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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 17:09

Paul Bernardo et Karla Homolka : Fatale attraction



 En juin 1991, Paul Kenneth Bernardo épousait Karla Leanne Homolka. Nul ne connaissait la véritable histoire du couple : de nombreux viols et déjà au moins 2 meurtres.

Ils étaient jeunes et beaux, ils s'aimaient. Leur blondeur, leur mariage clinquant avec longue robe blanche, calèche, et réception, faisaient immanquablement songer à l'image très kitch de Ken et Barbie. Pour ce couple de St-Catharines, sur la rive sud du lac Ontario [carte], la réalité rejoignait le rêve. L'histoire allait bientôt sombrer dans l'horreur la plus sordide. En vérité, l'histoire avait déjà flirté avec la dépravation et la mort, mais nul ne le savait encore en dehors de ces êtres dont la pureté superficielle masquait un incroyable sadisme. On dit que les fantasmes entretiennent l'amour ; pour Paul Bernardo et Karla Homolka, l'amour entretenait des fantasmes que ni la morale, ni même l'humanité, ne parvenaient à limiter.

De par la définition classique du tueur en série, Bernardo et Homolka sont en limite basse puisqu'il ont été arrêtés après avoir violé et tué trois jeunes filles. En revanche, l'identité des victimes, la violence des actes infligés et l'absence de remords, sont la signature de sadiques sexuels véritables. De plus, Paul Bernardo a avoué avoir violé au moins treize femmes, peut-être quarante, et est soupçonné de quatre ou cinq assassinats supplémentaires. L'histoire de ce couple sanglant ne s'arrête pas là. Bernardo et Homolka ont soigneusement enregistré leurs actes en vidéo pour mieux les revivre par la suite, et les films ont été visionnés lors de leurs procès. Blasés par l'abondance et la violence des faits-divers sanglants, nous avons fini par admettre que certains hommes puissent éprouver un véritable plaisir sexuel à faire souffrir. Le fait qu'une femme ait ressenti des pulsions semblables et réalisé à son tour ses fantasmes morbides n'en est que plus choquant. Certes, des couples maudits ont déjà défrayé la chronique : Bonnie Parker et Clyde Barrow et plus récemment John Williams et Rachel Cumberland, les tueurs des truck stop aux USA. C'était pour la quasi-totalité d'entre eux des duos de marginaux formés au hasard d'une dérive et souvent déjà connus des services de police, comme les couples Bodin-Fasquel et Fourniret-Olivier dans l'Hexagone. Il était alors rare qu'un couple, apparemment "normal" et sans aucun antécédent judiciaire, ait accompli de tels actes.

L'histoire hypermédiatisée de Paul Bernardo et Karla Homolka a profondément troublé l'opinion publique canadienne et a fait vaciller son système policier et juridique. Pendant trop longtemps, nul n'a soupçonné ces DINKs — double incomes, no kids (double revenus, pas d'enfant) — actifs, aisés, honorablement connus et appréciés de leur communauté. La police, une fois encore, s'est distinguée par sa lenteur à réagir alors même qu'elle tenait le coupable. La justice n'a pas fait mieux en permettant que la jeune, jolie mais diabolique Karla Homolka bénéficie d'un accord d'indulgence très controversé depuis. Malgré les atermoiements de la police et les ratés de la procédure judiciaire, le couple a été arrêté et condamné, mais il ne fait aucun doute que sans cela, il aurait poursuivi son parcours criminel. Les experts se sont accordés sur la dangerosité de Bernardo qui passera sans doute le reste de ses jours en prison. En revanche, Karla Homolka a été libérée le 4 juillet 2005 après seulement 12 ans de détention, une décision fort mal perçue par l'opinion publique. Pourra-t-elle poursuivre une vie normale, s'intégrer dans la société, contrôler ses pulsions et ses fantasmes ? Car en dépit de son image de jeune fille naïve influencée par un amant obsédé et sadique, Karla a bel et bien montré qu'elle pouvait être aussi une femme perverse et manipulatrice. Paul s'est sans doute servi d'elle, mais elle a également su tirer parti de son partenaire pour accomplir l'innommable. En cela, ses propres mots, 6 ans avant les faits, sont pour le moins édifiants. Elle avait alors confié à son amie Tracy :

« Tu sais ce que j'aimerais faire ? Je voudrais dessiner des points partout sur le corps de quelqu'un, prendre un couteau et jouer à "relier les points". Je verserais ensuite du vinaigre partout ».

Propos d'enfant innocent pour qui la vie et la mort sont un jeu ? Karla avait alors 17 ans, âge de sa première aventure sexuelle et de sa rencontre avec Paul Bernardo… [Lire le volet I] [Lire le volet II] [Lire le volet III]

[Carte]

Bibliographie :

En Français

• Stephen Williams, Karla, le pacte avec le diable : Au coeur de l'affaire Bernardo, Ed. Trait d'Union, 2002

• Patrick Blackden, Marguerite Guittard, Les Couples Sanglants, Editions, Scènes de Crimes, 2005

En anglais

• Scott Burnside, Alan Cairns, Deadly Innocence, Warner Books, 1995

• Brian O'Neill, A Mariage Made for Murder, self-published, 1995

• Nick Pron, Lethal Marriage: The Unspeakable Crimes of Paul Bernardo and Karla Homolka, Barns and Noble Eds, 1996

• Lynn Crosbie, Paul'sCase, Insomniac Press, 1997

• Stephen Williams, Invisible Darkness: The Strange Case of Paul Bernardo and Karla Homolka, Bantan Eds 1997

• Carol Ann Davis, Women Who Kill, Allison &Busby Eds., 2002

• Stephen Williams, Karla, a Pact with the Devil, Cantos International, 2003

• Nick Pron, Lethal Marriage: The Uncensored Truth Behind the Crimes of Paul Bernardo and Karla Homolka (Updated Edition), Seal Books 2005

• Linda G. Stunell, Women Out of Control: How the Girls Next Door Became Some of the World's Most Notorious Criminals, Running Press 2007

• Peter Wronsky, Female Serial Killers: How and Why Women Become Monsters, Berkley Trade 2007



© Christophe Dugave 2008
 
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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 10:30

Wayne Boden : une passion dévorante

 

 

Le 18 mai 1971, les collègues d'Elizabeth Ann Porteous s'étonnèrent de ne pas la voir arriver à son travail. La jeune femme, âgée de 33 ans, était connue pour son exactitude, et l'administration du collège de Calgary (Alberta) [carte] où elle enseignait contacta son propriétaire Celui-ci se rendit immédiatement à l'appartement qu'elle louait et découvrit un domicile en désordre qui montrait des signes patents de lutte. Le corps sans vie d'Elizabeth gisait sur le sol : elle avait été visiblement violée et étranglée, mais l'homme ne pouvait ignorer les marques de morsures qui mutilaient la poitrine de la victime, et qui reproduisaient avec une étonnante précision l'empreinte des dents de l'assassin. Grâce à ce détail et différents témoignages, la police allait rapidement relier cette affaire à plusieurs autres meurtres. En effet, quelques années auparavant dans la région de Montréal, quatre assassinats, toujours inexpliqués, avaient eu lieu dans des circonstances identiques : un homme s'introduisait chez les victimes par la ruse et les violait, avant de les étrangler et de les mordre cruellement, toujours à la poitrine. Ce tueur en série, obsédé par les attributs féminins qu'il ne pouvait s'empêcher de déchiqueter, avait été appelé "le violeur vampire" et avait fait trembler les Québécoises à la fin des années 60 avant de disparaître soudainement.

Le violeur vampire de Montréal

 

Norma Vaillancourt, une enseignante de 21 ans, fut retrouvée morte à son appartement de Montréal [carte] le 23 juillet 1968. La police métropolitaine constata qu'elle avait été brutalement violée et  étranglée. Cette mort n'aurait été qu'un homicide de plus dans la grande métropole québécoise, seconde ville du Canada après Toronto, si les enquêteurs n'avaient constaté la présence de morsures multiples sur la poitrine de la victime, témoignant de la sauvagerie du meurtrier. Chose curieuse, il n'y avait aucun signe de lutte : l'appartement était en ordre, la serrure et la porte étaient intactes, et de manière assez étrange, la victime arborait une mine détendue, presque souriante, expression qui ne correspondait guère à l'attitude d'une femme agressée (même si l'on sait, depuis, que l'expression post-mortem n'est pas obligatoirement représentative du traumatisme enduré). La police imagina donc qu'il s'agissait peut-être d'un jeu sadomasochiste entre adultes consentants, et que la séance avait mal tourné. Restait à expliquer le pourquoi de ces morsures. L'enquête auprès des connaissances de la victime ne donna aucun résultat, pas plus que les interrogatoires successifs de ses nombreux petits amis. Il fallut attendre l'automne de l'année suivante pour que la découverte d'une seconde victime indique sans ambiguïté que la mort de Norma Vaillancourt n'était pas "accidentelle".

Le 3 octobre 1969, Shirley Audette fut retrouvée dans l'arrière-cour d'un complexe d'appartements à Montréal-Ouest. Elle était vêtue, mais comme la précédente victime, elle avait été violée et étranglée, et des morsures multiples mutilaient ses seins. Les ressemblances avec le premier cas ne s'arrêtaient pourtant pas là : l'absence de fragments de peau ou de cheveux sous les ongles, de même que l'état général du corps, suggéraient que la victime n'avait été ni contrainte, ni battue. L'autopsie et les analyses biochimiques confirmèrent que Shirley Audette n'avait pris ni alcool ni drogue qui auraient pu affecter ses réactions, et qu'elle était consciente lorsqu'elle avait été agressée. La police rapprocha les deux affaires et, comme dans le premier cas, enquêta auprès des proches de la victime. Un des anciens petits amis de Shirley, qui avait conservé de bonnes relations avec elle, affirma aux enquêteurs qu'elle lui avait avoué fréquenter un homme très macho, et qu'elle avait déclaré s'être engagée dans "quelque chose de très dangereux". Elle n'avait jamais fait mention d'un nom précis, mais elle semblait parler de l'individu avec un tel mélange de peur et de fascination que la police avait supposé qu'elle pratiquait le bondage et divers jeux érotiques brutaux et dangereux, choses qui intéressaient certainement le tueur.

Le 23 novembre, Marielle Archambault, vendeuse dans une bijouterie de Montréal, quitta son travail en compagnie de ses collègues. Elle rejoignit un jeune homme portant beau et de présentation soignée qu'elle leur présenta comme étant "Bill". Elle paraissait enjouée, heureuse même ; son bonheur ne devait pas durer. Le lendemain, elle ne se présenta pas à son poste. Son employeur se rendit alors à son appartement pour s'inquiéter de sa santé et, n'obtenant pas de réponse, demanda à la logeuse de Marielle de lui ouvrir la porte. Ils découvrirent alors que la jeune femme avait été agressée : l'appartement était sens dessus dessous, et le corps nu de la victime reposait dans le salon, recouvert d'une couverture. Le tueur avait visiblement déchiré sa petite culotte et son soutien gorge avant de la violer et de l'étrangler. Lorsque la police arriva sur les lieux du crime, elle constata que Marielle Archambault avait été mordue à la poitrine comme les deux précédentes victimes et relia alors les trois affaires. Une fouille méticuleuse de l'appartement permit de découvrir la photographie d'un homme que les collègues de Marielle reconnurent comme étant le fameux "Bill". Le tueur avait donc maintenant un visage, pourtant, les enquêteurs n'étaient guère plus avancés puisque l'homme en question ne correspondait à aucun suspect identifié. La diffusion de la photo dans la presse ne donna pas davantage de résultat.

Celui que l'on surnommait le "violeur vampire" (du fait de la séduction morbide qu'il exerçait sur ses victimes avant de les mordre) semblait avoir largué les amarres pour une autre province ou un autre pays. Il n'en était rien. Malgré les avis de recherches, le tueur frappa une quatrième fois le 16 janvier 1970.

Jean Wray, 24 ans, avait rendez-vous avec son petit ami et lorsque ce dernier passa la chercher en soirée, il frappa à la porte. N'obtenant aucune réponse, il décida de revenir un peu plus tard. A son retour, il trouva le battant entrouvert et découvrit le corps dénudé de Jean, étalé sur le canapé. Sa poitrine avait été littéralement "mâchonnée" comme en témoignaient les innombrables traces de dents. Elle aussi avait été pénétrée et étranglée, mais le rapport sexuel, s'il avait été violent, ne semblait pas avoir été forcé. Son visage témoignait également d'une certaine quiétude, comme si la mort l'avait surprise sans qu'elle l'ait vu venir. Le tueur était certainement à l'œuvre lorsque le jeune homme était passé en début de soirée, et il avait probablement profité de son départ pour prendre la fuite.

Bien évidemment, ce quatrième meurtre, qui ne laissait guère de doute quant à l'existence d'un tueur en série à Montréal, sema la panique dans les rues de la métropole québécoise. Une véritable psychose s'installa alors, vidant les rues et cloîtrant femmes seules et épouses chez elles sitôt la nuit tombée. Le "violeur vampire" ne donna pourtant plus signe de vie jusqu'au printemps suivant. Cette foi-ci pourtant, il avait mis le cap à l'Ouest et s'était installé dans la ville de Calgary où il comptait bien poursuivre sa terrible besogne.

 

 

Un homme séduisant mais un peu trop "voyant"

 

Wayne Clifford Boden après son arresttation en 1971 pour le meurtre de 4 femmes.

La découverte du corps d'Elizabeth Porteous amena la police de Calgary à la conclusion que le "violeur vampire" avait élu domicile en Alberta. Les enquêteurs entreprirent de fouiller l'appartement de fond en comble, mais ils n'eurent pas longtemps à chercher : la pièce à conviction la plus intéressante était située tout près du corps. Il s'agissait d'un bouton de manchette certainement perdu par le meurtrier.

La police recueillit le témoignage de plusieurs collègues d'Elizabeth qui déclarèrent avoir aperçu un jeune homme conduisant une Mercedes bleue avec un autocollant représentant un bœuf sur l'une de ses vitres. Un ami de la jeune femme apprit aux policiers qu'Elizabeth lui avait confié qu'elle commençait à fréquenter un jeune homme appelé "Bill" dont elle avait récemment fait la connaissance. Tous reconnurent le dénommé "Bill" sur la photo découverte chez Marielle Archambault 18 mois auparavant, et le décrivirent comme un jeune homme avenant, mais vêtu de manière voyante.

Le lendemain du meurtre, une patrouille de police repéra une Mercedes bleue, semblable en tout point à la description des témoins, stationnée non loin des lieux du crime. Moins de trente minutes plus tard, les agents interceptèrent un homme de 23 ans du nom de Wayne Clifford Boden, qui ressemblait trait pour trait à la photographie fournie par la police de Montréal. Interrogé, l'homme déclara avoir quitté le Québec l'année précédente et admit avoir rencontré Elisabeth Porteous le soir du meurtre. Les policiers constatèrent qu'il possédait un bouton de manchette semblable à celui qui avait été trouvé chez la victime, mais il prétendit qu'il l'avait simplement égaré au cours de la soirée et qu'Elizabeth était en parfaite santé lorsqu'il l'avait quittée. Bien entendu, la déclaration ne trompa personne, mais les policiers, pour plus de sûreté, s'intéressèrent à la dentition de Boden qui pouvait fournir de précieuses preuves à charge. A cette époque, en effet, il n'existait que peu de techniques fiables pour confondre un meurtrier n'ayant pas utilisé d'arme, et la comparaison de séquences témoins d'ADN allait encore attendre deux décennies avant d'être utilisée par la police scientifique.

Le laboratoire de l'identification judiciaire de Calgary s'attaquait à un problème de taille car il n'avaient aucune expérience en matière d'orthodontie légale, pas plus qu'aucun autre au Canada. L'orthodontiste Gordon Swann fit donc appel au FBI qui avait déjà eu à traiter des cas semblables. Son directeur de l'époque, J. Edgar Hoover, le dirigea vers Scotland Yard qui avait été confronté à plus d'une vingtaine de cas de meurtres avec morsures. Bien conseillé, Swann fut à même de démontrer qu'il existait vingt-neuf points de similitudes entre les traces observées sur le corps d'Elizabeth Porteous et la dentition de Boden. Ces conclusions furent suffisantes au jury pour reconnaître Wayne Boden coupable de meurtre. Celui-ci fut condamné à la prison à vie avant d'être transféré à Montréal pour y être jugé pour les trois meurtres qu'il avait commis précédemment.

Au cours de son procès, Boden reconnut les meurtres à l'exception de celui de Norma Vaillancourt pour lequel il ne fut pas condamné. Il expliqua, avec une certaine candeur, qu'il ne voulait pas tueur ses victimes, même si cela ne semblait lui faire ni chaud ni froid. Adepte des pratiques sadomasochistes, il aimait priver d'air ses conquêtes d'un soir au cours d'un rapport sexuel brutal. Il leur serrait la gorge et en prenant appui sur leur poitrine, il alimentait ses fantasmes morbides et satisfaisait son besoin de pouvoir. Dans la plupart des cas, il faisait semblant, mais à au moins cinq reprises, il avait mis trop d'ardeur à l'ouvrage et avait fait davantage que simuler une strangulation. Bien entendu, ces accidents suggèrent que Wayne Boden avait eu des pratiques semblables avec de nombreuses autres femmes mais, pour des raisons évidentes, aucune ne se manifesta au cours du procès pour confirmer ses dires. Une chose était certaine : les morsures n'étaient pas accidentelles… Cette première utilisation des empreintes dentaires pour confondre un meurtrier au Canada trouva un pendant quelques années plus tard aux Etats-Unis, lorsque Lowell Levine confondit le célèbre Ted Bundy en comparant sa dentition aux traces qu'il avait laissées sur ses victimes sauvagement agressées et assassinées. Au milieu des années 90, l'odontologie légale joua de nouveau un rôle central dans l'inculpation pour meurtre d'un autre tueur canadien, le sinistre John Martin Crawford.

D'autres psychopathes ont adopté des comportements plus vampiriques, allant jusqu'à boire le sang de leurs victimes, tels l'Anglais John George Haigh à la fin des années 40 ou le "Vampire de Sacramento", Richard Chase, un spree killer qui assassinat et dépeça plusieurs personnes avec une rare sauvagerie en 1978. Plus délicat, mais non moins dangereux, l'Argentin Florencio Fernandez égorgea et saigna une quinzaine de femmes après s'être introduit dans leurs chambres en 1960. Au Canada, on ne connaît de comportement comparable que dans le cas de Dale Merle Nelson, qui tua huit personnes et se rendit coupable de cannibalisme en 1970.

Condamné à trois peines supplémentaires (mais concurrentes) de réclusion à perpétuité, Wayne Clifford Boden fut incarcéré au pénitencier fédéral de Kingston (Ontario) le 16 février 1972. Il y demeura jusqu'à la mi-février 2006, période à laquelle il fut hospitalisé au Kingston Regional Hospital où il mourut de causes  naturelles le 27 mars de la même année.    

[Carte Alberta] [Carte Québec]

Bibliographie :

• Richard Monaco, Bill Burt, The Dracula Syndrome, New York: Headline, 1993 ;
• Presse Canadienne. 


[Retour au sommaire] [continuer]
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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 09:38

Peter Woodcock : Le silence des agneaux

 

 


Lorsqu'en 1991 la direction de l'hôpital psychiatrique de Brockville [carte], Ontario, décida d'emmener au cinéma des patients "en voie de guérison" pour visionner "Le silence des agneaux", le film culte de Jonathan Demme, elle ne mesura pas vraiment quel pourrait être l'impact des images pour le moins suggestives et de l'ambiance troublante sur des individus au psychisme fragile, voire instable. Les responsables n'eurent pas non plus conscience de l'état mental réel de David Michael Krueger, un malade âgé de 52 ans, qui suivait une lourde thérapie après avoir été interné pour le viol et le meurtre de trois enfants et l'agression sexuelle d'une centaine d'autres au milieu des années 50.


Devenu David Michael Krueger à l'hôpital psychiatrique de Brockville, Peter Woodcock n'aurait jamais dû se retrouver un jour dehors. Les autorités lui permirent cependant de sortir sous la tutelle de Bruce Hamil, un psychopathe soi disant guéri, en compagnie de Dennis Kerr, autre malade que les deux hommes assassinèrent à coups de hachette, le 13 juillet 1991, peu de temps après que Woodcock ait visionné le film "Le silence des agneaux" (© Ottawa Sun).

Avec ses lunettes aux verres épais et ses yeux de myopes, David Michael Krueger, de son vrai nom Peter Woodcock, ne semblait guère  dangereux, mais cette apparence trompeuse dissimulait une réalité beaucoup plus sombre. Violeur multirécidiviste et tueur en série ultra-violent, Woodcock, qui présentait des signes apparents de guérison, fut sans doute impressionné par l'ambiance macabre du film et enregistra certainement les paroles d'Anthony Hopkins (le serial killer Hannibal Lecter) se confiant à Jodie Foster (l'agente spéciale Clarice Starling) : « Une fois, un agent de recensement est venu chez moi pour tenter de m'interroger : j'ai mangé son foie avec des fèves et un excellent chianti ».
Deux semaines plus tard, Peter Woodcock et un autre malade, du nom de Dennis Kerr, bénéficièrent d'une permission de sortie. Leur accompagnateur n'était autre que Bruce Hamill, un ancien pensionnaire de l'unité psychiatrique de haute sécurité d'Oak Ridge, qui avait été autrefois interné pour meurtre. De par une loi absurde mais néanmoins en vigueur, il était considéré depuis comme un citoyen au-dessus de tout soupçon parce qu'apparemment guéri de sa psychose. Les autorités médicales avaient diagnostiqué une amélioration de l'état mental de Peter Woodcock, une évolution suffisamment positive pour envisager une sortie dans le monde extérieur… Les évènements allaient se charger de prouver le contraire…


Démence et ultra violence

Tous les ans au mois d'août a lieu un évènement attendu par tous les habitants du "Grand Toronto" [carte] : la Canadian National Exhibition (CNE) qui regroupe aussi bien des expositions dans de gigantesques halls couverts, que diverses activités de plein air dont une immense fête foraine sur le vaste parvis. La CNE fait partie intégrante de la culture canadienne et sa réputation a depuis longtemps traversé les frontières. Le parc des expositions se situe à l'ouest du centre-ville, en bordure du lac Ontario, à l'écart des zones construites, et lorsque le jeune Wayne Malette s'aventure le 16 septembre 1956 sur le chantier déserté de l'exposition, il ignore qu'il va au-devant d'un destin tragique. Originaire de l'est de l'Ontario, il est venu avec ses parents rendre visite à sa grand-mère qui habite sur Empress Street, non loin de la CNE. Les alentours sont déserts à l'exception d'une boutique de pop-corn et d'une échoppe qui vend de la barbe à papa. Il croise un adolescent à l'apparence calme qui divague sur une magnifique bicyclette, et lorsque celui-ci l'attire à l'écart, il ne se méfie guère, ignorant que le garçon âgé de 17 ans, n'en est pas à son premier viol. Cette fois, les choses iront plus loin sans qu'on sache vraiment ce qui a poussé Peter Woodcock à tuer. La police enquêtera en vain sur la mort du petit garçon de 7 ans, ne trouvant aucun élément décisif pour orienter ses recherches. En fait, le petit Wayne fut découvert peu de temps après le meurtre : il avait encore les joues roses et des larmes sur son visage. Il avait été visiblement déshabillé et abusé sexuellement, et son corps portait de nombreuses marques de coups, mais aucun indice ne permit à l'enquête d'avancer.

 

Le 19 janvier 1957, le corps de la petite Carole Voyce, âgée de 4 ans, fut retrouvé dans le ravin de Rosedale, mais cette fois-ci, les enquêteurs eurent plus de chance. Carole jouait en effet avec son ami Johnny Auld, devant le domicile de celui-ci sur Danforth Avenue, lorsqu'elle avait été abordée par un jeune homme juché sur une bicyclette rutilante qui leur avait proposé de les emmener en promenade. L'individu avait choisi Carole pour un "premier tour" en vélo. Cette année-là, l'hiver relativement clément et peu enneigé autorisait encore les sorties à bicyclette, et nul ne s'était étonné de voir passer un adolescent avec une petite fille sur le porte-bagages. Pourtant, une femme devait se souvenir plus tard avoir aperçu le jeune homme en compagnie de la victime. De même, le jeune Johnny Auld avait pu donner une description du meurtrier suffisamment précise pour que la police établisse un portrait robot.

 

Peter Woodcock, lors de sa comparution en cour en 1957, alors qu'il est accusé du meurtre de trois jeunes enfants qu'il a rencontrés au hasard de ses ballades à vélo (© Toronto Telegram/Ottawa Sun).

Les policiers appréhendèrent Peter Woodcock dans son lycée. Le jeune homme, connu pourtant honorablement par les agents de police de son quartier, ne passait guère inaperçu avec sa bicyclette voyante. On l'interrogea à propos des deux meurtres et aussi au sujet d'un troisième, celui du jeune Garry Morris pour lequel un autre adolescent avait été inculpé. Bien qu'il ait nié être l'auteur de ce dernier forfait qu'on pouvait aussi attribuer à un "imitateur", les policiers se rendirent compte qu'ils avaient mis la main au collet d'un véritable "prédateur sexuel" qui avait violé plusieurs autres enfants. L'expertise psychiatrique  conclut que Peter Woodcock était un individu psychotique ultra violent animé par des pulsions sexuelles déviantes et incontrôlées. En avril 1957, il fut donc déclaré aliéné et interné à Oak Ridge, l'hôpital psychiatrique de sécurité maximale de Penetanguishene (Ontario), pour y recevoir une thérapie appropriée.

Le journaliste Mark Bourrie, qui a  tissé avec Peter Woodcock des liens multiples au cours de ses nombreuses visites à Oak Ridge, est certainement l'un de ceux qui connaissent le mieux le tueur. Dans son livre "By Reason of Insanity", il décrit avec précision l'état d'esprit de Woodcock et dissèque méticuleusement ses fantasmes, cherchant à en découvrir les racines dans le trou noir de ses premières années d'existence. Il y explique notamment que cet homme, qui se comportait de façon presque normale, avait fini par inspirer aux médecins qui le suivaient une fausse impression d'amélioration de son état psychologique, alors même que sa démence n'était qu'enfouie sous ses apparences de détenu modèle, cachée par ses extravagances qui exaspéraient plus qu'elles n'inquiétaient.

 

  

 


Une mauvaise herbe dans un jardin bien entretenu

 

De la naissance de Peter Woodcock le 5 mars 1939 à Toronto, on ne sait pas grand-chose. Sa mère, Wanita Woodcock était, selon les sources, une ouvrière de 17 ans ou une prostituée de 19 ans. Récupéré par les travailleurs sociaux de la Children's Aid Society, il fut élevé en foyer d'accueil par Frank et Susan Maynards, des gens aisés qui avaient un fils, George, de 10 ans l'aîné de Peter. Les deux enfants n'eurent que peu de relations et, lorsque Peter commença de développer ses curieux fantasmes, George était déjà parti à l'université.

Susan Maynards, que Peter décrira plus tard comme un tyran, était sans aucun doute une femme autoritaire, mais elle était aussi dotée d'une grande patience. Peter était en effet un enfant difficile, qui pleurait dès qu'un étranger s'approchait de lui, et dont les progrès étaient laborieux. Pourtant, peu à peu, les choses s'améliorèrent, bien que Peter ait vécu une enfance solitaire : rares, en effet, étaient ceux qui voulaient jouer avec ce garçon atypique qui était plutôt la cible de railleries et de petites vexations de la part de ses camarades. Cette mise à l'écart devait amener Peter Woodcock à occuper ses moments de solitude avec son propre monde à lui, un univers fait de rêves d'enfants et de fantasmes plus étranges. Ainsi, sa passion obsessionnelle pour les tramways, qui circulaient dans le centre-ville de Toronto dans les années cinquante, est révélatrice de sa personnalité, et suggère le besoin d'une vie bien réglée, sans surprise, à l'écart du tumulte, une existence qu'il devait trouver plus tard à Oak Ridge. Il adorait aussi tout ce qui avait rapport avec l'armée et s'inscrivit aux Sea Cadets où, à 14 ans, il montait la garde, baïonnette au canon. Tout cela, pourtant, n'était guère significatif d'une pathologie manifeste et, bien au contraire, Peter Woodcock avait d'assez bons résultats à l'école même s'il peinait en mathématiques.

Plus Peter devenait bizarre et plus sa mère d'accueil se faisait protectrice, l'isolant involontairement dans ses rêveries, ce monde dont il était le maître absolu et qui se substituait au réel. Au moment de l'adolescence, ces fantasmes allaient se teinter d'un désir sexuel irrépressible et de fantasmes morbides. Ainsi, à 13 ans, il avait été surpris alors qu'il allait avoir un rapport sexuel avec une jeune fille de un an sa cadette qui allait devenir son unique relation féminine. Une autre fois, Susan Maynards retrouva le cadavre de son canari disposé sur le piano, entouré de chandelles comme pour une veillée mortuaire. Peter commença de fuguer, soit parce qu'il voulait suivre les tramways, soit pour échapper aux autres enfants. Au cours de divers séjour en centres de loisirs, il prit conscience de son attirance pour les garçons. Au-delà de l'aspect purement sexuel, il aimait jouer avec les enfants plus jeunes qu'il pouvait diriger.

Portrait-robot de l'adolescent qui tua deux jeunes enfants en 1957 à Toronto. Publiée par le Toronto Telegram, l'image contribua à l'arrestation de Peter Woodcock (© Toronto Telegram).
 

C'est à l'âge de l'adolescence que Peter Woodcock commença ses longues promenades à bicyclette.  Il pouvait ainsi parcourir quotidiennement de grandes distances, parfois 70 ou 80 kilomètres malgré son petit gabarit, et, comme on devait le découvrir par la suite, ces promenades n'étaient pas toujours innocentes. L'adolescent était en effet de plus en plus intéressé par l'anatomie de ses semblables, et ses rêves plongeaient toujours davantage dans une morbidité sanglante. Dans son esprit, le mariage d'Eros et de Thanatos, le sexe et la mort, était déjà consommé.


 
Apprendre à manipuler le système

 

L'homme à l'allure inoffensive, avec sa myopie prononcée à peine corrigée par des verres énormes, passa ainsi 34 années de sa vie dans cet hôpital psychiatrique de haute sécurité où se concentrait une incroyable faune de tueurs psychopathes tels que Cecil Gillis ou Joe Fredericks. Il y rencontra aussi sans doute des individus tels que Christian Magee et Russell Johnson qui n'avaient guère à lui envier en matière de perversité.

Christian Herbert Magee avait 27 ans lorsqu'il assassinat Susan Lynn près de Strathroy, dans le sud de l'Ontario, le 15 juin 1976. La jeune fille de 15 ans le connaissait de vue et c'est sans méfiance qu'elle accepta de monter dans son camion pour rentrer chez ses parents plutôt que d'attendre tranquillement son grand frère qui achevait son travail. Mal lui en prit puisque Magee la viola avant de la frapper de plusieurs coups de couteau dans la gorge et dans le dos. Il l'acheva en l'étranglant avec la petite robe décolletée qu'elle portait ce jour-là et se débarrassa de son corps en le jetant dans le sous-sol d'une ferme abandonnée. Arrêté le lendemain, Magee avoua le viol et le meurtre. L'autopsie révéla également une lacération de 20 cm au-dessus du vagin de la victime, ce qui suggérait qu'en plus d'être un violeur et un meurtrier, l'homme était aussi un sadique sexuel. L'enquête permit de découvrir qu'il était aussi l'assassin de Judith Barksey, qu'il avait poignardée alors qu'elle sortait d'une pizzeria de Strathroy, le 2 mars 1974, ainsi que de Louise Patricia Jenner de Mount Brydges le 20 octobre 1975, étranglée avec un lacet dans sa propre cuisine. Les deux jeunes femmes de 19 ans avaient été agressées et violées de manières identiques et le modus operandi n'était pas sans rappeler l'attaque dont avait été victime une femme de Strathroy  attaquée dans un parc à la tombée de la nuit le 20 juin 1975. Cette fois-ci, la victime avait survécu et avait décrit les sévices sexuels que Magee faisait subir post-mortem à ses victimes. De plus, elle avait clairement vu son agresseur et témoigna contre lui à son premier procès en octobre 1977. Lors de la seconde procédure en 1980, Magee dut répondre, entre autres, du viol d'une adolescente de 14 ans qui faisait de la randonnée et de l'agression d'une autre jeune fille. Sans surprise, le jury déclara le "fou au poignard" irresponsable et la Cour ordonna son internement psychiatrique à Oak Ridge où il est toujours confiné.

Russell Johnson, "l'étrangleur des chambres", fait également partie des pensionnaires de la division de haute sécurité de Penetanguishene depuis 30 ans. En 1978, il fut déclaré interné après avoir été convaincu de l'assassinat de trois femmes et avoir avoué sept autres meurtres et dix-sept agressions. Ouvrier le jour et videur la nuit, il sélectionnait des victimes qu'il suivait jusqu'à leur domicile et n'hésitait pas à escalader des façades de 13 étages pour pénétrer dans leur chambre. Il pouvait les regarder dormir pendant des heures avant de les violer et de les étrangler.

Ainsi, à Oak Ridge, des individus psychotiques se croisaient dans le cadre plutôt surprenant d'une thérapie tout à fait expérimentale. Il est difficile de savoir si, comme Peter Woodcock le dira plus tard, "les traitements furent pires que le mal", mais il est certain que la politique de suivi des internés à Oak Ridge était quelque peu "approximative". Ainsi, on essayait sur les malades des thérapies à base de LSD ou d'alcool, en plus de tout l'arsenal plus conventionnel offert par la pharmacopée hospitalière. Mais plus encore que les drogues, l'ambiance générale de l'établissement était pour le moins singulière, en particulier au cours des décennie 70 et 80.

Le gouvernement ontarien, qui engloutissait des fortunes dans ce type d'établissement psychiatrique, voulait des résultats tangibles. Il était alors "politiquement correct" de vouloir à tout prix guérir des psychopathes, quels que soient les moyens à utiliser, et de les relâcher une fois que la preuve de leur guérison était faite. Pour cela, on pensait que les malades n'avaient pas conscience de leur état et qu'il fallait leur ouvrir les yeux en les plaçant dans un contexte qui leur inspirerait confiance. Ainsi, dans la grande mouvance de l'autogestion, la direction d'Oak Ridge autorisa la création de commissions de malades statuant elles-mêmes sur les nouveaux cas. La "Communauté Thérapeutique" ajustait les traitements et soumettait les patients à des thérapies individuelles et de groupes. Peter Woodcock s'intégra particulièrement bien dans ce système de société quasi secrète où il pouvait manipuler à loisir. Ses propres résultats semblaient encourageants.

Parmi les différentes cérémonies initiatiques, celle du changement de patronyme pouvait sembler superficielle, mais elle n'en était pas moins significative. Peter Woodcock choisit donc de s'appeler désormais David Michael Krueger. On a beaucoup épilogué sur la signification du nom que choisit Woodcock. Certains prétendirent qu'il faisait référence à Freddy Krueger, le tueur en série des films de Jack Sholder, d'autres, que c'était un hommage à un général SS. Il semble bien que ce choix ait en fait relevé du plus pur hasard puisque qu'il était antérieur à la sortie de "Freddy" et qu'il n'y ait jamais eu de général SS du nom de Krueger. Au contraire, un général Walter Krueger commandait les forces américaines dans les Philippines, mais on a aucune certitude que Woodcock ait voulu l'honorer. Il est en tout cas certain que ce changement de nom n'avait en rien modifié la personnalité de Woodcock. Il n'était pas, de loin, le malade le plus difficile d'Oak Ridge, mais certainement l'un des plus pervers. Son état psychiatrique ne s'était pas amélioré, bien au contraire. Au contact des médecins et des surveillants, Woodcock avait appris à se comporter calmement et à réfréner ses pulsions, donnant l'impression d'un malade répondant positivement aux traitements. Son activité homosexuelle semblait normale pour un établissement de cette nature, et il semblait avoir pris conscience du mal qu'il avait fait, à tel point que les autorités commencèrent à songer à sa réinsertion et décidèrent de le transférer vers l'Hôpital de moyenne sécurité de Brockville, sur les bords du fleuve Saint-Laurent.

La politique de l'hôpital psychiatrique de Brockville était, on s'en doute, beaucoup plus souple que celle des établissements de haute sécurité comme Oak Ridge, mais si elle convenait à des malades mentaux classiques, elle n'était pas du tout adaptée aux tueurs psychopathe. Ainsi, on accordait des droits de sortie aux internés ayant démontré de réels progrès dans leur comportement et ce, quels que soient les actes qu'ils avaient commis antérieurement. Bien entendu, une certaine "ancienneté" était nécessaire, condition que remplissait parfaitement Woodcock. Comme il ne s'était pas rendu coupable de violences et d'agressions de type sexuel depuis bien longtemps (du moins "officiellement"), on pouvait estimer qu'il ne représentait plus un réel danger pour autrui. Les premières sorties au cinéma et à la cafétéria nécessitaient l'accompagnement par des membres du personnel hospitalier qui pouvaient évaluer le degré de réinsertion des patients. Woodcock fut donc autorisé à aller au cinéma avec quelques-uns de ses condisciples. Le hasard voulut qu'on y ait programmé "Le silence des agneaux". « Je me suis comparé à Hannibal Lecter, devait expliquer Peter Woodcock au journaliste Mark Bourrie. Je peux dire de quelle mauvaise manière il a été traité ».

Il est difficile d'évaluer à quel point ce film marqua l'imagination de Peter Woodcock et stimula ses fantasmes. Il ne laissa paraître aucun signe de changement dans son comportement, mais la boîte de Pandore était à nouveau ouverte.

 

  
Rencontre du troisième type

 

 

Peter Woodcock ne détestait pas la vie bien réglée de l'hôpital psychiatrique. Contrairement à de nombreux malades, il n'avait fait aucune tentative de fuite et trouvait parfaitement son compte dans la "Communauté Thérapeutique". Il recherchait même  les huis clos, les sociétés secrètes, où il pouvait manipuler à loisir ses semblables. Gang, confrérie, garde prétorienne… Toutes les appellations étaient bonnes pourvu qu'elles permettent à Woodcock de présider, dans l'ombre, à la destinée d'un groupe comme il aurait voulu régir le réseau de tramways de sa jeunesse à Toronto. Il promettait de menus avantages ou des destinées glorieuses à ceux qui le rejoindraient, et inventait des cérémonies initiatiques qui mêlaient homosexualité et mysticisme. C'est ainsi qu'il côtoya Dennis Kerr, sa future victime, et Bruce Hamill, l'exécuteur de ses noirs desseins.

Bruce Hamil, un garde de la cour de justice d'Ottawa, devait escorter Peter Woodcock lors de sa première sortie libre en 35 ans de détention. On le retrouva drogué, endormi dans un duvet, non loin du cadavre de Dennis Kerr, un autre malade dont il avait accepté la responsabilité. Nul ne s'était alors inquiété du lourd passé psychiatrique du chaperon… (© Ottawa Sun).
 

A vrai dire, Dennis Kerr n'était pas un ange. C'était un individu violent qui avait déjà passé la moitié de son existence derrière les barreaux. Drogué, il avait blessé à coups de couteau une vieille dame pour la dévaliser, mais il se considérait comme un marginal, un réfractaire, et se montrait extrêmement critique à propos des méthodes employées à Oak Ridge. Cette attaque en règle contre l'institution, où Woodcock avait assis un certain pouvoir, allait justifier son exécution.

Bruce Hamill et Peter Woodcock s'étaient également rencontrés au centre de sécurité maximale. Hamill y était alors traité pour avoir tué la voisine de la famille qui, il en était persuadé, harcelait sa mère. Cet enfant surprotégé avait un comportement impulsif et violent que l'on attribuait à l'atrophie de son lobe temporal droit. Déclaré irresponsable, il avait été traité à Oak Ridge de 1978 à 1980 avant d'être envoyé à Brockville puis relâché en 1983. Il avait été gracié par le Lieutenant-Gouverneur, tant et si bien que sa condamnation avait été effacée de son casier judiciaire ! Il s'était même marié, malgré ses préférences homosexuelles, et occupait un emploi de garde à la cour de justice d'Ottawa. A 31 ans, Bruce Waldemar Charles Hamill était donc un homme neuf, et rien ne s'opposait à ce qu'il escorte un patient de l'hôpital de Brockville à l'occasion de l'une de ses sorties.

Nul ne fut surpris de la demande de Woodcock pour une permission d'une journée en compagnie de Bruce Hamill et de Dennis Kerr. Personne ne se formalisa non plus du fait que Woodcock et Hamill avaient été amants et qu'en dépit des lois, ce dernier était une bien piètre garantie du fait de son passé psychiatrique. En fait, la mise à mort de Kerr était soigneusement planifiée et Hamill avait tout prévu. Alors qu'ils s'étaient installés dans un petit bois, non loin de l'hôpital, Hamill agressa et tua Dennis Kerr avec une hachette. Il le frappa avec tant de sauvagerie qu'il lui détacha pratiquement la tête du reste du corps. Les deux tueurs s'aspergèrent avec le sang de leur victime et sodomisèrent le cadavre, puis Woodcock alla tout simplement se livrer au poste de police de Brockville. A leur arrivée sur les lieux du crime, les policiers trouvèrent les restes du malheureux Kerr auprès duquel gisait Bruce Hamill, drogué et endormi dans un sac de couchage. Woodcock déclara qu'il avait tué Kerr pour entendre le "râle de la mort". Il était satisfait de son expérience puisqu'il avait perçu le dernier souffle de la victime. La motivation première du crime ne se limitait certainement pas à cette cruelle expérimentation puisqu'une fois en cellule, le serial killer adopta un comportement beaucoup plus dément, se masturbant toute la nuit en revivant le crime. Bien évidemment, il fut de nouveau interné à Oak Ridge, sans espoir cette fois de ressortir à l'air libre.

Le meurtre sauvage de Dennis Kerr sema un vent de panique dans la population, d'autant plus que ce n'était pas la première agression perpétrée par un malade. Ainsi, quelque temps auparavant, Paul Delorme, un attardé mental de 37 ans, avait attaqué une petite fille dans les toilettes d'un magasin Tim Horton's. En 1988, Paul Cecil Gillis et Robert Abel, deux meurtriers multirécidivistes traités à l'hôpital psychiatrique de St-Thomas en Ontario, obtinrent une permission de sortie : ils en profitèrent pour enlever et violer une jeune fille de 14 ans avant de la jeter du haut d'un pont. Par miracle, la victime survécut. Cette fois-ci pourtant, les choses étaient allées bien au-delà d'une simple attaque spontanée, et les conditions de l'assassinat de Dennis Kerr allaient soulever des questions très embarrassantes, aussi bien sur les méthodes utilisées à Oak Ridge que sur le fonctionnement de l'hôpital psychiatrique de Brockville.

 

 

Une psychiatrie inadaptée

 

L'utilisation expérimentale mais néanmoins généralisée de la scopolamine, de l'amytal de sodium, du "speed", du LSD et de l'alcool chez les patients psychotiques (substances qui n'avaient pas fait préalablement l'objet d'une évaluation sérieuse en psychiatrie) ne donna que fort peu de résultats encourageants. Les tranquillisants classiques étaient au contraire peu employés, notamment dans le cadre de la "Communauté Thérapeutique" qui visait à faire prendre conscience à chacun de la perversion qui avait jusque-là motivé chacun de ses actes. Cette découverte des émotions devait être la première étape vers un retour vers la vie normale et une clé pour la réinsertion. La "Communauté Thérapeutique" se basait donc sur l'assertion qu'un serial killer peut être guéri par la psychiatrie, indépendamment de toute castration chimique ou chirurgicale. Les tranquillisants étaient alors totalement bannis puisque la découverte d'une vie émotionnelle ne pouvait s'en accommoder.

Le système de la "Communauté Thérapeutique" était sans doute biaisé dans ses principes fondateurs, mais il n'en était pas moins d'un grand intérêt pour Peter Woodcock qui en profita au maximum : il devint ainsi David Michael Krueger, "socialisable et leader manipulateur" selon l'expression même de Mark Bourrie. En dehors d'une réelle surveillance des autorités hospitalière, Woodcock trouvait un excellent terrain pour fonder ses sociétés secrètes et appréciait le programme MAP, la face punitive de la "Communauté Thérapeutique" qui pouvait conduire à isoler un patient peu réceptif ou rétif, parfois pour de longues périodes, où à le jeter en pâture à ses compagnons. Ces méthodes, on s'en doute, amplifiaient au contraire l'agressivité des malades, même s'ils devaient cacher leurs sentiments. Woodcock apprit ainsi à mentir, à simuler, et il ne fait nul doute que cet apprentissage l'aida par la suite à manipuler Bruce Hamill. Les changements à la tête de l'hôpital signèrent la mort de la "Communauté Thérapeutique", mais le mal était fait. Krueger avait si bien appris à simuler la guérison et à refreiner ses pulsions, qu'il leurra la commission de spécialistes : des quatre psychiatres, trois se déclarèrent favorables à son transfert vers Brockville. On demanda cependant une castration chimique pour Peter Woodcock, traitement qu'il ne reçut jamais. Il fut donc envoyé en institut psychiatrique de moyenne sécurité "dans l'état".

Brockville n'était guère conçu pour recevoir des psychopathes, même si ceux-ci avaient enduré des années d'internement. Son système d'évaluation des progrès ne tenait pas compte non plus de la capacité des serial killers à manipuler leurs semblables, y compris le personnel encadrant. Aveuglées par les subtilités de la loi qui faisait de Bruce Hamill un accompagnateur digne de confiance, les autorités donnèrent leur feu vert pour la sortie de Peter Woodcock.  Notons au passage que même les sorties "accompagnées" par des infirmiers ne s'embarrassaient pas toujours de conditions optimales de sécurité. Ainsi, les malades étaient-ils conduits au cinéma ou au snack-bar, mais souvent, le personnel encadrant se contentait d'attendre à l'extérieur sans véritablement s'inquiéter du comportement de leurs protégés. Bien évidemment, les cinq mille résidents de la petite municipalité de Brockville se mobilisèrent, mais chacun se retrancha derrière ses mandats et rien ne changea dans la manière d'évaluer l'état mental des patients. Finalement, l'hôpital de Brockville fut fermé au cours d'une restructuration.

Curieusement, l'affaire Woodcock eut des conséquences inattendues et très négatives. La restructuration qui suivit entraina une fermeture massive des asiles et l'Ontario est à présent très déficitaire en services psychiatriques. De ce fait, nombre de malades se retrouvent dans des systèmes pénitentiaires classiques parfaitement inadaptés. Sans traitement, sans suivi réel, beaucoup se retrouvent dans les rues, jusqu'à commettre l'irréparable.

Fort heureusement, depuis l'affaire Krueger, les autorités sont très réticentes à laisser sortir un violeur et tueur en série, même si son état s'est apparemment amélioré, et des êtres psychotiques tels que Christian Magee ont peu de chance de se retrouver dehors. Ainsi, bien qu'il ait été un malade modèle, soit devenu un Chrétien fervent et ait pris conscience de l'horreur de ses crimes, les trois juges qui examinaient en 2006 la demande de transfert de Magee vers un établissement à sécurité moyenne ont estimé qu'il présentait un risque pour la société. En effet, en plus de présenter des troubles de la personnalité, il souffre de plusieurs paraphilies (des déviances sexuelles dont la satisfaction est indispensable à son excitation). Ainsi, le docteur Philipp Klassen écrivait en 2004 : "Les fantasmes de ce monsieur comprennent la torture, le démembrement, le canibalisme et sont compatibles avec son comportement de sadique sexuel et ses activités sexuelles post-mortem".  Cette évaluation laissait bien peu de place aux déclarations du tueur repenti qui déclarait : « Je ne pense pas être encore dangereux. J'ai beaucoup appris tout au long de ces années, je suis arrivé à comprendre mes problèmes et à les gérer ».

Il est également peu probable que Peter Woodcock alias David Krueger guérisse un jour, même lorsque l'âge aura calmé ses pulsions sexuelles encore très vivaces. Il a pourtant pleinement conscience de ses actes et de leur monstruosité, mais, comme la plupart des tueurs psychopathes, cet aspect ne le dérange pas le moins du monde. Il ne cherche plus à fuir le monde de la psychiatrie où il a fait sa place. Il peut même faire preuve d'un certain "humour" à ce propos. Ainsi, alors qu'il discutait avec le journaliste Mark Bourrie, Peter Woodcock vint à aborder le problème des espaces verts qui se raréfiaient à Toronto. « Les enfants ont besoin d'un endroit pour jouer ! » conclut-il. Puis il ajouta sur le ton de la boutade : « Les prédateurs ont aussi besoin d'un endroit pour jouer »…

[Carte]

Bibliographie :

• Mark Bourrie, By Reason of Insanity: The David Michael Krueger Story, Hounslow Press, 1997

• Peter Vronsky, Serial Killers: The Method and Madness of Monsters, The Berkley Publishing Group, 2004. 


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Published by Christophe Dugave - dans première partie
30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 09:48

Lila & William Young : le crime idéal

 


Les tueurs en série recherchent généralement des victimes isolées, désemparées, peu méfiantes, sans véritables liens familiaux. Les marginaux, les drogués, les prostituées sont de merveilleuses proies dont la société se moque éperdument. Leur sort ne nous interpelle que lorsque leur sang vient éclabousser les pages de nos quotidiens et les écrans de nos télévisions, bien davantage en tout cas que de leur vivant. Que dire alors des bébés abandonnés, nés sous X, de parents en désocialisation ou de mères célibataires ? Ils disparaissent alors avant même d'avoir existé…

Dans le Canada de ce début de vingtième siècle, le poids de la religion et des convenances est tel qu'on se soucie plus de la défense d'une morale rigoureuse que du respect de la personne humaine. Pour l'Amérique puritaine et bien pensante, être fille-mère est une déchéance inexcusable et, plus d'un demi-siècle avant la généralisation des méthodes de contraception, nombre de jeunes filles se font piéger au petit jeu de l'amour. Prêtes à tout pour se débarrasser de l'impensable fardeau que serait un bébé avant mariage, nombre d'entre elles vont fréquenter la "Maison de la Maternité Idéale", dirigée par le couple Young, persuadées qu'elles pourront retrouver leur honneur perdu tout en respectant la petite vie qui pousse en elles. Beaucoup se tromperont lourdement en fournissant "à la chaîne" des bébés prêts pour l'adoption, mais aussi un nombre effrayant de petits êtres innocents que les mauvais traitements et la malchance conduiront à la mort. Ceux-là s'aligneront dans un champs, hâtivement inhumés dans des boîtes ayant contenu des mottes de beurre. Après 20 ans de fonctionnement au grand jour de la "Maison de la Maternité Idéale" d'East-Chester, en Nouvelle-Ecosse, ils seront au moins cent cinquante – sans doute plusieurs centaines – à prendre le sobriquet de Butterbox Babies, littéralement, "bébé des boîtes à beurre". Et leurs bourreaux ne seront jamais punis…

 

 

Les fermes de bébés

 

Dans l'Angleterre Victorienne marquée par un puritanisme outrancier où le sexe était frappé de péché et d'interdit, la maternité hors mariage était un handicap bien lourd pour une jeune fille, fut-elle de bonne famille. La honte frappait la fille-mère et sa descendance, et la honte, au royaume de Victoria, était pire que la mort. Bien sûr, il n'existait alors ni services sociaux ni agences d'adoption. Nombreuses étaient celles qui flairaient la bonne affaire et les "fermes de bébés" fleurissaient un peu partout en Angleterre. De façades honorables, ces commerces plus ou moins clandestins étaient tenus par des femmes ou des couples qui inspiraient confiance et n'hésitaient pas à faire de la publicité dans les journaux. Bien sûr, certains d'entre eux agissaient par compassion, beaucoup pour le simple profit, d'autres encore avec la ferme intention de faire fortune, quel qu'en soit le prix. La jeune femme enceinte, souvent délaissée, n'avaient généralement pas le choix : naïvement, elle pensait se débarrasser d'un énorme problème tout en offrant à son enfant la perspective d'une adoption qui lui procurerait un avenir bien meilleur que celui qu'elle aurait pu lui assurer. Elle se trompait bien souvent.

Les futures mamans devaient payer des sommes importantes pour entrer dans ces "honorables institutions" puisqu'elles y passaient souvent plusieurs mois en attendant d'accoucher. Pour les mieux loties d'entre elles, leurs familles financaient cet éloignement stratégique. Officiellement, elles étaient parties étudier à l'étranger, séjournaient dans leur famille ou chez des amis, et ne rentraient que lorsqu'elles étaient enfin délivrées. La plupart du temps, elles cessaient de payer la pension en laissant en échange leur bébé qui était proposé à l'adoption. Un temps, elles reçevaient des nouvelles, au moins jusqu'à ce que l'enfant trouve des parents. Parfois, le silence éveillait les soupçons, mais nulle ne songait à porter plainte et à dévoiler ainsi le secret de sa maternité honteuse.

Les fermes de bébés connaissaient un succès inespéré à tel point que l'offre d'adoption dépassait largement la demande. En effet, l'abandon ou l'avortement présentaient des risques puisqu'ils étaient sanctionnés par la loi, tandis que le meurtre de bébé était systématiquement puni de mort. Ces "honorables sociétés" n'avaient pas de statut officiel mais étaient tolérées, du moins tant que l'apparence faisait illusion. La réalité frisait souvent l'horreur. Afin de maintenir un flux constant et limité de bébés de "premier choix" et de haute valeur marchande, certains n'hésitaient pas à délaisser les enfants métis, malformés ou malades, voire à recourir au meurtre pur et simple. Dans la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème, plusieurs affaires fameuses défrayairent la chronique. Ainsi, Amelia Dyer, sans doute la plus célèbre nounou tueuse, mena sa coupable activité pendant 20 ans avant d'être arrêtée en 1896. En prison, elle rédigea ses mémoires, mais le nombre de ses victimes reste impossible à déterminer. On sait seulement de façon certaine qu'elle étrangla sept bébés entre 4 et 15 mois. Elle emporta son secret dans la tombe puisqu'elle fut exécutée deux mois après son arrestation. Au début de l'année 1903, Annie Walters et Amelia Sach furent pendues pour l'assassinat d'une vingtaine de bébés. Mais l'Angleterre ne fut pas le seul pays touché par le phénomène qui s'exporta très bien vers les colonies et vers les Etats-Unis où plusieurs affaires sordides firent les gros titres des journaux. Alors que les fermes de bébés tendaient à disparaître ailleurs, la province canadienne de la Nouvelle-Ecosse [carte] vit naître une bien curieuse institution au nom pompeux : The Ideal Maternity Home And Sanitarium, dirigé d'une main de fer par Lila et William Young. Le Canada venait d'ouvrir l'une des pages les plus noires et les plus honteuses de son histoire criminelle.

 

 

Lila et William Young : le nombre exact de leurs victimes reste inconnu mais on pense qu'ils auraient fait disparaître au moins 150 bébés et gagné des millions de dollars dans leur maternité d'East-Chester, en Nouvelle-Ecosse © Bette Cahill.

Un couple très honorable

 

En 1899 naquit Lila Gladys Coolen, fille de Salem et Bessie Coolen, membre de la secte des "Adventistes du Septième Jour", un mouvement Protestant qui prônait des règles de vie strictes mais pas extrémistes. A la fin de sa scolarité, Lila devint maîtresse d'école à Fox Point en Nouvelle-Ecosse. En 1925, elle rencontra un autre membre de la secte : William Peach Young, natif d'Oregon et son aîné d'un an, avec qui elle se maria cette même année. William Young était un pasteur non ordonné, habitant à Memramcook au Nouveau-Brunswick. Diplômé du Medical Evangelist College, il menait de front des carrières paramédicale et religieuse dans les provinces Atlantiques. Le couple quitta le Canada pour Chicago où William suivit les cours du National College of Chiropractic, tandis que Lila était inscrite à l'Ecole Nationale d'Obstétrique et de Sages Femmes. Ils obtinrent tous les deux leurs diplômes en 1927. L'année suivante, ils ouvrirent The Life and Health Sanitarium – Where the Sick Gets Well, littéralement : "le Sanatorium de la vie et de la santé – Là où les malades guérissent". La petite affaire, qui ne reposait que sur un cottage de quatre chambres situé à East-Chester, était presque déficitaire. Lila commença alors d'assurer des accouchements et, rapidement, les Young se spécialisèrent dans les services de maternités, au point que dès 1929, le sanatorium changea de nom pour s'appeler The Ideal Maternity Home and Sanitarium. Ils commencèrent à faire de la publicité dans les journaux. Ainsi, chacun pouvait lire l'annonce suivante : "La maternité idéale : refuge pour les mères mais aussi pour les filles-mères. Discrétion assurée. Hébergement des enfants en rapport. Ecrire pour obtenir des renseignements".

Rapidement, leurs services s'adressèrent de manière quasi exclusive aux filles-mères qui devaient débourser, dès leur arrivée, une somme comprise entre 100 et 500 dollars – une fortune à l'époque –  à laquelle s'ajoutaient 12 dollars de layette et 2 dollar de baby sitting par semaine. Il fallait éventuellement prévoir 20 dollars en cas de décès du bébé pour couvrir les frais de funérailles qui incluaient un joli cercueil de pin blanc capitonné de satin (selon les dires de Lila Young). En fait, le cercueil n'était qu'une vulgaire boîte à beurre venant de l'épicier voisin. En contrepartie, la maman pouvait être assurée d'une parfaite discrétion de la part des Young, silence qui était d'ailleurs garanti par un contrat en bonne et due forme précisant notamment que si les filles-mères ne cédaient pas pleine et entière autorité sur leur enfant à William Young dans les deux semaines suivant la naissance, elle devait payer la somme de 30 dollars. Suivait également une liste de faux frais qui pouvaient alourdir considérablement la note. La "Maternité Idéale" était donc devenue une affaire très rentable.

La législation américaine sur l'adoption était très restrictive, aussi de nombreux "clients" traversèrent-ils la frontière pour venir dans cette maison à l'excellente réputation. En effet, la loi américaine stipulait que seul un enfant de même religion que la famille d'accueil pouvait être adopté par  celle-ci, ce qui fut rarement le cas puisque nombre d'enfants proposés aux familles juives des états de New York et du New Jersey n'était pas juifs eux-mêmes. Dans la plupart des cas, les familles désespérées par la trop longue attente d'une maternité, ignoraient ou bien oubliaient de détail.

L'affluence des familles fortunées, conjuguée à l'augmentation du nombre de filles-mères, fit la fortune des Young dont la maternité dégageait des revenus spectaculaires : au milieu des années 40, la maternité produisait des bénéfices de l'ordre de 60 000 dollars par an, une goutte d'eau cependant au regard du prix de vente de chaque bébé, de 1000 à 10 000 dollars "pièce". S'ajoutaient des donations et des marques de gratitude qui venaient gonfler l'énorme bénéfice de la "Maternité Idéale". On estime qu'au moins sept cents enfants (peut-être mille) furent ainsi vendus pour un prix moyen de 5000 dollars, soit un total d'un minimum de 3,5 millions de dollars.

Les Young ne se laissèrent pas griser par cette massive rentrée d'argent qu'ils réinvestirent dans l'affaire, agrandissant la maison. En 1943, le petit cottage de 1928 était devenu une imposante bâtisse comptant cinquante quatre chambres et quatorze salles de bain. Lila Young, la directrice de la maternité, était à l'image du nouveau bâtiment : c'était une femme imposante, tant sur le plan physique que par son caractère dominant. Son époux tenait le rôle de superintendant et s'occupait des détails administratifs et techniques tandis que Madame Young régissait son domaine et les nombreuses nounous (non professionnelles) qui y travaillaient. Bien que la maternité ait fonctionné 17 ans durant sans la moindre autorisation officielle, et que beaucoup d'adoptions aient été parfaitement illégales, nul ne semblait se préoccuper de ce commerce lucratif qui réglait également un problème délicat dont les gouvernements provincial et fédéral ne voulaient se charger. Les témoignages à propos de la "Maternité Idéale" étaient pourtant discordants, et certains parlaient de mauvais traitements et de morts suspectes… Dès 1933, leurs cris furent entendus par le parti Libéral qui mandata le Dr. Frank Roy Davis pour faire la lumière sur les problèmes de la maternité. Riches et bien conseillés, les Young allaient lui donner beaucoup de fil à retordre.

 

 

Un apparent bonheur à la "maternité idéale" : un miroir aux alouettes qui cachait l'horreur au quotidien © Bette Cahill.

Esclavage, enlèvements et meurtres

 

Le coût moyen d'une maternité facturée aux mères était d'environ 500 dollars, une somme que beaucoup ne pouvaient pas payer. Elles étaient donc tenues de travailler à la "Maternité Idéale" pour rembourser le coût de leur séjour (souvent plusieurs mois). Durant la seconde guerre mondiale, Halifax, capitale de la Nouvelle-Ecosse, devint un port stratégique d'où partaient pour l'Angleterre de nombreux convois militaires. Le principal problème était que marins et soldats y séjournaient suffisamment pour batifoler avec les jeunes filles des environs qui se retrouvaient enceintes d'hommes qu'elles ne revoyaient jamais. S'y ajoutaient les veuves de marins qui attendaient un petit et se trouvaient ainsi dans une situation difficile. La maternité des Young reçut cette main d'œuvre bon marché qui produisait une "marchandise de haute valeur". Malheureusement, la "qualité" n'était pas toujours au rendez-vous…

Les enfants à la santé fragile, malformés ou métis, ne jouissaient pas de la même popularité auprès des éventuels acheteurs, et lorsqu'un enfant avait peu de chance de trouver preneur et se trouvait classé "non-commercialisable", sa situation devenait dramatique. Nourri avec de la mélasse et de l'eau, le pauvre petit dépérissait en deux semaines et ne tardait pas à mourir sans véritablement faire savoir qu'il avait faim puisque son estomac était rempli. Le petit corps était alors disposé dans une boîte à beurre, justifiant ainsi le terme de Butterbox Babies qui est depuis devenu synonyme d'adoption illégale et de décès suspect de nourrisson. On raconte aussi que les cadavres de certains enfants furent incinérés dans la chaudière de la maison ou jetés à la mer.

Les cercueils improvisés étaient enfouis dans un terrain en bordure du cimetière ou même dans la propriété. On estime qu'environ 10 % des bébés connurent ce sort et au dire de Glen Shatfoord, l'homme à tout faire qui se chargeait de la sépulture, plus de cent vingt-cinq bébés périrent des suites de mauvais traitements. Certains parlent même de quatre cents petites victimes. Ce chiffre ne prend bien sûr pas en compte les pertes après adoption car, la porte de la maternité franchie, les Young ne s'occupaient pas du devenir de leurs protégés, pas plus qu'ils ne demandaient de garanties concernant les parents. La seule référence exigée était d'ordre purement financier.

L'appât du gain fut tel que les Young acceptaient aussi d'accoucher (pour la somme exorbitante de 75 dollars) des femmes mariées dont les enfants, pourtant robustes et bien formés, décédaient parfois mystérieusement… En fait, l'accouchement ayant lieu, à cette époque puritaine, en absence du père, il était aisé de substituer un enfant mort-né à un nourrisson en parfaite santé qui pouvait être monnayé très cher auprès de la clientèle américaine. De nombreux parents furent ainsi privés de leur enfant, adopté en toute illégalité par une autre famille, alors qu'eux-mêmes avaient à surmonter la douleur d'un deuil factice !

En fait, les Young, qui se paraient tous les deux du titre rassurant et tout à fait usurpé de "docteur", se chargeaient personnellement des soins. C'était toujours Lila qui accouchait tandis qu'à ses côtés, William se morfondait en prières. L'épouse Young était incontestablement le cerveau de l'affaire, et la véritable "âme" de la "Maternité Idéale". C'était, aux dires de ceux qui la connaissaient, une femme "immense" à la présence troublante, dotée d'une grande énergie, d'une forte autorité et d'un sens inné du pouvoir. Beaucoup de femmes se plaignirent de sa brutalité. Il est étonnant que malgré cela, nul ne se soit inquiété des pratiques douteuses de la maternité qui déclara tout de même officiellement 12 décès sur 148 naissances entre 1928 et 1935 soit 8 %, presque le triple de la mortalité observée alors en Nouvelle-Ecosse ! Bien entendu, toutes les naissances n'ayant pas été déclarées, il est probable que la proportion et surtout, le nombre total, ont été très supérieurs au cours de cette période. Les Young jouaient cependant un jeu dangereux car, à partir de 1936, ils furent mis sous surveillance.

 

 

Une mort douce

 

Les choses commencèrent à se gâter pour le couple criminel lorsque le Dr. Davis, mandaté par le parti Libéral dès 1933, nota de nombreuses pratiques douteuses et des irrégularités dans la tenue des registres et les protocoles d'adoption. Lila se tira de ce mauvais pas en embauchant sa première infirmière professionnelle.

En 1936, la famille Neiforth accusa les Young de négligence ayant causé la mort de leur fille Eva et de son bébé. Lila et William gagnèrent le procès mais, pour leur malheur, le Dr. Frank Roy Davis était devenu entre temps ministre de la santé du nouveau gouvernement provincial. Il demanda à la Gendarmerie Royale d'enquêter systématiquement en cas de nouveau décès. En effet, dans les mois qui suivirent, les policiers rassemblèrent suffisamment d'éléments troublants pour accuser la maternité de fraude. C'était sans compter sur les relations des Young.

La "maternité idéale" : au cours des années, le petit cottage de 4 chambres devint une impressionnante demeure qui abritait des dizaines d'enfants et de filles mères © Bette Cahill.

Lila et William Young présentaient bien et donnaient, à qui ne les connaissait pas, une impression de rigueur et de sérieux. On pouvait supposer avec une honnêteté un peu naïve, qu'ils étaient victimes de jalousies et de ragots puisqu'ils avaient fait fortune. Avec plus de 3 millions de dollars de revenus entre 1937 et 1946, une maison estimée à au moins 40 000 dollars et aucune hypothèque, le couple faisait certainement des envieux. Mais, bien qu'elle commença à se vanter un peu trop, Lila Young avait su tisser autour d'elle un réseau de relation politiques, certaines personnes haut placées ayant même eu recours à ses services. Elle et son mari étaient connus sous le titre de "
Baby Barons of East-Chester". La guerre mit même un frein aux investigations concernant la maternité alors même que l'afflux de filles-mères s'accroissait. La victoire des Alliés devait changer les choses.

Les enquêteurs, qui surveillaient la "Maternité Idéale" depuis plus de dix ans, marquèrent un point en organisant un inspection surprise en 1945. Les inspecteurs des services sanitaires découvrirent des conditions de logement insalubres avec surpopulation (soixante-dix à quatre-vingt nourrissons logés en même temps), invasion de mouches, et couchages humides et crasseux. Certains enfants pesaient alors à peine la moitié de leur poids normal ! Les Young s'en sortirent encore une fois en criant au harcèlement, mais la procédure était lancée. La politique, qui les avait sauvés jusque-là, devait sonner le glas de la maternité.

Un amendement fut voté qui durcissait le cahier des charges des maternités et les obligeait à un enregistrement rigoureux auprès des services sociaux et sanitaires. La demande faite par les Young pour se conformer à la nouvelle loi fut rejetée, et la décision de mettre fin à leur activité fut prise en novembre 45. Pourtant, fermer une maternité de la taille de la "Maternité Idéale" n'était pas si simple, et celle-ci continua de fonctionner plusieurs mois encore. Les Young furent cependant traduits en justice pour exercice illégal de la médecine et condamnés en mars 45 à verser  la somme ridicule de 150 dollars. Au mois de juin de la même année, ils furent condamnés à une seconde amende de 428 dollars et 90 cents en raison d'une plainte de l'immigration US qui avait réussi à prouver que Lila et William Young fournissaient de nombreux couples américains en bébés illégaux. William fut également convaincu par la suite de parjure au cours du procès précédent, mais cela n'arrêta pas pour autant le fonctionnement de la maternité qui continua de mettre au monde des bébés jusqu'en 1947.

En fait, c'est Lila qui, par son arrogance, fut la cause de sa perte. Attaquant en diffamation le journal local qui avait largement couvert l'affaire, elle provoqua un déluge de témoignages accablants qui soulevèrent l'opinion publique. La "Maternité Idéale" fut fermée sans délai et les Young firent banqueroute. Ils quittèrent East-Chester sans un sou en poche, tout comme ils étaient arrivés 30 ans plus tôt. La famille se disloqua : de leur cinq enfants, deux restèrent en Nouvelle-Ecosse, deux autres s'installèrent en Ontario tandis que le cinquième partait vivre aux Etats-Unis. William Young, qui buvait à présent plus que de raison, mourut d'un cancer au cours de l'automne 62, peu de temps après que la maison de la "Maternité Idéale" ait disparu dans un incendie. En effet, le bâtiment, transformé en hôtel, brûla intégralement le 23 septembre, effaçant les derniers vestiges d'un commerce honteux que l'opinion publique canadienne avait si longtemps ignoré. Lila Young mourut d'une leucémie cinq ans plus tard, rejoignant son époux au cimetière de Fox Point. La pierre tombale portait l'épitaphe suivante : « Nous nous retrouverons ». Tous deux avaient en effet retrouvé beaucoup de leurs petites victimes, alignées dans leurs boîtes à beurre au sein de la propriété située à quelque pas de là.

 

 

Des vies, malgré tout

 

Riva Barnett Saia et Ilene Seifer Steinhauer se sont toujours senties différentes. Avec leurs yeux clairs et leur tein pâle, elles différaient quelque peu de leurs parents adoptifs, des juifs de la côte Est des Etats-Unis. Les parents de Riva lui ont fait découvrir la réalité de son adoption en lui offrant un livre : "The Chosen Baby", qui abordait le problème des enfants adoptés. Riva a toujours construit son identité sur cette base qu'elle pressentait, mais elle assure avoir été heureuse d'apprendre la vérité. Elle se serait sentie "incomplète" sans savoir qui elle était et d'où elle venait. Au-delà du besoin de se retrouver en tant que rescapés, les Butterbox Babies se sentent investis d'un véritable devoir de mémoire et d'information. Depuis, plusieurs livres ont été consacrés aux fermes de bébés et en particulier aux Butterbox Babies popularisés par le livre de Bette Cahill publié en 1992, qui a même inspiré un film sorti sur les écrans en 1995. Ilene s'identifie énormément à cette histoire et elle se sent très liée aux autres survivants de la maternité. Ceux-ci ont créé des associations et se rencontrent régulièrement. Le livre "Butterbox Survivors" par Bob Hartlen décrit aussi l'histoire d'un de ces enfants comme un enfer vu de l'intérieur.

Survivant plus encore que les autres, Sandy Tuckerton a été choisi parce qu'il était le seul enfant brun ce jour-là. A son arrivée dans sa famille d'adoption, il fut examiné par un pédiatre qui diagnostiqua une pneumonie. Il est évident que la chose avait échappée aux Young qui, s'ils s'en étaient aperçu, lui aurait sans doute fait subir un sort peu enviable. Jimmy Proctor pour sa part, était déjà promis au pire lorsque son père l'acheta, à l'âge de 6 mois, nullement rebutés par son léger strabisme. Déjà, il "bénéficiait" d'un désintérêt total de la part des directeurs de la maternité et était sur le point d'être soumis au régime "terminal". Il fut donc soldé à 800 dollars, une bonne affaire pour un enfant dont la "commercialisation" était compromise. La suite pourtant ne devait pas tenir du conte de fée. De retour à sa ferme de Haney en Colombie-Britannique, R. C. Proctor, un ancien militaire, éleva Jimmy avec l'intention d'en faire un esclave. Ainsi, dès l'âge de 3 ans, l'enfant tirait déjà de lourds seaux d'eau pour la lessive. Plus grand, il fut affecté au nettoyage de l'étable, de la porcherie et de l'écurie, des travaux durs et éreintants. Abusé physiquement et sexuellement, il devint délinquant et alcoolique. La bouteille détruisit son mariage qui semblait l'avoir pourtant ramené dans le droit chemin. Cette tragédie personnelle lui donna la force de se désintoxiquer et de reconstruire sa vie, notamment en la couchant sur le papier. Figure emblématique des rescapés sacrifiés, Proctor se raconte à travers son histoire et celle qu'il ignorait jusqu'à découvrir son certificat de naissance au nom de Harry J. Robichaud, peu après que son père adoptif soit mort. Sa plus grande angoisse, explique-t-il, est que les Young aient faussement informé de sa mort sa mère biologique, Jeanette Robichaud, comme ils avaient coutume de le faire… A n'en pas douter, Jimmy Proctor n'est pas un cas particulier…

 

Sans être des psychopathes, les Young sont d'authentiques tueurs en série qui ont élevé au rang d'industrie le sombre commerce des "fermes de bébés", dépersonnalisant leurs victimes avec un manque total de compassion et la complicité passive des autorités de l'époque. Au-delà de l'appât du gain, leur mobile était celui de tous les serial killers : un amour immodéré et insatiable du pouvoir. Un jour, tous ces enfants ont été exposés, alignés comme des sacs de haricots, dans l'attente d'un acheteur. Tous ont eu un prix, suivant une logique toute industrielle qui tenait compte aussi bien de critères de "qualité" que de l'état du marché, appliquant à des vies fragiles et innocentes l'inhumaine loi de l'offre et de la demande. La loi des hommes n'a en revanche jamais puni Lila et William Young pour toutes les vies volées, brisées, gâchées, et ces existences que tous leurs millions de dollars n'auraient pas suffi à racheter.

[Carte]

Bibliographie :

• Bette Cahill, Butterbox Babies: The Shocking Story of Baby Deaths and Black-Market Adoptions, Yankee Books 1991

• Bob Hartlen, Butterbox Survivors! Life After The Ideal Maternity Home, Nimbus Eds., 1999

• Bette Cahill, Butterbox Babies: Baby Sales, Baby Deaths New Revelations 15 Year Later, Fernwood Publishing, 2006.  

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© Christophe Dugave 2008 

 

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29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 09:01

Transcanadienne du crime

  

Avec une superficie de près de dix millions de kilomètres carrés, le Canada est le second plus grand pays du monde après la Fédération de Russie. Sa population de seulement trente deux millions d'habitants en fait cependant l'un des moins densément peuplés et la nation industrialisée la plus immensément vide. Cependant, les chiffres sont trompeurs. Le climat, continental sur la majeure partie du territoire et polaire au nord du soixantième parallèle, a contenu une écrasante majorité des Canadiens dans une étroite bande habitée le long de la frontière américaine et sur les côtes les moins exposées aux rigueurs de l'hiver. Dans cette zone, la surpopulation est alors assez comparable à celle observée aux USA dans les grands centres urbains. Cette répartition est de plus très hétérogène, puisqu'en dehors de la zone surpeuplée qui pique au Sud entre les grands lacs, d'Ottawa à Niagara, on retrouve de fortes concentrations humaines autour de Montréal et sur les rives du Saint-Laurent, à Calgary et Edmonton en Alberta. Sur le versant occidental des Rocheuses, une étroite bande côtière comprenant Vancouver, capitale de la Colombie-Britannique, et les Lower Mainlands à l'extrème sud, regroupent l'immense majorité des habitants de la province. La criminalité est à l'image de la population : concentrée sur une étroite bande où l'hiver ne dure guère plus de cinq mois, de mi-novembre à mi-avril.



Transcanadienne du crime en série : 1. Earle Nelson (22/1927)* ; 2. Lila & William Young (150+/-) ; 3. Kenneth Ford (4/1953) ; 4. Peter Woodcock (4/1957) ; 5. Léopold Dion (3/1963) ; 6. Wayne Boden (5/1971) ; 7. Paul Cecil Gillis (8/1974) ; 8. David Threinen (4/1975) ; 9. Christian Magee (3/1976) ; 10. Russell Johnson (3+/1978) ; 11. Clifford Olson (11+/1981) ; 12. Gilbert Paul Jordan (8+/1988) ; 13. Alan Légère (4/1989) ; 14. Serge Archambault (3/1992) ; 15. Paul Bernardo & Karla Homolka (3+/1993) ; 16. John Martin Crawford (4+/1995) ; 17. Michael Wayne McGray (5+/1998) ; 18. William Patrick Fyfe (9+/1999) ; 19. Angelo Colalillo (3/2002) ; 20. Robert Pickton (49+/2002) ; 21. Douglas Daniel Moore (3/2004) ; 22. Charles Kembo (4 ?/2005) ; 23. Thomas Svekla (3+ ?/ 2006) (© Christophe Dugave)

* Noms des tueurs en série (nombre de victimes identifiées/année d'arrestation ; + marque une incertitude sur le nombre réel de victimes) ; ? indique que le verdict n'a pas encore été rendu.


Les types de délits commis dans le sud du Canada ne sont pas non plus très différents de ce que connaissent les autres grandes nations développées avec des spécificités liées à l'environnement socioéconomique. Ainsi, le crime organisé (vol en bandes, drogue, trafics divers, prostitution…) est regroupé autour des grandes agglomérations où il bénéficie de la forte concentration de population à haut pouvoir d'achat. En revanche, les délinquants sexuels et les tueurs en série adoptent un comportement particulier qui ne s'embarrasse guère de considérations économiques. En effet, les prédateurs sexuels ciblent des populations très vulnérables : femmes isolées et peu méfiantes, prostituées, droguées ou alcooliques, enfants ou jeunes adolescents, vagabonds…  Ainsi, Léopold Dion (Québec), Peter Woodcock (Ontario), Michael Vescio (Manitoba), David Threinen (Saskatchewan), Cecil Gillis et Clifford Olson (Colombie-Britannique), recherchaient des enfants qu'ils violaient et torturaient avant de les achever. Earle Nelson, Russel Johnson, Allan Légère, Serge Archambault et William Fyfe préféraient les femmes isolées d'un certain âge tandis que Christian Magee, Wayne Boden, Paul Bernardo et Angelo Colalillo visait plutôt les adolescentes et les jeunes adultes. En cela, le Canada n'est guère différent des autres nations développées qui connaissent l'accroissement du phénomène des serial killers, quoique la criminalité dite "classique" y soit malgré tout beaucoup moins florissante. Le Canada est en effet un pays sûr doté d'une des structures policières les plus efficace au monde, le taux de résolution des affaires criminelles avoisinant les 80 %. En revanche, la proportion de tueurs multirécidivistes est alarmante et profite notamment d'une spécificité canadienne.

Le Canada compte plus de neuf cent mille autochtones qui, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, se concentrent pour près de la moitié (49 % en 2001) dans les grandes villes, les autres étant disséminés dans des réserves. On les trouve en particulier dans la région de Toronto, mais surtout dans les grandes villes de la Saskatchewan (Regina, Saskatown, Prince-Albert) ainsi qu'à Vancouver, en Colombie-Britannique. Saskatoon et Vancouver sont notamment connues pour avoir été le cadre d'affaires de serial killers dont certaines ne sont pas encore totalement éclaircies. Ainsi, on a constaté la disparition ou le meurtre de nombreuses femmes aborigènes autour de Saskatoon (entre quarante et quatre-vingt selon les sources). Certaines de ces victimes ont été attribuées à John Martin Crawford qui a avoué avoir assassiné trois d'entre-elles au début des années 90. Sur la côte Ouest, Gilbert Paul Jordan enivra jusqu'à la mort une dizaine d'autochtones choisies au hasard dans les bars du centre-ville de Vancouver. Plus récemment, Robert William Pickton, dont le procès s'est ouvert en janvier 2007, est accusé du meurtre de vingt-six prostituées de Vancouver dont beaucoup sont issues de Premières Nations. Il est probable qu'il en a tué près du double. En Ontario, d'autres affaires toujours non résolues visent également des prostituées dont beaucoup sont des Amérindiennes en rupture de ban, toxicomanes et alcooliques. On observe clairement une réorientation des serial killers qui délaissent des proies "attrayantes" (telles que les jeunes femmes blanches ou les enfants) pour des proies plus accessibles (comme les prostituées et les toxicomanes, plus faciles à attirer et à isoler). Ce changement de cap s'accompagne également d'une augmentation du nombre des victimes, puisque des populations aussi mouvantes et incertaines que les prostituées sont difficiles à contrôler et que la disparition de l'une d'entre elles n'alarme pas grand monde. Ainsi, dans le cas Pickton, certaines défections ne furent signalées à la police que des années après le drame. De plus, dans la majorité des cas, la hiérarchie policière se révèla peu soucieuse d'investir des agents et des moyens pour enquêter sur des cas de disparitions hypothétiques, même lorsque l'augmentation du nombre de femmes disparues mystérieusement dépassait les 600 %, comme cela avait été observé en 1997 dans l'Eastside, le quartier pauvre de Vancouver !



Une ruelle sordide du Vancouver Eastside : C'est dans ce quartier, le plus pauvre du Canada, que disparurent de nombreuses femmes entre 1995 et 2002. Nombre d'entre elles (sans doute 49) furent victimes du tueur en série Robert William Pickton (© The Globe and Mail).

Un autre phénomène vient se superposer à cette faible réactivité de la police. En dehors des proches des victimes, qui se soucie d'amérindiennes toxicomanes et alcooliques ? Qui se préoccupe des prostituées disparues mystérieusement ? Ni les médias, pour qui la mort d'une prostituée n'a rien d'exceptionnel même lorsque le nombre de victimes dépasse la trentaine, ni l'opinion publique qui ne s'inquiète pas de la sécurité dans les "quartiers chauds" de ses grandes villes qu'elle ne fréquente guère. Pour les autorités, endiguer le trafic de drogue, les vols ou les accidents de la route, est une priorité et, dans un certain sens, on peut le comprendre puisque ces phénomènes touchent le grand public. Les tueurs en série savent profiter de cet état de fait. Les quartiers défavorisés des grandes zones urbaines sont leur terrain de chasse ; ils y rôdent en toute liberté et, malgré les récentes affaires qui ont fini par faire la une des journaux, la tendance  n'est pas près de s'inverser.  

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© Christophe Dugave 2008  
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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 15:22

Préambule

Serial killer. Deux mots qui terrifient, fascinent ou agacent. Les médias, les écrivains et les cinéastes ont abusé du terme. Ils ont fait de ces assassins de tristes héros, des monstres remarquables. Des films tels que "Le silence des agneaux" ou "Dragon Rouge" ont contribué à les anoblir, transformant des psychopathes en véritables surhommes. Exit Hannibal Lecter ! la vérité est moins glorieuse… Alors, à quoi bon faire l'apologie des tueurs en série et leur consacrer un nième document ?

Il n'est pas ici question de fascination malsaine qui viendrait satisfaire des fantasmes morbides ou un goût du sensationnalisme. On ne trouvera pas dans cet ouvrage de nouvelles théories sur l'éthologie ou la psychologie déviante des psychopathes s'appuyant sur le cas particulier du Canada. Le but de ce blog n'est pas non plus de disséquer le pourquoi des serial killers, qu'ils soient ou non Canadiens. Les histoires se suffisent à elles-mêmes et mon propos est seulement de les raconter en soulignant, à l'occasion, les raisons de l'incroyable longévité de ces tueurs, dans un pays de droit protégé par des corps policiers jugés globalement efficaces.

De façon totalement erronée, on croit les tueurs multirécidivistes cantonnés aux Etats-Unis où ils ont fait recette, aussi bien dans les médias que sur le grand écran, et à quelques pays européens, dont la France. S'il est vrai que les USA tiennent largement la tête de ce classement funèbre avec environ 1500 cas répertoriés, on s'attend moins à trouver bien (ou mal) placés le Royaume-Uni (près de 90 cas), L'Allemagne (une soixantaine) devant l'Afrique du Sud (60 à 80 cas selon les sources), un pays qui connaît une insécurité au moins égale à celle des USA. La France, elle-même, égale pratiquement la République Sud-Africaine avec près de 80 affaires résolues ou non. Rien d'étonnant alors à ce que le phénomène des serial killers soit considéré comme propre à nos sociétés occidentales, même s'il ne se limite pas aux pays développés. Le plus inquiétant, sans doute, est que le phénomène, marginal au début des années 70, n'a cessé de s'amplifier, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord.


Avis de recherche de Diana Melnick, disparue en 1995, victime avérée de Robert Pickton © VPD

Le Canada fait rarement parler de lui en matière d'affaires criminelles. En dehors du "suicide collectif" de l'Ordre du Temple Solaire ou du massacre de l'école polytechnique de Montréal, il n'a guère défrayé la chronique internationale, contrairement aux USA, la référence en matière de serial killers. On peut donc imaginer que ce pays, à la fois si semblable et si différent de son puissant voisin américain, s'est tenu à l'écart de la violence des tueurs en série. En fouillant un peu dans les archives judiciaires, on s'aperçoit que la position criminologique du second plus vaste pays du monde est loin d'être aussi avantageuse qu'elle peut sembler au premier abord. Séparé des Etats-Unis par une frontière toute symbolique de près de 9000 kilomètres, le Canada n'est pas resté à l'abri des monstres. Autrefois terre d'asile pour ceux qui défiaient la loi américaine, il est devenu le territoire de chasse de certains tueurs Yankee. Mais les gens du cru ne sont pas en reste, peu s'en faut ! Pas moins d'une quarantaine de cas ont été recensés (pour une population deux fois moins importante que celle de la France) dont les trois-quart ont conduit à l'arrestation des coupables, trente-deux hommes, deux couples et deux femmes. Ramené au nombre d'habitants, la proportion de serial killers au Canada au cours des deux siècles passés (1,4 cas par million d'habitant) est donc supérieure à celle que nous connaissons en France (1,2), même si le Royaume-Uni (1,45) et surtout l'Australie (2,5) les devancent.

De manière évidente et comme partout ailleurs en Occident, le phénomène s'accentue au Canada. De 1860 à 1960, on a dénombré six tueurs en série dont un couple et un meurtrier venant des Etats-Unis. Sur la période allant de 1960 à 2008, on compte 36 affaires de serial killers avérés, 24 de ces psychopathes ayant commis plus de deux crimes (le plus souvent à caractères sexuels) et s'apprêtant à en commettre d'autres. S'y ajoutent une dizaine d'affaires non résolues, mais qui présentent toutes les apparences de meurtres en série : disparitions sur un intervalle de plusieurs années, victimes marginalisées ou isolées, absence de mobile. On est donc loin du portrait idyllique d'un Canada sécuritaire qui ne connaîtrait qu'une violence anecdotique, comme le décrit Michael Moore dans son film documentaire "Bowling for Columbine", même si, ramené au nombre d'habitants, on y répertorie presque trois fois moins d'homicides par an qu'aux Etats-Unis.

On peut donc s'interroger sur le pourquoi de cette progression qui s'accorde si mal avec la régression de la "criminalité classique" enregistrée dans l'ensemble du Canada. Comment ce pays, que les études économiques et sociologiques décrivent comme l'un de ceux où la vie est la plus agréable au monde, copie-t-il certaines des monstrueuses habitudes criminelles de son grand frère américain ? La réponse n'est pas si évidente car, mis à part deux ou trois cas plus médiatisés, les instances policières et juridiques du Canada ne font guère état de la relative abondance des tueurs en série dans leur pays, sans doute parce que, comme nous le verrons dans cet ouvrage, ces institutions ont leur part de responsabilité dans la plupart des affaires de serial killers.

Fouilles dans la propriété de Robert Pickton à Port-Coquitlam (Colombie-Britannique) en 2003. On y retrouva les restes de 26 femmes (sur 49 victimes reconnues) © TruTV.

Contrairement aux profileurs, aux psychologues et aux journalistes spécialisés, je n'ai pas cherché à me mettre dans la tête de ces monstres qui tuent par plaisir ou par besoin irrépressible. On naît peut-être serial killer ; on le devient sans aucun doute ; tous les chemins mènent à l'enfer. Tenter de tracer un schéma unique de la construction mentale d'un psychopathe n'a pas de sens. Comment prétendre que la pensée humaine, même déviante, suit une seule et même logique ? La preuve en est que malgré les logiciels de profilage et les avancées phénoménales des sciences comportementales et judiciaires, la sensibilité et l'expérience des spécialistes, enquêteurs, profileurs, psychiatres, sont les éléments essentiels de l'enquête. Mais une chose semble certaine : on vous laisse devenir serial killer, et dans une certaine mesure, la police, la justice, les médias contribuent à l'avènements des tueurs multirécidivistes. Mais il ne sont peut-être pas les seuls coupables…

Ce n'est sans doute pas un hasard si ces monstres ont trouvé, au sein de nos sociétés développées, les proies nombreuses et isolées qu'ils recherchent. Contrairement à ce qui peut se passer dans des organisations plus primitives et plus solidaires, l'indifférence que nous éprouvons pour nos semblables est leur principale alliée. Au Canada, l'immense majorité des affaires se concentre dans les grandes villes du sud, là où le climat moins froid que dans le reste du pays, favorise les sorties et les mauvaises rencontres, et où la concentration de population décourage la solidarité. Car sans ces opportunités, le serial killer n'existe pas. Son identité criminelle est intimement liée à la société dans laquelle il vit, et c'est celle-ci, par les carences de son système politique et social, qui lui "offre" ses victimes. Ce n'est certainement pas un hasard si à chaque affaire de meurtre en série correspond une incroyable succession d'erreurs commises par la police et les autorités judiciaires, conjuguée à une indifférence coupable et assaisonnée d'un peu de malchance. Ces bourdes, souvent monumentales, ne créent pas les tueurs, mais elles leur permettent de perdurer. Et moins les victimes sont intégrées dans la société – marginaux, toxicomanes, prostituées, Amérindiens, moins les médias et l'opinion publique se mobilisent pour dénoncer les meurtres. Il est bien entendu facile de dénoncer l'inefficacité de la police à mettre les psychopathes hors d'état de nuire, et de stigmatiser des enquêteurs "inefficaces". N'oublions pas qu'avec un taux de résolution des affaires criminelles d'environ 80 %, les grands corps de police canadiens égalent les meilleurs unités de polices européennes et arrêtent de nombreux psychopathes qui, de manière évidente, sont des multirécidivistes en puissance. Mais lorsqu'un individu passe entre les mailles du filet, il peut faire beaucoup de mal…

A des niveaux divers, chacune des affaires rapportées dans cet ouvrage, illustre cette thèse. On dit que la réalité dépasse souvent la fiction ; il est certain que peu d'auteurs de romans noirs ou policiers auraient osé écrire de telles histoires tant elles sont souvent incroyables. La "vraie vie" – la "vraie mort" devrait-on dire – a une imagination beaucoup plus débridée. Certes, le Canada ne peut pas réclamer le titre peu enviable de "patrie des tueurs en série" à l'inverse des Etats-Unis qui tiennent la palme, mais il a ses propres affaires, parfois si inattendues, souvent si absurdes…


L'une des rares photos de Robert William Pickton, le pire tueur en série du Canada © Associated Press.

Ainsi, Pendant 20 ans, Lila et William Young ont, par leurs mauvais traitements, provoqué la mort de plus de 150 nourrissons à Halifax (Nouvelle-Ecosse) et nul ne s'est inquiété de ce commerce criminel qui profitait de la détresse des filles-mères. Allan Légère qui terrorisa le Nouveau-Brunswick, aurait-il tué de manière compulsive s'il n'avait été lourdement condamné pour un premier meurtre qu'il a toujours nié avoir commis lui-même ? Comment Paul Bernardo, le "Violeur de Scarborough" a-t-il pu si longtemps opérer en Ontario du sud jusqu'à tuer trois innocentes avec la complicité de sa femme, Karla Homolka ? Pourquoi cette dernière a-t-elle pu bénéficier d'un accord de clémence alors même que les preuves démontraient qu'elle était coupable ? Dix ans plus tôt, en 1982, les accords financiers passés entre la justice de Colombie-Britannique et Clifford Olson, l'assassin avéré d'au moins onze enfants, avaient eux aussi soulevé une vague de protestations… Et toujours dans la plus occidentale des provinces, pourquoi la police de Vancouver et la Gendarmerie Royale n'ont-t-elle pas écouté l'inspecteur Kim Rossmo, un spécialiste reconnu du profilage, qui avait dénoncé les agissements d'un serial killer, identifié depuis comme étant Robert Pickton, le meurtrier d'au moins 27 femmes, sans doute de 49… Le Québec, la "Belle Province", n'est pas en reste avec l'étrange correspondance érotico-morbide échangée entre une agente de probation et deux délinquants sexuels dont l'un, Angelo Colalillo, a été condamné pour le meurtre d'au moins trois jeunes filles. Et que dire des épopées criminelles de Serge Archambault, un honorable père de famille, et de William Fyfe, un "bon gars un peu bizarre" qui ont, à eux deux, égorgé une douzaine de femmes ? Tant d'autres affaires restent à découvrir…


Clifford Olson, assassin de 11 enfants dans les années 80. Pervers sadique dépourvu de remords, il n'hésita pas à demander une prime pour révéler les emplacements des corps et demande régulièrement sa remise en liberté © CTV.ca.

Tous les
serial killers n'ont pas des parcours criminels et judiciaires aussi rocambolesques que ceux de Bernardo et Homolka, d'Olson ou de Pickton, et la plupart du temps, le récit de leurs méfaits verse dans le sordide. Ainsi en est-il pour le pédophile Léopold Dion, connu sous le sobriquet de "Monstre de Pont-Rouge", Wayne Boden, un tueur au comportement vampirique, le bestial Michael Wayne McGray ou Peter Woodcock, un sadique sexuel âgé de seulement 17 ans, qui tua sa quatrième victime au cours d'une permission de sortie après 34 ans de traitements psychiatriques. Seul l'indicible est alors digne d'intérêt : cynique coups du destin, silences coupables de la société, désintérêt des autorités, ratés judiciaires et législation inadaptée, système psychiatrique aberrant… Tant de choses concourent et s'additionnent pour faire d'un "psychopathe ordinaire" un authentique tueur en série.


Article du magazine People consacré à Paul Bernardo et Karla Homolka © People 1995.

Les données relatives aux différentes affaires exposées dans ce livre sont hétérogènes, soit parce qu'elles sont anciennes et que de nombreux détails ont été balayés par le vent de l'histoire, soit parce qu'échaudées par les battages médiatiques qui entourent les meurtres en série, police et justice canadiennes ont retenu leurs informations ou ont imposé un silence médiatique toujours en vigueur alors que j'écris ces lignes. De tous, sans doute, le procès de Paul Bernardo et de Karla Homolka, les fameux "Ken et Barbie meurtriers", a été le plus médiatisé, le plus "dramatisé". Si la psychologie déviante de Bernardo semble relativement aisée à cerner, il n'en est pas de même pour Karla Homolka dont la personnalité demeure pour le moins troublante, tantôt bourreau, tantôt victime. Aucun autres pays ne peut se targuer d'avoir exhibé en direct dans une interview choc, pendant une vingtaine de minutes à une heure de grande écoute, une femme que ses propres archives vidéo impliquent dans le viol, la torture et le meurtre de trois adolescentes, dont sa propre sœur ! Car le plus effrayant dans tout cela sans doute, est que les monstres brillent sous les feux de la rampe alors même que leurs victimes disparaissent peu à peu dans la grisaille des photos de presse. "D'une mer à l'autre" dit la devise du Canada ; "d'une mère à l'autre" serait-on tenté de dire puisque la loi et ses subtilités les oublie, elles et leurs familles, au mépris de la justice. Les mères amérindiennes des victimes de John Martin Crawford ont été elles aussi longtemps ignorées, de même que les familles des prostituées saoulées à mort par Paul Michael Jordan, le "Coiffeur Alcoolique", ou des junkies assassinées par Robert Pickton.

La France n'est certes pas exempte de ces erreurs, de ces ratés, qui ont permis à un Emile Louis, un Francis Heaulmes ou un Pierre Chanal, de tuer pendant des années. Notre voisin Belge s'est aussi illustré par l'incompétence de son système policier et judiciaire, police et gendarmerie s'affrontant dans une guerre stérile alors que Marc Dutroux continuait d'enlever et d'assassiner de très jeunes filles… Pourtant, certaines causes de la longévité criminelle des serial killers canadiens, résultant souvent d'un système policier et juridique bien différents du nôtre, peuvent nous paraître pour le moins exotiques. Je ne détaillerai bien sûr que les cas remarquables, ceux qui marquent les esprits et les époques, et pour lesquels la presse et les archives judiciaires fournissent suffisament d'informations fiables.

Dans cet ouvrage, j'ai choisi de découper le Canada en deux zones distinctes, à la mode du Pays qui regroupe volontiers l'Est et les provinces maritimes d'une part, et les grandes plaines du centre avec les provinces montagneuses de l'Ouest. Malgré le titre de ce livre et la tendance générale de notre voyage qui nous mènera de l'Atlantique au Pacifique, la trame sera chronologique plutôt qu'un enchaînement purement géographique. En effet, certaines histoires de tueurs en série canadiens ne se suffisent pas à elles-mêmes et font références à des évènements passés. De plus, certains serial killers ont migré d'une province à l'autre au gré de leur fantaisie. Se contenter de suivre la route transcanadienne aurait donc été quelque peu artificiel, même si l'ensemble des crimes, situés dans la zone sud du pays, épouse assez fidèlement le tracé de l'autoroute N°1 qui relie Saint-Jean-de-Terre-Neuve à Victoria, sur l'île de Vancouver. Car, comme nous allons le voir, cette transcanadienne du crime n'est pas une vue de l'esprit.

Au sud du Canada, il existe une longue route de sang qui relie les provinces d'Est en Ouest, un parcours criminel fait de secrets, d'horreurs et de honte.

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© Christophe Dugave 2008 
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Published by Christophe Dugave - dans présentation
27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:52

 

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Le texte intégral de ce document est présenté de manière linéaire, du plus ancien article au plus récent. Pour accéder à un article précis, il vous suffit de cliquer sur [lire], lien qui désigne un texte en ligne. Ce document est appelé à évoluer en fonction de l'actualité…
La bibliographie et les documents associés sont indiqués en liens à la fin de chaque article. Bonne lecture !


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Sommaire

1. Préambule [Lire]
                                   

2. Transcanadienne du crime [Lire]          

Première partie : Les monstres de l'Est et des Maritimes           

3. Lila et William Young : le crime idéal [Lire]                                   


4. Peter Woodcock : le silence des agneaux [Lire]


5. Wayne Boden : une passion dévorante [Lire]


6. Paul Bernardo et Karla Homolka : fatale attraction [Lire]


7. Michael Wayne McGray : le pacte de sang [Lire]


8. William Patrick Fyfe : tueur à tout faire [Lire]


9. Angelo Colalillo : les lettres de l'enfer [Lire]

Seconde partie : Les grands prédateurs des Plaines et de la Côte Ouest

10.  Thomas Cream et Earle Nelson : les pèlerins de la Géhenne [Lire]


11. Clifford Olson : la bête de Colombie-Britannique [Lire]


12. Gilbert Paul Jordan : juste quelques verres de trop… [Lire]


13. John Martin Crawford : procès de la coupable indifférence [lire]


14. Robert Pickton : le saigneur de "Piggy Palace" [Lire]                    

 
Troisième partie : Aux portes de l'enfer 

15. Serge, David, Cecil et les autres… [Lire]         

16. Police canadienne et tueurs en série [Lire]  


17. Pulsions de mort : Spree killers et mass murderers [Lire]    


18. Dans l'ombre, encor… [Lire]

Annexes :


Cartes [Voir]


Liste interactive des meurtriers multiples [En construction]      


Tableaux [Voir]


Résumés    


Bibliographie [Lire]   


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Présentation

  • : Transcanadienne, sur la piste des tueurs en série d'une mer à l'autre
  • : Un blog intégralement consacré aux meurtriers multirécidivistes au Canada.
  • Contact

Du nouveau sur le blog

Mes romans et recueils de nouvelles sont visibles sur le site de LIGNES IMAGINAIRES.

Clifford Olson est décédé le 30 septembre 2011 à Laval, près de Montréal. Il fut, non pas par le nombre mais par son sadisme et son absence totale de remords, l'un des pire sinon le pire tueur en série du Canada. Sa triste histoire (non réactualisée) peut être lue ici.

 

Dans un tout autre registre, voici mon second roman "Lignes de feu", un thriller qui se déroule aussi au Québec mais cette foi-ci en septembre 2001, rencontre un certain succès…

 

lignes de feuPour en savoir plus, cliquez ici ou sur la couverture (© photo : S. Ryan 2003)

 

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Actualités

Un nouveau cas de serial killer jugé en Colombie Britannique : Davey Mato Butorac, 30 ans, est actuellement jugé à Vancouver pour les meurtres de deux prostituées droguées, Gwen Lawton et Sheryl Korol retrouvées mortes en 2007 à Abbotsford et Langley. Il est également suspecté d'avoir assassiné une troisième victime.  Comme c'est maintenant la mode au Canada pour les affaires de tueurs en série, le procès est frappé d'une interdiction de diffusion des informations. Et comme cela semble également en vogue depuis le procès Pickton, Butorac n'est poursuivi que pour "meurtre au second degré", c'est à dire sans préméditation…

Citations

Si seulement les filles savaient qui je suis et ce dont je suis capable !
Si on pouvait lire dans mes pensées, on m'enfermerait et on jeterait la clé.

Angelo Colalillo (1965-2006), tueur en série (Québec)

       
Les enfants ont besoin d'un endroit pour jouer !… 

Les prédateurs ont aussi besoin d'un endroit pour jouer.

Peter Woodcock (1939- ), tueur en série (Ontario).

 

Robert Pickton a le cœur sur la main. Mais le cœur de qui au fait ?

Anne Melchior, journaliste à propos de Robert William Pickton (1950- ), tueur en série (Colombie-Britannique).  

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