis au point un modus operandi pour des meurtres qu'il allait commettre 20 ans plus tard. Si on le croit sur parole, Fyfe semble s'être calmé pendant 8 ans, jusqu'en 1987, année où il tua de nouveau. Seule et isolée dans sa maison des Laurentides, région où le tueur demeurait alors, Louise Poupart-Blanc fut retrouvée "nue et  charcutée" par une amie que sa fille avait appelée car elle s'inquiétait de ne pas avoir de nouvelles de sa mère. Attachée avec des fils électriques, elle avait été bâillonnée et frappée de dix-sept coups de couteaux qui avaient provoqué une hémorragie massive. Au cours des semaines précédentes, trois agressions sexuelles avaient eu lieu dans le secteur de Sainte-Adèle où habitait Louise Pourpart-Blanc, et à l'annonce de sa mort, la population paniqua en imaginant qu'un sadique rôdait dans la région. Deux ans plus tard, le corps de Pauline Laplante fut retrouvé à l'identique de Louise Poupart-Blanc, ligoté, violé et transpercé de trente-sept coups de couteaux. Là encore, sa carte de débit manquait, et un retrait avait eu lieu peu de temps après l'heure supposée du crime. Il n'avait malheureusement pas été possible d'identifier le fraudeur, soit parce que l'image de la vidéo surveillance n'était pas claire, soit parce qu'elle n'existait pas. Bien entendu, la police avait relié ces deux derniers meurtres dont les modes opératoires étaient si semblables, mais devant les indices difficilement exploitables et l'absence de nouveau crime, les affaires avaient été classées.
 

Portrait robot de l'assassin de Pauline Laplante diffusé par la Sûreté du Québec en 1989 et portrait de William Fyfe en 1985 (© Sûreté du Québec, Marc Pigeon).

La
Sûreté du Québec prétendait que si on l'avait laissé moisir dans la prison de Rivière-des-Prairies, William Fyfe aurait sans doute avoué d'autres meurtres. En effet, comment justifier ces longues périodes d'accalmies, même si cela pouvait s'expliquer par le fait que la vie en couple masquait ses pulsions et qu'au contraire, les ruptures sentimentales les avivaient ? Peut-être Fyfe avait-il tué d'avantage… En revanche, il nia farouchement toute implication dans la mort de Janet Kuchinsky retrouvée assassinée à Pierrefonds en bordure d'une piste cyclable. Avec le recul, on est tenté de le croire puisque la victime et les circonstances sont bien différents de ce que le tueur recherchait. Il est en revanche fort probable que William Fyfe est impliqué dans la série de viol qui défraya la chronique sur une période de 18 mois en 1984 et 1985 dans la région de Montréal. Connu sous le sobriquet de "Plombier du poste 25", allusion faite au numéro du poste de police qui contrôlait le secteur où avaient lieu les viols, le maniaque aurait fait une cinquantaine de victimes. Bien entendu, les enquêteurs comparèrent des photos de William Fyfe prises au milieu des années 80 avec le portrait robot du violeur : « C'est comme si on mettait deux exemplaires de la même photographie un à côté de l'autre » devait déclarer un policier impliqué dans l'enquête. Pourtant, la police renonça à relancer l'enquête pour différentes raisons : humaines d'abord (pourquoi raviver la douleur des victimes 17 ans après les faits ?), financières (les analyses ADN coûtent très cher), mais surtout parce que la preuve de sa culpabilité n'aurait pas valu à William Fyfe une peine plus sévère. Prouver son implication dans d'autres meurtres n'alourdira pas non plus sa peine pas plus qu'elle n'allègera le désarroi des familles de victimes. Reste peut-être à comprendre les motivations de Fyfe maintenant que nous connaissons presque tout de son
modus operandi. Il est clair que les raisons de ses actes ne sont pas seulement crapuleuses. Le vol des cartes de crédit n'est qu'un "à côté", une justification pour torturer et tuer. Il est évident que si William Fyfe avait eu à ce point besoin d'argent, il aurait eu recours au vol par effraction — ce qu'il savait faire — plutôt qu'à l'agression. En cela, il est un authentique serial killer, dépourvu d'humanité et de remords.

Sa manière d'agir est assez proche de celle de Serge Archambault, un tueur en série québécois qui opéra de 1989 à 1992 dans la même région que Fyfe. Bon père de famille et citoyen au-dessus de tout soupçon, ce tueur surnommé le "Boucher de Saint-Eustache" assassina trois femmes. Par un curieux signe du destin, Archambault fut également confondu par la science qui contribua pour une large part à son identification. Comme lui, Fyfe est un type plutôt banal qui cache, derrière une façade de médiocrité, un monstrueux cœur de pierre.

[Carte]

Bibliographie :

• Marc Pigeon, William Fyfe, tueur en série / Autopsie d'une enquête policière, Lanctôt, 2003.


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© Christophe Dugave 2008 
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Published by Christophe Dugave - dans première partie
12 mai 2009 2 12 /05 /mai /2009 15:22

Michael McGray : Le pacte de sang

 

 

                                      Joan Hicks, 49 ans fut égorgée par Michael McGray. Sa fille, Nina, 11 ans, fut retrouvée pendue dans la maison qu'elle occupait avec sa mère. Suicide ou assassinat ? Le mystère de sa mort ne fut jamais élucidé (© Radio-Canada).

 

Au cours du printemps de 1998, la police de Moncton (Nouveau-Bruncwick) découvre les corps sans vie de Joan Hicks, 49 ans, une femme originaire de Musgrave Harbour à Terre-Neuve, et de sa fille Nina âgée de 11 ans. La femme a été brutalement agressée tard dans la soirée. La partie supérieure de son corps présente plusieurs blessures à l'arme blanche et sa gorge a été tranchée, un modus operandi qui suggère un certaine détermination puisqu'il oblige le tueur à approcher et à maîtriser sa victime. La jeune Nina en revanche ne semble pas avoir été violentée mais a été retrouvée pendue. Crime de rôdeur ? Cambriolage qui aurait mal tourné ? Joan Hicks venait d'épouser un détenu de la prison de Dorchester moins d'un mois auparavant, un homme condamné à 10 ans de prison pour homicide. L'absence d'effraction suggère que les victimes connaissaient leur assaillant. La police soupçonne donc un règlement de compte, un acte perpétré par un autre détenu récemment libéré ou quelqu'un qui fréquenterait les milieux interlopes. Le jour de la découverte des corps, un témoin prétend avoir vu un homme rôder dans les alentours, et il en fait une description suffisamment précise pour que la police décide d'arrêter un vagabond du nom de Michael Wayne McGray qui possède déjà un casier judiciaire.

Lors de son interrogatoire, les enquêteurs iront de surprise en surprise, découvrant tout d'abord qu'il a tué une jeune autostoppeuse et trois hommes au Nouveau-Brunswick et au Québec. Pour des raisons techniques, McGray ne sera pas inculpé du meurtre de Nina Hicks. Le suspect va alors avouer un terrifiant parcours criminel, des provinces Atlantiques jusqu'à la côte Pacifique, une route sanglante parsemée de cadavres. A ses dires, il aurait assassiné seize personnes au Canada et aux Etats-Unis sur une période de 13 ans, un tableau de chasse qui ferait de lui l'un des plus grands tueurs en série Canadiens. Encore fortement marquées par le scandale de l'affaire Olson et les ratés du procès Homolka, la police et la justice canadiennes vont se trouver confrontées à un dilemme : rester intraitable avec le tueur ou bien se risquer à conclure un accord avec lui pour connaître la vérité, au mépris de la morale.


 

Sur la route du crime

 

Le 21 mars 2000, Michael Wayne McGray, un tueur multirécidiviste arrêté 2 ans plus tôt, est transféré du pénitencier fédéral de Renous vers la ville de Moncton au Nouveau-Brunswick. Il doit y répondre du meurtre d'Elisabeth Gail Tucker, une jeune autostoppeuse de 17 ans, assassinée près de Grosses Coques, dans le comté de Digby en Nouvelle-Ecosse en 1985, alors qu'elle allait prendre son poste dans une conserverie. Au cours du transport, il va commencer à se confier à l'un des officiers de police qui l'escortent, et ce qu'il va lui raconter défie l'imagination. McGray, un homme massif à la pilosité fournie et au regard inquiétant, avoue posément avoir assassiné onze personnes à Saint John et Halifax (Nouveau-Brunswick), Montréal (Québec), Ottawa et Toronto (Ontario), Calgary (Alberta) et enfin Vancouver (Colombie-Britannique). Il semble même que l'homme ait tué une prostituée et un homosexuel à Seattle une ville de l'Etat américain de Washington, située non loin de la frontière canadienne. Le prisonnier, déjà condamné et emprisonné pour quatre meurtres perpétrés dans l'Est du Canada, serait donc l'un des tueurs en série les plus prolifiques que le Canada ait connu. Vantardise gratuite ? Mystification pour tenter d'obtenir des avantages ? L'homme est connu pour être violent et dépourvu de pitié. Son histoire est pour le moins édifiante.
 

Michael Wayne McGray : un être rustre à l'allure bestiale (© Radio-Canada).

Né en 1966 à Collingwood, Ontario, Michael Wayne McGray a connu une enfance chaotique dans la petite ville de Yarmouth (Nouvelle-Ecosse), battu par un père alcoolique et laissant lui-même éclater une violence sans limite. Pendant des années, il a fait la navette entre les centres correctionnels et l'école de garçons de Shelburne (Nouvelle-Ecosse), institutions où il prétend avoir été régulièrement violenté et abusé sexuellement. C'est un homme excessif dans ses consommations d'alcool et de diverses drogues qui font de lui un véritable fou furieux. « J'avais l'habitude de tuer des animaux et je me bagarrais tout le temps à l'école. J'étais comme un affamé (de violence) », explique-t-il.
 

Elisabeth Tucker, la probable première victime de McGray en  1985 (© CBC).

La jeune Elisabeth Tucker a sans doute été sa première victime, mais depuis, le tueur a fait du chemin. En 1987, il tue à coup de couteau Mark Daniel Gibbons, un chauffeur de Taxi de Saint-John (Nouveau-Brunswick) crime pour lequel il vient de plaider coupable.
  Il purge déjà deux peines concurrentes de prison à vie (c'est à dire en réalité 25 ans de détention sans libération sur parole) pour l'assassinat de deux homosexuels à Montréal en 1991. McGray a plaidé coupable pour ces cinq meurtres, décrivant dans le détail comment il a poignardé de manière compulsive la jeune Elisabeth en 1985 et comment il a tranché la gorge de Joan Hicks 13 ans plus tard. Dans tous les cas, il utilise le couteau, son arme favorite. En revanche, il a toujours nié avoir tué Nina Hicks qui a été retrouvée pendue, et rien ne permet de l'accuser de manière formelle. Il est en effet possible que Nina, découvrant sa mère la gorge tranchée et frappée de plusieurs coups de couteaux, ait été prise de panique et se soit suicidée. Elle sera même un instant soupçonnée d'être la meurtrière qui, prise de remords, avait mis fin à ses jours. Sans qu'il soit son assassin au sens juridique du terme, il ne fait cependant aucun doute que McGray est responsable de la mort de la jeune fille. Pourtant, les enquêteurs ne parviendront pas à impliquer le serial killer et classeront le dossier.

Michal Wayne McGray dans les années 80, à l'époque du meurtre d'Elisabeth Tucker.


A partir de la fin mars 2000, ce n'est en effet pas un homicide qui occupe les policiers mais onze meurtres dans cinq provinces différentes pour lesquels la Gendarmerie Royale du Canada va méticuleusement comparer les faits et les déclarations du tueur.

 

 

Le prix de la vérité

 

En 2000, Michael Wayne McGray, condamné pour 2 meurtres et assassin présumé d'une 3ème victime, revendiqua un tableau de chasse qui aurait fait de lui le plus grand tueur en série du Canada (© Radio-Canada).

Malgré son air obtus et redoutable, Michael Wayne McGray parle d'une voix  molle et tremblotante. Il énumère pourtant un incroyable et effrayant parcours criminel du Nouveau-Brunswick à la région de Vancouver, ne donnant cependant ni nom, ni détail précis qui permettrait de vérifier à coup sûr s'il dit la vérité. On sait qu'il a rôdé dans plusieurs provinces de l'Est canadien et qu'il a effectué au moins un court séjour dans la région de Vancouver où il prétend avoir assassiné deux femmes ainsi qu'un homosexuel et une prostituée dans l'état américain voisin de Washington. Bien entendu, il est facile de trouver des cas de femmes disparues autour des grandes villes telles que Montréal, Toronto ou Calgary, d'autant plus que les victimes de McGray font partie de communautés instables et changent parfois brutalement de résidence en coupant les ponts avec leurs anciennes relations. Lorsque les enquêteurs de la GRC exigent de lui des précisions, il demande à passer un accord avec la Couronne, tentant d'obtenir pour lui quelques avantages concernant notamment ses conditions de détention, ainsi que l'immunité pour ses "complices" et lui-même. Il réclame également un traitement psychiatrique approprié pour le "libérer de ses démons", expliquant que ces derniers sont la cause de ses pulsions meurtrières. « Je veux vraiment, vraiment arrêter. Je veux arrêter de faire du mal aux gens » déclare McGray. Il précise que dans le cas contraire, il tuera des gardes, des prisonniers ou n'importe qui d'autre pour calmer son "appétit de meurtre". En revanche, si on lui donne satisfaction, il est disposé à indiquer aux policiers où il a caché les corps. Les enquêteurs recueillent les propos de McGray avec circonspection, d'autant plus qu'ils le soupçonnent de s'être fortement inspiré du cas Clifford Olson.

Entre 1980 et 1982, Olson enleva, viola et tua onze enfants dans la région du grand Vancouver. Pris sur le fait et inculpé pour ces meurtres particulièrement horribles, il parvint à conclure un accord avec la justice, garantissant à sa famille un apport substantiel de 100 000 dollars à la condition express qu'il mène les policiers sur les lieux des sépultures improvisées, ce qu'il fit avec une étonnante précision. Si la découverte des restes de ses victimes permit aux familles de faire leur deuil, elle souleva aussi une tempête médiatique qui secoua les instances judiciaires et politiques bien au-delà de la province. Encore échaudées par ce "pacte avec le Diable", les autorités étaient donc fort méfiantes vis-à-vis des allégations de McGray, et très réticentes à lui accorder une quelconque indulgence, d'autant plus qu'Olson avait également proposé de révéler de nouveaux meurtres qu'il n'avait probablement jamais commis. En l'an 2000, l'affaire Homolka était encore dans toutes les mémoires, et l'arrangement honteux qui avait permis à la femme de Paul Bernardo d'échapper à la prison à vie avait fortement secoué l'opinion publique et rendait les autorités frileuses.

McGray prétendait en particulier avoir tué une prostituée et un homosexuel à Seattle mais sans préciser véritablement les dates. Son séjour en Colombie-Britannique où il assurait avoir tué deux autres personnes semblait dater de 1995-1996, mais d'après la constable Anne Drennan chargée des relations entre la police de Vancouver et les médias, rien dans les dates ou les détails fournis par McGray ne permettait de le relier de manière précise à un meurtre. Il en fut de même pour les homosexuels assassinés à Montréal ainsi qu'un alcoolique de 50 ans dont Michael McGray disait avoir enfoui le corps dans un parc de la zone Est de Toronto.

Conseillé par son avocat, Wendell Maxwell, McGray donna plusieurs interviews depuis sa cellule, mettant à profit le sensationnalisme de ses déclarations et tentant de jouer sur le côté affectif de la découverte des corps. « C'est certainement quelque chose que nous vérifierons » assura la détective-constable Lori Shenher qui menait l'enquête sur la disparition de vingt-sept femmes aux alentours de Vancouver. McGray réclamait aussi sa part dans les quarante-neuf disparues de la Green River dans l'état de Washington, mais le shérif en charge de l'affaire estima qu'au début des années 80, McGray était encore trop jeune. Cette fois-ci, les autorités canadiennes décidèrent de ne pas céder et refusèrent le marché, à savoir des avantages échangés contre la localisation des corps. En effet, l'Homicide Squad de Vancouver de même que la Provincial Unsolved-Homicide Unit avait méticuleusement confronté les déclarations de McGray avec les divers éléments dont ils disposaient dans plusieurs affaires en cours ou classées. Tout comme leurs équivalents des provinces de l'Est canadien et la police du comté de King près de Seattle, ils étaient arrivés à la conclusion qu'aucun détail déterminant ne pouvait accréditer les dires de McGray. « Aucun accord ! » assura le sergent Wayne Noonan de la GRC d'Halifax « Une des conditions est que personne d'autre ne soit accusé. Nous ne pouvons accepter cela ! ».  L'avocat général de Colombie-Britannique émit un avis semblable, mettant un terme définitif aux tractations en vue d'un arrangement entre accusation et défense. Nombreux sont ceux qui soupçonnent McGray d'avoir voulu obtenir des conditions identiques à celles de Paul Bernardo, qui dispose d'une cellule isolée avec télévision privée et ordinateur.

Au jour d'aujourd'hui, Michael Wayne McGray continue de purger sa peine de détention à vie pour les meurtres de cinq personnes, sans véritable espoir de libération anticipée. Les renseignements le concernant sont communiqués avec une parcimonie qui reflète la peur qu'inspirent une nouvelle affaire Olson et la surmédiatisation qui entoura le procès de Karla Homolka. La justice canadienne panse ses plaies, et la moindre égratignure médiatique ne fera qu'amplifier cette tendance au confinement. 

[Carte Maritimes] [Carte Québec]

Bibliographie :


• Articles de journaux (Toronto Sun, Vancouver Sun, Canada National Post)

• Reportages (Radio-Canada, CBC News). 
 
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© Christophe Dugave 2008

 

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Published by Christophe Dugave - dans première partie
12 mai 2009 2 12 /05 /mai /2009 12:00

Karla's day

 

Les prisons ont la réputation d'être des endroits lugubres ou les cris et les insultes fusent, et où les restes d'humanités se heurtent à la froideur des sanitaires en inox et des murs de béton. La nouvelle prison de Joliette, à 70 kilomètres au nord de Montréal, est pourtant bien loin de ressembler à ce tableau pathétique, et bon nombre de sans-logis aimeraient bénéficier des conditions d'hébergement offertes aux détenus. En 2000, seulement 349 femmes étaient incarcérées dans des institutions fédérales au Canada, un chiffre extrêmement bas comparé au 12 660 hommes détenus au même moment. Une centaine d'entre elles étaient hébergées à Joliette, et Karla faisait partie des privilégiées.

Le quartier féminin de la prison de Joliette est niché dans un coin de verdure. Il est constitué d'un ensemble de petits blocs à deux niveaux entourés d'une simple cloture et, ne serait-ce l'isolement et les fenêtres de petite taille, on pourrait croire à une résidence étudiante au sein d'une université puisqu'il n'y a ni grillage ni barreaux obturant les ouvertures. L'ambiance y est détendue, et si l'emploi du temps est strict, il n'est, après tout, pas pire que ce que vivent chaque jour des millions d'actifs en dehors de l'enceinte. La seule différence est que la liberté de déplacement est restreinte, ce qui est bien le minimum pour un établissement pénitentiaire. Ici, point de combinaisons orange comme aux USA, ou d'uniformes rébarbatifs : chacune s'habille selon son propre style. La journée se partage entre programmes de réhabilitation, travaux manuels et corvées, et se termine à 17 heures par une heure de sport en extérieur ou dans un gymnase. En soirée, chacune peut gérer son temps comme elle le désire et participer éventuellement à des activités artistiques. Karla, par exemple,  entreprit de suivre des cours de psychologie criminelle et suivit aussi des cours de littérature anglaise et divers autres modules.

homolkazzprison6.jpgLes conditions de détentions de Karla Homolka au centre pénitentiaire de Joliette tenaient parfois plus du camp de vacances or mis la liberté et des horaires plus rigides. Elle fut même autorisée à adopter un chat qui s'était introduit dans l'enceinte.

Elle vécut cette existence paisible trois années durant (du 1erjuin 1997 au 7 octobre 2000) dans le bloc numéro 1, alors même que Paul Bernardo était détenu dans une cellule exiguë, surveillé par des caméras et fortement limité dans ses relations avec les autres prisonniers. A l'inverse, les détenues de Joliette disposaient d'un appareil photo et pouvaient immortaliser les évènements et les petites occasions. Karla a ainsi multiplié les clichés décrivant l'existence confortable et insouciante qu'elle menait avec ses amies, profitant de la pelouse à la belle saison, posant dans son petit studio ou sur la balançoire. Sa chambre, à la décoration personnalisée et équipée d'une télévision, était plus proche de la chambre d'une étudiante que de la cellule d'une condamnée pour complicité de meurtre. Elle eut même le droit d'adopter un petit chat qui s'était introduit dans la zone des blocs. Pourtant, dans une correspondance suivie qu'elle entretiendra plus tard avec Stephen Williams, elle donnera une toute autre description de Joliette qui ne semble correspondre ni au contenu des photos, ni au témoignage des autres détenues.

Pendant toute la durée de son séjour au centre pénitentiaire, Karla Homolka a été libre de voir qui elle voulait parmi les autres prisonnières, et son choix n'était probablement pas un hasard : ses deux meilleures amies étaient Christina Sherry, 22 ans, condamnée à 5 ans  pour viol et torture, et sa complice Tracy Gonzales, 22 ans également, qui purgeait une peine de 7 ans et 8 mois. Il faut cependant relativiser la signification de cette attirance : à son arrivée à Joliette, la prisonnière la plus célèbre du Canada concentrait l'animosité de nombreuses détenues qui avaient proféré des menaces à son encontre. La place des délinquants sexuels en prison est en effet peu enviable, et nombreuses étaient celles qui voulaient "faire la peau" à Karla. Celle-ci préféra donc se lier avec des détenues qui avaient une expérience similaire à la sienne et étaient plus à même de la comprendre. Certes, cela ne devait guère l'aider à sortir de son ghetto de violence et de dépravation. Christina et Tracy avaient en effet été convaincues d'avoir détourné et enlevé quatre adolescentes, issues des centres d'accueil, pour les offrir en pâture à leur complice James Medley, un violeur et proxénète classifié "agresseur dangereux" et condamné à 26 ans de prison en 1997. Plusieurs photos témoignent de la sympathie mutuelle des trois femmes que l'on voit ensemble en différentes occasions. On devine également la présence d'une autre détenue à l'allure plutôt sévère : Lynda Véronneau, la petite amie de Karla, qui fera parler d'elle un peu plus tard.
 

homolkazzprison5.jpgKarla Homolka fêtant un anniversaire (à gauche sur la photo en compagnie de  Christina Sherry et de Tracy Gonzales, toutes deux délinquantes sexuelles).

Il semble que Mary Smith, une pensionnaire peu appréciée, ait dérobé et vendu les photos à la presse. Quoi qu'il en soit, le commun des mortels découvrit alors qu'il était possible, pour les prisonnières de Joliette, d'organiser des fêtes pour diverses occasions et que Karla Homolka ne s'en privait pas. En 1998, elle avait organisé une petite cérémonie à l'occasion de son anniversaire. Il y avait un gâteau avec des bougies et une partie de baseball. Les convives se mirent sur leur trente et un pour l'occasion, paradant comme des mannequins en robes moulantes très sexy, prenant volontiers des poses devant l'appareil photo. De criminelle la plus célèbre du Canada, Karla Homolka semblait prétendre à une position de star du Who's who. Il n'empêche que lorsqu'ls parurent dans l'édition de "The Gazette" le 22 septembre 2000, les clichés provoquèrent un tollé général qui secoua l'opinion, de monsieur tout le monde jusqu'au ministre Canadien de la justice. Toute la presse reprit bien sûr les photos, et le Canada désolé découvrit que loin d'être recluse pour des crimes horribles, Karla Homolka vivait fort confortablement aux frais du contribuable et s'amusait avec ses amies. Ce n’était peut-être pas l’exacte vérité car Joliette pratiquait une discipline assez rigoureuse basée sur le travail et la participation qui étaient censés préparer les détenus à une réinsertion dans la vie active, mais l'image était toute autre : apparemment, la prison modèle permettait t à des délinquantes sexuelles de s'amuser comme des collégiennes en goguette. Interrogé avec insistance par les journalistes, le Solliciteur Général MacAulay finit par déclarer : « Malheureusement les gens qui se retrouvent dans ces institutions ne sont pas là parce qu'ils vont trop à la messe, mais parce qu'ils ont commis des crimes horribles… ». Une remarque qui expliquait l'association d'Homolka avec Sherry et Gonzales et montrait, du même coup, l'incapacité du système carcéral à limiter des associations potentiellement dangereuses. Sans doute était-ce une des conséquences du jeu habilement joué par Karla Homolka au cours de son procès dont elle était sortie coupable mais pas criminelle.
 

homolkazzprison7.jpgLe scandale éclata lorsque la presse publia des photos montrant Karla Homolka logée comme une étudiante et portant des petites robes sexy. 

A la lecture des nombreuses réactions indignées que soulevèrent les photos, il semble que pas grand monde n'ait reconnu l'intérêt de la réhabilitation d'Homolka. On imagine mal, sept ans après le procès, quel fut l'effet de ces clichés sur les victimes encore vivantes et les familles des disparues. "Jane Doe", violée par le couple à plusieurs reprises, avait alors de sérieux problèmes psychologiques. Les parents de Leslie Mahaffy et Kristen French revivaient un véritable cauchemar. Tim Danson, l'avocat des familles Mahaffy et French, déclara que les photos suggéraient que Karla Homolka se voilait la face une fois encore. « Elle aurait dû être dans le box des accusés aux côtés de Bernardo pour écoper d'une sentence de prison à vie comme lui. Sous tous ses aspects, je crois que Karla Homolka n'est pas prête à être réhabilitée et qu'elle représente un danger pour la sécurité publique ».

Les photos eurent en fait un double impact. Elles choquaient une partie de l'opinion tout en "glamorisant" Karla Homolka, une situation extrêmement troublante et malsaine. On la qualifiait de "diabolique", une appellation ambiguë puisque les notions de diable et d'ange (déchu) sont très proches dans notre culture. Rien ne se serait peut-être produit si Karla était apparue en tenue de travail ou en combinaison numérotée, mais elle semblait si prête à sortir réellement dans la rue que cela en faisait froid dans le dos. L'habit ne fait peut-être pas le moine mais pour Karla Homolka, la robe faisait la femme, et ce n'était pas l'image que l'opinion publique canadienne s'attendait à découvrir. Ces images allaient tout de même lui valoir bien des déboires…

 

 

Les liaisons dangereuses

 

Devant les grondements de l'opinion publique, suite à la parution des photos scandaleuses, la réaction ne se fit guère attendre et en octobre 2000, il fut décider de transférer Karla Homolka dans un centre psychiatrique à Saskatoon, Saskatchewan, afin de réaliser une évaluation psychologique en vue de sa remise en liberté future. En effet, en tout état de cause, elle était libérable après avoir accompli les deux tiers de sa peine en juillet 2001. Lorsqu'elle apprit la nouvelle, on dit que Karla parut affolée, hurlant et tapant du pied. Elle décida de faire appel de la décision car elle ne voulait pas faire de demande de libération, estimant qu'elle "n'était pas prête". En fait, le remue-ménage provoqué par les photos ramenait sur elle les feux de l'actualité et, dans les forums de discussion sur Internet, beaucoup se disaient prêts à exécuter une sentence qui n'avait pas été prononcée (la peine de mort avait été abolie au Canada en 1976).

Bien entendu, Marc Labelle, l'avocat d'Homolka, protesta contre cette décision arbitraire et précisa que Karla avait été "dévastée" à la vue des photos : « Ça donne l'impression qu'elle passe du bon temps en prison mais ce n'est pas le cas. Elle ne mange pas du gâteau en robe de soirée tous les soirs ». Ses protestations ne changèrent pas la décision prise sans aucun doute pour des motifs électoraux : le parti libéral avait alors fort à faire avec l’Alliance Candienne et se devait d’afficher une attitude intransigeante. Ainsi, alors même qu’elle était détenue dans un établissement à "sécurité moyenne" et ne pouvait, de ce fait, être contrainte à subir une évaluation psychiatrique, Karla Homolka fut envoyée à grands frais à Saskatoon. Stephen Williams suggère que l’attitude d’Homolka fut aussi pour beaucoup dans l’acharnement des autorités à son encontre : en ne demandant pas la clémence de la commission de libération anticipée, pas plus qu'elle ne l'avait fait en 1997 après avoir purgé le premier tiers de sa peine, la détenue défiait le système ! Les autorités justifièrent leur décision en prétendant qu’il leur était indispensable de savoir où Karla en était psychologiquement puisque quatre ans plus tard, elle allait être remise en liberté.

A Saskatoon, Karla refusa de coopérer avec les médecins et, bien qu'ensuite elle ait discuté avec des psychologues, elle s'opposa à une évaluation psychiatrique complète. Sans surprise, le Correctional Services Canada recommanda que Karla soit maintenue en détention

En décembre 2000, Marc Labelle annonça à la presse que sa cliente avait peur d'être assassinée car les menaces fusaient dans la prison. De plus, à partir de février 2001, plusieurs sites fleurirent sur le Web, proposant des paris pour deviner quel jour Karla serait éliminée lorsqu'elle aurait mis le pied dehors. L'un d'entre eux notamment s'intitulait "Karla Homolka Death Pool: When the Game is Over, We All Win." (le sondage sur la mort de Karla Homolka : quand le jeu est terminé, nous avons tous gagné). Ces sondages étaient d'autant plus suivis que plusieurs psychiatres estimaient que Karla Homolka était encore dangereuse. Ce n’était pas l’avis de la majorité des spécialistes. En effet, elle avait rencontré une quinzaine d’experts mais avait refusé d’autres entretiens, notamment avec le docteur Van Gijseghem. Le "rapport" de ce dernier devait pourtant compter pour beaucoup…

 A l'institut Pinel, l'hôpital psychiatrique de Montréal, le rapport des psychiatres fut accablant et, le 8 mars 2001, on refusa à Homolka une quelconque libération sur parole à la grande satisfaction des familles des victimes. « Le juge a décrit ces actes comme monstrueux et dépravés. Tous ces crimes sont extrêmement graves et le fait que vous ayez continué vos crimes après la mort de votre sœur, qui se produisit alors que vous l'abusiez sexuellement, démontre clairement votre difficulté à contrôler vos pulsions sexuelles violentes au point de mettre en danger la sécurité d'autrui. Votre modus operandi montre une grande indifférence pour les conséquences de vos actes… …Le comité est persuadé que si vous êtes relâchée, vous commettrez une agression causant la mort ou des blessures graves avant même la fin de la peine que vous purgez actuellement ».  Karla Homolka fut directement transférée à la prison de haute sécurité de Sainte-Anne-des-Plaines.

En janvier 2003, le National Parole Board décida que Karla devait achever sa peine. Il y avait plusieurs raisons à cette décision. Tout d'abord les membres du comité avaient pris acte du fait qu'elle n'avait toujours pas démarré une thérapie à propos de son comportement sexuel agressif et qu'elle ne montrait que peu d'intérêt aux autres programmes de réhabilitation. Ensuite, tous les entretiens qu'elle avait eu avec des psychologues ou des psychiatres montraient qu'elle regrettait ses actes non pas pour le mal qu'elle avait fait, mais pour les effets que cela avait eu sur sa vie. Déjà en 1999, la psychologue France Aubut soulignait que « la culpabilité et les remords s’expriment en retrait, comme un constat d’échec relié au fait d’avoir gâché sa vie », un dénominateur commun à la plupart des serial killers. Enfin, alors même qu'elle était en détention à Sainte-Anne-des-Plaines, elle avait eu une relation avec un autre prisonnier, Jean-Paul Gerbet, détenu pour violences sexuelles et meurtre. Cette nouvelle passion avait mis fin à l'histoire sentimentale qu'elle entretenait avec Lynda Veronneau qui ne purgeait qu'une peine de 2 ans pour vol et délit de fuite. En juin 2005, la presse canadienne soulignait le fait que le nouvel homme dans la vie de Karla Homolka ressemblait beaucoup au précédent.
 

27120704.jpgJean-Paul Gerbet, un meurtrier classé "agresseur dangereux" incarcéré en 1998, entretint une relation passionnelle avec Karla Homolka en prison (© Matinternet)


Jean-Paul Gerbet, un Français de Cognac âgé de 38 ans, purgeait une peine de 26 ans de prison pour le meurtre de son amie Cathy Carretta pour laquelle il était venu au Québec. Leur relation avait été tempétueuse et fortement marquée par la jalousie. Le 10 février 1998, Gerbet avait étranglé Cathy qui essayait de le quitter et ce, dans l'appartement qu'elle partageait avec son père et dont il avait fait reproduire une clé. Le bruit courrait que, lorsque Gerbet était encore en France, une de ses ex-amies de cœur du nom de Pascale, avait été retrouvée morte chez elle. Cette histoire macabre, ainsi que la planification méticuleuse du meurtre, suggéraient qu'il tenait plus du prédateur sexuel que de l'amoureux éconduit qui avait perdu la tête.

Karla et Jean-Paul avaient été surpris en train de s'embrasser dans la bibliothèque de la prison, là où ils s'étaient sans doute rencontrés la première fois en 2002. La fouille de leurs cellules avait permis de découvrir une photo de Gerbet nu que conservait Karla ainsi que des pièces de sous-vêtements qu'ils avaient échangées en les dissimulant dans des locaux où hommes et femmes accédaient à des heures différentes. L'affaire aurait prêté à sourire si elle n'avait mis en cause deux individus dangereux. D'après Chantal Meuneer, une détenue qui se trouvait dans le même secteur que Karla, celle-ci échangeait des lettres avec Gerbet, les faisant passer par les livres. « Elle voulait parler de son amour pour lui. Elle l'adorait. Elle voulait l'épouser, explique-t-elle. Quand l'administration a refusé qu'ils se rencontrent avant le mariage, elle a pleuré ». Bien évidemment, en cas de libération anticipée de Gerbet après seulement 10 ans d'emprisonnement, celui-ci aurait eu la possibilité de "convoler en justes noces" avec sa promise et, éventuellement, de quitter le Canada pour la France où Karla rêvait de s'installer.

Il existait donc tout un faisceau de présomptions qui semblaient indiquer que Karla Homolka n'avait pas rompu avec le passé et que, même si elle cherchait à le faire, elle était irrémédiablement attirée par des déviants sexuels violents. Pourtant, quoi que fasse la justice Canadienne, Karla Homolka allait être libérée entre le 30 juin et le 5 juillet 2005.

 

 

La justice et la loi

 

Après une accalmie, la tempête médiatique autour de Karla Homolka reprit en juin 2005 lorsqu'il fallut statuer sur les conditions de remise en liberté de la détenue la plus célèbre de Canada. En effet, bien qu'elle ait étudié la psychologie (elle avait même décroché son "baccalauréat", l'équivalent d'une licence) et appris le français, les experts s'accordaient sur le fait que Karla n'était pas prête à être réintégrée dans la société. Sa relation avec Jean-Paul Gerbet, les fantasmes sexuels qu'elle avait confiés à Lynda Véronneau, son ex-petite amie en prison, ainsi que son projet de demander le pardon (procédure qui aurait pu nettoyer son casier judiciaire), montraient qu'elle ne mesurait pas vraiment – ou ne voulait pas mesurer – la portée de ses actes. Enfin, détail troublant, Karla Homolka avait changé de nom, comme le lui permettait la loi, et se faisait alors appeler Karla Leanne Teale… "Teale" était également le nouveau nom de Bernardo, et tout un chacun pouvait y voir une bien curieuse manière de rompre avec le passé, sans compter la signification particulière de ce pseudonyme qui honorait le tueur en série imaginaire Martin Thiel… En fait, Karla ayant renoncé au nom de Bernardo, le Service Correctionnel Canadien lui avait demandé de choisir entre Homolka et Teale (le nom de son mari, puisqu’au début de son incarcération, elle n’était pas encore divorcée). Ainsi, elle avait préféré abandonner son nom de jeune fille pour préserver ses parents, une maladresse qui allait lui porter ombrage car elle s’affichait comme une provocation.

La presse québécoise, jusque-là plus mesurée que les autres médias canadiens, s'empara de l'affaire puisque Karla Homolka était détenue au Québec et souhaitait d'abord s'installer dans la région de Montréal à sa sortie de prison. Bien évidemment, cette situation très controversée embarrassait considérablement le gouvernement fédéral, en particulier le Solliciteur Genéral qui se trouvait coincé entre la loi et la justice. Il y avait d'un côté l'application stricte des textes qui ne laissait que peu de choix sur l'avenir d'Homolka, et de l'autre, la responsabilité morale des autorités qui ne pouvaient laisser divaguer une criminelle en puissance sans rien faire pour la mettre hors d'état de nuire. Il existe cependant au Canada une loi spéciale pour les criminels sexuels violents qui permet de restreindre leur liberté d'action même après qu'ils aient purgé la totalité de leur peine. Les autorités Québécoises et Ontariennes plaidèrent donc l'application de l'article 810.2 du code criminel pour tenter de canaliser et de surveiller Homolka.

Le jeudi 2 juin 2005, un mois avant sa sortie, Karla Homolka se présenta donc au palais de justice de Joliette devant le juge Jean R. Beaulieu. Cette fois pourtant, elle n'apparaissait pas comme une détenue en attente de libération comme cela avait été le cas sur les photos diffusées dans la presse. Amaigrie et vieillie (elle avait alors 35 ans), elle se présentait vêtue d'un tailleur beige avec de longs cheveux châtains, mais était fortement encadrée, menottée, chaînes aux pieds. Comme douze ans auparavant, Karla Homolka ne montra guère d'émotion à la lecture des faits qui avaient conduit à sa condamnation, sauf lorsque Brian Noble de la police régionale de Niagara parla de sa sœur Tammy, évocation qui lui arracha quelques larmes. Tout le reste de l'audience, Karla resta de marbre… Brian Noble insista pourtant sur les détails qui n'étaient pas connus lors de son procès en 1993 et qui avaient été dévoilés par la découverte des cassettes vidéo, mettant en évidence son rôle actif dans les viols. Le rapport psychiatrique du Dr. Major soulignait le manque d'empathie de Karla et son indifférence pour les conséquences de ses actes. Maître Sylvie Bordelais, sa nouvelle avocate, mit au contraire en exergue plusieurs rapports qui attestaient que Karla Homolka présentait le syndrome de la femme battue. Elle produisit aussi un rapport de Daniel Cournoyer, chef d'équipe de la prison de Joliette, qui précisait que Karla n'avait posé aucun problème et s'était conformée en tout point à la discipline pénitentiaire. Sa fiche disciplinaire était d'ailleurs vierge et il n'y avait pas eu la moindre plainte de détenues à son encontre. Les tests de dépistages de substances illicites dans les urines étaient également négatifs. Quant aux traitements psychiatriques, elle avait finalement suivi quatre des cinq modules de sa thérapie…

Le lendemain, l'audience se poursuivit avec la déposition du Dr. Louis Morissette, un psychiatre bien connu des tribunaux québécois puisqu'il a expertisé bon nombre de criminels. Après deux entretiens d'une durée totale de trois heures trente menés quelques semaines auparavant, il estimait que Karla Homolka ne représentait plus un danger pour la société. Selon lui, elle souffrait, à l'époque des faits, d'un complexe d'infériorité qui la rendait extrêmement influençable : elle avait donc accompli l'impensable parce qu'elle était sous la coupe de Bernardo et tentait, en lui obéissant, de préserver son amour.

Finalement, à la demande du gouvernement provincial de l'Ontario, le juge Beaulieu formula une série de restrictions qui s'appliqueraient à "Leanne Teale" dès sa sortie de prison. Elle devait en particulier fournir un échantillon d'ADN avant de quitter le pénitencier, suivre une thérapie et faire preuve de bonne conduite ainsi que se soumettre à un contrôle policier très contraignant. La Cour lui imposait également un certain nombre d'interdictions concernant ses fréquentations, notamment les enfants, ainsi que la consommation de stupéfiants. Le non-respect de ces limitations pouvait lui valoir un retour immédiat derrière les barreaux. Le jugement rassura ainsi les familles des victimes et une partie de l'opinion qui voyait en Homolka une menace permanente pour leur sécurité. Au Québec, les sentiments étaient plus mitigés que dans les provinces anglophones, mais peu soucieuse d'accueillir la criminelle, une large majorité plaidait pour le "pas dans ma cour".

 Comme on pouvait s'y attendre, Maître Sylvie Bordelais, son avocate, fit appel de cette décision qui allait à l'encontre des principes de liberté individuelle. En effet, Karla Homolka avait payé la dette qu'on lui avait fixée et peu importait que cela ait été décidé dans le cadre d'un plea bargain conclu à la va-vite. De par la loi, Leanne Teale était redevenue une citoyenne presque ordinaire. Dans un certain sens, elle avait même payé "plus cher" que de coutume puisque moins de 5 % des détenus purgent la totalité de leur peine, la proportion étant encore moins élevée lorsqu'il s'agit de femmes. Elle n'avait même pas bénéficié de liberté partielle. De plus, il était évident que ces contraintes forceraient Leanne Teale à sortir régulièrement de l'anonymat et faciliteraient les choses à ceux qui en voulaient à sa vie. Elle avait reçu de nombreuses menaces de mort alors qu'elle était à Kingston et à Saskatoon, et les choses ne se calmeraient probablement pas avec l'annonce de sa libération. Enfin, Maître Bordelais contestait l'ingérence du Premier ministre Ontarien qui avait, en quelque sorte, fait pression sur la cour.

Le public ne le savait pas encore, mais la libération de Karla Teale allait être fixée au 4 juillet 2005, date qui évitait de peu un hasard malheureux : à trois jours près, c'était aussi le jour de l'anniversaire de Leslie Mahaffy.

 

 

Face à face

 

Ce lundi 4 juillet 2005 est une belle journée d'été dans la région de Montréal malgré la chaleur moite, une de ces journées où l'on reste sous le couvert des arbres à sucer des popsicles ou à siroter une bière à l'abri des terrasses de cafés du centre-ville. Rien pourtant, ce jour-là, ne semble rebuter les centaines de journalistes qui montent la garde devant les portes de la prison de Sainte-Anne-des-Plaines. La plupart sont présents depuis quatre jours, beaucoup ayant campé sur place. En fait, ils en seront pour leur frais car aucun ne suspecte cette fourgonnette bordeaux où Karla a pris place, cachée à l'arrière sous des couvertures. Peu de gens savent alors qu'elle va se rendre directement aux studios de Radio-Canada ou la journaliste Joyce Napier l'attend pour une interview exclusive au cours de l'émission "Le Téléjournal-Le Point". Les téléspectateurs vont donc découvrir en direct la criminelle la plus célèbre du Canada, douze ans après son procès.
 

homolka_karla_file0.jpgLe 4 juillet 2005, à peine 2 heures après sa sortie de prison, Karla Homolka donna une interview en direct à Radio-Canada. Le pays découvrit un peu plus celle qui après 12 ans, envoûtait et effrayait encore mais tentait de se donner une figure honorable (© Radio-Canada). 

A l'écran, Karla Homolka-Teale semble triste et désabusée, presque pudique : « Je suis une personne très privée. Je n'aime pas parler de mes sentiments », dira-t-elle au début de l'interview avec cette voix de petite fille qui colle si mal à son personnage. Difficile de croire que c'est la même femme qui a violé sa sœur et s'est rendue complice de deux meurtres, s'exhibant longuement devant la caméra. Elle parle avec un très léger accent anglais mais sans trop d'hésitations. Visiblement, son avocate l'a bien préparée à répondre aux questions. « Je ne veux pas être traquée. Je ne veux pas que le monde pense que je suis quelqu'un de dangereux qui va faire quelque chose à leurs enfants » explique-t-elle.

Même si elle fait en partie amende honorable en admettant qu'elle a "fait des choses terribles et que c'est très rare pour une femme de faire des choses terribles comme j'ai fait", elle semble manquer de réalisme. Ainsi, quand Napier lui demande si elle pense pouvoir refaire sa vie au Québec, elle répond : « Tout est possible dans la vie ». Pourtant, Karla n'évite pas les références au passé et ne conteste pas sa responsabilité, mais elle minimise un peu facilement son rôle ; le syndrome de la femme  battue réapparaît : « J'étais dans une situation où j'étais pas capable de voir clair, où j'étais pas capable de demander de l'aide, où j'étais complètement bouleversée dans ma vie. Je regrette énormément parce que je sais maintenant que j'avais le pouvoir d'arrêter tout ça. Mais quand j'étais là-dedans, je pensais que j'avais aucun pouvoir ». Elle prétend ne pas avoir "initié les crimes", une situation fortement contestée par beaucoup de ceux qui ont visionné les cassettes. Mais lorsque la journaliste l'interroge sur ses remords, Karla Homolka ne fait aucune référence aux victimes. Comme les psychologues l'ont déjà remarqué, elle ramène tout à elle : « Souvent je pleure. Je n'arrive pas à me pardonner. Je pense à ce que j'ai fait. Souvent je pense que je ne mérite pas d'être heureuse à cause de ça ». Pourtant, lorsque l'animatrice lui demande si elle pense avoir payé sa dette à la société, Karla Homolka fait une réponse habile : « légalement oui, émotionnellement et socialement, non… …Je ne serai jamais vraiment libre parce qu'il y a des prisons différentes. Il y a des prisons en béton et il y a des prisons intérieures ».

Dans les dernières secondes de cet entretien de 23 minutes, Karla Homolka semble devoir se laisser aller à ses émotions : « …J'aimerais aller en arrière et refaire les choses mais je ne peux pas ». Mais elle refuse de parler de Tammy, de même qu'elle se fermera lorsque Joyce Napier l'interrogera à propos de Jean-Paul Gerbet, prétendant qu'elle n'est pas prête à parler des gens qu'elle a connus en prison. Sans doute veut-elle aussi éviter d'amener le débat sur Lynda Véronneau, son ex-petite amie qui n'a pas tout à fait la même opinion…

En dehors de quelques faux-pas dont elle mesure mal l'importance journalistique tels que son plus cher désir à sa sortie de prison : boire un capuccino glacé dans un magasin Tim Horton's (alors qu'on pouvait s'attendre à la voir se précipiter sur la tombe de Tammy), ou bien son refus d'évoquer les crimes dont elle s'est rendue coupable, Karla Homolka a plutôt réussi son examen de sortie. Bien conseillée par une avocate dont la présence atteste ainsi que même une femme peut la défendre, elle a su tirer le meilleur parti de ce show télévisé. Le choix d'une femme journaliste coupe également court à toute critique mettant en cause une opération de charme ou d'attente d'indulgence de la part de l'autre sexe. Contrairement à ce qui avait été annoncé peu après l'entrevue, Homolka n'a pas touché le moindre dollar pour passer à la télévision.  Elle refusera de donner une interview à CBC, le pendant anglophone de Radio-Canada : elle n'a pas oublié que pendant les années, les médias de langue anglaise l'ont clouée au pilori, ce qui a d'ailleurs motivé son désir de résider au Québec et de donner son interview en français [voir l'interview de Karla Homolka].

Karla Homolka est donc retournée à la vie courante, ce 4 juillet 2005. Courante mais pas ordinaire. Frustrés de ne pas l'avoir interrogée à sa sortie de prison, les journalistes la harcèlent durant l'été, et la demande d'injonction à la presse de ne plus mentionner Karla Homolka est rejetée. Soumise à une véritable traque qui pourrait dévoiler son adresse, son numéro de téléphone, l'identité de ses fréquentations, Karla Homolka craint pour sa vie avec juste raison. « J'entretiens la conviction que des individus souhaitent rendre service au public en m'assassinant » avait-elle affirmé peu avant sa sortie de prison. Il est vrai qu'elle tient beaucoup à sa propre existence. Karla semble avoir appris à vivre avec elle-même. Pourra-t-elle vivre avec les autres ? En effet, certaines de ses anciennes relations la croient toujours dangereuse…

 

 

Des versions discordantes

 

160_homolka_lover_pic_05602.jpgLynda Véronneau, une cambrioleuse récidiviste mais non-violente, fut la petite-amie de Karla Homolka de 1997 à 2001 jusqu'à ce que celle-ci lui préfère Jean-Paul Gerbet (© La Presse, Montréal).

De nombreuses voix se sont élevées contre Karla Homolka, à commencer par sa propre amie de cœur en prison, Lynda Véronneau. Celle-ci s'est confiée à la presse, à travers des interviews mais aussi par le biais d'un livre "Dans l'ombre de Karla" où elle décrit, avec la journaliste Christianne Desjardin, sa propre histoire et sa rencontre avec la tueuse. La vie de cette voleuse récidiviste, qui se fait appeler "Dany", a été pour le moins agitée. Directe, forte, dominatrice, elle est pourtant non-violente, contrairement à ce que laisse supposer son allure très androgyne. Lorsque les deux femmes se rencontrent, Lynda vient d'être incarcérée au bloc numéro 1 de la prison de Joliette en compagnie de sa petite amie et complice Lynne Vallée avec qui elle rompra bientôt. Elle y purge une peine de 2 ans pour vol avec délit de fuite et poursuit sa relation avec Karla lorsqu'elle est libérée. L'idylle prend fin lorsque la blonde Ontarienne s'entiche de Jean-Paul Gerbet. Karla, qui ne pouvait plus guère profiter des faveurs de Lynda, espère peut-être que le tueur Français sera à la hauteur de ses espérances lorsqu'il sera remis en liberté. En effet, les scènes d'amour avec Karla ne sont pas de tout repos. Comme le décrit Lynda, Karla aime être attachée et contrainte, qu'on lui tire les cheveux, qu'elle soit étranglée jusqu'à suffoquer. Lynda réalise les fantasmes de celle qu'elle aime, mais elle ne semble pas prendre beaucoup de plaisir à ces simulacres de viol. A la lire, on comprend que Karla ne parvient au plaisir que par le biais de cette sexualité déviante. Cette pratique n'est pas nouvelle : certaines photos prisent par Paul Bernardo montraient Karla attachée au lit et bâillonnée, ou en train de faire l'amour, étranglée par un collier à chien. Il n'est guère surprenant qu'elle ait continué de même avec sa petite amie du moment.

Malgré tout, son influence sur Lynda n'est pas totalement négative : Karla lui a donné le goût de reprendre des études de mathématiques et d'anglais et d'acquérir une formation pour diriger un commerce. Elle admirait cette femme qui s'enfermait le soir pour étudier la psychologie, elle qui n'avait jamais eu que de mauvaises fréquentations. Les fantasmes sexuels de Karla n'étaient pas vraiment un problème et elle sous-estimait totalement leur signification profonde. Tout va basculer le 3 décembre 2001. Depuis un an, Lynda est libérée et vient voir assidûment sa "blonde", ignorant tout de sa relation avec Jean-Paul Gerbet. Celle-ci lui annonce froidement que tout est fini. De désespoir et de colère, Lynda Véronneau, ne veut plus revoir Karla. En revanche, elle commence à raconter sa relation et ne mâche pas ses mots : elle la décrit comme une femme dangereuse qui a fréquemment des comportements violents, ce qui semble avoir été confirmé par plusieurs codétenues. Elle s'est rendue compte que cette femme à l'apparence fragile est une excellente manipulatrice : « J'ai toujours pensé qu'elle était la victime parce qu'elle était très convaincante en le disant », confie-t-elle. Cependant, Véronneau pense que par elle-même, Karla ne représente pas un grand danger mais qu'elle a des problèmes de santé mentale. Elle ne doute pas un instant que sous l'influence d'un maniaque sexuel, elle commettra de nouveaux crimes. Bien évidemment, la relation avec Gerbet la perturbe considérablement : « Elle aurait pu être avec un plombier, un chauffeur de taxi, dit-elle, mais pas avec un autre tueur ».

Pour sa part, Stephen Williams a écrit deux livres sur l'affaire Homolka : "Invisible Darkness" (1997) et "Karla, le pacte avec le diable" (2002), un livre pratiquement interdit au Canada. Il n'est pas favorable à la théorie selon laquelle Karla serait une victime qui n'a eu qu'un rôle mineur. Il la croit impuissante en effet, mais dans sa capacité à se gérer elle-même, à contrôler ses pulsions, ses décisions. Il semble qu'il ait acquis ce sentiment à travers une abondante correspondance qu'il a entretenue avec la prisonnière sur une période de 16 mois entre 2000 et 2002. « Karla Homolka est beaucoup plus dangereuse maintenant, après douze ans de pénitencier, qu'au moment de son arrestation. Pourquoi? Parce qu'elle a appris à manipuler le système... », explique l'éditeur du livre, Pierre Turgeon.

Les victimes de Bernardo et Homolka n'ont guère eu l'occasion de s'exprimer. La frêle jeune femme qui se fait appeler "Jane Doe" n'a rien oublié, même si elle n'a pas compris au début ce qui se passait et a été un moment frappée d'amnésie. Elle conteste fortement le fait que Karla Homolka n'ait pas mentionné le fait qu'elle l'avait droguée et avait participé à des viols répétés sur sa personne alors qu'elle était inconsciente. Karla se devait en effet de dire toute la vérité pour bénéficier du plea bargain, ce qu'elle n'a manifestement pas fait. Pourtant, la réalité devait émerger en septembre 1994 lorsque la cassette retraçant son viol avait été remise à la justice. C'était un cas flagrant de rupture de l'accord et pourtant, "Jane Doe" s'était entendu répondre :« Désolé, vous ne pouvez rien faire. Il y a un accord d'indulgence maintenant. La loi est la loi et c'est fait… C'est l'accord, c'est ainsi. Vous n'avez aucun droit. L'affaire est classée ». Pourtant, on ne peut invoquer un "oubli" de la part de Karla Homolka. « Je ne peux pas croire une seconde qu'elle ait tout oublié à mon propos. Il n'y a pas de raison. Comment pouvez-vous faire une telle chose et l'oublier parce que ça vous arrange ? », proteste "Jane Doe". On parle également du viol de "Steph Doe", une autre anonyme de 17 ans. En octobre 1993, Karla écrivait à son avocat qu'elle avait "imaginé" avoir fait des choses avec la jeune fille et lui demandait de s'assurer que cela ne pourrait pas conduire à une annulation de l'accord. Malgré les preuves, il existe pourtant au Canada une certaine fraction de la population qui doute encore de l'implication réelle de Karla Homolka dans les viols et les meurtres…

Les choses semblent beaucoup plus claires en ce qui concerne Paul Bernardo présenté par tous comme un pervers sadique et violent. Une voix pourtant se distingue en 1996 : celle d'une femme prénommée Anne qui prétend connaître Paul Bernardo de manière intime.

« J'ai un fort attachement affectif pour lui, dit-elle. Je ne peux pas changer l'opinion du public, mais vous devez comprendre que j'ai connu quelqu'un de totalement différent de la personne dont les médias ont fait le portrait ».

Elle eut avec lui une relation passionnée de 18 mois après qu'un ami commun les ait présentés en 1988. Paul fréquentait alors Karla et violait régulièrement de jeunes femmes. De cette période, elle garde un excellent souvenir : « Il était chaleureux et amical… Il n'était pas violent, psychotique ou agressif avec moi. Il ne se sentait pas en sécurité et avait toujours peur de se retrouver seul ».

Au début de 1990, Paul Bernardo lui préféra finalement Karla et leur relation prit fin. La jeune femme fut fortement perturbée d'apprendre qu'il avait quelqu'un d'autre et elle n'eut plus de contact avec lui pendant trois ans. En janvier 1993, Paul l'appela pour lui apprendre que son mariage était terminé et qu'il vivait seul à Port Dahlousie. Ce ne fut que plus tard qu'elle apprit les conditions exactes de la séparation. A sa demande, elle le retrouva et ils renouèrent quelque temps leur relation. Visiblement, Bernardo allait mal, ce qu'il admettait mais sans préciser la raison de ses soucis. Elle comprit pourquoi le 17 février, lorsque la télévision annonça son arrestation. Elle continua pourtant à lui téléphoner et à lui rendre visite en prison. C'est même elle qui le persuada de plaider coupable pour les viols, montrant ainsi qu'elle avait une certaine influence sur lui. On ignore si depuis, leur relation a perduré puisque toutes les informations concernant Bernardo sont filtrées et censurées.

homolkazzpaulseries10.jpgLe 1erseptembre 1995, Paul Bernardo fut condamné à la prison à vie. Reclus dans une petite cellule, surveillé en permanence, ses  conditions de détention au pénitencier de Kingston (Ontario) n'avaient rien à voir avec l'espace et la relative liberté que Karla connut de 1997 à 2000 à la nouvelle prison de Joliette (Québec)

Paul Bernardo est toujours isolé à la prison de Kingston. La grille de sa cellule a été doublée d'une paroi transparente pour éviter les jets de projectiles ce qui n'a pas empêché qu'il soit agressé par un autre détenu. Il n'est pas prévu que ces conditions de confinement maximal soient modifiées.

 

 

Un avenir pour Leanne Teale ?

 

edmnew.jpgPoursuivie par les paparazzi, débusquée et photographiée comme une star, Karla Homolka ne pouvait compter que sur un tout petit groupe d'amis proches (© Ottawa Sun).

Quelques semaines après sa libération, les médias se perdent en conjectures. On pense que Karla Homolka se cache quelque part en Montérégie, peut-être dans le secteur de Longueuil où elle a été aperçue. En fait, elle habite un modeste appartement à Montréal où elle bénéficie d'un réseau de soutien, dans une zone ethnique et non dans le quartier de Notre-Dame-des-Grâces, à 10 minutes du centre-ville, où elle avait émis le désir de s'installer. Lorsqu'elle a donné son interview à Radio-Canada, elle a clairement annoncé son intention de trouver un travail à condition que ce soit "légal, moral et que cela n'aille pas à l'encontre de ses convictions". Un quincaillier de Longueuil, Richer Lapointe, qui dirige une succursale de la société Rona, a entendu son appel et lui a donné sa chance. Karla va donc occuper son emploi peu après sa sortie de prison, à compter du 2 Août 2005. Cette première expérience sera pour le moins cruelle.

Richer Lapointe est, à première vue, un homme sympathique. Sa bienveillance pour celle dont personne ne veut n'est pas si surprenante :  grand brûlé à l'âge de 9 ans, il a souffert du rejet et de l'isolement. Il désire venir en aide à des blessés dont l'apparence repousse ou à des détenus en réinsertion difficile. « Ma motivation première était de la remettre sur les rails. J'étais très heureux de pouvoir lui donner une chance », explique-t-il. Ses motivations semblent donc claires et plutôt saines, et Richer Lapointe prétend avoir déjà aidé d'anciens détenus à se réinsérer. Des liens se nouent rapidement. Richer appelle sa protégée "Emilie" lorsqu'il discute avec elle au restaurant ou lorsqu'ils vont faire les magasins aux frais du quincaillier. Karla a changé d'apparence : rousse, les cheveux plus courts, elle porte souvent des lunettes teintées et ne se sépare jamais de son jeune épagneul. Elle fait chaque jour l'aller-retour Montréal-Longueuil et emprunte de préférence le métro, plus anonyme.

La confiance semble réciproque : après l'avoir affectée à l'entrepôt, Lapointe introduit peu à peu Karla au contact de la clientèle où elle donne des conseils. Une fois, il n'hésite pas à laisser Karla seule près d'une heure avec ses deux fils de 9 et 14 ans, une situation ambiguë qui peut porter préjudice à l'ex-détenue puisqu'elle ne peut se trouver en situation d'autorité avec des mineurs de moins de 16 ans du fait de l'interdiction qui lui en a été faite par le juge. Lapointe discute fréquemment avec Karla qui se confie à lui. Elle ignore bien sûr qu'il enregistre toutes leurs discussions. Imprudemment, elle se dévoile et aborde de vieilles histoires sulfureuses. "Jane Doe" refait surface… Quand Richer Lapointe parle d'assistance, elle saute sur l'occasion et lui demande d'aider une de ses amies détenues, une certaine Stivia Clermont incarcérée en 1995 pour homicide et qui purge une peine à perpétuité. Il est évident que Karla a encore des contacts avec elle, ce qui lui est également interdit.

Richer Lapointe va ainsi enregistrer deux heures trente de conversation à l'aide d'un petit magnétophone numérique qu'il a caché entre deux pots de peinture. L'homme parle peu ; il laisse Karla s'enfoncer un peu plus à chaque mot, montrant même qu'elle a pleinement conscience des risques : « Je ne peux être impliquée en aucune manière, personne ne doit jamais apprendre que nous nous connaissons (elle parle de Stivia Clermont) parce que si quelqu'un l'apprenait, je serais cuite… ». Karla vient tout de même de lui demander d'héberger le fils de Stivia qui est recherché par la police…

Les choses n'iront pas plus loin et prendront une curieuse tournure. Après trois semaines de travail à la quincaillerie Rona de Longueuil, la police informe Karla Leanne Teale que Richer Lapointe a été condamné pour un vol de 5000 dollars et "bris de parole" dans les années 90, et qu'il est actuellement poursuivi pour l'agression de son ex-épouse. Karla n'a donc pas respecté une autre des conditions de sa libération en fréquentant un repris de justice. Elle démissionne immédiatement et la police n'insiste pas, persuadée de la bonne foi de l'employée trompée. Peut-être aussi parce que les pouvoirs publics n'avaient pas songé à vérifier le casier judiciaire du quincaillier qui allait assumer une responsabilité considérable en acceptant Homolka dans son magasin !
 

050826_lapointe_court_250.jpgle quincaillier Richer Lapointe, ici avec le magnétophone numérique qui lui servit à trahir sa protégée (© Toronto Sun). 

Richer Lapointe prévient alors les médias. Il fournit les coordonnées de Karla qui est rapidement piégée par les journalistes et se retrouve à la une du Journal de Montréal et du Toronto Sun. L'homme explique son geste en mettant en valeur sa conscience citoyenne, prétendant qu'il n'a rien prémédité : « Elle a fait beaucoup d'aveux. J'étais vraiment surpris. À un moment donné, on m'a conseillé de ramasser des preuves pour me protéger et protéger les citoyens du Canada ». Le reste de ses déclarations viendra pourtant démentir cette thèse : « Je détiens certaines preuves, que je ne dévoilerai pas parce qu'elles vont être des preuves qui vont permettre de réouvrir des dossiers en Ontario », explique-t-il aux journalistes. « Je veux aller déposer une déclaration assermentée à la Couronne pour voir s'il y a matière à ouvrir les dossiers de "Jane Doe" ou de victimes décédées… …Il y a une stratégie derrière ça que je ne peux dévoiler. Ce n'est pas une affaire de politique, mais de droit et de justice ».

Richer Lapointe voulait traîner Karla Teale en Cour en Ontario pour la forcer aux aveux. Par une incroyable pirouette du destin, le quincaillier va comparaître en justice au Québec pour l'agression de son ex-femme et de son conjoint ! Il lui est interdit de quitter la province, et la police commence à l'accuser de faire obstruction à l'enquête. Les choses vont même franchement mal tourner pour Lapointe. On dit qu'il a touché de l'argent pour monter la cabale contre Karla. Le 26 août, la société Rona annonce qu'elle ferme sa succursale de Longueuil. Début novembre, la police perquisitionne chez Richer Lapointe pour y rechercher des documents supplémentaires concernant l'affaire Homolka. Le 4 novembre 2005, l'homme est poignardé par un individu cagoulé devant son domicile, mais ne subit que des blessures légères. Finalement, les autorités ne retiennent pas les charges contre Karla Homolka qui a pourtant gardé des contacts avec au moins deux de ses anciennes relations en prison (Stivia Clermont et Jean-Paul Gerbet), a travaillé pour une personne ayant un casier judiciaire, et s'est retrouvée en situation d'autorité sur des enfants. Tout cela sera d'ailleurs nul et non-avenu.

Le 30 novembre 2005, un nouveau jugement de la Cour Supérieure de Justice à Montréal annule la décision du juge Beaulieu qui imposait quatorze restrictions à la liberté de Karla Leanne Teale, estimant qu'elle avait accompli la totalité de la peine qu'on lui avait infligée. Deux jours plus tard, le ministre Québécois de la justice, Yvon Marcoux, fait appel de la nouvelle décision qui soulève une vague de protestations et sidère les familles des victimes, mais le 6 décembre, la Cour d'appel du Québec déboute le ministre de sa demande. Celui-ci renonce à saisir la Cour Suprême du Canada. Karla Homolka alias Leanne Teale est donc libre de retourner dans l'ombre.

 

 

Karla Homolka est-elle encore dangereuse ?

 

Le plea bargain a permis à Karla Homolka d'échapper à la prison à vie. Ses avocats ont habilement profité du système judiciaire anglo-saxon qui permet ce type d'arrangements en plaidant le syndrome de "la femmes battue" et en réduisant abusivement son rôle. Karla Homolka n'a sans doute pas respecté toutes les conditions de l'accord, notamment en minimisant considérablement sa participation dans les affaires Mahaffy et French, mais les autorités judiciaires se devaient d'assumer leur décision. La suite allait fournir bien des sujets d'inquiétude. Sadique, masochiste et violente, Karla Homolka n'a rien perdu de ses pulsions en prison, même si seule, elle n'est pas dangereuse. Les psychiatres la décrivent comme inconsciente plutôt que psychopathe. Elle n'a cependant montré aucun véritable repentir et continue de se considérer comme victime plutôt que coupable.

Quinze ans après l'affaire Bernardo-Homolka, les autorités politiques et judiciaires canadiennes éprouvent toujours beaucoup de difficultés à aborder le sujet. On comprend aisément pourquoi : enquête hésitante sur le "Violeur de Scarborough", retard inadmissible dans les analyses, non-publication du portrait-robot. Les erreurs sont nombreuses, incompréhensibles, mais elles n'ont rien d'extraordinaire dans ce genre d'affaire. La police n'a pas su réagir et les autorités ont sous-estimé le phénomène, permettant que la violence de Bernardo et d'Homolka se déchaîne librement, coûtant la vie à au moins deux innocentes. Le gouvernement canadien semble peu soucieux de relancer une nouvelle affaire Homolka. Quoi qu'il en soit, Elle a "payé" la dette que la justice lui a imposée et ne pourra rien faire pour réparer les vies perdues, les enfances martyrisées, les avenirs gâchés. Il ne reste à la société canadienne qu'à panser ses plaies et oublier Karla Homolka. Le gouvernement canadien devra tirer les leçons de l'histoire et légiférer pour limiter les possibilités d'accord entre défense et accusation. Dans un certain sens, l'hypermédiatisation de l'affaire n'a pas été inutile : elle a permis à chacun de prendre conscience des insuffisances d'un système juridique trop permissif. Karla Homolka s'est sans aucun doute soustraite à la justice, mais pour cela, les autorités de son pays lui ont grandement facilité la tâche.

Relâcher Homolka était inévitable ; la nouvelle de sa libération a pourtant soulevé une vague d'indignation. De nombreux Québécois se sont insurgés contre son installation sur leur territoire. Elle a choisi la Belle Province avec le sentiment qu'elle y était moins détestée qu'ailleurs. Montréal la craint alors qu'elle est dans ses murs. Il faut avouer que la situation est pour le moins inhabituelle puisque ce type de délinquant n'est normalement jamais remis en liberté. Le cas Homolka aurait même pu concerner l'hexagone puisqu'il a été  un moment question qu'elle épouse Jean-Paul Gerbet, éligible à une libération anticipée à partir de 2008, une situation qui lui aurait permis de s'installer en France. Cependant, début 2007, on a appris que Leanne Teale avait rompu avec Gerbet et qu'elle avait débuté une relation avec un autre homme du nom de Thierry Bordelais, présenté par son avocate… Maître Sylvie Bordelais. Quant à Gerbet, il a cher payé sa liaison avec la belle Karla puisque les trois juges, qui examinait sa demande de libération conditionnelle le 21 janvier 2008, ont estimé que "les progrès observables faits par Gerbet ne sont pas assez importants compte tenu de la gravité de son crime".
 

perry.jpgLa romancière anglaise Anne Perry, mondialement reconnue, cacha longtemps un terrible secret : En Nouvelle-Zélande, à 15 ans, elle fut condamnée à la prison sous le nom de Juliette Hulme pour le meurtre de la mère de sa petite amie Pauline Parker.

Malgré tous ces rebondissements, Leanne Teale n’a pas perdu l’espoir de se faire oublier, voire même de refaire ailleurs une existence ratée. En cela, comme le souligne Stephen Williams, elle se réfère à l’histoire criminelle de plusieurs femmes qui ont réussi leurs "reconversions". Ainsi, en 1958, la criminelle la plus célèbre de l’histoire canadienne, Evelyn Dick, disparut de la vie publique après sa sortie de prison où elle avait purgé une peine de douze années pour le double meurtre de son mari et de son fils, et nul ne fut capable de retracer son parcours malgré sa notoriété. En 1994, alors que l’affaire Bernardo-Homolka battait son plein, la presse anglo-saxonne révéla que la romancière anglaise Anne Perry, auteure de romans policiers, n’était autre que Juliet Hulme, une jeune meurtière dont on avait aussi perdu la trace après sa libération en 1959. En effet, cinq ans avant cette date, alors qu’elle n’était pas âgée de 16 ans, Juliet Hulme et son amie et complice Pauline Parker avaient assassiné la mère de cette dernière à Christchurch, Nouvelle-Zélande. Ce meurtre sordide avait eu un retentissement particulier, tant par la jeunesse des deux criminelles que par la violence du meurtre, puisque Juliet Hulme avait frappé la victime à 45 reprises avec une brique ! Lors de cette révélation, Anne Perry était déjà une écrivaine célèbre, et il est fort probable que ce destin hors du commun faisait aussi naître un espoir chez Karla Homolka. Le simple fait de changer de nom et de disparaître pouvait donc permettre de démarrer une nouvelle existence, quelle que soit l’horreur des crimes commis… Karla Homolka ne devait pas avoir cette chance.

Dans les premiers jours de février 2007, on a appris que Karla Homolka, alias Leanne Teale, avait mis au monde, à l'hôpital St-Mary de Montréal, un petit garçon d'un peu plus de trois kilogrammes. Sa liaison avec Thierry Bordelais serait donc davantage qu'un coup médiatique, et il semble qu'elle se soit définitivement détachée de Jean-Paul Gerbet, le meurtrier avec qui elle avai
t une liaison. Elle a vécu quelque temps sur la rive sud du Saint-Laurent avec le père de son enfant qui l'aurait épousée… Le 15 décembre 2007, on a appris qu'elle avait finalement fui le Québec pour les Antilles où elle n'est pas connue. Une nouvelle existence pour Karla Homolka… Mais quelle sera la vie de ce petit garçon qui devra porter le passé de sa mère comme un lourd fardeau ? Et qu'ont ressenti les familles French et Mahaffy à l'annonce de cette nouvelle ? Que pensent-elles de cette "happy end" très américaine et pas vraiment morale ? Après avoir été tuées une seconde fois par le plea bargain qui a permis à Homolka d'échapper à la prison à vie, les victimes ne sont-elles pas assassinées encore, cette fois-ci par un système juridique qui méprise leur mémoire.
Quoi qu’il en soit, les Antilles ne sont peut-être qu'une étape et Leanne Teale est libre de s'installer où elle voudra. Après avoir été haïe, crainte, diabolisée, traînée dans la boue et harcelée par les paparazzis, elle est redevenue une citoyenne presque ordinaire. La police ou la justice ne peuvent plus officiellement lui demander de comptes. On la rencontrera peut-être dans la rue avec son épagneul ; elle sera une voisine, une collègue, une amie… Des gens lui feront confiance, sans vraiment soupçonner l'horreur de son passé. Peut-être sera-t-elle tout simplement ce que les autres feront d'elle, louve ou colombe. Mais il sera tout de même difficile d'oublier ce qu'elle écrivait dans l'agenda d'une amie d'école secondaire, alors qu'elle se passionnait pour des histoires d'horreur et de rituels sataniques, et était obsédée par le suicide et l'image de la mort : « Rappelle-toi : le suicide est une jouissance et s’y accrocher est super! Ce sont les os qui nous mènent. C’est la mort qui nous mène. La mort est une jouissance. J’aime la mort. Tuons ce foutu monde ».

[Carte]



© Christophe Dugave 2008
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Published by Christophe Dugave - dans première partie
12 mai 2009 2 12 /05 /mai /2009 11:58

"Homme et Epouse"

 

 

homolkawedding.jpgKarla Homolka épousa Paul Bernardo à la petite église de Niagara-on-the-Lake le 29 juin 1991 (© francesfarmersrevenge.com). Karla resplendissait de bonheur. Paul avait réglé chaque détail de ce mariage clinquant, une cérémonie qui devait rester dans toutes les mémoires. Il ignorait cependant que le soir même, les blocs renfermant les restes de Leslie Mahaffy allaient être découverts par des promeneurs.

Deux semaines exactement après l'assassinat de Leslie Mahaffy, Karla Homolka épousa Paul Bernardo dans la petite église historique de Niagara-on-the-Lake, non loin des célèbres chutes. Ce 29 juin 1991, il faisait un temps magnifique, et le bonheur se lisait sur les visages des jeunes mariés, même si la mort de Tammy pesait lourd dans les cœurs. Contrairement à ce qu'avaient souhaité les parents de Karla, c'était un mariage fastueux et clinquant. Paul portait un costume sombre, une chemise de satin blanc et un nœud papillon de la même couleur tandis que Karla resplendissait dans sa robe de mousseline à 2000 dollars. Rien n'était trop beau pour l'occasion : calèche blanche tirée par un cheval, limousine, repas en musique avec champagne et faisan farci pour 150 convives à Queen's Landing… Paul Bernardo avait tout prévu, tout réglé, depuis les détails matériels jusqu'à la cérémonie religieuse. Ainsi, le prêtre célébrant le mariage ne devait-il pas les déclarer "mari et femme" mais "homme et épouse", ce qui dans l'esprit de Bernardo avait un sens bien différent. N'avait-il pas fait broder sur le voile de la mariée la devise "Amour, Honneur, Obéissance" ?

 

En bon comptable, Paul espérait bien faire un bénéfice substantiel de ce qu'il considérait comme un véritable business. Il offrait un grand mariage aux invités et il attendait que ceux-ci dépensent sans compter en retour. Dans "Deadly Innocence", Burnside et Cairns mentionnent les propres mots de Bernardo : « Si je dépense 50 dollars par couvert, je m'attends à recevoir 100 dollars par personne ». Le profit espéré devait atteindre les 50.000 dollars… Paul voulait cette journée fastueuse et merveilleuse, et rien ne devait y semer le trouble. Ce serait un évènement dont les amis et les membres de la famille se souviendraient toute leur vie. Il ignorait pourtant que ce même soir, on venait de découvrir le cadavre de Leslie Mahaffy.


homolkahouse.jpgL'image du couple idéal résistera encore longtemps à la réalité sordide : jolie maison à Port Dahlousie (© Toronto Metro Police), un quartier aisé de St-Catharines, lune de miel à Hawaï… Le ménage Homolka était apprécié et envié.

Après une semaine à Hawaï pour leur lune de miel, les jeunes mariés reprirent leur vie habituelle à Port Dalhousie. Cependant, Paul affichait une mauvaise humeur tenace ce qui navrait Karla. En effet, la mort de Tammy et de Leslie le laissait sans "jouet sexuel" et déjà, Karla et sa bonne volonté ne lui suffisaient plus. En bonne épouse, celle-ci contacta de nouveau "Jane Doe" et l'invita à venir chez eux. Encore échaudée par l'expérience précédente, Karla ne drogua pas la jeune fille et lui proposa sans ambages de coucher avec Paul, ce qu'elle refusa. Même si "Jane" avait beaucoup d'affection pour Karla et son mari, elle pensait être encore vierge et souhaitait le rester, se révélant une esclave sexuelle moins coopérative que prévu. Quelques jours plus tard, Karla utilisa de nouveau l'Halothane et les choses tournèrent mal : "Jane" cessa de respirer pendant plusieurs minutes avant de reprendre peu à peu connaissance. Comble de malchance, Karla avait composé le 911, mais elle réussit à annuler l'intervention des secours en rappelant l'opérateur qui avait pris ses coordonnées. L'affaire terrifia les époux qui décidèrent de rompre tout contact avec l'adolescente, d'autant plus qu'ils la soupçonnaient de s'être confiée à des proches. Inquiets, Paul et Karla se replièrent alors sur eux-mêmes, sortant peu et ne recevant pratiquement plus, ce qui étonna peu leurs amis. Il était de notoriété publique que Paul avait un caractère difficile et fantasque que la soumission de Karla ne parvenait pas toujours à calmer. Il pouvait la traiter comme une esclave ou une princesse selon son humeur du moment, se montrant possessif et jaloux. Dans un certain sens, ce n'était pas choquant puisque Karla n'était guère différente sur ce dernier point, mais il pouvait être déstabilisant de le voir, dans une même soirée, lui offrir robes et bijoux coûteux, et lui demander à boire d'un claquement de doigts.

Il était clair que la personnalité de Bernardo évoluait, bousculée par son ego démesuré et ses besoins sexuels que Karla ne parvenait plus à satisfaire. Il cachait de moins en moins son côté sombre et n'hésitait pas à prendre davantage de risques. Il lui fallait une autre victime dans les meilleurs délais.

 

 


Les victimes silencieuses

 

le 30 novembre 1991, une vive et jolie adolescente de 14 ans, Terri Anderson, disparut sans laisser de trace. Le 23 mai 1992, le corps partiellement décomposé de Terri fut retrouvé dans le lac Ontario, à Port Dalhousie. L'autopsie ne put déterminer avec précision si l'adolescente avait été abusée sexuellement. L'enquête conclut à une noyade accidentelle à la suite d'un excès de bière et d'une ingestion probable de LSD, un puissant hallucinogène. Ses parents et ses amis refusèrent pourtant de croire à la version de la police : Terri était une enfant sage, excellente élève et de surcroît très populaire auprès de ses camarades qui appréciaient sa gentillesse. Elle pouvait avoir bu quelques bières, mais nul ne la voyait prendre volontairement du LSD et, quoi qu'il en soit, aucun de ses amis n'avait remarqué chez elle d'état d'ébriété ou de comportement aberrant caractéristiques. Comment expliquer alors qu'elle se soit avancée volontairement dans les eaux glacées du lac Ontario ? Le meurtrier ne fut jamais identifié et l'affaire fut classée. Pourtant, les lieux, les dates, les circonstances, rappelaient curieusement le meurtre de Leslie Mahaffy…

 

images.jpgCondamné en 1992 pour le meurtre de son amie Elisabeth Bain, Robert Baltovitch a été rejugé et acquité en 2008. Tout porte à croire que l'assassin d'Elisabeth est bel et bien Paul Bernardo © Radio-Canada).


La police n'avait pas non plus relié ces affaires à un cas antérieur, alors même que le "Violeur de Scarborough" officiait sur le campus de l'université de Toronto. Le mardi 19 juin 1990, une étudiante de 22 ans du nom d'Elisabeth Bain disparut tôt en soirée. Sa mère, Julita Bain fut la dernière à la voir vivante sur le coup des 4 heures, alors qu'elle quittait la maison familiale pour vérifier l'horaire de son cours de tennis. Elle prévint la police le matin suivant, mais ce n'est que deux jours plus tard qu'on retrouva sa Toyota Tercel sur un parking situé à moins d'un kilomètre de la maison de ses parents. Les enquêteurs de l'Homicide Squad de Toronto y découvrirent une large tache de sang maculant le sol à l'arrière et suspectèrent immédiatement Robert Baltovich, 24 ans, diplômé en psychologie de l'université de Toronto et petit ami d'Elisabeth. Nul ne poussa davantage les investigations bien que Baltovich ait clamé son innocence et, 5 mois après la disparition de la jeune femme, il fut arrêté pour homicide au premier degré. La thèse du meurtre passionnel avait été avancée pour expliquer ce crime puisqu'Elisabeth Bain était en train de rompre avec Robert Baltovich qui s'était révélé possessif et jaloux. Reconnu coupable, il fut condamné à la prison à vie en février 1992. Depuis, cette décision a été remise en cause. En effet, plusieurs témoins ont affirmé avoir vu Elisabeth en compagnie d'une homme blond quelques jours avant sa disparition. Une étudiante assura même avoir formellement reconnu Paul Bernardo. De plus, on avait retrouvé dans l'habitacle un paquet de cigarettes ainsi qu'une cassette du groupe "New Order" oubliée dans le lecteur de la voiture d'Elisabeth. Celle-ci ne fumait pas et n'écoutait jamais ce groupe. Bernardo au contraire préférait les cigarettes de cette marque et écoutait assidument "New Order". Ainsi, le 22 avril 2008, Robert Baltovitch était finalement acquitté, 16 ans après un premier verdict de culpabilité. En revanche, ni Bernardo ni Homolka n'ont fait de révélation à propos de ces meurtres. L'histoire de Baltovitch n'est pas sans rappeler celle du Français Patrick Dils, accusé du meurtre de deux enfants alors même que le tueur en série Francis Heaulme rodait à proximité des lieux du crime…

Dans son second livre consacré au cas Homolka, Stephen Williams révèle deux autres agressions étranges : En décembre 1990, Krystal Connors, une jeune divorcée, fut retrouvée violée et tuée non loin de la maison des Homolka, peu de temps après que Paul se soit implanté dans la famille. Quelques mois plus tard, une autre femme sera violée sur l’île de Hemley, près de Bayview où le couple venait d’emménager…

Bien qu'on ne puisse formellement impliquer Paul Bernardo dans les meurtres de Kristal Connors, d'Elisabeth Bain et de Terri Anderson, il existe de fortes présomptions à son encontre et, compte tenu de son appétit sexuel, il semble probable qu'il ait recherché de nouvelles proies en choisissant, cette fois, de les faire disparaître. Le prédateur sexuel aurait peut-être alors choisi la jolie Elisabeth qui n'était ni blonde ni vierge, mais avait eu la malchance de croiser sa route. De même, il est peu probable que Paul Bernardo ait attendu 10 mois après l'assassinat de Leslie Mahaffy avant d'agresser une nouvelle victime. Comme Leslie, Terri Anderson aurait pu croiser son assassin par hasard et, fort de la parfaite coopération de Karla, Paul avait peut-être décidé de kidnapper et d'éliminer la jeune fille

Bien que ni Bernardo, ni Homolka, n'aient avoué ces deux meurtres, les similitudes avec le cas Mahaffy sont troublantes. On peut cependant s'interroger sur le fait que depuis son incarcération, Paul Bernardo a confessé d'autres viols que ceux qui lui étaient reprochés. Pourquoi pas de nouveaux meurtres ? Il est déjà condamné à la prison à vie…  Une chose est certaine : Bernardo et Homolka ont bien assassiné Leslie Mahaffy tout comme ils tortureront, violeront puis étrangleront Kristen Dawn French au mois d'avril suivant. Ce meurtre ignoble allait marquer le summum de la carrière criminelle du couple mais aussi le début de sa fin. Kristen avait 15 ans et, lorsque Paul et Karla l'enlevèrent le 16 avril 1992, il lui restait encore trois longues journées à vivre.

 

 

Kristen French : jusqu'au bout de l'horreur

 

Les choses allaient de mal en pis pour le couple Bernardo. Après les ratés avec "Jane Doe", ils fréquentèrent une autre jeune fille d'origine Américaine qui accepta pour un temps de satisfaire leurs fantasmes. Cependant, celle-ci retourna chez elle en Ohio, et Karla se retrouva seule avec Paul, de plus en plus incapable de le satisfaire, ce qui créait des tensions entre les époux. Karla ne pouvait endurer davantage cette situation, et c'est sans hésiter qu'elle joua cette fois-ci un rôle déterminant dans l'enlèvement de Kristen French.


homolkafrench.jpgKristen French fut la troisième et dernière victime officielle du couple. Jeune fille sage de 15 ans enlevée sur un parking avec l'aide de Karla qui feignait s'être perdue, Kristen fut violée à plusieurs reprises, torturée pendant trois jours, puis finalement étranglée. On retrouva son corps dans une décharge en bordure de route (© Toronto Metro Police).

La belle Kristen ne laissait pas indifférent. C'était une adolescente sympathique et très sociable. Karla Homolka la remarqua tout de suite sur le parking près de l'église de St-Catharines alors qu'elle revenait de l'école secondaire "Holy Cross". Elle l'attira à proximité de sa voiture en faisant semblant de chercher son chemin. Comme Kristen s'approchait de l'auto pour montrer à Karla sa route sur la carte qu'elle lui tendait, Paul Bernardo la força à monter à l'arrière en la menaçant d'un couteau. Ils la ramenèrent chez eux et la torturèrent trois jours durant. Bien entendu, ils filmèrent à loisir, s'amusant à humilier leur victime sur des thèmes sadomasochistes flirtant avec l'uro-scato. Dans son premier ouvrage consacré à l'affaire, Stephen Williams rapporte quelques extraits transcrits à partir des vidéos. On y voit Kristen French dénudée et attachée, dominée par Paul Bernardo qui fait souvent face à la caméra telle une vedette. « je vais te pisser dessus, d'accord ? Puis je te chierai dessus, murmure-t-il en lui caressant le visage avec son pénis en semi-érection ».

Kristen, avait compris que rien ne servait de résister au couple maudit. En coopérant, elle espérait calmer un peu ses agresseurs et les persuader qu'elle garderait le silence. Elle ignorait alors qu'ils n'avaient pas l'intention de la laisser vivante. Le pire sans doute est que plus elle répondait à l'attente de Paul Bernardo et plus il devenait sadique. Il finit par uriner sur la jeune fille et tenta, sans succès, de lui déféquer dessus. Il continua de l'insulter et de l'humilier au moins un ou deux jours et la viola à plusieurs reprises, l'obligeant à manger ses propres cheveux que Karla avait coupés pour retarder l’identification. Prudent, il lui coupa aussi les ongles pour qu'on ne puisse retrouver des traces de sa propre peau qui puisse être analysées par la suite et utilisées contre lui.

Le couple força également Kristen à regarder son père, Doug French, à la télévision alors qu'il lançait un message aux ravisseurs. Comble de l'horreur, elle dut visionner l'enregistrement que Paul avait réalisé avec Leslie Mahaffy qui retraçaient toutes les étapes de son viol. On imagine difficilement quelle pouvait être la terreur de l'adolescente qui prenait ainsi conscience que, malgré sa bonne volonté pour tenter de rester en vie, son sort était scellé depuis le début. Au bout du troisième jour, Paul se lassa de sa victime et l'étrangla avec un câble électrique avant de la violer post-mortem. Il semble que là encore, tout, à l'exception de sa mort, ait été méticuleusement filmé. Très sûr de lui, Bernardo ne chercha même pas à dissimuler le corps et l'abandonna non loin du cimetière où reposait Leslie Mahaffy. Le corps nu de Kristen fut découvert le 30 avril 1992. dans une petite décharge en bordure de route L'émotion que suscita la macabre découverte incita la police à créer une force spéciale, la "Green Ribbon Task Force", qui devait se consacrer uniquement à l'enquête sur la mort de la jeune fille, et dont le quartier général fut établi à St-Catharines.

Après la mort de Leslie Mahaffy et la disparition de Terri Anderson, les enquêteurs commençaient tout de même à suspecter les agissements d'un tueur en série, bien que les modus operandi aient paru dissemblables. Ils n'en doutèrent plus après la découverte du cadavre de Kristen French. Pourtant, les choses n'étaient pas si simples… En règle générale, les serial killers agissent en reproduisant un cérémonial précis, aussi bien dans le viol et le meurtre que la mise en évidence ou la dissimulation du cadavre. Sur ce dernier point, les choses différaient en apparence : Leslie avait été découpée en morceau et immergée dans le lac Gibson ; Kristen avait été abandonnée telle quelle, tandis que le corps de Terri demeurait introuvable (à l'époque, on avait attribué l'assassinat d'Elisabeth Bain à Robert Baltovich qui venait d'être condamné à la prison à vie ). Les choses changèrent lorsqu'on découvrit le corps de Terri dans le lac Ontario 4 semaines plus tard, mais il était dans un tel état de décomposition qu'il était difficile d'établir la cause exacte de la mort. Pensant que le tueur pouvait venir des Etats-Unis, la police canadienne demanda la coopération du FBI qui disposait de spécialistes et de nombreuses données sur des délinquants sexuels et des psychopathes. La proximité de la frontière pouvait aisément expliquer qu'un criminel américain ait étendu son rayon d'action jusqu'à St-Catharines. Cette piste se révéla stérile.

L'enquête sur le "Violeur de Scarborough" n'avançait pas non plus. Pour des raisons qui dépassent l'imagination, cette affaire n'était plus urgente puisque le violeur n'avait pas donné signe de vie depuis la fin mai 1990 et, bien que les 231 tests ADN aient été achevés, les résultats étaient laissés de côté. Paul Bernardo et Karla Homolka jouissaient donc d'une chance insolente. Si leur couple n'avait commencé de se désagréger, ils auraient sans doute poursuivi longtemps leur terrible parcours criminel, profitant ainsi largement de la guerre que se livraient alors la Metro Police de Toronto et le service de Police de la région de Niagara dont dépendait St-Catharines.

On dit qu'il n'y a pire ennemi que soi-même et, dans le cas de Bernardo, l'adage s'est vérifié. Le côté violent de Paul ressortait toujours plus, aussi bien avec ses victimes qu'avec Karla qu'il battait régulièrement. Ce n'était plus un jeu sado-masochiste comme tous deux aimaient le pratiquer, mais de la maltraitance sans fioritures. Karla, qui tentait malgré tout de remettre un peu de "piment" dans leur relation, n'allait pas accepter longtemps cette situation.

 

 

Les coups de chance d'une enquête difficile

 

L'enquête sur la mort de Kristen French n'avançait que lentement malgré divers témoignages qui semblaient impliquer Paul Bernardo. Ainsi, une femme décrivait une lutte dans une voiture entre un homme blond et une jeune femme brune, là où Kristen French avait été enlevée. La voiture, à ses dires, était une Chevrolet Camaro, et la Task Force se concentra sur la recherche du véhicule, en vain. Pourtant, plusieurs appels concernant l'assassin le décrivaient avec précision au point que les enquêteurs commencèrent à faire le rapprochement avec le portrait robot du "Violeur de Scarborough". Bien que l'échantillon provenant de Paul Bernardo ait fait partie des 5 sur 231 prélèvements correspondant au groupe sanguin du violeur, les tests complémentaires sur la salive et le sang n'étaient toujours pas achevés. Les policiers décidèrent néanmoins de rendre visite au tueur. Celui-ci les reçut à nouveau cordialement et se montra très coopératif. Il admit avoir été soupçonné dans l'affaire du "Violeur de Scarborough", mais uniquement parce qu'il lui ressemblait. Vérification faite, Bernardo possédait une Nissan couleur or, bien différente de la Chevrolet décrite par le témoin. Enfin, il semblait assez incroyable qu'un homme marié et apparemment heureux dans sa vie personnelle puisse être un violeur et un tueur. Comme huit jours plus tard les résultats des analyses complémentaires n'étaient toujours pas disponibles, les policiers abandonnèrent cette piste. Nul ne fit le rapprochement avec la plainte déposée par une certaine Rachel Ferron qui avait été harcelée par un homme conduisant une Nissan dorée… Une fois de plus, Paul Bernardo jouissait d'une chance insolente et cynique. Il devait être trahi à la fois par les siens et par lui-même.

Le nom de Bernardo n'était plus inconnu de la justice. Peu de temps avant, Kenneth Bernardo, le père de Paul, avait été arrêté et condamné à 9 mois de prison pour agression sexuelle sur mineure. Renseignements pris, sa mère voyait régulièrement un psychiatre et, le moins que l'on puisse dire était que la famille Bernardo ne jouissait plus d'une bonne réputation. Le fringant jeune homme ne semblait pas non plus justifier de revenus réguliers en dehors du salaire de son épouse (il continuait alors ses activités de contrebande). On pouvait se demander comment le couple avait fait pour se payer une jolie maison de style Cape Code dans ce quartier aisé de St-Catharines. Cependant, tout cela était bien mince en absence de preuves tangibles. Ces preuves, Bernardo allait les fournir involontairement.


homolkaeyes.jpgPaul se lassant de Karla, les disputes se faisaient de plus en plus violentes. Karla, blessée à coups de lampe torche, fut hospitalisée. Après avoir quitté son mari, elle se réfugia chez un oncle à qui elle se confia. Celui-ci lui conseilla de prendre un avocat et de contacter la police. Le couple vola en éclats ; désormais, ce sera chacun pour soi (© Toronto Metro Police).

Le 6 janvier 1993, Paul se querella si violemment avec Karla qu'il perdit tout contrôle et frappa sa femme à plusieurs reprises au visage avec une lampe torche. Karla présentait des blessures si sérieuses (notamment des hématomes autour des yeux consécutifs à de violents coups derrière la tête !) qu'elle fut admise à l'hôpital général de St-Catharines et que ses parents vinrent lui rendre visite. Ils réussirent à la convaincre de quitter Paul et de porter plainte. A sa sortie, Karla fut hébergée chez un oncle et une tante que Paul ne connaissait pas, afin qu'il ne puisse la retrouver. Le lendemain, il fut arrêté par la police et inculpé de  coups et blessures avant d'être relâché, car cette affaire domestique ne concernait pas la Task Force, et la police de St-Catharines n'avait pas accès au dossier que détenait la Metro Police à son sujet. Furieux, Bernardo changea toutes les serrures de la maison et modifia son nom, choisissant "Paul Teale" comme nouveau patronyme. Cela ne devait pourtant pas lui permettre de se soustraire plus longtemps à la justice.

Un mois après les faits, le laboratoire de l'identification judiciaire de Toronto termina enfin les analyses d'échantillons sanguins et démontra, sans doute possible, que Paul Bernardo était bien le "Violeur de Scarborough". Les enquêteurs relièrent aussi les viols aux meurtres de Leslie Mahaffy et de Kristen French. Ils apprirent qu'une procédure était en cours contre Bernardo pour agression contre son épouse et allèrent interroger Karla. Au cours d'un interrogatoire de 5 heures, ils lui firent comprendre qu'ils reliaient les viols et les meurtres et qu'ils avaient placé Paul sous surveillance. Ils ne savait rien en revanche sur la participation de la jeune femme à certains viols et son implication dans les deux meurtres, mais ils s'étonnèrent tout de même de trouver en sa possession une montre Mickey identique à celle que portait Kristen French le soir de sa disparition. Malgré l'insistance des policiers, Karla tint bon, mais elle se confia plus tard à son oncle, lui révélant que Paul était bien un violeur en série et le meurtrier des deux adolescentes. Celui-ci lui conseilla alors de prendre un avocat. Karla commença alors à calmer son anxiété avec de fortes doses d'antalgiques et d'alcool.

homolkazzpaulseries9-copie-1.jpgLa chute : Tandis que Karla Homolka va passer un accord d'indulgence avec la justice en échange de sa complète collaboration, Paul Bernardo est arrêté. 

Le 17 février 1993, Paul Bernardo alias Teale était arrêté et inculpé de 43 charges de viol avec violence. On ne sait si le choix du pseudonyme "Teale" fit sourire les enquêteurs : il semble en effet que Paul Bernardo l'ait choisi par analogie avec Martin Thiel, le serial killer de sa série TV préférée, Criminal Law ! Paul Bernardo n'en avait pas fini avec la justice, d'autant plus que la police s'intéressait aussi à un viol particulièrement brutal qui avait eu lieu à Hawaï alors que le couple y passait sa lune de miel. Les policiers commençaient aussi à s'inquiéter du rôle tenu par Karla, se demandant comment elle avait pu ignorer si longtemps de tels agissements et sinon, pourquoi elle ne les avait pas dénoncés.

 

 

Preuves et épreuves

 

Le 19 février 1993, soient deux jours après l'arrestation de Paul Bernardo, la police perquisitionna au domicile du couple. Les policiers saisirent des livres et des cassettes sur les sexualités déviantes et les tueurs en série. Ils trouvèrent également une courte vidéo montrant Karla couchant avec deux femmes sous la direction de Bernardo. L’une d’entre elles paraissait bien jeune… Il ne semblait pas cependant que Karla ait été forcée à quoi que ce soit, et elle se comportait en bisexuelle enthousiaste. Enfin, les policiers découvrirent qu'en bon comptable, Paul avait consigné par écrit la totalité de ses viols à Scarborough. La culpabilité de Paul Teale-Bernardo concernant les viols ne faisait plus aucun doute, et ils le soupçonnaient de plusieurs meurtres dont ceux de Leslie et Kristen. Bien que les policiers n’aient pas de preuves directes, ils allaient trouver une alliée de poids en la personne de Karla Homolka.

 

200px-KarlaHomolka_1993.jpg Karla Homolka lors de son procès (© Associated Press)

 

Karla était en effet suspectée de complicité, et elle avait demandé à un avocat, George Walker, de la défendre. Au fil des discussions, Walker se rendit compte que Karla Homolka n'était sans doute pas la femme soumise et menacée qu'elle prétendait être, et qu'elle avait probablement participé aux meurtres. Pourtant, en tant qu'ancien client de la clinique vétérinaire, il se sentait redevable du mal que s'était donné Karla pour s'occuper de son dalmatien qui souffrait d'un cancer. Il lui parut bientôt certain que sa cliente serait inquiétée pour complicité et qu'elle n'échapperait pas à une lourde peine. La seule possibilité qui s'offrait à lui était le plea bargain, une particularité du droit anglo-saxon qui permet à la défense de passer un accord avec l'accusation pour que la vérité soit révélée en échange de l'immunité partielle ou totale d'un complice. Il chercha d'abord à monnayer la pleine et entière collaboration de Karla en échange d'une promesse de non poursuite, mais l'implication de la femme de Paul Bernardo était trop évidente pour qu'on lui accorde l’immunité totale. George Walker et Murray Segal, du bureau du procureur, parvinrent à un accord qui fut rendu public : Karla s'engageait à dire toute la vérité sans rien omettre concernant l'assassinat de Leslie Mahaffy et Kristen French ainsi que sur sa propre participation. En échange, elle serait condamnée à 10 ans de détention plus 2 ans pour le meurtre de sa propre sœur Tammy et serait libérable au quart de cette période. Cette remise de peine n'était bien sûr que toute théorique, mais douze années pleines valaient mieux que la réclusion à perpétuité qu'encourait Paul Bernardo. Pour que les choses soient plus présentables, Karla serait condamnée à 10 ans pour chacun des meurtres, mais (contrairement au système américain), les peines seraient concurrentes et non pas additives. En vérité, l'accusation trouvait son compte dans cet accord puisqu'à ce moment précis, elle n'avait aucune preuve directe contre Paul Bernardo concernant les homicides. Ce témoignage inespéré lui permettait d'impliquer le principal coupable à moindres frais.

Au cours du mois de mars, Karla subit une évaluation psychiatrique. Malgré les calmants administrés à haute dose, elle trouva la force d'écrire une lettre à ses parents où elle confessait sa participation à la mort de Tammy, mais se présentait plus en victime qu'en coupable.

 

Chers Maman, Papa et Lori,

Ecrire cette lettre est probablement la chose la plus dure que j'aie jamais eu à faire et vous allez sans doute me haïr dès que vous l'aurez lue. J'ai gardé tout cela en moi pendant trop longtemps et à présent, je ne peux plus vous mentir. Paul et moi sommes tous les deux responsables de la mort de Tammy. Paul était amoureux d'elle et voulait faire l'amour avec elle. Il voulait que je l'aide. Il voulait que je me procure des somnifères pour l'endormir. Il m'a terrorisée et a physiquement et sexuellement abusé de moi lorsque j'ai refusé.  Aucun mot ne peut décrire par où je suis passée. Stupidement, j'ai accepté de faire selon sa volonté. Mais quelque chose – peut-être la combinaison de ce qu'elle a absorbé avec la drogue – l'a fait vomir. J'ai fait tout mon possible pour le sauver. Je suis désolée. Mais rien de ce que je pourrai dire ne la ramènera… Je serais heureuse de donner ma vie pour elle.  Je n'attends pas de vous que vous me pardonniez puisque je ne me pardonnerai jamais moi-même.

Bisous - Karla

 
Clairement, Karla plaide la menace et l'abus physique et émotionnel. Le psychologue de Karla, le docteur Malcolm, présenta des conclusions qui allaient dans ce sens et collaient parfaitement aux termes du plea bargain : « Elle savait ce qu'il se passait mais se sentait totalement impuissante et incapable d'agir pour se défendre elle-même ou qui que ce soit d'autre. Elle était, selon moi, paralysée par la peur et, dans cet état, elle est devenue obéissante et s'est occupée d'elle-même ».

Fidèle à l'image qu'elle essayait de donner, Karla essuya quelques larmes lorsque les mères des victimes vinrent témoigner à la barre alors même qu'elle était restée de glace à l'énoncé des actes qui lui étaient reprochés, "un catalogue de dépravation et de mort" selon les journalistes. Le cas Bernardo n'ayant pas été jugé à ce moment-là, il était difficile d'évaluer la réelle sincérité de Karla Homolka. A la lumière des vidéos tournées pendant les viols de Leslie Mahaffy et Kristen French, on sait à présent qu'elle jouait au moins en partie la comédie.

Pour des esprits habitués à une justice moins calculatrice, le plea bargain est certainement l'une des particularités les plus choquantes du droit anglosaxon. Il a maintes fois démontré son efficacité pour accuser le coupable principal en épargnant le complice le moins impliqué. C'est la politique du "diviser pour connaître la vérité" et gagner du temps (et de l'argent) lorsque l'enquête s'annonce difficile. Pourtant, le plea bargain dans l'affaire Homolka choqua fortement l'opinion publique canadienne. Le procureur Murray Segal ne s'y trompa guère et choisit plus tard de faire une déclaration à la presse : « Pourquoi pas une peine plus lourde à la lumière de ces actes abominables ? Parce que sans elle (Karla), la vérité n'aurait jamais pu être connue. Plaider coupable est le signe d'un remords. Son âge, son casier judiciaire vierge, les abus et l'influence de son époux, et son rôle tout de même secondaire, ont été des facteurs (importants). Elle ne commettra plus de crime ».


homolkaseries16.jpgKarla fut jugée pour les meurtres de Leslie Mahaffy et de Kristen French et condamnée à 12 ans de réclusion le 6 juillet 1993, peine qu'elle accomplit dans sa totalité.

Le 28 juin 1993, le procès de Karla Homolka débuta. L'accusée se présenta vêtue de façon correcte mais affublée d'un maquillage trop voyant. L'ambiance médiatique était à la hauteur de l'émotion que les crimes avaient suscitée dans l'opinion publique. Karla était décrite comme portant une veste vert clair sur une robe de la même couleur, mais fardée comme une matrone, "une lolita matrone" selon Burnside et Cairns. Elle avait tout de même amélioré son apparence par rapport à sa première apparition en audience préliminaire, un mois plus tôt, où elle était arrivée déguisée en adolescente délurée avec blazer et kilt, et non mise comme une jeune femme de 23 ans.

Sur les conseils de ses nouveaux avocats, Maîtres Lachance et Castonguay, Karla plaîda coupable pour les deux meurtres et accusa Paul Bernardo, réussissant à convaincre le jury qu'il était bien un monstre manipulateur. Néanmoins, les jurés ne se laissèrent pas totalement abuser et ne diminuèrent pas la peine qui avait fait l'objet d'un accord officiel. Le 6 juillet 1993, Karla Homolka fut reconnue coupable de complicité dans les meurtres de Leslie Mahaffy et Kristen French, et fut condamnée à 12 ans de prison, une peine bien légère puisqu'elle pouvait être théoriquement libérée dès 1997. L'indulgence du jugement, dictée par le plea bargain, fut l'objet d'une vaste controverse, et la presse le qualifia plus tard de "pacte avec le diable". Le juge expliqua que la plus lourde peine en droit canadien — la réclusion criminelle à perpétuité — était "réservée aux pires crimes commis par les pires assassins". Il aurait sans doute évité cette remarque (ressentie plus tard comme ironique) s'il avait eu connaissance du véritable rôle de Karla.

Un autre sujet de polémique fut le transfert ultérieur de Karla Homolka du pénitencier de Kingston vers la nouvelle prison de Joliette, un véritable "Club Med" avec de petits blocs indépendants et confortables et une vie presque normale. Elle profita d'ailleurs très bien du système et y passa trois années plutôt agréables au grand dam des familles des victimes. Celles-ci se tournaient à présent contre Paul Bernardo dont le procès s'annonçait retentissant.

 

 

Des preuves qui tuent

 

Même sans le témoignage de Karla, les choses allaient de mal en pis pour Paul Bernardo. La police avait trouvé au domicile du couple la cassette vidéo où l'on pouvait suivre les ébats de Karla et Paul avec "Jane Doe", ce qui venait corroborer la version de la jeune fille. On y voyait également l’épouse de Bernardo s’exhibant longuement avec une autre femme identifiée depuis comme une prostituée américaine que le couple avait engagé en 1992 à Atlantic City. A cette époque, les enquêteurs n'avaient pas encore trouvé les autres cassettes que Paul Bernardo avait soigneusement cachées, mais ils apprirent leur existence de la bouche même de Karla. Maintenant qu'elle était libérée de l'influence de son mari, la jeune femme ne pensait plus qu'à sauver sa peau et à minimiser les sanctions en coopérant comme le lui avait proposé le procureur Murray Segal. En août 1993, Karla entama une procédure de divorce qui fut prononcée le 25 février suivant. Karla Homolka avait donc coupé le dernier lien qui la rattachait à Paul Bernardo. Pourtant, les choses n'étaient pas tout à fait claires.


homolkabernardoletter2.jpgSoucieux de préserver les cassettes vidéo dissimulées dans la maison, Paul Bernardo écrivit une lettre à son avocat, Ken Murray, où il lui demandait de les récupérer mais lui interdisait de les visionner (© Stephen Williams). Passant outre, celui-ci fut fortement perturbé par ce qu'il y découvrit et finit par jeter l'éponge. Le nouvel avocat, John Rosen, ne put conserver ces preuves qu'il remit à l'accusation. En plusieurs mois de fouilles, la police qui suspectait l'existence de telles cassettes n'avait réussi qu'à retrouver celle où le couple violait une autre jeune fille…

La police avait démontré que Paul était le "Violeur de Scarborough" et qu'il avait eu des relations avec des mineures à son domicile, mais rien en dehors du témoignage de Karla ne le désignait comme meurtrier de Leslie Mahaffy et de Kristen French. Certes, le profilage géographique mené conjointement par la police de Toronto, la "Green Ribbon Task Force", et le FBI, montrait que la probabilité était grande que le tueur et le violeur soient une seule et même personne. Les viols et les meurtres avaient eu lieu dans une zone limitée, mettant en cause des individus décrits comme identiques, avec une gradation dans la violence des attaques, de l'agression "sur place" à l'enlèvement, jusqu'au meurtre. Paul Bernardo savait bien que les enquêteurs finiraient par trouver les vidéos compromettantes même si pour cela, ils devaient mettre en pièce la maison de Port-Dhalousie. Il était même fort étonnant qu’en 69 jours de fouilles, ils n’aient pas mis la main dessus ! Bernardo écrivit donc à son avocat, Ken Murray, pour lui demander d'aller chercher les cassettes, lui fournissant une description détaillée et un plan, et l'enjoignant de retourner la lettre intacte (que les autorités n'avaient pas le droit d'ouvrir) s'il ne pouvait accéder à la maison. L'avocat réussit à trouver les cassettes 8 mm qui étaient cachées dans le système d'éclairage de la salle de bain du premier étage, mais contrairement à ce qu'avait ordonné Bernardo, Murray les visionna. Ce qu'il vit le paralysa d'horreur. Ce jeune avocat n'avait pas vraiment mesuré la dépravation et la cruauté de son client. Il avait accepté de le défendre pour une accusation de viols multiples et de violence, mais pas pour des assassinats aussi monstrueux, et sur ce point, Paul Bernardo n'avait pas joué franc jeu avec lui. Cela posait donc un problème éthique à Ken Murray qui devait faire face à une pression grandissante de la part de l'accusation. En effet, les discussions entre Bernardo et son avocat avaient été interceptées et la police savait que Murray était en possession des cassettes. Incapable d'assumer une telle charge, Murray abandonna finalement la défense de son client. Au mois de septembre 1994, il fournit les vidéos à son successeur, John Rosen, un avocat qui avait plus d'expérience, et qui les remit à l'accusation le 2 septembre, comme il se devait de le faire d'après le code de déontologie. Bernardo se croyait hors d'atteinte en ayant confié les cassettes à son avocat et n'avait pas du tout imaginé ce retournement de situation. Murray avait également mal évalué les conséquences de ses actes : il avait dissimulé à la police des pièces à conviction extrêmement importantes qui n'avaient pu être prise en considération dans l'accord entre le bureau du procureur et les avocats d'Homolka. Il devait par la suite être jugé et condamné pour entrave à l'enquête de police.

Ce que découvrit l'accusation en visionnant les bandes était bien au-delà de ce qu'elle espérait pour confondre le meurtrier. On y voyait Paul et Karla violant Tammy deux jours avant Noël, ainsi que le drame qui avait suivi lorsqu'elle s'était étouffée. Cette scène était d'autant plus choquante qu'elle faisait suite à des images paisibles où l'on voyait la famille Homolka au complet regardant la télévision. La suite ne laissait aucun doute sur la préméditation des meurtres de Leslie et Kristen et la manière dont Paul Bernardo avait traité leurs dépouilles. Il était évident que Karla prenait plaisir  à ces actes sordides, même si elle n'était pas celle qui tuait. On la voyait notamment prenant part sans réserve aux ébats de son mari avec les victimes. Certains ont même suggéré que, soucieuse de sa propre sécurité, Karla aurait convaincu Paul d'éliminer ses proies puisqu'elles avaient vu leurs bourreaux, bien qu'il n'existe aucune preuve tangible pour confirmer cette théorie.

Il est certain que si l'accusation avait découvert plus tôt ces enregistrements, Karla n'aurait pas bénéficié d'un plea bargain et aurait encouru une peine de prison à vie au même titre que Paul. On était en effet très loin de la version qui présentait Karla Homolka comme contrainte et sous influence. Dans les films, elle jouait au contraire avec l'assurance d'une actrice de porno et sur la vidéo avec Jane qui ne présentait pas le côté "dramatique" d'une jeune fille enlevée de force et qu'il fallait éliminer à tout prix, Karla semblait détendue et très enthousiaste. Assise à califourchon sur le visage de l'adolescente, on la voyait fréquemment brandir la caméra pour se filmer, souriante, la bouche grande ouverte avec des mouvements de langue obscènes, envoyant un baiser en direction de l'objectif. Karla ne fut jamais poursuivie pour ce viol qui était pudiquement voilé par les accords du plea bargain.

Le plus incroyable sans doute est que, sans qu'on sache exactement de quelle manière, ces cassettes furent par la suite copiées et diffusées. Ainsi, Stephen Williams réussit à se procurer un exemplaire qu'il retranscrivit fidèlement. Son livre "Invisible Darkness" choqua profondément les familles des victimes qui réagirent très négativement à sa sortie en librairie. On ne sait si Williams désirait mettre à jour la culpabilité d'Homolka ou espérait tout simplement augmenter son lectorat. Les deux sans doute puisqu'il considère Karla Homolka comme pleinement coupable de ses actes et estime qu'elle demeure, de ce fait, un danger pour la société. Cela lui valut tout de même de faire face à une accusation pour détention de preuves appartenant à la Couronne (notamment les vidéos dont il avait acheté des extraits au fournisseur de câble américain HBO), ainsi que divers documents de police qu'il présentait dans un site Internet très controversé. Il ferma le site "en prenant conscience du mal fait aux familles des victimes", mais c'était trop tard et depuis, bien que les vidéos ne soient plus disponibles légalement et que les originaux aient été détruits par décision de justice, de courts extraits sont en vente sous le manteau. Qu'on le veuille ou non, Leslie Mahaffy et Kristen French ont été tuées une seconde fois.

 

 

D'autres exemples de couples maléfiques

 

Les duos criminels ne sont pas exceptionnels, même si les tueurs en série sont, par essence, des individus plutôt solitaires. Citons Henry Lee Lucas et Ottis Toole qui assassinèrent avec une bestialité sans précédent au moins 199 personnes – hommes, femmes et enfants – entre 1978 et 1983 aux Etats-Unis. Bien que les couples de tueuses en série soient extrêmement rares, on ne peut ignorer Gwendolyn Graham et Catherine May Wood qui tuèrent par plaisir cinq vieilles dames dans une maison de retraite de Grand Rapids, Michigan, en 1987.

Les couples sanguinaires hétérosexuels assassinant par pur sadisme ne sont pas rares non plus, mais en général, la femme tient un rôle très secondaire, souvent passif. Ainsi, à Gloucester, en Angleterre, Fred et Rosemary West faisaient subir un véritable esclavage sexuel à leurs enfants et à d'autres jeunes filles dont ils avaient la responsabilité, et les éliminaient s'ils se rebellaient ou tentaient de fuir, mais c’était Fred qui prenait l’initiative et exécutait les sombres desseins du couple.

Aux USA, Gerald et Charlene Gallego violèrent et assassinèrent dix jeunes femmes à la fin des année 70. Comment expliquer que cette jeune fille sans histoire présentant un Q.I. de 160 et un don prodigieux pour le violon ait accepté les pulsions déviantes de Gerald, tolérant qu'il la trompe et ne s'inquitant pas le moins du monde de sa passion démesurée pour les vierges et les exclaves sexuelles ? Un an plus tard, alors qu'elle était enceinte de deux mois, Charlene participa sans hésiter aux premiers meurtres, repérant deux adolescentes dans un centre commercial et les attirant sous prétexte de fumer un joint. Ce stratagème se répéta par la suite et, même si Charlene ne semble pas avoir participé directement aux assassinats, elle était présente et parfaitement consciente de ce que Gérald faisait. Après son arrestation et au cours du procès qui eut lieu en 1982, elle joua elle aussi le rôle de la femme soumise de force aux vils instincts de son compagnon, incapable d'endiguer ses déviances sexuelles, obligée de réaliser tous ses désirs. Elle prétendit ainsi qu'il l'humiliait, la battait, lui prenait tout son argent et que, si l'amour avait été la base de leur couple, il avait été peu à peu supplanté par la peur, une situation qui n'est pas sans rappeler le duo Bernardo-Homolka. Le parallèle avec ces derniers se prolonge même dans la procédure puisqu'un plea bargain fut conclu entre Charlene Gallego et les autorités judiciaires de Californie.

Au début des années 80, une Québécoise du nom de Marie-Andrée Leclerc, petite amie du tueur en série Français Charles Sobhraj qui sévissait en Inde, fut également impliquée dans au moins deux meurtres et condamnée pour l’un d’entre eux.

En 1996, la Belgique fut secouée par l'affaire Dutroux, pédophile sadique et assassin de quatre jeunes filles qui opérait avec sa complice, Michèle Martin. Tous deux profitèrent des dissensions entre gendarmerie et police belges, et des nombreux dysfonctionnements du système judiciaire. On constate que le parcours de Dutroux est un classique du genre : divers trafics, abus sur mineurs et viols dès 1983, d'abord seul ou avec l'aide d'un complice puis, en 1985, avec l'assistance de sa femme Michèle. Comme dans la plupart des cas semblables, on note une augmentation de la violence des agressions, jusqu'au rapt et au meurtre avec sévices et tortures. Police et gendarmerie belges, envasées dans des querelles de clochers et des luttes de pouvoirs, mettront bien longtemps à s'intéresser sérieusement à ce psychopathe qui avait pourtant été condamné à plusieurs reprises pour divers délits à caractère sexuel !

En France, le "Couple  Diabolique" Fasquel-Bourdin defraya la chronique à la fin des années 80. Entre décembre 1985 et février 1986, Marc Fasquel 38 ans et sa compagne Jocelyne Bourdin 29 ans vont enlever, violer, et torturer sept femmes. Deux d'entre elles, plus rebelles ou moins chanceuses, périront des mains de Marc Fasquel. Au terme d'une cavale rocambolesque qui mobilisera jusqu'à un millier de gendarmes, le couple de meurtriers sera intercepté. Fasquel sera abattu en tentant de prendre la fuite, laissant Jocelyne Bourdin seule face à la justice. La France va alors découvrir qui était vraiment les "Amants Sataniques". A posteriori, on constate, là aussi, de nombreuses similitudes avec le couple Bernardo-Homolka. Marc Fasquel est issu d'une famille aisée et tranquille. Brillant, présentant bien, il aime mener une existence facile et n'est guère intéressé par la vie sédentaire. Ses aspirations le conduisent à la petite délinquance et il est inquiété pour vol de chéquier. Il rencontre Jocelyne dans un bar de Besançon. La jeune femme, qui a connu une scolarité tout à fait honorable, rêve de devenir infirmière. Elle s'accommode très bien du passé de Marc, qui ne s'en est pas caché, et lui donne un fils. La paternité ne dissuade pourtant pas Fasquel de mener une vie nomade. En décembre 1985, ils regardent ensemble "La mariée rouge", un film ultraviolent qui retrace les aventures d'un couple enlevant de jeunes mariés avec l'aide d'une bande de loubards. On ne sait si c'est ce film qui a tout déclenché, mais c'est à partir de ce moment que le couple Bourdin-Fasquel va commettre ses exactions. Jocelyne sera pour Marc une parfaite complice. A aucun moment, au cours de l'enquête puis du procès, elle ne montrera d'empathie pour les victimes et sera prompte à se dédouaner de ses crimes, jouant le rôle de femme menacée, et rejetant la faute pleine et entière sur Fasquel, décrit par elle comme un sadique. Elle oublie un peu vite que c'est elle qui conduit la voiture, attache et surveille les prisonnières. Si elle ne participe pas directement aux tortures, elle fournit les objets servant aux viols : bougies, cuiller en bois… A aucun moment elle n'a tenté de fuir, alors même qu'elle laissait son amant seul avec ses proies. D'après ces dernières, celui-ci avait même tendance à se calmer en l'absence de Jocelyne, ce qui suggère que, à l'image de Karla Homolka, elle avait une influence non négligeable. Elle photographie même les viols dans une série de 14 clichés hallucinants qui font suite à des photos de famille. Confrontée à la réalité, elle n'éprouvera que des regrets, mais aucun remords et, alors que les spécialistes discutent de détails techniques au cours des reconstitutions, elle tricote tranquillement, assise à l'arrière d'une voiture de gendarmerie !  L'analyse de l'expert psychiatre sera sans appel : si Marc Fasquel est un authentique sadique sexuel, Jocelyne Bourdin est une masochiste qui nourrit sa sexualité du sadisme de son compagnon, le confortant dans cette voie, une situation qui n'est pas sans rappeler le couple Bernardo-Homolka.

Michel Fourniret et Monique Olivier, condamnés à la perpétuité en mai 2008, présentent également de nombreuses similitudes avec le couple Bernardo-Homolka. Même obsession de la virginité qui conduit Fourniret à commettre des agressions et des viols sur mineures, même bonne présentation et même appat du gain.  Mais le tableau de chasse du couple compte au moins neuf femmes et jeunes filles, Le rôle de Monique Olivier est tout aussi ambigu que celui de Karla Homolka. C’est un mélange de soumission et de perversion qui la conduite à assister aux meurtres sans jamais envisager de fuir ou de secourir les victimes alors qu’elle en a la possibilité. Il est vrai que, quand elle rencontre Fourniret en 1987, elle lui promet de lui fournir des vierges en échange de l’assassinat de ses deux précédents maris… A quelques variantes près, l’histoire semble devoir se répéter sans fin.

 

 

Le procès de la honte

 

bernardo.jpgPaul Bernardo se rendant à son procès avec son nouvel avocat, John Rosen (© Canadian Press).

La dissimulation des cassettes par Ken Murray et les manœuvres de l'accusation qui s'en étaient suivies pour les récupérer retardèrent la tenue du procès. En avril 1994, on annonça qu'il n'y aurait pas d'audience préliminaire et que le procès de Paul Bernardo commencerait directement. Le 18 mai 1995, soit plus de 2 ans après son arrestation, Paul Bernardo comparut devant le juge Patrick Lesage avec à ses côtés John Rosen qui avait succédé à Ken Murray.

Le procureur Ray Houlahan suivit la politique générale de l'accusation qui, en accord avec le plea bargain, considérait Bernardo comme le maître d'œuvre, le cerveau, qui avait terrorisé Karla Homolka et l'avait forcée à commettre les pires abominations. La lecture de l'acte d'accusation était une avalanche d'horreurs qui donnait la nausée. En résumé, Bernardo était accusé de meurtres avec préméditation, viols aggravés, enlèvement, détention de force et indignités commises sur un corps humain. L'exposition des preuves à charge débuta par la projection d'extraits de vidéos où Karla se masturbait devant Paul en lui promettant de lui ramener des vierges de 13 ans pour qu'il les viole. Dans "Lethal Mariage", Nick Pron décrit que la découverte du contenu des cassettes  suscita chez le public et les jurés un mélange de "surprise et de dégoût". Depuis son arrestation, 2 ans auparavant, le visage d'Homolka était au moins aussi connu que celui du premier ministre. Elle avait été vue à la télévision, sur des clichés pris à son mariage avec ses amis, et à son procès, mais rares étaient ceux qui s'attendaient à voir un véritable film pornographique. Suivaient alors les vidéos montrant "Jane Doe", Leslie Mahaffy et Kristen French et les sévices qui leurs avaient été infligés. Ce fut un moment atroce pour les familles des victimes qui pensaient avoir déjà atteint le fond du gouffre. Elles y voyaient leurs propres enfants violées, martyrisées, humiliées, et par-dessus tout cela, les sourires angéliques de Paul et Karla. Le rapport fourni par Bruce A. MacFarlane et publié dans "Criminal Law Quaterly" en 1999 décrit avec sobriété les scènes horribles :

"Les vidéos montrent, d'une manière très directe, le viol vaginal et anal de deux écolières kidnappées par les accusés. Les dégradations sexuelles continuent avec fellation, cunnilingus, anulingus et masturbation forcée, les accusés urinant et tentant de déféquer sur une des filles (Kristen French), la pénétration vaginale et anale avec une bouteille de vin sur la même fille et rapports sexuels entre les jeunes femmes et entre les jeunes femmes et l'homme. Tout le long de la vidéo il y a des coups et en permanence, des cris d'angoisse et des appels au secours de la part des victimes. Les filles ont l'ordre de sourire, de répéter les paroles prévues par un script et doivent dire qu'elle adorent leur supplice". Dans ce rapport, MacFarlane confirme que les deux assassinats et le démembrement de Leslie Mahaffy n'ont pas été filmés.

Karla, qui jouait à présent le rôle de témoin à charge, vint commenter les vidéos à la barre. Elle suivit la même ligne que précédemment, jouant le rôle de l'esclave sexuelle forcée d'accomplir l'innommable pour le plaisir du "Roi" (« You are the king ! »), précisant qu'elle s'était retrouvée dans un état d'aliénation physique et mentale, surtout après la mort accidentelle de Tammy que Bernardo avait utilisée contre elle, menaçant de dévoiler son rôle à sa famille si elle refusait de lui obéir. Il semble par exemple que l'ensemble des dialogues ait été écrit par Bernardo qui réglait tous les détails comme un véritable metteur en scène.

Homolka donna aussi de nombreux détails sordides. Par exemple, elle précisa que Paul Bernardo tranchait les tendons de ses victimes alors qu'elles étaient encore vivantes pour les empêcher de fuir. Bien entendu, l'avocat de Bernardo remit en cause la crédibilité de Karla qui avait tout avantage à minimiser son rôle et à charger son ancien mari, mais cela ne changeait rien à la culpabilité de l'accusé. De bonne guerre, Bernardo accusa son ex-épouse d'avoir tué les deux adolescentes.

Le 1erseptembre 1995, Paul Bernardo fut condamné à la prison à vie pour l'enlèvement, le viol et le meurtre de Leslie Mahaffy et de Kristen Dawn French. Un second procès s'ouvrit alors où il devait répondre de la mort de Tammy Homolka et du viol de plusieurs autres victimes. Reconnu une nouvelle fois coupable, Paul Bernardo fut déclaré "agresseur dangereux" (Dangerous Offender). Cette classification est capitale puisqu'en droit canadien, la réclusion à perpétuité permet au prisonnier d'être remis en liberté après 25 ans de détention minimum.  Affublé de ce titre peu enviable, Bernardo finira sa vie derrière les barreaux, probablement dans le pénitencier de Kingston, Ontario, dans le secteur connu sous le nom de "Lower 1A" où il se trouve toujours, isolé des autres détenus, surveillé et filmé nuit et jours, ne bénéficiant que d'une demi-heure à une heure de promenade quotidienne. Il a droit à la télévision et la radio, deux douches par semaine et quatre appels téléphoniques par mois. Il peut recevoir des visites de ses proches, mais est tenu à l'écart des journalistes qui ne peuvent l'interviewer.

Bien sûr, il reste encore des victimes en suspends pour lesquelles aucun jugement n'a été rendu : Terri Anderson, Jane Doe et toutes celles qui ont été violées et dont la justice canadienne n'a pas fait cas. Leur nombre même reste un objet de controverse : tre

ize, quarante, davantage ? Karla le décrivait comme "le joyeux violeur" et il n'avait aucune raison de s'arrêter. Début 2006, Paul Bernardo, par la voix de son nouvel avocat Tony Bryant, avoua dix viols supplémentaires, la plupart ayant eu lieu en 1986 soit un an avant que la police ne commence à comptabiliser les attaques du "Violeur de Scarborough". Il est vrai que plusieurs cas de viols non résolus datent de cette période, l'un à Guildwood Village, où Bernardo vivait avec ses parents, et l'autre sur le campus de l'université de Toronto à Scarborough. Les policiers l'interrogèrent à propos des meurtres de Cyndi Halliday, 17 ans, en 1992 et de Linda Shaw, 21 ans, étudiant à l'université de Toronto au début de 1993. En revanche, la police régionale de Peel en Ontario rejeta toute implication de Bernardo dans les dix à dix-sept viols qu'il prétendait avoir commis dans la région de Mississauga entre 1986 et 1989 pour la simple raison que les modus operandi ne correspondaient pas à celui utilisé par le tueur [Interrogatoire de Paul Bernardo(en anglais) Part I] [Part II].

On ignore encore ce qui a poussé cet homme sans avenir à s'accuser de tels méfaits. Il prétendait vouloir "tirer un trait sur le passé"… Ne voulait-il pas plutôt attirer l'attention sur lui alors que son ex-épouse et complice venait d'être libérée ? On sait que Bernardo avait mal réagi en apprenant la sentence infligée à Karla Homolka, estimant que ce n'était pas assez. On peut aisément comprendre qu'il n'ait pas accepté qu'elle soit remise en liberté au cours de l'été 2005.

En février 2000, les avocats de Paul Bernardo justifièrent une demande en appel en prétendant que le juge Lesage avait commis des erreurs de procédure lors du procès de 1995 pour les meurtres au premier degré. En particulier, ils mirent en cause le plea bargain qui n'avait été possible que parce que son propre avocat, Ken Murray, avait dissimulé les vidéos dix-sept mois durant. D'après Bernardo, ces cassettes impliquaient suffisamment Karla pour que l'accord avec l'accusation soit reconsidéré. Le 27 mars 2000, la cour d'appel de l'Ontario rejeta l'appel. Il ne fallut que quinze minutes aux trois juges pour prendre une décision après avoir écouté les avocats de Bernardo quatre heures durant, une décision si rapide qu'elle devrait rendre vaine toute future procédure.

De Bernardo, on entendra sans doute plus guère parler avant 2018, année de recevabilité d'une demande de libération conditionnelle (fort improbable), mais Karla Homolka n'a pas fini de faire couler l'encre et la salive. Et son curieux comportement au cours de sa détention allait soulever un tollé général.

 

[Carte]

 



© Christophe Dugave 2008 

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Published by Christophe Dugave - dans Deuxième partie
12 mai 2009 2 12 /05 /mai /2009 10:37

Paul Bernardo et Karla Homolka : Fatale attraction (I)

Mise en garde : la description de certaines scènes ainsi que certains dialogues issus des minutes du procès sont sexuellement explicites et violents et déconseillés aux mineurs et aux personnes sensibles.
  

 

Une petite fille presque trop sage

 

Elle écrivait sur du papier à fleurs, adorait les animaux et refusait de faire le moindre mal à une mouche. Elle aimait aussi discuter ou écouter de la musique comme les jeunes filles de son âge, et ne se mettait que très rarement en colère malgré un caractère bien affirmé. Blonde aux yeux bleus, toujours souriante sur les photographies où on la voyait souvent poser avec son rottweiller Buddy, elle incarnait la douceur et la joie de vivre : une jeune femme épanouie et sans histoire.

Karla Leanne Homolka vit le jour à Port-Credit, Ontario, le 4 mai 1970. Elle était la fille de Karel et Dorothy Homolka, un couple de petits-bourgeois des environs de Toronto. Karel Homolka avait fui la dictature tchécoslovaque pour s'installer aux Etats-Unis où il avait épousé Dorothy. Ce couple aimant et paisible avaient émigré au Canada avant de donner naissance à trois filles : Karla, Lori et Tammy. Le seul défaut de Karel Homolka était d'être un peu trop porté sur la boisson, sans pour autant que cet alcoolisme discret n'ait eu d'effets négatifs sur sa vie de famille.

Karla s'entendait bien avec ses deux sœurs et ses parents malgré une personnalité un peu entière. Elle ne faisait jamais rien à moitié et avait des jugements assez tranchés, mais sa gentillesse et son caractère agréable faisaient qu'elle était appréciée de son entourage, voire populaire en raison de son joli minois. Elle invitait souvent des amis à la maison, mais ce n'était pas une fille délurée même si elle s'intéressait aux garçons. Bonne élève, elle était inscrite à l'école secondaire "Sir Winston Chrurchill" à St-Catharines, Ontario, où elle habitait, et faisait partie d'une chorale. Pour tous ceux qui la connaissaient, son amour des animaux devait sans aucun doute la conduire à exercer plus tard une profession dans ce domaine.

A la fin du lycée, elle commença de fréquenter un groupe d'amis qui buvaient parfois un peu trop et "séchaient les cours", si bien que ses résultats scolaires commencèrent à s'en ressentir. Ses parents ne s'en formalisèrent pas vraiment, attribuant ce changement de personnalité à la "crise d'adolescence". Karla était malgré tout une enfant sage qui fréquentait peu les garçons jusqu'à ce qu'elle tombe amoureuse d'un jeune Américain qui finit par retourner dans le Kansas. Contre l'avis de ses parents, Karla partit le retrouver et, à cette occasion, elle eut sa première expérience sexuelle. Ce fait mériterait à peine d'être évoqué — Karla avait alors 17 ans — s'il n'avait eu autant d'importance dans la suite des évènements. Peu de temps après, elle trouva une place d'assistante vétérinaire et se stabilisa, redevenant une jeune fille recommandable qui aurait pu mener une existence calme si le hasard des rencontres n'en avait décidé autrement. A l'égale des deux autres membres de l'Exclusive Diamond Club, ses amies Debbie Purdie et Kathy Wilson, sa principale ambition était de rencontrer le prince charmant et de faire un beau mariage

 

homolkaseries6.jpgKarla Leanne Homolka: le sourire de l'innocence. Elle aimait sa famille, ses amies, et les animaux (ici avec son chien Buddy), et allait travailler dans une clinique vétérinaire en tant qu'assistante.
 
Au mois d'octobre 1987, Karla se rendit à une convention de l'industrie des animaux de compagnie avec Debbie. Le 17 de ce mois, dans un hôtel restaurant Howard Johnson, les deux jeunes femmes rencontrèrent deux hommes qu'elles invitèrent dans leur chambre pour regarder la télévision. Séduite par Paul Bernardo, un étudiant de l'université de Toronto, Karla se donna à lui sans délai sous les regards médusés du second couple qui ne savait que faire, assis à quelques mètres des amants enlacés. Debbie était d'autant plus surprise que Karla n'avait pas la réputation d'être une fille facile. Plus tard, elle lui expliqua qu'elle était immédiatement tombée amoureuse de Paul et avait su qu'ils allaient se marier. Pour être rapide, l'idylle tenait apparemment plus du conte de fée que du fait-divers. C'était sans compter sur la curieuse évolution de cet amour, un mélange d'obsession sexuelle réciproque, de sado-masochisme et de fantasmes pervers qui allaient encourager Paul Bernardo à perpétrer viols et crimes au-delà de l'imaginable. Un cocktail explosif qui allait frémir trois années durant avant d'éclater dans la propre famille de Karla.

  

 

L'enfance secrète d'un charmant garçon

 

Prédisposition génétique ou construction factuelle d'un profil criminel ? Il semble bien que l'enfance de Paul Bernardo confirme l'importance de ces deux phénomènes indépendants qui coopèrent pour ébaucher la personnalité du violeur multirécidiviste et du tueur en série. Peut-être Paul ne serait-il jamais devenu un criminel si son adolescence n'avait été brisée par la découverte brutale de sa conception adultère par une mère dépressive fuyant un époux violent. Mais les gènes étaient là, prêts à s'exprimer à la moindre occasion favorable, comme une mauvaise herbe dans un jardin soudainement abandonné, et Paul allait successivement devenir pyromane, violeur puis meurtrier, encouragé et adulé par Karla.

En 1960, Kenneth Bernardo épousa Marylin Eastman et s'installa avec sa femme à Scarborough, un quartier agréable de Toronto occupé principalement par des gens de la classe moyenne. Marilyn donna naissance à un garçon puis à une fille, mais le mariage allait mal : Kenneth battait sa femme comme l'avait fait son père avant lui et se rendait coupable de voyeurisme. Marylin trouva donc refuge dans les bras d'un ancien petit ami et c'est ainsi qu'elle conçut Paul. Contrairement à toute attente, Kenneth ne s'offusqua guère de l'infidélité de son épouse et reconnut l'enfant lorsqu'il naquit le 27 août 1964. Alors que Paul allait sur ses 7 ans, Marylin réussit à localiser ses sœurs biologiques et prit l'habitude de leur rendre visite tous les week-ends, laissant Paul sans surveillance. Marylin présentait alors tous les signes d'une dépression profonde : irascibilité, repli sur elle-même, prise de poids… Sans doute parce que Kenneth écumait le quartier la nuit pour tenter d'apercevoir de jeunes voisines nues, réalité qui ne devait être découverte que bien plus tard. Pire encore, il abusait sexuellement la sœur de Paul, sa propre fille. Pourtant, pour qui ne la connaissait pas, la famille Bernardo n'était pas une famille à problèmes : jolie maison avec piscine et jardin, vie aisée, vacances agréables…

Contrairement à son frère et sa sœur, il semble que Paul ait fort bien supporté l'ambiance familiale désastreuse, du moins dans un premier temps. Doit-on y voir les premiers signe de cette capacité à ignorer la douleur des autres que semblent posséder tous les tueurs en série ? Jouait-il au contraire la comédie pour donner le change ? C'était un petit garçon studieux, gentil et bien élevé dont le sourire charmant faisait fondre toutes les mamans du quartier. Dans "Mariage mortel" (Lethal Marriage) , Nick Pron décrit Paul comme l'enfant idéal : " Il était toujours content. Un jeune garçon qui souriait beaucoup. Et il était si mignon avec son physique potelé et son doux sourire que beaucoup de mamans voulait lui pincer les joues dès qu'elles le voyaient. Il était l'enfant parfait qu'elles désiraient avoir… ".

Paul avait de bons résultats scolaires et voulait réussir dans la vie pour devenir quelqu'un. Engagé dans le scoutisme, il se mit à fréquenter assidûment deux garçons du voisinage, Van et Steeve, avec qui il commença d'allumer des feux sans grandes conséquences avec des lentilles grossissantes et des brindilles. Cela ne l'empêcha pas d'être décoré du Chief Scout Award. En grandissant il s'impliqua davantage dans le scoutisme au point de passer tout l'été comme conseiller auprès des enfants qui l'adoraient. Etait-ce une sorte de famille de substitution qui lui rendait l'affection que lui refusait son père, trop pris par son travail, et sa mère qui se désintéressait totalement de sa famille et de son intérieur au point de passer ses journées dans le sous-sol de la maison ? Qu'il soit ou non en uniforme, Paul savait profiter de son aura et de son charme, notamment auprès des adolescentes séduites par ce beau jeune homme timide et romantique. Pour celles qui avaient la chance d'avoir un rendez-vous, Paul semblait être un amoureux sincère et attentionné…

 

homolkazzpaulseries2.jpgPaul Bernardo : beau, aimable, charismatique, il aurait pu mettre dans son lit les plus jolies filles de Scarborough. Mais il préférait les violer et les torturer.
 
En juin 1980, la vie de Paul Bernardo connut deux grands bouleversements : Il rencontra tout d'abord son premier amour, Nadine Brammer, une jolie blonde qui le déniaisa. Plus tard, elle devait confier que Paul était un amant possessif et autoritaire, et elle finit par rompre avec lui au printemps de l'année suivante, lui préférant son ami Steeve. Fou de rage, Paul brûla toutes les affaires que Nadine lui avait données. Il n'était déjà plus le gentil garçon que tant de gens appréciaient, et peu à peu, son côté sombre commençait à émerger. La plupart des psychologues qui ont étudié le cas Bernardo ont attribué ce changement brutal à une dispute particulièrement violente qui l'aurait opposé à sa mère. Pour se venger, celle-ci lui révéla qu'il était un fils illégitime (une situation que connut le tueur en série Américain Ted Bundy) et que son père violait sa sœur depuis des années. Paul Bernardo fut anéanti par ce double aveu, comprenant que toute son existence était basée sur le mensonge. « C'est comme si j'étais rentré dans un mur de briques » a expliqué Ted Bundy. Sans doute Paul a-t-il connu un sentiment similaire. Il insulta alors sa mère qu'il considérait comme une "salope" et une "putain" et celle-ci le traita de "bâtard". A vrai dire, les rapports entre mère et fils s'étaient considérablement dégradés lorsque Paul avait atteint l'adolescence : il avait commencé à mépriser cette mère déformée par son obésité et qui se négligeait comme elle délaissait sa propre famille. Ses rapports avec sa sœur s'étaient entachés de jalousie, et Paul commençait à partager l'opinion de son père qui estimait que "les femmes doivent rester à leur place". Le jeune homme s'était d'ailleurs lié d'amitié avec une bande de petits malfrats qui fréquentaient des filles aux mœurs légères, relations douteuses qui contribuèrent à dégrader encore son image de la femme.

Après l'achèvement de ses études au lycée "Sir Wilfried Laurier", Paul trouva un petit boulot dans la société Amway. Dans "Innocence fatale" ("Deadly Innocence"), Burnside et Cairns révèlent que Paul Bernardo fut profondément influencé par les méthodes de la société. Il appliqua les stratégies d'Amway à toutes les facettes de son existence, que ce soit pour les affaires mais aussi dans ses relations personnelles, se gargarisant de conseils d'experts du fameux " Devenez riche et célèbre". Il commença de fréquenter les bars avec ses amis, embobinant des jeunes filles avec ses délires de futur millionnaire alors même qu'il gagnait un salaire modeste. Cette période fut certainement capitale dans son existence : il apprit à manipuler les gens, en particulier les femmes pour mieux abuser d'elles, et se découvrit aussi un amour immodéré de l'argent et du luxe.

Sa sexualité évoluait aussi vers des formes plus fantasmatiques et plus violentes. Durant l'automne 1983, alors qu'il entrait à l'université de Toronto, Paul Bernardo avoua à son ami Van son fantasme de la "ferme des vierges" dans laquelle il aurait élevé comme du bétail des troupeaux de jeunes adolescentes rêvant de faire l'amour avec lui. Dans les années qui suivirent, ses conquêtes féminines se multiplièrent alors même que la durées des relations ne dépassaient guère un mois, chacune fuyant ses étranges pratiques sexuelles. Il préférait notamment le rapport anal forcé qui devenait peu à peu sa principale source de plaisir. La violence de Paul s'exprimait d'ailleurs bien au-delà du lit, et il n'hésitait pas à menacer de mort celles qui voulaient le quitter si elles venaient à raconter ce qu'il leur avait fait. Lui qui avait été un amant prévenant et délicat était devenu un être pervers, violant et battant ses conquêtes, et n'hésitant pas à les humilier en public. Il ne voyait plus l'amour que sous un rapport de domination qu'il agrémentait volontiers de jeux sado-masochistes et de bondage. Sa réputation le précéda bientôt au point que plus aucune fille n'osa l'approcher malgré son charme et son air toujours aussi innocent. Il commença même à connaître quelques ennuis avec la police : il fut d'abord l'objet d'une plainte de la part de l'ex-petite amie de Van à qui il avait adressé des coups de téléphone obscènes. Il fut également inquiété lorsqu'il harcela Carol, une des nombreuses relations qu'il maintenait – par la menace si nécessaire – en parallèle avec d'autres amourettes. Il dut cependant se calmer après que Jennifer Thompson, sa dernière conquête en date, l'aie menacé de tout raconter à la police. Peu de temps après, Paul décrocha son diplôme et accepta un poste de comptable débutant chez Price Waterhouse, un grand cabinet de services financiers installé à Toronto.

Paul Bernardo menait en parallèle un certain nombre d'activités illicites destinées à répondre à ses énormes besoins d'argent. En effet, obsédé par le luxe, les gadgets et les vêtements à la mode, il avait commencé à trafiquer alors même qu'il était étudiant, notamment en effectuant de la contrebande de cigarettes avec les Etats-Unis. Profitant de revenus confortables, il se mit à nourrir des rêves de grandeur et laissa tomber ses anciens amis. Il n'en était pas devenu pour autant un homme respectable, mais il conservait ce charme et ce pouvoir de persuasion qui rassuraient et mettaient en confiance les jeunes filles trop crédules. Etait-ce le cas de Karla Homolka en ce mois d'octobre 1987 ? Avait-elle deviné au contraire que derrière cette façade de respectabilité se cachait une personnalité monstrueuse ? Et si oui, cet aspect avait-il joué un rôle réel dans l'attirance immédiate qu'elle avait ressentie pour Paul ?

 

homolkaseries5.jpgTrès vite, Paul initia Karla à des jeux sado-masochistes qui étaient ni plus ni moins des simulacres de viol qu'il filmait intégralement. Karla semblait alors s'y prêter de bonne grâce (© Stephen Williams).
 
La suite des événements devait montrer que Paul et Karla étaient immédiatement devenus des amants très proches. Contrairement à ses autres petites amies, Karla avait eu le privilège d'obtenir son adresse et son numéro de téléphone dès la première rencontre. Il avait, bien sûr, cherché à la revoir, et leurs rendez-vous se multipliaient. Paul manipulait Karla en développant chez elle un véritable état de manque destiné à mieux l'asservir : il la taquinait, arrivait en retard à leurs rendez-vous et peu à peu lui faisait réaliser tous ses fantasmes sexuels. Il commençait à régir tous les aspects de sa vie, lui disant quoi porter, comment se coiffer, se maquiller, quoi manger et quelle opinion avoir. Cette transformation physique et psychique s'attachait bien sûr à reproduire l'image d'une adolescente, thème qui obsédait Paul Bernardo. Celui-ci était en effet préoccupé par le fait que Karla n'était pas vierge à leur première rencontre et qu'il n'avait donc pu la déflorer. Cela devait entacher la suite de leur relation d'une "faute originelle" dont Karla devait se laver, et conditionner la plupart de leurs actes criminels.

Peu à peu, une véritable relation sadomasochiste se développa entre eux, mais contrairement aux autres filles qui avaient connu Paul, Karla ne le rejeta pas, bien au contraire. En entrant dans le jeu de la perversion, elle l'incita à la surenchère, et ils devinrent rapidement dépendant sexuellement et psychiquement l'un de l'autre. Paul avait même ajouté quelques raffinements à leurs jeux érotiques : il adorait filmer leurs ébats en vidéo, n'hésitant pas à faire des gros plans sur Karla attachée au lit et insultée à dessein. Il imposait aussi à la jeune femme une liste de règles à respecter : avoir un régime équilibré, faire régulièrement du sport, ne pas mettre de parfum… Paul édictait aussi d'autres lois ridicules qui régissaient leur vie de couple et ajoutait aussi quelques commentaires dévalorisants, encourageant Karla à se mésestimer, un peu à la manière d'un mouvement sectaire : « Souviens-toi que tu es stupide. Souviens-toi que tu es affreuse. Souviens-toi que tu es grosse.  Je ne sais pas pourquoi je te dis ça puisque tu ne changeras jamais ! ».

Paul avait aussi ses bons côtés : il aimait la musique et avait acquis peu à peu un véritable équipement de professionnel. Son sens du rythme et de la tchatche l'avait tout naturellement orienté vers le Rap, et il ambitionnait de faire carrière parmi les plus grands. En revanche, sa voix n'était pas à la hauteur, ce qu'il avait du mal à accepter. S'il savait être spirituel et aimait faire le clown, il pouvait changer brutalement d'humeur et se faire brutal. Mais l'amour de Karla ne faiblissait pas, bien au contraire, au point que Paul décida de la tester.

Un jour de novembre 1987, alors qu'elle était sur ses genoux à sa merci, les mains attachées, Paul lui demanda ce qu'elle penserait s'il lui avouait qu'il était un violeur. Contre toute attente, Karla répondit « Ce serait cool ! ». A partir de ce moment, leur amour pervers augmenta encore au point de franchir les limites de l'acceptable, car pour la jeune femme, ce n'étaient pas des paroles en l'air, pas plus que Paul ne testait le terrain pour instituer un nouveau jeu sexuel. Quelques mois avant sa rencontre avec Karla Homolka, Paul Bernardo avait commencé de violer des jeunes femmes à Scarborough ; il allait reprendre de plus belle, mais cette fois-ci, il entraînerait Karla dans son sillage.

 

 

Le violeur de Scarborough

 

 

bernardo_paul_cp_55958.jpgPaul Bernardo, violeur et meurtrier en série (© Associated Press).
 
Paul Bernardo était connu pour être un chaud lapin aux mœurs curieuses, et des bruits inquiétants couraient dans la société pour laquelle il travaillait au point que toutes les employées le fuyaient. Pourtant, malgré la recrudescence de viols à Scarborough, nul n'aurait songé à le soupçonner bien qu'en mai 1987, deux jeunes femmes aient été violées et battues, l'une à un arrêt d'autobus près de chez lui et l'autre devant sa propre maison. Durant l'été, une troisième réussit à échapper à son agresseur, mais sans pouvoir donner de renseignements précis sur son compte. Le 16 décembre 1987, une adolescente de 15 ans fut violée à la descente du bus. L'affaire mobilisa la police et les médias qui ne tardèrent pas à relier ce dernier fait aux deux viols perpétrés en mai. On commença alors à parler du "Violeur de Scarborough". Une semaine plus tard, Paul s'attaqua à une femme plus mûre en changeant un peu son protocole puisqu'il utilisa un couteau. L'enquête n'ayant pas donné les résultats escomptés, la police métropolitaine de Toronto forma une Task Force anti-violeur (Rapist Task Force), un groupe de policiers se consacrant entièrement à cette affaire. Les viols cessèrent alors pour reprendre de plus belle à partir du mois d'avril. Les attaques se succédèrent ainsi pendant deux ans, selon des modes opératoires relativement similaires : Paul Bernardo attaquait ses victimes alors qu'elles attendaient le bus ou en descendaient, ou bien il les agressait chez elles en toute impunité. Plusieurs fois cependant, les choses manquèrent tourner à son désavantage : Les victimes se défendaient parfois vigoureusement ou criaient jusqu'à ce que Paul lâche prise. Certaines réussirent à fournir à la police suffisamment d'informations concordantes pour qu'il soit possible de déterminer le modus operandi : l'homme attaquait toujours ses victimes par derrière et les maîtrisait brutalement avant de se livrer à des attouchements sexuels. Il parlait à ses victimes durant toute la durée de l'agression et exigeait qu'elles lui disent des choses précises qu'il avait envie d'entendre. L'ensemble des attaques avaient eu lieu dans le Guildwood Village de Scarborough. Comme l'indique Stephen Williams dans son livre "Noirceur Invisible" ("Invisible Darkness"), les violeurs en série agissent sous l'effet de fantasmes précis qui signent leurs agressions. Les nombreuses similitudes entre les témoignages indiquaient donc sans doute possible qu'il s'agissait bien d'un seul et même individu.

Peu avant Noël 1987, une des victimes donna suffisamment de renseignements précis pour qu'un portrait robot soit établi. Il s'agissait d'un grand jeune homme blond, élégant et soigné. Il conduisait une Ford Capri de couleur blanche, véhicule que possédait Paul Bernardo. Les propriétaires de Capri de la région furent donc interrogés un à un, et chacun des 230 individus localisés dut fournir un échantillon de salive et de sang. Bizarrement, Paul Bernardo ne figurait pas dans la liste. De manière inexplicable, cet excellent portrait, qui aurait pu inquiéter Paul, fut transmis aux autres services de police du Canada plutôt que d'être rendu public à Scarborough. Certains amis de Karla avaient pourtant découvert que Paul utilisait des menottes pour l'attacher, ce qui n'avait pas manqué de les choquer. Interrogée sur ce point, Karla s'était contentée de répondre qu'il aimait "jouer à certains jeux"… Ils auraient sans nul doute eu des soupçons s'ils avaient vu le portrait robot.

La police disposait de l'ADN du violeur recueilli sur certaines victimes, une preuve qui ne valait justement que si l'on pouvait le comparer à l'ADN d'un suspect. Il est certain que si le portrait-robot avait été largement diffusé, Paul aurait été confondu sans délai par ce moyen, d'autant plus que Jennifer, une ex-petite amie de Paul, avait contacté la police en se plaignant d'abus sexuels, de traitements brutaux et de viol. Certains détails de la plainte rappelaient d'ailleurs étrangement les viols commis à Scarborough …C'était sans compter avec les luttes intestines qui faisaient rage au sein de la police de Toronto à la même époque et paralysaient son efficacité.

 

homolkabillboard2.jpgle portrait robot du "Violeur de Scarborough" ne fut que tardivement diffusé auprès de la population (© Toronto Metro Police). Dès qu'ils le virent, ses amis et ses anciens collègues songèrent immédiatement à Paul Bernardo, mais celui-ci nia toute implication lorsque les enquêteurs vinrent l'interroger.
 
Lorsque le portrait robot fut rendu public en mai 1990, Paul avait violé entre onze et treize femmes ou jeunes filles. Il avait alors démissionné de Price Waterhouse et ne vivait plus que de la contrebande de cigarette. Le dessin était très ressemblant et plusieurs de ses anciens collègues et relations reconnurent le jeune homme qui fut dénoncé à la police. Mais la diffusion publique des clichés fut plus payante qu'on pouvait l'espérer, et la police fut inondée d'appels, ce qui compliqua singulièrement la tâche des enquêteurs. L'inspecteur Steve Irwin, principal enquêteur, décida cependant de rendre visite à Paul Bernardo. Interrogé par le détective, celui-ci se montra poli et sympathique, à tel point que même en 35 minutes d'interrogatoire, le policier ne put se convaincre de son éventuelle implication. Il lui demanda tout de même des échantillons de sang, de salive et de cheveux pour réaliser les tests ADN qui rejoignirent les 230 autres prélèvements réalisés pour cette enquête. L'affaire en resta là et Paul ne fut pas davantage inquiété.

Il fallut longtemps pour réaliser l'ensemble des comparaisons entre les prélèvements et l'ADN du violeur. En avril 1992, le laboratoire de la police de Toronto avait identifié 5 des 231 échantillons comme présentant des similitudes avec les sécrétions du violeur. Paul en faisait partie, mais le dossier fut enterré car les viols avaient mystérieusement cessé. Entre temps, Karla et Paul avait en effet emménagé dans une jolie petite maison, à Port Dalhousie, un quartier tranquille de St-Catharines, au sud du lac Ontario.

Depuis ce jour de novembre 1987 où Paul lui avait avoué être un violeur, Karla avait eu tout le temps de se persuader qu'il s'agissait bien d'une réalité effrayante et non pas d'une fanfaronnade. Mais bien loin de s'en offusquer, elle avait encouragé les tendances perverses de Paul. Elle était peut-être même allée beaucoup plus loin… L'une des victimes rapporta en effet la présence d'une femme aux côtés du violeur, une femme blonde qui filmait toute la scène avec un caméscope, mais la police ne tint pas compte de ce témoignage qu'elle mettait sur le compte de délires hystériques. Elle ignorait alors qu'en plus d'une partenaire pour ses fantasmes, Paul Bernardo avait bel et bien trouvé une complice pour ses viols.

 

homolkasistertammyyoung1.jpgTammy Lyn Homolka, 15 ans, la propre sœur de Karla, droguée et violée le 23 décembre 1990. Elle mourut accidentellement en suffoquant. Pas un instant, les parents ne suspectèrent Karla et Paul. Privés d'une victime innocente pour les assister dans leurs jeux pervers, le couple fréquenta un moment une adolescente du même âge avant que Paul ne rencontre par hasard Leslie Mahaffy.

Paul continuait d'être obsédé par la virginité et, sans que son amour pour Karla n'en soit altéré, il lui avait confié ses préoccupations, lui reprochant de ne pas s'être gardée intacte pour lui. Il avait aussi commencé d'aborder la question de la pureté de Tammy, la petite sœur de Karla, et cette dernière avait pu le rassurer sur ce point. A 15 ans, Tammy Lynn Homolka n'avait jamais connu de garçon. On sait fort peu de choses à propos de la manière dont les choses furent manigancées par la suite. Paul demanda-t-il directement à Karla de l'aider à déflorer Tammy "en compensation" de sa virginité perdue ? Est-ce au contraire Karla qui le lui proposa "par amour" ? Il est évident que même si depuis, elle a avoué avoir participé à l'agression sexuelle sur sa propre sœur, Karla Homolka a toujours nié en être l'instigatrice. Bien évidemment, un tel aveux aurait été incompatible avec sa ligne de défense où elle se présentait comme une femme sous influence, partagée entre la peur et une dévotion forcée pour son amant. Quoi qu'il en soit, le sort de Tammy était scellé.

 

Tammy : l'inconcevable cadeau de Noël

 

 

homolkazzandpaul5.jpgUn couple de rêve : coup de foudre, accord parfait, les apparences étaient trompeuses et derrières les sourires, la réalité était plus sombre (© Toronto Sun). 
 
En 1990, Paul et Karla se fiancèrent. Pour Karla, le conte de fée se poursuivait : elle rêvait d'un mariage somptueux, d'une vie facile et d'un mari parfait. Ses critères en la matière étaient pour le moins inhabituels car même avec elle, Paul se comportait en sauvage et la brutalisait au cours de leurs rapports sexuels, ce qu'elle semblait apprécier puisque Karla était indéniablement masochiste. C'était l'accord parfait, mais Karla se trompait cependant sur un point : malgré leur amour et leur complicité, Paul n'était pas un modèle de fidélité. En novembre 1988, alors qu'il travaillait à Toronto, il avait rencontré une autre femme et avait continué de la voir pendant 18 mois malgré sa passion grandissante avec Karla, car cette relation appréciait particulièrement la sodomie. En 1990, il n'était plus question d'infidélité, et la joie se lisait sur les visages des deux amoureux, persuadés d'avoir trouvé l'être unique, la moitié idéale. La seule ombre à ce tableau était que Karla se sentait coupable de ne pas avoir conservé sa virginité pour Paul au point de considérer comme logique de lui offrir celle de sa propre sœur Tammy. Il lui semblait tout aussi normal de filmer l'évènement et de participer elle-même au viol. Ainsi, alors que tout un chacun se préparait aux festivités de Noël, Karla et Paul organisaient tranquillement la défloration de Tammy. Pour Karla, c'était une sorte d'examen final, ce qui ferait d'elle l'esclave de Paul, exhaussant le moindre de ses désirs et réalisant tous ses fantasmes.

Karla travaillait dans une clinique vétérinaire où elle avait accès à toutes sortes de drogues utilisées pour anesthésier les animaux. Elle se procura une bouteille d'Halothane, un sédatif qui présentait un danger pour le foie et les muscles. Par sécurité, elle avait également volé quelques comprimés d'Halcion, un puissant somnifère qui ne devait pas être utilisé en mélange avec de  l'alcool, ce qu'elle semblait ignorer.

Le 23 décembre 1990, Paul et toute la famille Homolka étaient réunis et regardaient un film à la télévision dans le sous-sol de leur maison à St-Catharines. Paul s'amusait à filmer tout le monde avec son nouveau caméscope pour tromper son impatience, car ce jour-là était celui que Karla et lui avaient choisi pour le viol de Tammy. Paul réduisit tous les cachets d'Halcion en poudre et les mélangea à la boisson de l'adolescente. Lorsque les parents montèrent se coucher, laissant Paul et Karla regarder un second film, Tammy donnait déjà des signes de somnolence. Elle ne tarda pas à sombrer dans l'inconscience. A la demande de Paul, Karla filma l'ensemble de la scène et c'est grâce à ces documents, retrouvés par la suite, que le déroulement des évènements a pu être reconstitué avec précision.

homolkasistertammyyoung2.jpgTammy Lynn Homolka, la petite sœur de Karla : Elle lui ressemblait physiquement mais elle était vierge. Pour Paul Bernardo, c'était donc la proie rêvée…

Paul et Karla couchèrent Tammy sur le sol de la chambre d'amis avant de presser sur son visage un tampon imbibé d'Halothane. Paul la déshabilla et la viola avec sa brutalité coutumière, puis ordonna à Karla de caresser sa sœur inconsciente. Lorsqu'il fut lassé de ce jeu, Paul retourna Tammy sur le ventre et la sodomisa sauvagement, comme il aimait le faire avec ses autres victimes. C'est alors qu'il remarqua qu'elle ne respirait plus et avait vomi. Les deux violeurs rhabillèrent alors l'adolescente avant d'appeler une ambulance, mais il était déjà trop tard : Tammy, qui avait inhalé ses vomissures et avait suffoqué, mourut durant son transport vers l'hôpital.

D'après le témoignage de la famille, Paul sembla écrasé par la nouvelle de la mort de Tammy. Cependant, il ne se sentait nullement coupable ou accablé par les remords. Il perdait juste la possibilité de réitérer son viol et de réaliser une nouvelle fois son fantasme. Karla, elle aussi, était anéantie, sans doute, en partie parce qu'elle aimait bien sa petite sœur, mais surtout parce qu'elle pressentait que l'évènement aurait des répercussions sur ses projets de mariage prévu six mois plus tard. En cela, elle avait raison car ses parents estimaient qu'il serait inconvenant de maintenir le projet du grand mariage festif qui avait été programmé : robe coûteuse, calèche, repas somptueux… Karla en fut profondément bouleversée. Cela ne l'empêcha pourtant pas de réaliser le fantasme de Paul qui voulait revivre le viol de Tammy.

Ainsi, quelque temps plus tard, Paul et Karla passèrent une soirée dans la chambre de Tammy où ils dénichèrent des sous-vêtements portés par la défunte. Karla les enfila : il existait une assez forte ressemblance entre les deux sœurs, suffisante semble-t-il pour que Paul puisse s'imaginer être de nouveau en présence de Tammy. Une Tammy bien plus provocante cette fois, pratiquant la fellation et se caressant devant la caméra. Dans son livre "Invisible Darkness", Stephen Williams retranscrit la vidéo tournée à cette occasion et qui a été présentée comme preuve à charge contre Paul Bernardo. Le contenu est bien sûr édifiant et il n'est pas question de reproduire ici la totalité de la scène, digne d'un film pornographique. Ce ne sont pas tant les images qui sont choquantes que les paroles de Karla. Williams prétend que Karla était une complice lucide et consentante, une participante aussi perverse que l'acteur principal, et il est difficile d'écarter cette thèse à la lecture de ce dialogue.

« J'ai aimé quand tu as baisé Tammy, disait Karla. J'ai aimé quand tu l'as déflorée. Tu es le roi. J'aime lécher ton anus, Paul. Je parie que Tammy aurait aimé lécher ton cul. J'ai adoré quand tu l'as enculée.

— Qu'as-tu ressenti ? demanda Bernardo.

— De la fierté, je me sentais heureuse.

— Mais encore ?

— J'étais excitée. C'est ma mission dans la vie de tout faire pour que tu sois heureux.

— C'est pour ça que je me suis marié avec elle », conclut Bernardo en se tournant vers la caméra.

On notera que dans l'ensemble de ces échanges, Paul parle peu mais pose des questions qui orientent le dialogue, une méthode classique pour encourager la personne à se persuader que les idées de leur mentor viennent d'elle, en faisant ainsi de parfaites complices.

Au-delà de l'échange de propos grossiers, d'autres passages sont très instructifs, annonçant que le parcours pervers du couple ne s'arrêtera pas là.

« Je veux que tu recommences, annonce Karla en parlant des viols.

— Quand ? demande Paul Bernardo.

— Cet été, parce que le temps est trop mauvais en hiver. Si on peut le faire, ce sera bien.

Puis elle ajoute avec zèle :

— Si tu veux le faire cinquante fois, nous le ferons cinquante fois. Si tu veux le faire chaque week-end, on peut le faire chaque week-end. Parce que je t'aime. Parce que tu es le roi. Parce que tu le mérites ».

Rien, bien entendu, n'arrête la déviance du couple, surtout pas un semblant de respect pour la défunte. Même dans la mort, elle demeure un objet sexuel. Ainsi, Karla prend une rose dans un vase et en caresse la poitrine puis le pénis érigé de Paul avant de lui annoncer : « Tu sais ce qu'on va faire de cette rose ? On va l'amener à Tammy demain et on la déposera sur sa tombe ».

Les fantasmes vont même dévier sur de futures proies, inattendues et encore plus improbables.

« J'aimerais que nous ayons quatre enfants, Paul.

— Oui ?

— Comme ça, tu pourrais baiser chacun d'entre eux. Qu'en penses-tu ? ».

Karla apparaît donc ici comme l'instigatrice et non la simple complice des futurs viols comme elle a tenté de le faire croire à la justice. Difficile d'imaginer qu'elle est alors une femme battue, terrorisée, sous influence comme elle le prétendra par la suite… Pourtant, n'a-t-elle pas "joué le jeu" par peur de son amant, et cédé à la surenchère pour lui plaire ?… A moins bien sûr qu'elle ait joué un rôle soigneusement planifié par un véritable script…

La situation scabreuse, à quelques jours du décès de Tammy, est peut-être aussi l'expression d'une jalousie maladive qui trouverait sa source le jour même du drame. En effet, ce 23 décembre, Tammy avait accompagné Paul aux Etats-Unis pour chercher de l’alcool. Karla avait alors piqué une crise lorsque le couple avait tardé à rentrer. Cet incident avait-il été le déclencheur ? Pourtant, la défloration de Tammy Lynn avait été planifiée de longue date…

Il n'en fallait pas plus à Bernardo pour envisager de nouvelles agressions, d'autant plus que, comme beaucoup de psychopathes, il croyait bénéficier d'une impunité absolue. Nul ne l'avait soupçonné puisque Karla ne l'avait pas quitté une seconde lorsqu'ils étaient seuls avec Tammy. Certes, l'Halothane avait laissé une trace bien visible sur le visage de la victime, mais elle avait vomi, ce qui pouvait expliquer une irritation de l'épiderme. Une chose était certaine, Paul pouvait compter sur Karla, quoi qu'il fit.

Après la mort de Tammy, lassés des visites incessantes de Paul, les parents de Karla lui demandèrent de ne plus venir dormir chez eux tant qu'ils porteraient le deuil. Karla, qui ne pouvait se conformer à cette décision, partit vivre avec lui à Port Dalhousie où il érigèrent une sorte d'autel consacré à la mémoire de la défunte. Chacun pouvait y voir les photos de l'adolescente, et l'attachement que le couple éprouvait à son égard pouvait sembler touchant… Le monument déifiait en réalité l'image de Tammy comme incarnation de cette virginité qui obsédait Paul au point de lui inspirer tous ses fantasmes pervers.

Assuré du total dévouement de Karla, Paul commença donc à rechercher une nouvelle victime. On pense qu'il reprochait à Karla la mort de Tammy consécutive au mauvais dosage de l'Halcion et de l’Halothane, et que celle-ci tenta de se rattraper en trouvant une autre fille pour satisfaire la perversion de son amant.

 

"Jane" : le cadeau de mariage

 

homolkazzandpaul4.jpgPaul avait avoué à Karla être le "Violeur de Scarborough" et elle n'avait rien trouvé d'autre à répondre que « C'est cool ! ». Les choses devaient alors rapidement déraper et verser dans l'horreur (© Toronto Sun).
 

Karla et Paul semblaient vivre heureux dans leur jolie maison du 57 Bayview à Port Dalhousie. Une ombre planait cependant sur leur relation et ce n'était pas le deuil frappant la famille qui en était la cause : Karla se sentait coupable d'avoir privé Paul du plaisir qu'il aurait éprouvé si Tammy était encore en vie. Elle craignait plus que tout qu'il ne se lasse d'elle, et était prête à tout pour conserver son amour. Elle se mit donc à la recherche d'une jeune vierge pour remplacer Tammy, car le comportement de Paul l'inquiétait un peu. Il était plus nerveux, plus violent et ses réactions étaient parfois efrayantes. Ainsi, il avait été mordu par l'iguane apprivoisé de sa fiancée et pour se venger, il avait tué l'animal en lui coupant la tête puis l'avait dépecé avant de le faire cuire au barbecue et de le manger. Simple réaction de colère ou mise en garde ? Nul ne le sait. De cela, personne n'avait conscience dans le voisinage. Le couple était bien considéré dans le quartier et avait des amis, notamment parmi les adolescentes qui admiraient la belle Karla. C'était le cas d'une jeune fille de 15 ans connue depuis sous le pseudonyme de Jane Doe (l'équivalent de Madame X chez les anglosaxons). Celle-ci aimait fréquenter Karla Homolka comme un modèle qu'elle idolâtrait. Elle accepta donc sans hésitation l'invitation de Karla à dîner avec elle ce vendredi 7 juin 1991, n’éprouvant pas la moindre méfiance d'autant plus que Paul était absent.

Les deux amies passèrent des heures à discuter tandis que Karla abreuvait discrètement Jane de cocktails qui ne tardèrent pas à lui tourner la tête, car c'était une jeune fille sage qui consommait rarement de l'alcool. Comme avec Tammy, Karla utilisa l'Halcion dissous dans un des verres et, comme prévu, l'adolescente tomba dans un profond sommeil. Elle lui administra ensuite une dose d'Halothane avant d'appeler Paul pour lui faire la surprise. A son arrivée, Paul fut saisi par la ressemblance de Jane avec la défunte Tammy, et ne cacha pas son ravissement en apprenant qu'elle était vierge. Cependant, il s'inquiéta en apprenant que Karla avait utilisé l'Halothane et l'Halcion  qui avaient causé la mort de Tammy. Karla le calma en l'assurant que cette fois-ci, elle maîtrisait parfaitement la situation.

Après avoir dénudé Jane Doe, Paul filma Karla en train de caresser et de lécher la jeune fille toujours inconsciente. A son tour, il la déflora brutalement puis, selon son habitude, la sodomisa violemment sans pour autant réveiller la victime tant elle était abrutie par le somnifère. Est-ce la défloration ou la pénétration anale, mais Jane fut victime d'une petite hémorragie qui força Karla à la nettoyer et à la mettre au lit pour le reste de la nuit. Le lendemain matin, Jane se réveilla malade, à la fois nauséeuse et souffrant de douleurs au ventre, mais à aucun moment elle ne suspecta un viol. Comme elle ne semblait pas comprendre ce qui s'était passé, le couple la laissa rentrer chez elle. Pouvait-il d'ailleurs faire autrement ? Jane était allée chez eux de manière "officielle". De plus, il était essentiel de garder "sous la main" cette esclave sexuelle qui semblait si coopérative, du moins lorsqu'elle était inconsciente.


Leslie Mahaffy : la triste fin d'une petite rebelle

 

 

homolkamahaffy.jpgLeslie Mahaffy était une adolescente de 14 ans plutôt rebelle. Elle séchait les cours et préférait s'amuser avec ses amis. Rentrant tard chez elle le 15 juin 1991, elle trouva porte close et rencontra par hasard Paul Bernardo qui traînait dans le quartier… Celui-ci l'enleva, la viola et la tortura avant de la découper en morceaux. On la retrouva 15 jours plus tard non loin de là, immergée dans un lac (© Toronto Metro Police).

Leslie Mahaffy avait 14 ans mais elle paraissait en avoir 16 et se comportait comme tel. Le 1er juillet 1976 avait vu naître ce "bébé miracle", seule enfant du couple puisque sa mère avait été traitée pour un cancer des ovaires et était considérée comme stérile. Enfant gâtée et surprotégée, Leslie était intelligente et gentille, mais comme beaucoup d'enfants, l'adolescence avait renforcé son caractère indépendant et rebelle. Elle commença de sortir tard le soir, négligeant son travail scolaire et séchant les cours pour s'amuser avec ses amis. Elle volait à l'étalage pour se procurer le superflu que ses parents lui refusaient, et avait eu quelques aventures avec des petits amis. Elle fugua même lorsque ses parents tentèrent de mettre un frein à son désir de liberté. Ce 14 juin 1991, elle quitta la maison familiale pour passer la soirée avec ses amis et, lorsqu'elle rentra le lendemain aux alentours de 2 heures, elle trouva la porte close. Elle appela une amie au téléphone pour lui demander de passer la nuit chez elle, mais celle-ci refusa, prétendant que sa mère n'accepterait pas une arrivée aussi tardive. Bien décidée à rentrer chez elle, Leslie entreprit de faire le tour de la maison et, pour comble de malchance, se trouva nez à nez avec Paul Bernardo, entièrement vêtu de noir.  Interrogé sur la raison de sa présence, Paul répondit à Leslie qu'il rôdait dans le voisinage pour cambrioler les résidences, ce qui n'étonna pas le jeune fille qui n'avait pas encore perdu la naïveté de l'enfance. En fait, Paul était à la recherche de plaques d'immatriculation qui lui servaient pour effectuer des transports de contrebande.

Comme elle lui demandait une cigarette, Paul répondit qu'il n'en avait pas sur lui mais qu'il lui en donnerait si elle l'accompagnait à sa voiture, ce qu'elle fit. Après l'avoir convaincue de s'asseoir à ses côtés (Leslie devait alors être persuadée que ses parents ne lui ouvrirait pas), Paul Bernardo plaça un couteau sous sa gorge et démarra. Un peu plus loin dans un endroit désert, il neutralisa la jeune fille et lui banda les yeux avec un pull à col roulé avant de mettre le cap vers Port Dalhousie. Bien entendu, ce n'était que le début d'un long clavaire pour Leslie, et Karla allait être conviée à participer elle aussi à la "fête". Le protocole avait déjà été éprouvé quelques mois plus tôt… A la mi-janvier 1991, Paul avait kidnappé une auto-stoppeuse et l'avait ramenée pour la violer dans la chambre qu'il partageait avec sa fiancée avant de la relâcher quelques heures plus tard dans une rue borgne. Cette fois, malheureusement, la victime n'aurait pas cette chance.

Paul commença de filmer Leslie nue et attachée, puis la viola. Karla participa bientôt aux ébats sous la direction de Paul qui tenait le rôle du metteur en scène, ajustant les positions, exigeant la perfection comme un spécialiste du Septième Art. Paul abandonna alors la caméra et sodomisa la jeune fille avec toute la sauvagerie dont il était capable tandis que Karla filmait la scène.

Contrairement à ce qu'il s'était passé avec la plupart des femmes qu'ils avaient violées, Leslie avait vu Paul et Karla en pleine lumière et avait eu parfaitement conscience de leurs agissements à son encontre. Il n'était donc pas question de la laisser partir comme ils l'avaient fait avec "Jane Doe". Sans hésiter, Paul Bernardo injecta une bulle d'air dans les veines de sa victime, provocant une embolie cérébrale mortelle. Il démembra son corps avec une scie électrique avant de placer les morceaux dans des boîtes qu'il remplit de ciment frais puis les jeta dans le lac Gibson situé non loin de là, espérant que les eaux calmes engloutiraient pour toujours son horrible secret.

Bien sûr, Leslie fut portée manquante dès le lendemain, mais comme elle avait déjà fugué, ses parents imaginèrent qu'elle avait trouvé refuge ailleurs. La police manquait d'indices puisque les dernières personnes à être rentrées en contact avec elle étaient ses amis et la camarade à qui elle avait téléphoné tard dans la nuit. Ce n'est que 15 jours plus tard que William Grekul et son épouse, qui faisaient du canoë sur le lac Gibson, heurtèrent un bloc de béton dans l'eau peu profonde. Ils devinèrent des os et des fragments de chair qui émergeaient de la masse de ciment. Un ami, contacté en urgence, vint les aider à sortir le bloc des eaux du lac. Ils reconnurent avec horreur les restes d'un pied et d'un mollet. Alertée, la police remonta quatre autres blocs ainsi que le tronc démembré qui avait été jeté tel quel. L'un des blocs contenait la tête de Leslie, et il fut aisé aux enquêteurs de confirmer son identité grâce à ses empreintes dentaires. Les policiers pensèrent alors que l'assassin n'était pas familier de l'endroit puisqu'il avait jeté (sans doute de nuit) les blocs en eau peu profonde, alors qu'il lui aurait suffi de les immerger depuis le pont qui se situait un peu plus loin, là où le lac aurait à jamais dissimulé le premier meurtre volontaire du couple maudit.

[Carte]
 

 © Christophe Dugave 2008  
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Published by Christophe Dugave - dans première partie

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  • : Transcanadienne, sur la piste des tueurs en série d'une mer à l'autre
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Du nouveau sur le blog

Mes romans et recueils de nouvelles sont visibles sur le site de LIGNES IMAGINAIRES.

Clifford Olson est décédé le 30 septembre 2011 à Laval, près de Montréal. Il fut, non pas par le nombre mais par son sadisme et son absence totale de remords, l'un des pire sinon le pire tueur en série du Canada. Sa triste histoire (non réactualisée) peut être lue ici.

 

Dans un tout autre registre, voici mon second roman "Lignes de feu", un thriller qui se déroule aussi au Québec mais cette foi-ci en septembre 2001, rencontre un certain succès…

 

lignes de feuPour en savoir plus, cliquez ici ou sur la couverture (© photo : S. Ryan 2003)

 

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Un nouveau cas de serial killer jugé en Colombie Britannique : Davey Mato Butorac, 30 ans, est actuellement jugé à Vancouver pour les meurtres de deux prostituées droguées, Gwen Lawton et Sheryl Korol retrouvées mortes en 2007 à Abbotsford et Langley. Il est également suspecté d'avoir assassiné une troisième victime.  Comme c'est maintenant la mode au Canada pour les affaires de tueurs en série, le procès est frappé d'une interdiction de diffusion des informations. Et comme cela semble également en vogue depuis le procès Pickton, Butorac n'est poursuivi que pour "meurtre au second degré", c'est à dire sans préméditation…

Citations

Si seulement les filles savaient qui je suis et ce dont je suis capable !
Si on pouvait lire dans mes pensées, on m'enfermerait et on jeterait la clé.

Angelo Colalillo (1965-2006), tueur en série (Québec)

       
Les enfants ont besoin d'un endroit pour jouer !… 

Les prédateurs ont aussi besoin d'un endroit pour jouer.

Peter Woodcock (1939- ), tueur en série (Ontario).

 

Robert Pickton a le cœur sur la main. Mais le cœur de qui au fait ?

Anne Melchior, journaliste à propos de Robert William Pickton (1950- ), tueur en série (Colombie-Britannique).  

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