"A ce stade, c'était juste une jeune fille disparue depuis peu et il n'y avait pas suspicion d'agression sexuelle". Cette phrase trouvée dans un document de la GRC relatif à la disparition de Sandra Lynn Wolfsteiner peut laisser perplexe, sinon choquer. Sandra avait 16 ans et habitait avec sa sœur à Langley, dans la banlieue de Vancouver. En fin de matinée le 19 mai, elle se dirigea vers Surrey pour déjeuner avec son petit ami. Elle passa tout d'abord chez sa mère et, vers 11 heures 30, elle tenta sa chance auprès des automobilistes, espérant qu'un d'entre eux voudrait bien la prendre en stop. Par hasard, la mère de son petit ami l'aperçut alors qu'elle embarquait dans un coupé de couleur gris métallisé, probablement l'un des véhicules loués par Olson. Il semble que celui-ci soit parvenu ensuite à la convaincre de l'accompagner – probablement en lui proposant un petit boulot – et l'emmena sur la route de Chilliwack Lake, une zone peu fréquentée où il disait avoir une cabane. Elle le suivit dans les broussailles où il la tua en la frappant sur l'arrière du crâne avec un marteau. Ce crime purement sexuel n'excluait pas non plus la recherche d'un petit profit puisqu'Olson était également un voleur patenté. Il fouilla donc sa victime et ne découvrit que 10 dollars dans ses poches. « Elle m'avait dit qu'elle en avait 100 ! », devait-il expliquer après son arrestation.
Après une nouvelle pause de presqu'un mois, Clifford Olson devait accélérer sa course mortelle, cherchant de nouvelles victimes de manière compulsive, qu'il soit en voiture ou dans les centres commerciaux où flânaient de nombreuses jeunes filles. Prudent et psychologue, il savait se faire discret et choisissait précautionneusement ses futures victimes. Ainsi, il enleva Ada Anita Court, 13 ans, alors qu'elle attendait le bus pour aller voir son petit ami au retour d'une soirée de baby-sitting chez son frère et sa belle-sœur, le 21 juin 1981. Ce n'était pas un hasard. Olson vivait alors dans ce même ensemble d'immeubles situé à Burnaby, et il lui avait été aisé de suivre la jeune fille qu'il connaissait. Sans doute lui avait-il proposé de la raccompagner, peut-être lui avait-il promis un petit job bien payé…
Cette fois, la police prit davantage au sérieux sa disparition — non pas qu'elle relia les différentes affaires (le corps de Coleen Daignault n'avait pas encore été retrouvé), mais il était évident qu'Ada n'avait pas fugué puisqu'elle n'avait pas vidé son casier à la Cascade Heights Elementary School et n'avait rien emporté des affaires rangées dans sa chambre. Cette fois-ci, Olson faillit se faire prendre alors qu'il se débarrassait du corps. Jim Parranto, le responsable du camp de Weaver Lake, une aire de pique-nique réputée, patrouillait dans les environs lorsqu'au détour d'un chemin, il tomba nez à nez avec Clifford Olson qui était penché sur le corps d'une jeune fille en jogging multicolore. L'homme de 52 ans demanda à Olson ce qui se passait mais celui-ci ne lui répondit pas, se contentant de le dévisager d'un air mauvais. Comprenant qu'il était en danger, Parranto remonta dans sa voiture et s'enfuit, bientôt poursuivi par le pick-up noir du meurtrier. Il réussit finalement à rejoindre le camp, mais l'émotion et le sentiment de lâcheté le découragèrent d'aller prévenir la police. Plus tard, il finit par contacter la Gendarmerie Royale et expliqua : « J'ai compris que quelque chose n'allait pas… Je me suis dit qu'il fallait que je me sorte de ce mauvais pas ». Confronté à Olson après son arrestation, il reconnaîtra le tueur : « C'était Olson, je le regardais droit dans les yeux ».
La disparition de Simon Partington à Surrey le 2 juillet 1981 réveilla les médias et la conscience populaire. Cette fois-ci, la police pouvait difficilement prétendre que ce gentil garçon de 9 ans avait fait une fugue alors même qu'il avait sagement avalé son bol de corn-flakes et avait enfourché sa bicyclette vers 10 heures 30 pour aller chez un ami, son nouveau livre de Snoopy à couverture orange bien en évidence dans le panier de son vélo. Il parut alors évident que le petit Simon (qui mesurait moins d'1 mètre 30 pour 36 kilos) avait été enlevé. Les recherches mirent en branle un dispositif impressionnant qui activa jusqu'à deux cents agents et enquêteurs, et une liste de suspects fut rapidement établie. Clifford Olson en faisait partie en raison de ses antécédents, mais il ne fut pas inquiété. Pourtant, cinq jours après la disparition de Simon Partington, Olson prit en stop une jeune fille de 16 ans et son amie. Il leur fit son habituelle proposition de lavage de carreaux et persuada l'une des jeunes filles de l'accompagner. Il tenta de la saouler avec des boissons alcoolisées et se laissa aller à des attouchements, mais la fille résista. Cette fois-ci, il fut dénoncé et la police l'auditionna, mais pour des raisons qui défient l'imagination, il ne fut pas arrêté et nul ne songea à faire le lien avec les meurtres de Christine Weller et de Daryn Johnsrude, pas plus qu'avec les disparitions de Coleen, Sandra et Ada, alors même que les enfants s'étaient évaporés à quelques blocs seulement de l'endroit où Christine Weller avait été vue pour la dernière fois. Contrairement à la police, les médias commencèrent à faire leur autocritique en prenant conscience qu'ils avaient sous-estimé les précédentes disparitions en n'en faisant pas une large couverture médiatique. La série ne devait pourtant pas se limiter à ces six premières affaires.
Une semaine plus tard, Judy Kozma, une jolie petite brune de 15 ans plutôt timide, disparaissait après avoir passé un coup de téléphone. Le 23 juillet, c'était au tour de Raymond King Junior, 15 ans, qui cherchait un travail d'été, et dont la bicyclette fut retrouvée abandonnée. Depuis une semaine pourtant, l'enquêteur Les Forsythe s'intéressait fortement à Clifford Olson qui habitait à proximité du domicile des victimes ou bien du dernier endroit où on les avait aperçus. A ses yeux, Olson présentait un profil de suspect idéal. On savait qu'il recherchait des mineurs à qui il proposait de l'argent en échange d'un travail de lavage de vitres pour le moins improbable. Il avait une prédilection pour les voitures de location ou les véhicules empruntés à des amis, et il changeait souvent de moyen de locomotion. Enfin, il avait été arrêté précédemment pour une tentative de détournement de mineure à qui il avait proposé des pilules d'hydrate de chloral. Cependant, ce faisceau de présomptions ne suffisait pas à en faire un coupable, même si on considérait le fait qu'il avait été en contact avec Gary Marcoux, le violeur multirécidiviste et tueur d'enfants, et avait été impliqué dans diverses autres affaires de détournement de mineurs. Forsythe présenta ses conclusions au cours d'un brainstorming qui réunissait toutes polices de la région de Vancouver impliquées dans la recherche des enfants disparus. Le document de cinq pages qu'il présenta à propos d'Olson retint cette fois-ci l'attention des responsables. Cela n'empêcha pourtant pas la liste de s'allonger encore.
Sigrund Arnd, une touriste allemande de 18 ans, ne fut pas portée disparue immédiatement. Cette étudiante de Weinheim visitait le Canada, et ses parents ne s'inquiétaient guère pour cette jeune femme prudente qui assurait ne jamais faire de stop et ne jamais monter dans la voiture d'un inconnu. Malheureusement, elle avait été conquise par la gentillesse des Canadiens, et il est possible qu'elle ait oublié ses bonnes résolutions… Des témoins déclarèrent l'avoir aperçue dans le train alors qu'elle était abordée par un homme d'âge moyen qui fut identifié par la suite comme étant Clifford Olson. Deux jours plus tard, le 27 juillet, Terri Lynn Carson, une jeune fille fluette âgée de 15 ans, quitta le domicile familial sur le coup des 8 heures pour tenter de trouver un job d'été. Elle disparut à son tour après qu'Olson lui ait offert de l'emmener en voiture. L'homme était pourtant sous surveillance… Deux jours plus tard, la police estima qu'Olson avait certainement eu vent du dispositif à son encontre et décida de le lever, sous-estimant totalement la rapidité d'action du tueur. Ils décidèrent d'utiliser un autre moyen pour le coincer.
Ce n'était un secret pour personne qu'Olson était avide d'argent et le constable Fred Maile de l'Unité des Crimes Graves de la GRC proposa un stratagème. Il allait offrir une récompense à Olson en échange d'informations : si l'homme était le meurtrier, il les mènerait tout droit aux scènes de crime et il serait alors facile de le confondre. Si en revanche il n'avait que des informations fragmentaires, ce serait toujours bon à prendre, et peut-être finirait-il par dévoiler le nom du tueur. Il n'était pas improbable en effet qu'Olson ait fréquenté un autre homme de la trempe de Marcoux et qu'il ait suivi son parcours criminel, comme voyeur ou même comme complice. Clifford Olson rencontra le détective Tarr et les caporaux Maile et Drozda dans un restaurant White Spot, le 30 juillet 1981. La conversation fut enregistrée intégralement et a été depuis reprise dans le livre "Final Payoff" de Ian Mulgrew.
« Pas mal de meurtres dans le coin, pas vrai ? », commença Maile.
Olson s'arrêta de boire et souffla sur son café. Tous les yeux étaient tournés vers lui. Pendant un moment, il demeura silencieux.
Finalement, Olson annonça qu'il voulait toucher un salaire de 3000 dollars par mois. En échange, il donnerait des informations à propos des disparitions. Lorsqu'il les quitta avec un classique "Je vous recontacterai si je trouve quoi que ce soit", aucun des policiers ne songea à le suivre. Si l'un d'entre eux l'avait fait, sans doute la petite Louise Chartrand serait-elle encore vivante…
Clifford Olson s'inquiétait tout de même d'être dans le collimateur de la police et, le soir même, il alla voir Robert Shantz, son avocat. En chemin, il repéra la petite Louise, une Québécoise récemment installée avec trois de ses sœurs à Maple Ridge, dans la vallée de la rivière Fraser. Bien qu'elle ait 17 ans, elle était menue et faisait plus jeune que son âge. Elle occupait un poste de serveuse de nuit dans un restaurant et s'y rendait en auto-stop. Alors qu'elle achetait des cigarettes au centre-ville de Mission, à moins de dix minutes du restaurant où elle travaillait, elle rencontra Olson qui l'embarqua dans son auto et la drogua avant de l'emmener à Whistler. En chemin, il se paya le luxe de faire un arrêt au détachement de la GRC de Squamish où il devait récupérer une arme à feu qui lui avait été confisquée. Il revint bredouille parce que l'officier en charge du dossier n'était pas disponible, et repartit avec sa proie comme si de rien n'était. Par les hasards de la géographie, Olson emprunta la Killer Highway pour aller à Whistler, autoroute dont le nom faisait référence aux nombreux accidents mortels survenant à cause de la neige. Il emmena Louise dans une carrière et lui fracassa le crâne avec un marteau avant de l'enfouir superficiellement.
Lorsqu'elle ne se présenta pas à son travail à 8 heures du soir, la direction du Bino's Restaurant contacta une des sœurs de Louise qui prévint la GRC à son tour. Cette fois-ci, la police réagit immédiatement et commença l'enquête dès l'annonce de la disparition. Il était temps car la canicule qui écrasait alors le sud de la Colombie-Britannique commençait à échauffer les esprits, et les pressions politiques se faisaient de plus en plus lourdes. La population commençait elle aussi à céder à la panique, égarée dans le dédale des informations, perdant toute confiance dans les forces de police morcelées en une douzaine de structures indépendantes.
Les polices municipales et les différents détachements de la GRC impliqués dans les recherches furent fédérés dans une task force commandée par le superintendant Bruce Northorp dès le début Août. En plus de mettre au diapason les différents corps policiers et de régler les problèmes de juridiction qui avaient paralysé l'enquête jusque-là, Northorp était particulièrement réceptif aux conclusions de Les Forsythe qui mettaient clairement Olson sur la sellette.
Surveiller Olson n'était pas une chose simple, même pour des policiers expérimentés, car celui-ci se sentait pisté et changeait souvent de route, faisant brutalement demi-tour. Il changeait aussi continuellement de voiture et conduisait tout le temps, franchissant des distances énormes. Ainsi, il parcourut 20 000 kilomètres en trois mois avec quatorze véhicules distincts, et à la mi-juillet, il effectua 5569 killomètres avec une Ford Escort en à peine deux semaines. Olson prit même le Ferry pour l'île de Vancouver située au large du continent. Après avoir cambriolé deux résidences à Victoria, la plus grande cité de l'île, il se dirigea vers la vieille ville minière de Nanaimo. En chemin, il s'arrêta pour prendre deux jeunes auto-stoppeuses. Trois heures plus tard, lorsque la voiture d'Olson vira sur un petit chemin de graviers qui s'enfonçait dans une zone peu habitée au milieu des sapins de Douglas et des épicéas, Northorp décida de mettre fin à la traque et ordonna l'interception du véhicule. La route fut bouclée pour interdire toute fuite et un important dispositif comprenant un hélicoptère se déploya dans la zone. Lorsque le tueur, qui avait commencé à saouler ses victimes, comprit que les jeux étaient faits, il tenta de prendre la fuite mais fut intercepté au barrage. La destinée de Clifford Olson venait, elle aussi, de prendre un nouveau tournant. C'était le 12 août 1981.
Le prix de la vérité
« Ce 6 août est un jour mémorable, avait déclaré Northorp. C'est le début d'une procédure qui va probablement retirer Olson des rues du Canada pour le reste de sa vie ».
Moins d'une semaine plus tard, le redoutable tueur en série était mis hors d'état de nuire. Les choses étaient cependant un peu plus délicates qu'elles pouvaient paraître au premier abord.
Olson avait été arrêté le 12 août pour conduite dangereuse et non pour meurtres. La fouille de la voiture de location allait cependant fournir une première piste. On y découvrit en effet un carnet d'adresses vert au nom de Judy Kozma, la septième victime d'Olson, qui permit d'inculper le prévenu de meurtre au premier degré.
A ce moment-là, Seuls les corps de Christine Weller et Daryn Johnsrude, Raymond King et Judy Kozma avaient été retrouvés. Les nombreuses similitudes entre les différentes disparitions et la zone géographique relativement localisée ne laissaient guère de doute sur la culpabilité effective d'Olson. Celui-ci était bien conscient qu'il ne se sortirait pas de ce mauvais pas. D'un autre côté, la police ne pouvait ignorer qu'elle entamait une enquête marathon sous haute surveillance, un véritable enfer pour les détectives et leurs supérieurs. Les médias s'étaient déjà beaucoup épanchés sur l'inefficacité des services de police, et nul n'était près à supporter des investigations longues, pénibles et incertaines. Olson proposa alors un accord qui ressemblait bien à un pacte avec Satan. Contre la somme de 100 000 dollars versés sur un compte ouvert pour sa famille, il était prêt à aider les enquêteurs à retrouver les corps manquants et à leur fournir des preuves à charge. Sa seule exigence était qu'il leur ferait découvrir un seul corps à la fois (avec versement de la somme correspondante en échange), et ce, dans un ordre très précis.
Pour monstrueuse que soit la proposition, elle présentait d'énormes avantages pour les instances policières et judiciaires. Une enquête de cette ampleur allait impliquer tant de monde et d'argent que la note se chiffrerait en millions de dollars et durerait probablement des années. Ainsi en Angleterre, Peter Sutcliffe, "l'Eventreur du Yorkshire", confessa finalement le meurtre de treize enfants après que deux cent cinquante détectives aient enquêté sur son compte et que huit millions de dollars aient été dépensés. Pour les familles de victimes aussi, la solution pouvait être acceptable (même s'il n'était pas question de les consulter) puisque la découverte des corps leur permettrait de faire leur deuil.
« Je vous donnerai onze corps pour 100 000 dollars, proposa Olson. Le premier sera gratuit ». A vrai dire il ne restait plus à trouver que sept cadavres, mais la police et la justice acceptèrent le honteux marchandage. Clifford Olson remplit donc sa part du contrat : il mena les enquêteurs sur les lieux de ses forfaits et les corps furent retrouvés un à un. Bien évidemment, chacun était conscient que ce psychopathe calculateur pouvait tenter de s'échapper à l'occasion des nombreux transbordements. Northorp le fit donc transporter dans une voiture avec trois hommes non armés, l'un d'entre eux étant attaché à lui par les menottes. Deux autres véhicules bourrés de policiers lourdement équipés, escortaient la voiture. « S'il avait dans l'idée de s'échapper, il n'aurait pas réussi », assura plus tard le superintendant. Mais Olson n'avait aucune intention de filer en douce. En fait, il s'accommodait de la situation : il gagnait de l'argent pour les siens, pouvait bavarder tout son saoul, et faisait parler de lui. Il donna donc de nombreux détails sur chacun des meurtres. Il raconta ainsi qu'il avait rencontré Judy Kozma dans un McDonald's où elle travaillait à temps partiel comme caissière. Ils avaient sympathisé et la jeune fille lui avait parlé de ses problèmes d'emploi. Lorsqu'il l'avait aperçue le 9 juillet alors qu'elle sortait d'une cabine téléphonique un peu avant midi, il l'avait abordée. Tout s'était passé devant témoin car Olson voyageait en compagnie d'un garçon de 18 ans, Randy Ludlow, qui confirma ses dires.
« Nous roulions en direction du centre-ville de New-Wesminster, devait expliquer celui-ci. Olson a repéré une fille qui sortait d'une cabine sur Columbia Street devant le Royal Columbian Hospital. Il la connaissait visiblement et se dirigea vers elle. Elle souriait et semblait heureuse de le voir. Il s'est rangé le long du trottoir. Elle a traversé la rue et est venue lui parler ».
Comme à son habitude, Olson abreuva les jeunes gens avec la bière qu'il n'omettait jamais d'emmener dans sa voiture. Il adorait boire en conduisant et aimait que ses passagers boivent aussi. Judy se rendait à un rendez-vous pour tenter de décrocher un second boulot mais, comme elle était en avance, Olson lui proposa encore à boire et ils allèrent chercher ensemble des bouteilles dans un bar de Richmond. Ludlow fut chargé de préparer les cocktails et mélangea rhum et Coca selon les instructions d'Olson qui encourageait la jeune fille à consommer davantage.
« Olson me disait de mélanger, expliqua Randy. Je lui ai donné un verre de Coke sans rhum. J'ai attiré l'attention de Judy pour lui signaler que ce n'était que du Coke ».
Olson donna des petits cachets verts à Judy, lui assurant que cela la requinquerait et l'empêcherait d'être saoule. Elle les avala. Il s'agissait d'une drogue surnommée "Mickey Finn".
Par la suite, alors que Clifford Olson avait laissé Judy et Randy dans la voiture, le jeune homme nota que l'adolescente semblait anxieuse et pleurait. Il pensa qu'elle se rendait compte qu'elle avait manqué son entretien et qu'elle avait bu plus que de raison, mais il est également possible qu'elle ait mal réagi à l'absorption de "Mickey Finn" qui pouvait provoquer une réaction dépressive. Lorsque Ludlow revit Olson, celui-ci lui assura avoir déposé Judy à Richmond. En fait, Judy était déjà morte et, le lendemain de son crime, il partait en vacances avec Joan et Clifford III dans la région de Los Angeles.
Olson répétait sans cesse le même mode opératoire : il abordait les enfants, sympathisait, leur proposait du travail et les attirait dans sa voiture où il les faisait boire et les droguait. Son arme préférée était le marteau, mais il n'hésitait ni à poignarder, ni à étrangler ses victimes. Il les ensevelissait ensuite rapidement dans une zone géographique relativement réduite qui se situait entre Wisthler, Surrey, Chilliwack, Agassiz et Richmond. En général, il préférait aborder les enfants attendant le bus ou pratiquant l'autostop, une activité qui était très à la mode au début des années 80.
A vrai dire, une fois les pièces du puzzle assemblées, l'affaire semblait relativement simple. Olson apparaissait comme un serial killer classique quoi que particulièrement compulsif. Il avait pris de court la police, et le temps de réaction des autorités allait être un sujet de controverse plutôt brûlant. L'accord financier passé entre la justice et Olson allait également soulever un tollé médiatique sans précédent.
Division policière et règne criminel
Il est clair que la relative "longévité criminelle" de Clifford Olson a grandement profité de la multiplicité des forces de police en Colombie-Britannique. Au début des années 80, on comptait pas moins de six mille représentants de la loi dans la province, répartis entre douze forces de polices municipales indépendantes et une importante représentation de la Gendarmerie Royale du Canada (la police fédérale), elle-même subdivisée en une centaine de détachements. Si la GRC formait une entité cohérente, elle n'était pas concernée au premier chef lorsque les meurtres avaient lieu dans des municipalités qui n'était pas sous sa juridiction pour les affaires courantes. Ainsi, la GRC traitait les affaires inter-provinciales et les délits aux lois fédérales tels que le trafic de drogue, les infractions aux lois sur les armes à feu, la contrebande etc… Elle intervenait aussi dans les petites localités qui n'avaient pas les moyens d'entretenir des forces de police. En revanche, chaque police municipale, qui avait pouvoir d'enquête, conservait frileusement ses prérogatives et limitait jalousement sa juridiction. Ainsi, la transmission des données entre les différents corps policiers était quasiment impossible tant qu'il n'était pas prouvé qu'un même individu agissait de manière répétitive en différents points du territoire, et même dans ce cas, elle restait difficile. Chaque corps ayant sa propre bureaucratie avec une chaîne de commandement distincte et pas toujours fonctionnelle, une enquête de l'importance de celle des "Enfants disparus" ne pouvait être que vouée à l'échec.
Les luttes intestines entre les services de police, et parfois même à l'intérieur d'une même structure, ne furent pas non plus étrangères à cette lenteur de la réaction. Ainsi, au début de l'été 1981, les rivalités dans la hiérarchie de la GRC contrarièrent considérablement le processus d'enquête qui réclamait au contraire une collaboration de tous les services. Le "saupoudrage" des agents sur l'ensemble du territoire et la présence de "brebis galeuses" aux sein de la Gendarmerie Royale limitaient considérablement son efficacité. Sans remettre en cause la compétence des enquêteurs, ceux-ci souffraient d'être isolés les uns des autres sans réels moyens d'investigation. Les choses changèrent radicalement avec la création de la task force multi-corps qui agissait sous le commandement unique de Bruce Northorp.
Détecter un tueur multirécidiviste n'était pas très simple. En effet, à cette époque, le phénomène des serial killers était encore mal connu, et il est certain que les spécificités d'Olson, compulsivité et bisexualité, pouvait tromper les enquêteurs. Les victimes étaient des deux sexes, d'âges différents, phénomène assez rare pour un pédophile. Ainsi, les enquêteurs avaient admis comme règle générale qu'un maniaque s'attaquant aux préadolescents n'avaient pas de préférence sexuelle alors que ceux qui agressaient des individus plus âgés était plus sélectifs. En cela, les profilers, qui avaient alors tendance à classifier les délinquants, ne furent pas d'une grande utilité aux policiers. Seule l'augmentation du nombre de disparitions d'enfants apparemment "sans histoire" aurait pu les interpeller. Encore aurait-il fallu que les enfants manquants aient été immédiatement reconnus comme "missing persons" (personnes manquantes) et non comme fugueurs. Contrairement à la politique pratiquée de nos jours par de nombreuses polices de par le monde, la disparition d'un adolescent en 1981 ne déclenchait pas des recherches immédiates, et on attendait souvent plusieurs jours avant de s'inquiéter vraiment. Il fallut que des enfants prépubères (peu sujets aux fugues) ou des adolescents partiellement émancipés, disparaissent pour que la police prenne les dispositions nécessaires. Ainsi Derrick Murdoch écrit dans "Disappearances" : "Quand un enfant de 10 ans ou moins est porté manquant plus de 24 heures, il est peu probable que ce soit volontaire de sa part".
Le phénomène de l'auto-stop, très en vogue chez les jeunes au début des années 80, n'a pas non plus été anodin dans l'affaire Olson. Peu sensibilisés au risque d'une telle pratique, les enfants ou les jeunes adolescents crédules se laissaient facilement berner par cet homme sympathique qui semblait exercer une forte emprise sur les enfants.
Restait que la forte cohérence géographique, qui excluait Vancouver alors même que les communes de la banlieue sud étaient touchées par les disparitions inexpliquées, aurait pu être utilisée pour retracer le parcours criminel d'un suspect. Malheureusement, le profilage géographique n'existait pas encore, et le manque de collaboration entre les services n'aidait pas à la transmission de ce genre d'informations, certains considérant comme fugueurs des enfants disparus et d'autres s'alarmant à bon escient. De plus, l'absence de corps dans la plupart des cas ne permettait pas de déterminer un modus operandi précis. Durant la presque totalité de l'enquête, seuls les cadavres de Christine Weller et Daryn Johnsrude furent découverts : d'âges et de sexe différents, il ne semblait y avoir aucun rapport entre les deux affaires puisque Christine était prépubère et Daryn avait 16 ans et une certaine autonomie. La cause de la mort elle-même différait quelque peu : coups de couteau et strangulation pour Christine Weller, coups de marteaux pour Daryn. Bien évidemment, la comparaison des secrétions éventuelles de l'agresseur aurait pu permettre de relier les meurtres, mais à l'époque, la comparaison d'échantillons ADN était encore à venir. Les autres indices, permettant une mise en relation des deux meurtres, étaient pour le moins ténus.
Plus encore que les difficultés d'organisation et de matériel, un des obstacles à la détection d'un serial killer était certainement (et reste encore) la volonté des autorités de ne pas admettre son existence. Cette évidente mauvaise fois appelée "linkage blinkness", littéralement "cécité dans la corrélation" est un phénomène général qui cherche à anticiper l'effet négatif que pourrait avoir une telle nouvelle sur l'image des services et leurs futures ressources. C'est même de nos jours la principale raison qui permet à des criminels multirécidivistes de continuer à tuer alors qu'on dispose d'outils performants pour les détecter. Il est évident que dans le cas Olson, cette "cécité" a joué pour beaucoup dans l'échec de l'enquête, comme le prétend Bruce Northorp dans le livre qu'il a écrit avec Leslie Holmes "Where Shadows Linger: The Untold Story of the RCMP's Olson Murders" où il met en cause les précédents enquêteurs, prétendant qu'on aurait pu épargner la vie de sept victimes. Ceux-ci bien sûr ont réagi : ainsi Fred Maile et Ed Drozda, les policiers qui avaient rencontré Olson pour lui demander de les "aider" moyennant rétribution, ont déclaré que ce genre d'allégations était fantaisiste. Le responsable hiérarchique de Maile, le Staff Sergeant Arnie Nylund, a même tenu à préciser : « Fred semblait savoir ce qu'il faisait, et je n'ai jamais eu connaissance de quelque chose qui témoigne du contraire. C'est facile de voir les choses avec du recul et de tirer des conclusions. Nous avions d'autres suspects qu'Olson. N'oubliez pas, il n'était pas évident qu'un tueur en série ait été dans le coup. De plus, les gars travaillaient durs sur d'autres homicides qui n'avaient aucun rapport avec ce cas précis. Une fois qu'Olson a été emprisonné, nous nous sommes posés un tas de questions. Nous avons fait de notre mieux avec ce que nous avions. J'ai seulement du respect pour ces gars et ce qu'ils ont fait ».
C'est peut-être oublier un peu vite qu'à la sortie du restaurant où ils s'étaient rencontrés, Olson, qui admettait implicitement qu'il savait quelque chose, n'avait pas été filé. Il s'était même payé le luxe d'enlever et de tuer Louise Chartrand le jour même. On aurait certainement pas pu éviter sept meurtres comme le prétend Northorp, mais Louise Chartrand serait sans doute en vie si les policiers avaient mis en place une filature discrète. Le manque d'effectifs n'est pas vraiment une excuse puisque ce jour-là, ils étaient pas moins de trois enquêteurs à l'affût dans le restaurant.
L'affaire Olson a donc beaucoup perturbé les instances policières qui ont montré une réactivité quasi nulle et une organisation inadéquate pour ce genre de cas. Le fait que quatre victimes aient été tuées alors qu'Olson était sous surveillance plu sou moins étroite peut sembler hallucinant. Même en considérant le fait que la police ne disposait pas de profileurs expérimentés ni de techniques de profilage informatique, la GRC a tout de même montré une incompétence coupable, mais fort heureusement inhabituelle.
Il est en revanche certain que, comme dans beaucoup de cas, le temps ne fut pas l'allié des policiers. Olson tua en effet onze enfants en moins de 9 mois, dont dix en 3 mois, d'avril à juillet 1981. Cette fréquence élevée, qui en fait presque un spree killer plutôt qu'un serial killer, a un côté déconcertant et atypique, d'autant plus que l'homme a commencé fort tard (à 40 ans passés) son terrifiant parcours criminel.
Psychopathe ou psychotique ? La personnalité complexe de Clifford Olson
Le parcours criminel de Clifford Olson est quasiment unique dans les annales, du moins pour un pays moderne tel que le Canada. Sa "vocation tardive" (quoi que discutable) et la fréquence de ses crimes, en font un tueur en série à part, une sorte de chimère entre serial et spree killer.
Le spree killer (littéralement le "tueur festif") est en effet capable d'assassiner un grand nombre de personnes en un temps relativement court et dans des endroits différents, accomplissant une sorte de "virée criminelle du samedi soir" qui s'étendrait sur quelques jours ou quelques semaines. Il finira donc par se faire prendre en manquant de prudence ou en attirant l'attention, par exemple en permettant aux policiers de relier rapidement les crimes entre eux (ce qui ne fut pas le cas dans l'affaire Olson, mais pour d'autres raisons déjà évoquées).
Au contraire du serial killer psychopathe bien organisé et prudent, le spree killer obéit souvent à une pulsion de mort, parfois ancienne et non exprimée, parfois émergente, et ce (pour la forme la plus aiguë du phénomène) sans se préoccuper de laisser des traces ou d'être vu. Ainsi, Olson a continué de tueur sans changer de région bien qu'il ait été vu avec le corps d'Ada Court à Weaver Lake, et répéré alors qu'il embarquait plusieurs de ses futures victimes. Cela n'en fait pas pour autant un individu psychotique. Sans doute a-t-il fait quelques erreurs d'appréciations, mais il estimait probablement qu'il prenait assez de précautions en changeant régulièrement de véhicule. Il est également évident que Clifford Olson se moquait pas mal de retourner en prison, non pas qu'il ait voulu se faire prendre, mais parce que la prison faisait partie intégrante de sa vie. Il obéissait à son instinct, à ses fantasmes, sans s'imposer de barrières par soucis de sa propre sécurité.
« C'était une envie très forte… Vraiment très forte, et plus je la laissais aller et plus elle s'intensifiait, jusqu'au point où je prenais des risques pour aller tuer des gens, des risques que normalement, selon mes règles d'opération, je n'aurais pas pris parce qu'ils auraient pu mener à mon arrestation » a déclaré Ed Kemper. Il est probable qu'Olson relève de la même logique criminelle que ce tueur en série Américain qui assassina huit femmes dont sa propre mère en 1972 et 1973 après avoir abattu ses grands-parents une dizaine d'années auparavant. Clifford Olson satisfaisait son besoin de sexe morbide sans se préoccuper des conséquences pour les autres ou pour lui-même. Le problème était qu'adulte malgré tout, ses fantasmes et ses besoins défiaient la norme.
Contrairement à beaucoup de tueurs en série, Olson n'a pas eu une enfance malheureuse. Aucun évènement tragique n'est venu perturber le cours de sa jeunesse. A partir de l'adolescence, il a simplement opté pour une route difficile qui le menait régulièrement en prison. On peut donc imaginer qu'Olson est fondamentalement mauvais dans le sens où il n'est pas uniquement le produit d'une personnalité et d'une histoire, mais qu'il doit apparemment son parcours de délinquant et de criminel à son seul psychisme déviant. Il n'est peut-être pas un individu psychotique privé de repères et muré dans un univers fantasmatique, mais c'est certainement un psychopathe extrême. Pourquoi n'a-t-il donc pas tué avant ? Sans doute parce qu'il n'a été que rarement en liberté… Mais l'explication ne se suffit pas à elle-même.
Comme nous l'avons vu précédemment, sa rencontre avec Gary Marcoux au SHU a certainement été un facteur déclenchant. Il aurait tout aussi bien pu s'inspirer de l'histoire de John Wayne Gacy, le tueur américain d'adolescents qui prétendait qu'il était aisé de trouver des victimes : motels, clubs, parkings, épiceries, et plus particulièrement pour les enfants, les écoles, les centres d'achat, les arcades ou les rues. De simple délinquant sexuel, il est devenu tueur et Marcoux semble avoir initié les besoins sadiques d'Olson.
Les similitudes entre les deux cas Olson et Marcoux sont nombreuses et pour le moins troublantes. Ainsi, Olson dissimula les cadavres de cinq enfants dans la zone du Lac Weaver, là même où Marcoux avait enlevé Jeanna Doove, et l'un des enfants fut même retrouvé près de l'endroit où Jeanna mourut. Un autre fut assassiné à Whitstler, non loin de la route qui relie la ville au lac Weaver, voie que Marcoux avait maintes fois parcourue. La théorie semble donc se vérifier à moins qu'il s'agisse d'un pur hasard lié à la domiciliation d'Olson qui habitait dans cette zone. Car loin de vouloir seulement imiter le "maître", Clifford Olson voulait devenir le plus grand tueur en série de tous les temps et c'est peut-être aussi ce qui explique son insatiable besoin de meurtre. La mégalomanie dont il a fait preuve depuis abonde en ce sens. Ainsi, Peter Worhington, éditeur du Toronto Sun, demanda un jour à Olson s'il se comparait au célèbre Hannibal Lecter, le tueur sadique et cannibale du "Silence des agneaux". Olson répondit d'un air suffisant : « Peter, il n'y a pas de comparaison. Hannibal Lecter est une fiction, moi, je suis réel ». Cette remarque ne fait qu'illustrer en partie l'incroyable orgueil d'Olson, un trait de caractère commun à la plupart des tueurs en série qui se conjugue en même temps à une mésestime d'eux-mêmes. La réponse à cette "agression", qu'ils prennent comme "extérieure", est une recherche de puissance à tout prix, ce pouvoir suprême ne pouvant s'exercer que par la possession et la destruction de l'autre. Il en résulte un comportement antisocial extrêmement marqué chez Olson qui est un voleur et un violeur multirécidiviste ne respectant ni les biens, ni la vie d'autrui. Son comportement quotidien le démontre : brutal avec les voitures qu'il loue, il l'est aussi avec sa femme. On peut alors supposer que si Olson a demandé que 100 000 dollars soient remis à sa famille en échange d'informations sur les victimes, c'est plus par calcul que par amour. Cet homme, qui se définit lui-même comme un mari aimant et un bon Chrétien assistant aux offices, n'est rien de tout cela. De Dr. Jekyll, il n'a que l'apparence.
Bien qu'il n'ait guère joué la comédie au cours de son procès, Olson sait parfois se forcer pour prendre l'image qu'il tente vainement de se donner. Ainsi, le 5 février 1982, il écrivit à Geneviève Westcott, journaliste à CBC, pour expliquer pourquoi il avait plaidé coupable. Il expliqua que la veille d'être inculpé pour le meurtre de Judy Kozma, il avait rencontré sa femme et son fils pendant deux heures.
« Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer pendant ces deux heures… J'ai dit à ma femme que j'étais responsable de la mort des enfants et que je ne pourrais pas vivre avec moi-même ni avoir la moindre paix de l'âme tant que je n'aurai pas confessé ce que j'avais fait et rendu les corps à leurs familles afin qu'ils reçoivent une sépulture chrétienne décente ».
Personne ne croit vraiment à ces regrets de façade. Il est clair que son absence de remords découle d'un manque total de culpabilité. Cela ne remet pas en cause l'intelligence du tueur qui, si elle n'est pas supérieure à la moyenne, n'en est pas moins normale. « Il y a un groupe de psychopathes, auquel Olson appartient clairement, qui peut être fascinant, charismatique, attachant, prévisible et sinistre, avec la capacité de manipuler leurs semblables », explique le Dr. Russell Fleming, le psychiatre en chef du Penetang's Mental Health Center dans un article du Toronto Sun.
Un autre signe de l'immense orgueil d'Olson, et de sa course au pouvoir, est ce jeu dangereux d'indicateur qu'il a joué avec la police et la justice, que ce soit pour confondre d'autres malfrats et pour s'accuser lui-même. Il revendiquera d'ailleurs à plusieurs reprises un tableau de chasse plus considérable, peut-être une soixantaine de victimes comme il le déclarera au palais de justice de Surrey en août 1997 alors qu'il tente d'obtenir une révision de sa peine, mais ces allégations n'ont jamais pu être vérifiées. Il est peu probable qu'en si peu de temps (il a passé la majeure partie de sa vie adulte en prison), Olson ait eu la possibilité matérielle de tuer beaucoup plus. Paradoxalement, il niera avoir assassiné quatre autres jeunes filles : Verna Bjerky dans la région de Hope et de Yale, Pamela Darlington à Kamloops, Monica Jack à Quilchena et Marney Jamieson à Gibsons. En revanche, cette véritable "vente de cadavres" pour la somme de 100 000 dollars est un pied de nez flagrant adressé à la police et à la justice canadiennes, et par là même, à tous ses semblables. Mégalomane, Olson n'hésitera pas à envoyer des lettres au Premier Ministre Canadien de l'époque, Jean Chrétien, et au Président Bill Clinton, ainsi qu'à bon nombre de journalistes influents ou à des PDG. Un tel comportement n'est pas exceptionnel : Jack l'Eventreur, le plus célèbre des tueurs en série, multiplia lui aussi les provocations, les fausses pistes, les moqueries, envoyant des dizaines de lettres à la police et aux journaux et discutant avec les agents avant de commettre ses horribles meurtres. On ne sait si tous les crimes qui lui sont attribués sont réellement de son fait, mais il est certain qu'il a tout fait pour qu'on le soupçonne d'une véritable hécatombe. De la même manière, Olson ne se limita pas à son propre cas et réclama aussi sa contribution dans le tableau de chasse morbide du Green River Killer dont une grande part a été assumée par Gary Leon Ridgway, le serial killer US arrêté en 2001. Ridgway a réalisé une épopée criminelle d'une intensité comparable à celle d'Olson, mais d'une plus grande longévité : au moins quarante-huit femmes dont quarante-quatre furent assassinées entre 1982 et 1985 sur la Pacific Highway, certains des corps étant abandonnés sur les rives de la Green River qui donna son nom à l'affaire. Le parallèle avec Ridgway ne se limite d'ailleurs pas à ses actes : bien que leurs histoires et leurs caractères soient clairement différents, Olson et Ridgway se marièrent, eurent des enfants et manipulèrent tous les deux la police et la justice avec succès. Cependant Ridgway, un homme discret et de bonne réputation, n'a jamais cherché à se moquer aussi ouvertement de la justice que l'a fait Olson.
Le texte qu'Olson a écrit sur lui-même, pompeusement intitulé "Profil d'un tueur en série : l'histoire de Clifford Robert Olson" où il se voit avec un regard extérieur, en dit long sur la démesure de son ego. Inversement, il n'y mentionne les enfants qu'en termes médico-légaux pour expliquer la nature et l'effet des lésions occasionnées à chacun d'entre eux, une autre preuve de la dépersonnalisation des victimes. Il a également écrit un rapport détaillé sur chacune de ses onze victimes ; ces comptes-rendus devaient être donnés à son fils pour ses 20 ans en l'an 2000. Le pauvre Clifford III se serait sans doute bien passé d'un tel héritage…
La vision du futur d'Olson est déconcertante. S'il est conscient du fait que son fils grandira dans le souvenir d'un père meurtrier, et que sa femme supportera le poids de ses fautes tout le restant de sa vie, il écrit : "Elle m'a dit de faire ce qui est bien et qu'elle m'aimera toujours et qu'un jour nous nous retrouverons au paradis, priant Dieu ensemble"… A tout cela bien sûr s'ajoute un comportement sadique classique chez un psychopathe : violence gratuite, mise à mort brutale et barbare, et surtout l'horrible cassette audio qu'il passa au téléphone aux parents de Judy Kozma, un autre moyen de prolonger son emprise sur sa victime par-delà le trépas, en s'en prenant à ses proches. De même, il téléphona et écrivit des lettres à plusieurs autres familles, décrivant à loisir le traitement pervers et cruel qu'il avait fait subir à leur enfant. Si Olson n'est pas le plus grand tueur en série de tous les temps de par le nombre de ses victimes, c'est sans aucun doute l'un des plus abominables. Après son procès, le procureur de la Couronne, John Hall, confia aux journalistes du Vancouver Sun que c'était "le cas le plus pathétique et le plus bizarre" qu'il lui ait été donné de voir. A ceux qui l'interrogeaient à propos des motifs d'Olson, il répondit : « Qui en sait quelque chose ? C'est difficile d'explorer la pensée humaine. Il est fou dans le sens large mais pas au sens légal. C'est un psychopathe paradoxal. Il peut aller à l'église et battre sa coulpe tout en disant "J'aime ma femme, j'aime mes enfants", mais il ne peut pas. Il peut croire qu'il a de vrais sentiments mais c'est superficiel. Il n'a pas de conscience ».
Le jugement éclair
Loin d'être un détenu modèle, Clifford Olson multiplia les provocations, indifférent aux conséquences que cela pourrait avoir sur un très improbable libération.
Inculpé du meurtre de Judy Kozma dont on avait trouvé le carnet d'adresses dans sa voiture, Olson avoua finalement tous ses crimes. Il savait qu'il ne risquait finalement que la prison à vie puisque le Canada avait aboli la peine de mort en 1976. Depuis son adolescence, il n'avait pas beaucoup connu la liberté et il est probable qu'il espérait bien malgré tout être relâché après 25 ans de détention. Ayant obtenu la somme demandée, il avait conduit les enquêteurs sur les lieux où il avait sommairement enfoui les corps. Restait à le juger.
On attendait un monstre. Le public découvrit un homme sans personnalité, plutôt médiocre et terne, d'autant plus pitoyable qu'il se rendait compte qu'il n'était pas à la hauteur de l'image que les médias avaient projetée. Clifford Olson était un individu à la personnalité monstrueuse, mais ce n'était pas le grand, le puissant tueur en série qu'il prétendait être.
Le procès ne dura que quatre jours, du 11 au 14 janvier 1982. Le troisième jour, Olson se décida à plaider "coupable", conseillé par son avocat Robert Shantz. Il ne fallut que peu de temps pour que le jury prenne sa décision. Le lendemain, le juge Harry McKay le condamna à onze peines de prison à vie concurrentes. En théorie, Olson pouvait donc être libéré au cours de l'été 2006, mais il était évident que nul n'était disposé à envisager sa remise à l'air libre.
« Je n'ai pas de mots pour décrire l'énormité de vos crimes, la douleur et l'angoisse que vous avez causées à tant de gens, déclara le juge McKay. Aucun châtiment que pourrait vous infliger un pays civilisé ne saurait convenir à un homme tel que vous… Vous ne devriez jamais être libéré sur parole pour le reste de vos jours. Ce serait de l'inconscience que de vous remettre en liberté ».
La cause était entendue. Clifford Robert Olson allait probablement passer le reste de sa vie en prison, mais cette victoire apparente ne satisfaisait pas totalement les familles des victimes. Non seulement Olson avait eu la satisfaction de voir sa famille toucher 100 000 dollars mais en plus, le bruit courrait qu'il écrivait son histoire et qu'il comptait la publier. Les parents des victimes rédigèrent une lettre commune qu'elles adressèrent au Solliciteur Général Kaplan. Certes, l'avocat général de la province, Allan Williams, avait expliqué qu'en payant 100 000 dollars, la Couronne s'assurait d'obtenir contre Olson une condamnation pour meurtre au premier degré, mettant fin à l'angoisse des parents de disparus et faisait l'économie d'une longue et coûteuse enquête, mais celà ne suffisait pas à calmer l'opinion publique.
"Nous souffrons de nouvelles blessures à présent que nous avons appris que Clifford Olson a profité financierèrement de la mort de nos enfants. Tout cela est aggravé par le fait que Monsieur Olson pourrait tirer bénéfice de la publication de son histoire dégoûtante, malfaisante et perverse. Clifford Olson tire un évident plaisir moral de la publicité qui lui est faite et ne connaît pas de limite morale qui pourrait le dissuader de profiter financièrement, directement ou indirectement, de la vente de ses mémoires".
La lettre n'eut que peu d'effet malgré la centaine de signatures qui la paraphaient. La presse s'empara de l'affaire et appuya la protestation des familles. Depuis que l'accord secret avec Olson avait été dévoilé en 1982, une véritable marée de protestation s'était élevée du pays tout entier. Le 14 janvier 1982, le Vancouver Sun titrait : "Olson a été payé pour localiser les corps". Bien que le deal ait été connu officieusement au moment du procès, la police avait renoncé à en parler pour que l'accusé ne pâtisse pas d'une publicité aussi négative. Le calcul n'était sans doute pas judicieux car ce silence des autorités donnait l'impression que la justice avait traité avec un tueur en série pour de sombres raisons financières et se moquait pas mal des familles de victimes. Le tremblement de terre médiatique secoua l'ensemble de l'autorité judiciaire, du procureur général de Colombie-Britannique, le ministre fédéral de la justice, le chef de la GRC et son adjoint jusqu'au Premier Ministre du Canada.
Le superintendant Bruce Northorp revint plus tard sur ces évènements : « Je trouve impensable qu'on l'ait payé pour que celui-ci fournisse des preuves. La proposition de payer la femme d'Olson fait tout simplement se hérisser mes cheveux sur la tête. Ils n'ont jamais été séparés et Olson est en mesure de profiter lui aussi de l'argent payé à sa femme. La situation aurait été différente s'ils avaient été divorcés et s'il avait donné des informations sur son passé criminel. Ce n'était pas le cas ».
Clifford Olson n'en resta pas là. Prétendant localiser d'autres corps en novembre 1981, il traîna les enquêteurs jusque dans les Territoires du Nord-Ouest où il n'avait probablement jamais mis les pieds. Lassée de ses mensonges, la police renonça définitivement à l'extraire du pénitencier de Kingston, Ontario.
Au cours de l'automne 1984 s'ouvrit une audience pour le moins sulfureuse sous la présidence du juge William Trainor : la Cour Suprème de Colombie-Britannique devait statuer sur le bien fondé de l'accord conclu entre la police et Olson pour la somme de 100 000 dollars. Dès le début de l'audience, les insultes fusèrent à l'intention de Joan Olson et de son fils, au point que le président dut faire sortir le public. La réaction de la foule, qui associait Joan Olson et son enfant aux actes criminels de Clifford, était sans aucun doute excessive : on parlait de "Rosemary's baby" et de "graine de démon"… Joan déclara d'une voix tremblante : « Cela me navre qu'on pense que j'ai quoi que ce soit à voir avec tout ça. J'ai pleuré, j'ai pleuré pour tout ça. Je ne sais pas comment expliquer ». Joan Olson apparut comme une femme brisée par sa vie avec deux hommes peu recommandables : un alcoolique qui la battait, et un criminel abominable qui avait fini par la violenter également. « Je le hais pour la nuit où il a dirigé un couteau contre ma gorge. Il me terrorisait, m'effrayait, me battait. Je n'avais personne vers qui me tourner ». Des années après les faits, la vie de Joan Olson était un cauchemar, à l'image de ces nuits où elle voyait le fantôme de Simon Parrington la supplier. A son propre fils, elle a pourtant exposé simplement la situation : « Je lui ai juste expliqué que son père était quelqu'un de mauvais, qu'il allait passer le reste de sa vie en prison et que nous n'irions jamais le voir, et il a accepté ça. Ce qu'il fera plus tard, je n'en sais rien ».
Pourtant Joan restait Madame Olson malgré tout. Son opinion à propos de Clifford n'était pas totalement négative : « C'est vraiment un charmeur. Il avait une façon de parler telle que je ne connais pas de femme pouvant ne pas être attirée. Je ne sais pas ce que c'est en réalité. J'aime dire que ce sont ses yeux marron, mais ça ne pouvait pas être ça.
Suivant le sentiment populaire, le juge Trainor décida que Joan Olson devait rendre les 100 000 dollars plus intérêts, et payer les frais de justice. Nul ne manifesta la moindre sympathie pour la femme et l'enfant de Clifford Olson tout au long de ces années. Pourtant, Shantz et McNeney, les avocats de la famille Olson, contre-attaquèrent, et quelques mois plus tard, la Cour Suprême du Canada, la plus haute instance juridique du pays, annula le précédent jugement et rejeta l'appel des parents de victimes. La fin de l'épopée était aussi honteuse que l'avait été l'accord qui avait permis à un tueur en série d'être le "commis" de la justice.
Par la suite, Olson fut transféré à Prince Albert dans la Saskatchewan puis dans la SHU du pénitencier de sécurité maximale de Sainte-Anne-des-Plaines au Québec où il est toujours détenu.
Les conséquences de l'affaire Olson
Manifestation menée par les familles et proches des victimes d'Olson alors qu'il allait comparaître devant la Cour envue d'une improbable libération.
Un an après la libération pour le moins controversée de Karla Homolka, reconnue responsable du meurtre de sa sœur et complice dans le viol de plusieurs femmes Ontariennes ainsi que dans le rapt, le viol, la torture et l'assassinat de deux jeunes filles, la demande de libération sur parole de Clifford Olson fit couler beaucoup d'encre et de salive. Contrairement à Karla Homolka qui n'était pas une psychopathe au sens légal du terme et ne semblait pas représenter à elle seule un danger manifeste pour ses semblables, chacun s'accordait pour penser que Clifford Olson était toujours un tueur sadique et que les 25 années de détention ne l'avaient en rien changé. En plus d'être un psychopathe, Olson avait maintenant un comportement psychotique avec des troubles rappelant la schizophrénie tels que les discours désorganisés et délirants. Loin de s'être amélioré d'une quelconque manière, l'état d'Olson s'est même considérablement aggravé. Fort sagement, la commission chargée d'évaluer les chances de réinsertion du détenu estima qu'il n'était absolument pas prêt à être libéré. Quoi qu'il en soit, Clifford peut officiellement déposer une nouvelle demande de libération en 2008… Savoir que son cas sera une nouvelle fois examiné peut faire frémir quand on connaît ses capacités de manipulateur et de simulateur. Comme il l'écrit lui-même dans son autobiographie, "Olson était un vantard, un menteur et un voleur"…
La vague médiatique soulevée par son procès et l'accord financier en 1982 puis par sa demande de libération conditionnelle 24 ans plus tard ont forcé les autorités, en particulier le pouvoir politique, à réaliser que pour ce type de détenus, le système judiciaire était trop permissif. De nombreuses voix se élevées pour demander un changement de la loi concernant la libération sur parole, à commencer par les familles de victimes qui, à chaque fois, vivent un nouvel enfer. « L'examen des demandes de libération pour ce type de délinquant violent "revictimise" les familles » a déclaré John Les, le Solliciteur Général de Colombie-Britannique.
Olson n'a manifesté ni remords, ni compassion pour ses victimes et leurs familles. Homme dangereux, pédophile et sadique, les longues années de détention en ont fait un individu psychotique et haineux. En juillet 2006, il comparut devant une commission de libération conditionnelle au grand désespoir des proches de victimes. C'est un vieillard de 66 ans, amaigri et délirant, qui fut présenté aux juges : ceux-ci, conscients de sa dangerosité extrême, rejetèrent sa demande.
Il est vrai que même si Olson semble parfois perdre le sens des réalités, il ne doit probablement pas se faire grande illusion quant à ses chances d'être libéré, et pour le moment, il ne fait rien pour simuler une "guérison". Il a même refusé en 2006 de se soumettre à un examen psychiatrique. Un autre tueur en série tel que David Threinen, qui enleva et étrangla quatre jeunes enfants à Saskatoon (Saskatchewan) en 1975, a fait preuve de plus de réalisme : alors qu'après 25 années de détention, on étudiait sa libération conditionnelle, il présenta ses excuses aux parents des victimes et déclara qu'il méritait de finir sa vie en prison. Olson n'a jamais montré le moindre remords. Encore une fois, son motif est purement sadique comme le souligne Darylene Perry, la sœur de la petite Ada Court :« Il ne veut même pas être là, il veut que nous soyons là ». Gary Rosenfeldt, le père de Daryn Johnsrude et fondateur du "Centre de Ressources Canadien pour les Victimes de Crimes" est persuadé qu'Olson "jouit de la douleur et de la souffrance qu'il inflige aux familles".
Vic Toews, le nouveau ministre de la justice du Canada, annonça que le gouvernement allait se pencher sur le problème au cours de l'automne 2006. « Maintenant, nous devons y aller et disposer d'appui pour effectuer ce changement pour que nous n'ayons pas à recommencer dans deux ans, a déclaré Darylene Perry. Je ne veux plus revivre ça ». Le solliciteur général de Colombie-Britannique, John Les, abondait également dans ce sens :« Tout changement à la loi fédérale, règlement ou protocole qui donnerait davantage de pouvoir aux victimes et irait dans leur sens est soutenu par ce gouvernement ». Depuis, les législateurs canadiens réfléchissent, et réflechissent encore… Et en mai 2008, rien n'a pu empêcher Olson de déposer une nouvelle demande. Seule parade, le National Parole Board a repoussé l'audition pour cause de "dossier incomplet".
Il serait également indispensable de limiter la liberté de communication de tels détenus, que ce soit au téléphone ou par courrier. Comment admettre qu'un homme tel qu'Olson puisse donner des interviews comme une star, ou écrire des lettres monstrueuses comme celles qu'il a envoyées aux parents de ses victimes et aux journaux qui les ont publiées un temps. Certes, des mesures ont été prises pour que Clifford Olson ne puisse plus recommencer de telles ignominies, mais les règles carcérales en la matière ne sont toujours pas modifiées. De plus, bien qu'il n'aie pas accès à Internet, une page personnelle consacrée au tueur est apparue du "MySpace.com" au cours du printemps 2008, affichant des photos d'Olson en prison et proposant des histoires qu'il aurait écrites. A la demande des services correctionnels, MySpace a depuis retiré la page de l'accès publique.
Sans doute l'affaire Olson va-t-elle contribuer à rendre le système juridique canadien moins permissif pour les délinquants sexuels, et plus humain pour les familles de victimes. Les traces seront pourtant indélébiles comme le souligne Gary Rosenfeldt dans un récent interview par la Canadian Press : « Ma petite fille avait 9 ans à l'époque où son frère a été assassiné. C'est pénible de s'asseoir et de la regarder en pleurs alors qu'elle parle de son frère. Elle ne devrait pas avoir à connaître cela. Elle devrait avoir d'autres choses en tête que d'essayer de maintenir en prison un tueur fou ».
En prison, Clifford Olson y restera, mais pour combien de temps encore ?
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© Christophe Dugave 2008