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12 juin 2009 5 12 /06 /juin /2009 09:34

Dans l'ombre encor…

 

 

Thomas Svekla, arrêté en 2006 en Alberta et jugé pour le meurtre de plusieurs femmes (© Edmonton Sun).

Le FBI estime que 40 à 200 tueurs en série opèrent actuellement aux USA, tuant chaque année plusieurs centaines de personnes, une proportion non négligeable des 16.611 homicides recensés aux Etats-Unis en 2004. Ce genre de statistique n'existe pas au Canada où le phénomène du serial killer est bien moindre que chez son voisin du sud. Cependant on compte encore une douzaine d'affaires de meurtres multiples non résolues, la plupart prenant racines dans les années 80.  Certaines enquêtes sont toujours ouvertes, même s'il est peu probable qu'elles trouvent un jour une solution. Ainsi, de nombreuses femmes ont disparu sur les autoroutes reliant le Canada de l'Ouest et les Etats-Unis entre 1973 et 1981, bien avant que Gary Leon Ridgway, le "Green River Killer" ne commence à tuer dans les états du Nord-Ouest américain. Dans les provinces de l'Est, on compte au moins huit affaires non résolues parmi lesquelles le mystère du tueur de l'Hôpital des Enfants Malades de Toronto n'est pas la moindre. En effet, au moins ving-et-un bébés et jeunes enfants, peut-être quarante-trois, moururent dans des conditions suspectes entre juin 1980 et mars 1981, une augmentation de plus de 600 % des décès habituellement constatés dans le service de cardiologie infantile.


Morts suspectes

La première victime fut la petite Laura Woodcock, âgée de 18 jours et décédée le 30 juin 1980. Deux mois plus tard, on déplorait la mort de vingt bébés au total, et cette perte commença d'inquiéter certaines infirmières qui alertèrent la direction. Dans une conversation privée, un médecin aborda le problème avec un coroner qui décida de faire pratiquer l'autopsie du cadavre du petit Kevin Garnett, décédé de manière inattendue. Les dosages toxicologiques conclurent que le bébé de 27 jours avait succombé à un niveau treize fois supérieur à la normale d'un produit utilisé pour réguler le rythme cardiaque : la digoxine. Le 21 mars, des taux anormalement élevés de digoxine furent également découverts chez deux autres jeunes enfants et, dès le lendemain, alors même qu'une nouvelle victime succombait, une enquête pour homicide fut ouverte. Les enquêteurs entreprirent de comparer les dates et les heures des décès avec les fiches de service de l'ensemble du personnel. Après trois jours de recherches intensives, l'infirmière Susan Nelles fut arrêtée. Le 27 mars, elle était accusée d'avoir délibérément provoqué le décès de nouveaux-nés par  injection d'une dose mortelle de digoxine. Sans qu'on ait d'autre preuve que le témoignage de ses collègues, qui avait relevé certaines remarques de sa part ainsi que des expressions curieuses sur son visage, il n'en demeurait pas moins que la coïncidence était frappante : vingt-quatre des décès suspects avaient eu lieu alors que Nelles était de garde, entre 1 heure et 5 heures du matin. Tout la désignait donc comme coupable. Pourtant, alors que Susan Nelles attendait son procès, les évènements bizarres se multiplièrent. En septembre 81, l'infirmière Phyllis Trayner découvrit des capsules de propanolol (un autre régulateur du rythme cardiaque) cachées dans la salade qu'elle mangeait. Une autre infirmière trouva des pilules dans sa soupe. On commença d'évoquer la présence d'un maniaque, et ces évènements influencèrent l'audience préliminaire du procès de Susan Nelles qui s'ouvrit le 11 juillet 1982. Celle que sa hiérarchie décrivait comme une excellente infirmière était accusée de quatre meurtres et suspectée d'en avoir commis seize autres. L'accusée fut finalement relaxée, faute de preuve décisive. C'est alors que des bruits courirent sur le compte de Phyllis Trayner, l'infirmère qui avait retrouvé des capsules de propanolol dans sa salade. En effet, elle fut accusée par certaines de ses collègues d'avoir injecté une substance non identifiée à la petite Allana Miller peu de temps avant son décès le 21 mars 81. Trayner nia les faits, et la commission renonça à la poursuivre. Dans son rapport de 1985, elle ne mentionna que huit homicides, considérant treize autres cas comme "suspects" ou "fortement suspects". L'affaire du tueur de l'Hôpital pour Enfants Malades de Toronto ne fut jamais élucidée. Il en fut de même pour de nombreuses autres affaires qui sombrèrent dans l'oubli, la plupart du temps parce que les meurtres avaient mystérieusement cessé. Cela ne voulait pas dire pour autant que les tueurs en série demeuraient inactifs et d'autres histoire sulfureuses défrayairent les chroniques judiciaires de ce début de millénaire.


Douglas Moore et son insoupçonnable complice

Douglas Daniel Moore, assasin avéré de deux personnes est soupçonné d'avoir tué également un adolescent (© CBC News).

Le 15 mars 2004, la police de Peel, en Ontario, arrêtait Douglas Daniel Moore, 36 ans, un habitant de Mississauga. Ce pédophile, déjà connu des services de police pour diverses agressions sexuelles sur mineurs commises depuis 1986, avait été jugé et incarcéré à plusieurs reprises. Cette fois-ci, les choses étaient encore plus sérieuses puisqu'il était fortement suspecté d'avoir assassiné Robert Grewal, 22 ans, et Giuseppe Manchisi, 20 ans au mois de novembre 2003. Il était également une "personne d'intérêt" dans l'enquête concernant la mort de René Charlebois, un adolescent de 15 ans dont on avait retrouvé le corps dans la zone d'Orangeville et au sujet de laquelle les enquêteurs comptaient bien l'interroger. Ils ne devaient guère obtenir les renseignements attendus puisque Moore se pendit dans sa cellule au début du mois d'avril, comme un aveux de sa pleine et entière culpabilité. Mais les choses ne devaient pas s'arrêter pour autant puisqu'une dizaine de jours plus tard, la police appréhendait un adolescent de 14 ans qui était suspecté d'avoir assisté Moore dans sa sinistre besogne. Le garçon, dont l'anonymat est protégé par le Youth Criminal Justice Act, était fortement soupçonné d'avoir aidé le tueur à transporter les corps dans une zone rurale du sud de Montréal où les cadavres démembrés avaient été retrouvés.  En octobre 2004, le jeune garçon était condamné à 6 mois de prison ferme car il avait été établi qu'il n'avait pas seulement agi sous l'emprise de la peur ou de la fascination et avait devancé les désirs du meurtrier, devenant un véritable complice. Il avait même été bien plus que cela puisqu'il était apparu que Moore avait tué Grewal et Manchisi parce qu'il pensait que les deux hommes lui avaient volé de la drogue et divers autres articles, larçins qui avaient été commis par le jeune adolescent. La nature des relations qu'il entretenait avec Douglas Moore n'ont pas été révélées et, malgré sa responsabilité en tant que complice mais aussi comme déclencher du processus meurtrier, sa peine a été aménagée et allègée.



Charles Kembo : « je ne suis pas un tueur en série ».

Charles Kembo (© CBC News).

Lorsque Charles Gwazah débarqua à Toronto le 29 septembre 1989, il avait le statut de réfugié du Malawi et faisait partie des nombreux immigrés que le Canada accueillait pour des raisons humanitaires. Mais Charles Gwazah n'était pas un réfugié ordinaire. Moins de 2 ans après son arrivée, il fut convaincu de vol et traduit devant la justice en avril et juin 91. Il réitéra ses exploits la même année et, en 1993, fut condamné à 3 ans de prison. Il fut libéré sur parole l'année suivante, mais un ordre d'expulsion fut émis contre lui mais jamais exécuté car ses crimes étaient non-violents et il était évident que le renvoyer dans son pays d'origine le mettrait en danger. En 1997, il fut de nouveau condamné à un an de détention pour vol avec effraction à Vancouver. S'y ajoutaient différentes fraudes et tromperies car sous ses allures très polies se cachait un être manipulateur qui avait utilisé des dizaines de fausses identités. Officiellement, il faisait des affaires, achetant une station-service à Kitimat pour acheter une supérette à Richmond, prétendant que ces opérations financières constituaient sa principale source de revenus. En 1999, il se sépara d'avec sa concubine Jenny et commença une relation avec Margareth qui travaillait dans son magasin. Pourtant, après 6 mois, il retourna vivre avec Jenny qui attendait un enfant de lui et ils se marièrent en mars 2000. Jenny mit au monde un garçon puis une fille, deux ans plus tard. Afin de clarifier sa situation et de retrouver une virginité dans le milieu financier, il changea son nom en 2002 et choisit "Kembo", le nom de jeune fille de sa mère. Ayant eu vent de la manœuvre, sa maîtresse délaissée choisit elle aussi de changer de nom pour le même patronyme. « Elle cherchait à se rapprocher de moi après que je sois retourné chez ma femme », devait-il expliquer par la suite. Curieusement, Margareth Kembo (qui était donc sa maîtresse et non sa femme) disparut mystérieusement au mois d'octobre 2002. Interrogé par la police, Charles Kembo prétendit qu'elle était retournée en Asie, mais les enquêteurs de la GRC avaient des doutes puisqu'elle n'était joignable nulle part. Lorsqu'Arden Samuel, 38 ans, fut retrouvé mort en novembre 2003, les soupçons des policiers se renforcèrent mais ils n'avaient aucune preuve, seulement de fortes présomptions car Samuel connaissait bien Charles Kembo. Celui-ci l'avait pris pour associé en 1999 afin de réaliser diverses opérations financières, déclarant par la suite qu'il lui avait confié 50.000 dollars : « Je l'ai fait pour l'honorer comme ami et aussi parce que je savais qu'il cherchait du travail », expliquera Kembo. « Après mon mariage, nous nous sommes un peu éloignés parce que, vous savez, vous êtes mariés et vous avez des amis différents. Alors oui, il y avait une certaine distance ».
Lorsqu'un an plus tard, on retrouva le corps de Sui Yin Ma dans un sac de hockey abandonné près d'un tunnel, les enquêteurs furent surpris de constater qu'elle connaissait aussi Charles Kembo puisqu'elle faisait des livraisons dans son magasin. Celui-ci nia le fait qu'elle était sa petite amie (bien qu'il ait admis avoir eu une courte relation avec elle) et prétendit qu'ils s'étaient quittés en très bons termes. Il était tout de même indéniable qu'on mourrait beaucoup de mort violente dans l'entourage immédiat de cet homme à l'apparence affable et d'une politesse obséquieuse. La découverte du corps de Rita Yeung, immergé dans la rivière Fraser, le 27 juillet 2005 fut la goutte qui fit déborder le vase : Rita, âgée de 21 ans, était en effet la fille de Margareth Kembo, et bien que Charles Kembo  ait assuré l'aimer comme sa propre fille, les enquêteurs de l'Integrated Investigative Homicide Team l'arrêtèrent deux jours plus tard. L'homme, alors âgé de 37 ans et résidant à Surrey au sud de Vancouver, admit que les apparences étaient contre lui mais assura qu'il n'avait rien à voir avec les meurtres. Il est vrai qu'il sait faire preuve de beaucoup de persuasion. Comme le déclarait l'inspecteur Wayne Rideout : « Monsieur Kembo adore tromper les gens, les manipuler et obtenir d'eux ce qu'il veut ». Il est vrai que Kembo a utilisé pas moins de 50 identités différentes et que la police soupçonne qu'il pourrait être relié à de nouveaux meurtres par le biais d'autres patronymes qu'il aurait utilisés, notamment à Toronto et Edmonton où il a vécu. « Non, je ne suis pas un tueur en série », déclare Charles Kembo. La justice tranchera sur ce point mais, au vu des faits, il est déjà permis d'en douter.  La justice l'a d'ailleurs inculpé pour quatre meurtres au premier degré.


Thomas Svekla : de bien troublantes coïncidences

Alors qu'on préparait le procès fleuve de Robert Pickton en Colombie-Britannique, Les provinces voisine de l'Alberta et de la Saskatchewan répertoriaient, à leur tour, de bien curieuses disparitions. L'histoire semblait devoir se répéter, interminablement…En février 2006, la GRC de la Saskatchewan annonçait qu'elle avait identifié le cadavre retrouvé en décembre 2005 près de la ville de Regina : il s'agissait de Melanie Geddes, une aborigène de 24 ans, portée disparue le 13 août de la même année. Contrairement à l'affaire Crawford qui concernait des prostituées occasionnelles ou professionnelles, Melanie Geddes était une jeune maman de trois enfants, vivant en couple et travaillant, avec une vie stable et apparemment heureuse. Le plus inquiétant sans doute était qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé… Ainsi, Daleen Bosse, 25 ans, et Amber Redman, 19 ans, avaient également disparu respectivement en 2004 à Saskatoon et 2005 à Fort-Qu'Apelle, alors même qu'elles n'avaient pas un comportement à risque : ni prostituées, ni droguées, ni alcooliques, elles avaient une vie stable qui rendait une éventuelle fuite bien improbable… Comment ne pas penser alors qu'un tueur en série opèrait dans le sud de la Saskatchewan quand la GRC annonçait qu'Amber Redman faisait partie d'une liste d'Amérindiennes disparues comptant dix-sept noms ? En Alberta, la police estimait alors que onze ou douze meurtres de prostituées pourraient être le fait d'un seul et même homme…
En Novembre 2003, la division K de la Gendarmerie Royale du Canada décida la constitution d'une task force de cinquante enquêteurs à plein temps issus de la GRC et de diverses polices municipales. La province de l'Alberta finança le projet de 6,3 millions de dollars qui fut baptisé "Projet KARE". La mission première de cette task force était de faire la lumière sur une quarantaine de disparitions et de morts suspectes de femmes en Alberta, principalement autour d'Edmonton, la capitale provinciale. L'affaire Pickton faisait alors grand bruit dans la province voisine de Colombie-Britannique, et la perspective qu'après Vancouver, Edmonton abrite un serial killer, incitait les autorités à la diligence. Une récompense de 100.000 dollars fut promise à quiconque apporterait des informations permettant de résoudre l'énigme. En mai 2006, après la découverte du corps d'une prostituée de 37 ans du nom de Bonnie Lynn Jack au sud de la ville de Fort Saskatchewan, le total des victimes potentielles variait selon les sources entre soixante-dix et quatre-vingt dont une majorité de travailleuses du sexe. Depuis 1988, les restes d'une douzaine d'entre elles avaient été trouvés dans les environs immédiats d'Edmonton, suggérant qu'au moins un tueur en série opérait en Alberta.

Aux dires des spécialistes, Thomas Svekla présente tous les symptômes d'un tueur en série (© CBC News).

Alors qu'on découvrait le corps de la dernière victime en date, la presse apprenait l'arrestation d'un mécanicien de 38 ans du nom de Thomas Svekla, un homme à l'aspect inquiétant et au comportement pour le moins curieux. Déjà, à la fin 2004, l'homme avait été interrogé au sujet de la mort de Rachel Quinney, une jeune prostituée de 19 ans dont il avait soi-disant découvert le corps dans un bosquet du comté de Strathcona au mois de juin de la même année. Les circonstances de la découverte étaient pour le moins troublantes puisque l'homme était alors en compagnie d'une autre prostituée et était déjà connu des services de police pour violence, vol et agression sexuelle. Thomas Svekla avait alors contacté Andrew Hanon, un journaliste du "Sun", à qui il avait donné sa version des faits. Faute de preuves, la justice ne l'avait pas poursuivi, le considérant seulement comme un témoin important. Pourtant lorsque la police découvrit le corps de Theresa Innes, une autre prostituée de 36 ans, enveloppé dans un sac de hockey et délaissé  à l'arrière du pick-up de Svekla, les enquêteurs commencèrent à penser que les nombreuses coïncidences ne devaient rien au hasard. Arrêté le 8 mai 2006 et interrogé, Thomas George Svekla maintint sa version des faits, prétendant ignorer comment le corps de Theresa Innes s'était retrouvé à l'arrière de sa voiture. La réaction du journaliste Andrew Hanon fut sans équivoque : « Etant donné la conversation terrifiante que j'ai eue avec lui il y a deux ans, je ne suis pas surpris par l'annonce du Projet KARE ». On sait que Mona Bouchard, la femme de Thomas Svekla depuis 1999, a fui le domicile conjugal avec leur unique enfant en 2001 parce qu'elle subissait des violences. Son père, Gilles Bouchard, décrit le gargiste comme un homme au tempérament excessif : « C'était un gros travailleur… …Mais ma fille devait faire attention à ce qu'elle disait. Il avait mauvais caractère, je crois ». Son beau-frère le décrit comme un "sale type". Robert Janke, un ancien collègue, confirme ce point : « Il se fachait quand je sifflais parce que ça lui rappelait son temps en prison ». Il raconte aussi qu'il avait plusieurs petites amies — situation qu'il ne cachait nullement – presque toutes originaires des Premières Nations.
La justice ayant publié une interdiction de divulgation des pièces du dossier, on a relativement peu de détail sur les preuves accumulées contre Svekla. A la surprise générale, celui-ci eut à faire face à une double accusation de meurtre au second degré, une inculpation inhabituelle pour un tueur en série puisque, de l'avis même du Professeur Jack Levin, un expert en criminologie de la Northeastern University, Svekla présente les caractéristiques d'un serial killer. Il est une fois encore bien curieux qu'un individu censé avoir planifié l'agression et le meurtre de ses victimes, soit accusé de faits que la loi attribue habituellement à la colère, la peur ou une brusque pulsion incontrôlée… « Je ne pense pas avoir déjà vu un tueur en série qui n'ait pas planifié son crime », a déclaré Jack Levin. Cette mansuétude des autorités, qui, rappelons-le, peut éviter à Svekla les 25 années de détention réservées pour le meurtre au premier degré, est pour le moins surprenante, mais il ne faut pas oublier que nous ne disposons pas de la totalité des informations relatives à l'affaire. Une chose est pourtant certaine : cette accusation sous-évaluée ne correspond pas à un accord puisque Svekla a plaidé non coupable à l'audience préliminaire qui s'est tenue le 4 janvier 2007 à Edmonton. « Notre position est très claire : Monsieur Svekla n'est pas responsable de ces morts », a déclaré Maître Robert Shaigec, son avocat. Cette affirmation est contredite par la police : « Nous avons toujours prétendu depuis le début qu'une seule et même personne était impliquée dans plusieurs décès… …le project KARE s'en tient à cette théorie », a pourtant déclaré le caporal Wayne Oakes, porte-parole de la GRC en se référant aux autres victimes dont la mort reste mystérieuse, ou celles, encore plus nombreuses, dont on a pas retrouvé la trace. Quand la presse a demandé au porte-parole de la police d'Edmonton, Jeff Wuite, pourquoi on avait pas rendu publique la disparition de Theresa Innes, il a simplement répondu : « Nous avons environ 7000 dossiers de disparition par an, voila pourquoi ».  Reste que depuis, Svekla a été inculpé de plusieurs viols, de menaces de mort et de détournement d'une mineure de moins de 14 ans en 1995.

En 2008, Thomas Svekla fut jugé pour les meurtres de Theresa Innes et de Rachel Quinney (© CBC News).

Le procès de Svekla s'est ouvert au printemps 2008 et a duré quatre mois au cours desquels plusieurs femmes sont venu témoigner contre le prévenu, décrivant comment il les avait brutalisées, étranglées et avait menacé de les tuer. Seule la mort de Theresa Innes, dont le corps avait été retrouvé dans sa voiture, a été finalement retenu contre lui puisqu'il a été acquité pour le meurtre de Rachel Quiney. La manière dont il a disposé du corps de sa victime, conservé plusieurs mois dans un congélateur avant d'être transporté dans un sac de hockey, lui a valu des circonstances aggravantes pour "indignités sur un corps humain". Le 16 juin 2008, le juge Sterling Sanderman l'a ainsi condamné à la prison à vie avec une peine incompressible de 17 ans. Le mécanicien de 40 ans est donc le premier accusé à être condamné dans le cadre du projet KARE.
La police devra maintenant déterminer si Svekla est impliqué dans une ou plusieurs autres des quatre-vingt disparitions recensées et non résolues en Alberta, en particulier la douzaine de cas qui semblent présenter certaines similitudes. En effet, comment expliquer le fait que deux amies très proches de Rachel Quinney, Samantha Berg (19 ans) et Charlene Gauld (20 ans), aient été retrouvées mortes elles aussi dans la région d'Edmonton ? Mais la situation est sans doute plus complexe. Nombreux sont ceux qui estiment que ces disparitions ne sont pas l'œuvre d'un seul individu et que d'autres serial killers parcourent les grands  espaces puisque lors d'au moins trois de ces douze meurtres, Svekla était déjà en prison…


Un chapitre sans fin

Fait sans précédent au Canada, l'année 2007 a connu deux procédures simultanées contre des tueurs en série. Alors que l'audience préliminaire de Thomas Svekla s'ouvrait, le véritable procès Pickton pour six homicides a commencé de livrer les secrets de l'affaire. Mais il a été une véritable épreuve pour le jury, les témoins et les membres des familles de victimes. Qu'en sera-t-il du second procès qui s'ouvrira peut-être en 2009 pour le meurtre de vingt autres femmes, du moins si la procédure d'appel du premier verdict ne le retarde pas trop ? A l'issue de la première procédure, Pickton a été reconnu coupable de meurtres sans préméditation. Pourtant, la culpabilité de cet individu à l'apparence arrièrée ne faisait guère de doute… Les preuves étaient accablantes même si, officiellement, Robert William Pickton s'est toujours prétendu victime d'un coup monté, qualifiant les preuves de "foutaises". Dès le début de son incarcération, il a refusé de parler mais tient un discours ambigu : « Qu'est-ce que j'ai à gagner si je peux me permettre… Que va-t-il se passer si je dis quelque chose ? Je ne veux pas avouer quoi que ce soit ». Plus tard, alors que la police lui présentait les preuves confondantes montrant que Mona Wilson avait été tuée dans sa ferme, Pickton devait affirmer : « Mais ça ne veut pas nécessairement dire que je l'ai fait. Je n'ai rien fait, je ne la connais pas… Je ne connais pas son visage, ni rien d'autre ».
Ce cynisme fait donc douter des regrets affichés lors des interrogatoires : « J'ai creusé ma propre tombe  et je devrai vivre avec ça pour le reste de ma vie… Je m'excuse. Je m'excuse. Je m'excuse. Je m'excuse. Je ne peux pas vous aider plus que cela, mais si je le pouvais, j'échangerais ma vie pour celle de n'importe laquelle de ces personnes ». Mais ces regrets ne sont-ils comparables à ceux qu'émettait Gary Leon Ridgway : « Bien sûr je suis désolé d'avoir fait ça, mais ça n'était pas des personnes ». Seul trouble de la part de l'accusé : il rougiera légèrement lorsque Robert Bayers, le responsable de l'usine d'équarissage, le décriera comme un homme sale, maniant sans protection des déchets qui n'étaient sans doute pas toujours d'origine animale. Le reste du temps, pickton reste impassible, se contentant de glousser ou de prendre des notes dans un petit calepin. A l'audition des témoignages accablants, il s'exclaffe : « Oh ça alors ! En voila une drôle d'histoire ! ».
Il est clair que Pickton a bien meilleure mémoire dans le huis-clos de sa cellule que dans la salle d'interrogatoire où la police avait affiché un poster représentant quarante-six femmes assassinées. « Je ne me souviens d'aucune d'entre elles, c'est vraiment le cas, je dis la vérité ». Sa réaction est cependant très caractéristique d'un psychopathe pour qui une victime est un "objet jettable" …Et oubliable.
Difficile de croire également Thomas Svekla qui clame à cor et à cri une innocence bafouée par une machination policière. En dehors de leurs avocats, rares sans doute seront ceux qui prendront la défense de ces hommes. Mais il seront nombreux ceux qui, calfeutrés dans leur bonne conscience, oublieront les victimes : policiers enferrés dans leurs luttes intestines, autorités préoccupées d'images flatteuses et de statistiques encourageantes, opinion publique qui pratique le scandale à géométrie variable, Presse négligeant l'essentiel au profit du sensationnel… « Il y a tant de gens qui pensent que nous ne sommes pas des personnes et que nous n'avons pas de sentiments … », a déclaré Pauline VanKoll, une des deux prostituées qui couvraient le procès Pickton pour le site Internet orato.com. En revanche, le cinéma s'est rué sur l'affaire en tournant un film d'action, intitulé "Killer Pickton", basé sur la vie de Robert Pickton, comme il a retracé le parcours criminel de Bernardo et Homolka dans le film "Deadly" ("Karla" en version française). Une fois de plus, la fiction menace de reléguer les victimes bien réelles dans le domaine de l'imaginaire.

Quelques unes des femmes portées manquantes dans la région d'Edmonton : des similitudes géographiques et comportementales inquiétantes (© Edmonton Missing Women/Project Kare).

Comme si les tueurs réels ne suffisaient pas, certains créent de toutes pièces de nouveaux monstres, en particulier sur Internet où les informations circulent sans contrôle et où le cannular d'un soir peut devenir "réalité" pendant des années. Ainsi, il y est fait mention que dans les années 70, deux québécoises Audrey H-C* et Vicky N-D* dites "Les mangeuses d'hommes" auraient tué plus de 75 hommes rencontrés dans des bars de Sherbrooke… Mais sont en réalité totalement inconnues de la presse canadienne !
Le plus inquiétant sans doute est que les serial killers ne sont pas des "monstres", même si leurs agissements sont monstrueux. Karla Homolka en est bien la preuve vivante. Ce sont des hommes, parfois des femmes, qui se laissent seulement aller à leurs instincts les plus vils, cédent à leurs déviances, et réussissent à faire abstraction de leurs actes, vivant normalement entre chaque pulsion meurtrière, se réfugiant dans les profondeurs de leur lâcheté. Ces gens-là, ni-déments, ni génies, sont bien plus nombreux qu'on peut le croire. Ils nous côtoient sans doute, dissimulés derrière le masque de la normalité. A nous, citoyens et institutions, en France, au Canada ou ailleurs, de ne pas les laisser faire. Mais cela ne suffira peut-être pas…

Il y a fort à parier que ce chapitre n'est pas clos et ne connaîtra jamais de point final. Déjà, de nouvelles affaires surgissent. Celles en court sont apparemment bien loin d'aboutir à un terme honorable et juste. Il reste à parcourir un long chemin pavé d'horreurs et de douleur avant que justice ne soit rendue aux victimes des tueurs. Ainsi, l'Association des Femmes Autochtones du Canada estime à cinq cents le nombre d'Amérindiennes assassinées ou disparues ces dernières années ! Contrairement à la route numéro 1 qui, partie des côtes Atlantiques, vient butter sur le Pacifique, cette route-là ne connaît pas de limites. Parcourir cette Transcanadienne du crime est une longue et dépaysante aventure, une effrayante traversée de terres improbables dans un pays de droit et de liberté.
 
* Ces personnes ayant été citées à tort dans les blogs ou des sites abordant le problème des tueurs en série canadiens, leur nom complet a été retiré à leur demande.

Bibliographie :

• Douglas Moore :

CBC News

• Charles Kembo :
Vancouver Sun
CBC News
http:/www.canada.com

• Thomas Svekla :
http://www.primetimecrime.com/Recent/murder_Edmonton_Serial.htm
CBC News
www.kare.ca


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© Christophe Dugave 2008
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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 09:32
Pulsions de mort : spree killers et mass murderers

 

 

 

Serial killers, spree killers, mass murderers… Une terminologie morbide qu'on ne prend même pas la peine de traduire, des phénomènes différents, mais qui aboutissent tous à la mort d'innocents. Comme toujours, la réalité ne tient pas compte de la théorie et des classements, mais il existe, dans la folie, quelques nuances qui la rendent plus ou moins imprévisible, et dans un certain sens, plus acceptable.

De tous, le tueur en série est certainement le plus abject parce que le moins dément. C'est donc celui qui est le plus moralement coupable. D'après la définition donnée par le FBI, le serial killer est un meurtrier multirécidiviste motivé le plus souvent par une sexualité à dominante sadique, opérant selon un rituel précis, parfois évolutif, avec des périodes d'accalmie plus ou moins longues. L'appelation est généralement donnée après le troisième homicide, mais comme nous l'avons déjà évoqué, beaucoup considèrent que le titre peut être acquis dès le second meurtre pourvu qu'il soit prémédité et ritualisé. Le reste est question de chance et d'opportunités… Psychopathe, le serial killer présente un comportement fondamentalement asocial mais d'apparence normale. Blanc dans 90 % des cas, il est souvent issu d'une famille disloquée présentant des antécédents criminels ou psychiatriques, et a généralement subi dans sa jeunesse des abus physiques, sexuels ou psychologiques qui l'amènent à dépersonnaliser ses victimes comme il a été lui-même chosifié.  On parle beaucoup de signes annonciateurs : tendances suicidaires, énurésie tardive, tendances sociopathes, torture de petits animaux, fantasmes morbides, expériences incendiaires… Rares en fait sont les tueurs en série qui présentent tous ces symptômes alors même que leur association chez un même individu n'en fait pas un tueur multirécidiviste. Il faut donc se méfier des clichés et des statistiques qui ne rendent compte que bien imparfaitement de la psychologie complexe des psychopathes.

Le tueur compulsif (spree killer) est plus généralement un individu psychotique, un schizophrène par exemple, tuant de manière répétitive, mais dissociée tant au niveau des lieux que des dates. Les faits s'étalent souvent sur une courte période, quelques heures à quelques jours durant lesquels le meurtrier ne connaît pas de réelle diminution de son besoin de tuer. De même, le tueur de masse (mass murderer), agit impulsivement et de manière totalement excessive à un stimulus, une contrariété par exemple. Il va alors assassiner au hasard (même s'il choisit parfois son type de victime) et en une seule fois. C'est un crime à caractère revendicatif, démonstratif, par opposition au tueur en série qui opère dans l'ombre. Cela n'exclut pas pour autant la préméditation ou la préparation du crime, parfois plusieurs semaines à l'avance, mais contrairement au serial killer, il n'y a pas de véritable ascension dans la violence, aucun processus "préparatoire" aisément décelable. En revanche, le tueur de masse est capable de "violence ordinaire" (irascibilité, maltraitance, violence conjugale…), bien qu'en général, rien ne peut laisser prévoir cette explosion délirante qui conduit un homme, apparemment sain, au crime multiple. Dans la majorité des cas, le mass murderer finit d'ailleurs par ce suicider et ne cherche que très rarement à échapper à la police. Ainsi, en 1989, Marc Lépine, le tueur de l'Ecole polytechnique de Montréal, se donna la mort lorsqu'il se sentit acculé. En 2001, Pierre Lebrun retourna son arme contre lui après avoir tué quatre de ses collègues à Ottawa. L'année suivante, le même scénario se reproduisit à Kamloops en Colombie-Britannique après que Dick Anderson ait abattu deux personnes. Sans aller jusqu'au suicide, le spree killer agit lui aussi sans se soucier de sa propre sécurité et tombe parfois sous les coups de la police, mais il ne retourne que rarement sa violence contre lui-même.

Les différences entre spree killer et mass murderer d'une part, et serial killer d'autre part, sont donc manifestes. Le tueur en série prend grand soin de ne pas se faire repérer et l'histoire de ces meurtriers multirécidivistes espérant secrètement être arrêtés relève plus de la mystification a posteriori  (n'oublions pas que les serial killers sont de grands manipulateurs) que d'une volonté réelle de mettre fin à leurs crimes. Cela leur permet de se placer en victimes de leurs pulsions sadiques et de minimiser leur responsabilité. Dans la réalité bien sûr, la frontière entre ces classes de meurtriers est parfois beaucoup plus ténue, et elle ne tient pas seulement compte de la psychologie du tueur. Les circonstances ont aussi leur part : S'il est peu probable qu'un mass murderer rencontrant peu de victimes potentielles soit capable de continuer à tuer de manière répétitive, un spree killer peut tout à fait assassiner plusieurs personnes simultanément et les deux classes de meurtrier sont parfois regroupées sous le terme de rampage murderer (qui peut se traduire par "tueur compulsif"). Cependant, aucun de ces deux meurtriers ne connaît de réelle pause volontaire, tandis que le serial killer peut rester volontairement inactif durant plusieurs années et ce, pour des raisons souvent extérieures (mariage, vie commune etc…).

Bien entendu, cela ne signifie en aucun cas qu'un serial killer ne présente aucun signe clinique de psychose : ainsi, le serial killer John Martin Crawford prétendait entendre des voix depuis l'adolescence, un symptôme caractéristique de la schizophrénie. Gardons-nous donc de classifier les genres et de croire que les schizophrènes donnent essentiellement des tueurs compulsifs, alors que les individus présentant des délires paranoïdes versent systématiquement dans le meurtre de masse. Contrairement aux serial killers dont le nombre a explosé ces dernières décennies, on assiste à une augmentation limitée des cas de rampage murderers.

Si le tueur en série représente sans doute le mal absolu puisqu'il est réfléchi, ressassé, ritualisé, les spree killers(un phénomène principalement nord-américain lié à la disponibilité des armes de poing) et les mass murderer,n'en sont pas moins de redoutables tueurs qui font chaque année des dizaines de victimes en Amérique. Dans ce chapitre, nous nous limiterons à quelques cas à la fois caractéristiques et perturbants qui ont ensanglanté l'histoire canadienne.


legere.jpgAllan Légère vers le milieu des années 80. En 1989, il viola et tua trois femmes et assassina un prêtre au cours d'une épopée criminelle de sept mois dans la vallée de la rivière Miramichi qui lui valut le surnom de "Monstre de la Miramichi".

Souvent considéré comme un tueur en série, Alan Légère a fait trembler le Nouveau-Brunswick au cours d'une épopée criminelle de sept mois, du printemps à l'automne de 1989. Condamné pour meurtre et incarcéré en 1986, il s'est échappé de l'hôpital où on le conduisait pour recevoir des soins, et a entamé une cavale meurtrière sans précédent, semant la terreur dans sa vallée natale. Brutal mais pas à proprement parler psychotique (il ne semble pas qu'il ait tué lui-même auparavant), il a pourtant affiché une cruauté et un manque de pitié qui lui ont valu le titre peu enviable de "Monstre de la Miramichi".

Certains spree killers ont égalemet fait la une des journaux canadiens : l'abominable Dale Merle Nelson et le cruel David William Shearing, deux obsédés sexuels au comportement psychotique et ultraviolent qui tuèrent respectivement huit et six personnes y compris des enfants.


marc-lepine.jpgMarc Lépine, un étudiant de 25 ans, fit irruption dans une salle de cours de l'Ecole Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989. Armé d'une carabine semi-automatique et d'un couteau de chasse, il tua 14 jeunes femmes, exprimant ainsi sa haine des féministes. Après avoir achevé sa dernière victime, il se tira une balle dans la tête (© Canadian Press). 

S'il n'est pas le plus meurtrier des tueurs de masse canadiens — La palme étant toujours tenue par Joseph-Albert Guay — Marc Lépine est certainement le plus célèbre puisqu'il a tué quatorze femmes en l'espace de quelques minutes le 6 décembre 1989. Crime non sexuel mais manifestement sexiste, ce massacre a soulevé une nouvelle fois le problème de la libre circulation des armes au Canada (même s'il ne s'agit pas d'armes de guerre), et a posé la question de la perception de la place de la femme dans la société canadienne, une société pourtant progressiste et libérale en la matière, mais qui ne semble pas avoir exorcisé tous ses vieux démons. Ainsi, le 6 décembre 1989, Lépine était entouré d'hommes, plus de cinquante au début de son odyssée criminelle, alors même qu'il leur intimait l'ordre de sortir de la salle de cours, un fusil à la main. Aucun d'entre eux ne fit le moindre geste pour s'interposer tandis qu'il s'isolait avec dix jeunes étudiantes. Nul ne pouvait ignorer le sort qu'il leur réservait. D'autres par la suite eurent le même comportement, et certains policiers refusèrent même de prendre des risques pour suivre, soi-disant, la procédure. A vrai dire, l'histoire du massacre de l'école polytechnique de Montréal est révélatrice d'une forme d'indifférence si monstrueuse mais si ordinaire qu'elle pourrait avoir eu lieu chez nous ou dans n'importe quel autre pays industrialisé. Le Canada, en la matière, n'a pas le monopole de la lâcheté...


Allan Légère : le monstre de la Miramichi


Parmi les nombreux détenus canadiens, seuls 90 prisonniers sont maintenus dans l'unité de sécurité maximale (SHU). Parmi eux, Allan Légère n'est certainement pas le moins dangereux. Affublé du surnom peu flatteur de "Monstre de la Miramichi", une région du Nouveau-Brunswick où il a sévi à la fin des années 80, ce tueur particulièrement violent a défrayé la chronique à deux reprises, une première fois lors de son arrestation et de son procès en 1986, puis lorsqu'il s'évada en 1989.
Né en 1948 dans la région de la Miramichi, une rivière du Nouveau-Brunswick, Allan Joseph Légère fut vendeur de voitures à Winchester, au sud d'Ottawa dans les années 70. Il habitait alors dans une petite ferme située près d'Inkerman. Il retourna plus tard au Nouveau-Brunswick où il participa au meurtre de John Glendenning en 1986. Le crime, d'une rare brutalité, lui valut d'être condamné à la prison à vie. Mais avec sa forte corpulence et son épaisse moustache qui lui donnaient un air de brute épaisse, et ses lunette teintées qui voilaient son regard, Allan Légère n'était pas homme à se laisser enfermer sans rien tenter. Le 3 mai 1989, alors qu'il était transféré à l'hôpital de Moncton pour une infection à l'oreille, il s'échappa des toilettes. Commença alors une chasse à l'homme qui dura presque sept mois, coûtant la vie à trois femmes et un prêtre, et semant la terreur au quotidien dans les environs de Chatham et de Newcastle.
Tout commence le 3 mai 1989 à 10 heures 31, lorsq'un fourgon de l'institution pénitentiaire de sécurité maximale de Renous s'immobilise devant l'hôpital Dr. Georges L. Dumont de Moncton, l'une des grandes villes du Nouveau-Brunswick (une petite cité à l'échelle européenne). Les agents Bob Hazlett et Robert Winters sortent avec leur prisonnier, Allan Légère, un individu à la mine patibulaire. L'homme demande à passer aux toilettes. Conscients de convoyer un détenu dangereux, les gardiens ne lui retirent ni les chaînes aux pieds, ni les menottes solidement fixées à une ceinture ventrale qui limite considérablement les mouvements du prisonnier. Celui-ci va pourtant s'en libérer alors qu'il est censé faire ses besoins, utilisant pour cela un morceau d'antenne de télévision repliée qu'il a dissimulé dans son rectum, ainsi qu'une petite pièce métallique insérée dans un cigare. Lorsqu'il ouvre la porte pour demander du papier toilette aux gardes, ceux-ci, persuadés qu'il est encore menotté, ne se méfient guère. Déjà, Légère a forcé le barrage et prend la fuite, sa ceinture encore bouclée autour de son ventre. Parvenu sur le parking, il repère Peggy Olive qui embarque dans sa voiture. Sans hésiter, il la pousse dans le véhicule et démarre, la prenant en otage. Commence alors un épopée criminelle qui va durer presque sept mois, et l'une des plus grande chasse à l'homme jamais menée au Canada.

Legere.jpgCondamné pour un crime qu'il n'avait pas commis mais qu'il avait clairement initié au cours d'un cambriolage, Allan Légère s'évada en 1989 et sema la terreur et la mort sur son passage (© Times Transcript, Moncton).

Allan Légère est un condamné violent, connu pour sa brutalité et son manque total d'humanité. Le 21 juin 1986, aidé de ses deux complices Todd Matchett et Scott Curtis, il a battu et étranglé John Glendenning, un commerçant de 66 ans de Black-River, une petite localité du Nord-Est du Nouveau-Brunswick. Il a également violenté et violé sa femme Mary âgée de 61 ans, à tel point que le médecin qui l'examinait déclara : « Je n'aurais jamais cru qu'on puisse encore être en vie après avoir subi un tel traitement ! ».
Bien qu'il n'ait pas lui-même tué la victime, son long passé criminel et son âge au moment des faits (38 ans) ont valu à Légère une condamnation à la prison à vie. En effet, ses complices étaient mineurs à l'époque des faits, et il a été considéré comme le meneur, pleinement responsable de ce simple cambriolage qui a tourné au drame, aussi toutes ses actions en appels ont-elles été rejetées. Il a cependant toujours contesté sa participation, prétendant qu'un quatrième complice était dans le coup et que lui-même avait renoncé au cambriolage.
Dans les jours qui suivent son évasion, la police perd totalement la trace d'Allan Legère, et nul ne sait qu'il se dirige vers le nord de la province. Le 7 mai, on retrouve à Newcastle la Chrysler New Yorker modèle 86 et le portefeuille d'un homme qui a été attaqué peu de temps auparavant. Trois jours plus tard, Mary Susan Gregan de Chatham signale la présence d'un individu suspect près de chez elle. Elle s'apercevra quelque temps après que ses bijoux ont disparu. La semaine suivante, deux témoins reconnaissent Alan Légère dans un champs. Celui-ci prend la fuite et est aperçu le jour même à Renous, près de l'endroit où il avait accompli son premier meurtre. Dès lors, il ne fait plus aucun doute qu'il s'agit bien du fugitif. A la fin du mois de mai, il a atteint la vallée de la rivière Miramichi où il va pouvoir laisser libre cours à sa sauvagerie.
Le 27 mai, Légère s'introduit dans une maison de Chatham où il dérobe un sac marin et de la nourriture. Le lendemain, Harry Preston, qui vient de Newcatle, compose le 911 et signale un début d'incendie dans l'épicerie que tiennent les sœurs Flam, juste à côté de la maison cambriolée. La police et les pompiers découvrent Nina Flam, prostrée dans l'escalier qui mène à l'appartement situé au-dessus du magasin. Elle a été battue, violée et attachée, et a miraculeusement échappé à l'incendie qui couve. Dans une autre partie de la maison, les policiers découvrent le corps sans vie d'Annie Flam, âgée de 75 ans. Visiblement battue à mort, celle-ci a été bordée dans son lit, sans doute pour faire croire à un décès accidentel. Plus tard, Nina racontera son horrible soirée.

Annie-Flam.jpgAnnie Flam, première victime d'Allan Légère le 28 mai 1989 à Chatham, Nouveau-Brunswick (© Guy Aube).

A 23 heures ce 28 mai 1989, Légère, la tête recouverte d'une cagoule, s'introduit dans le magasin et agresse Nina qu'il semble connaître. Sous la menace d'un couteau, il lui pose des questions à propos de sa sœur et de l'endroit où celle-ci pourrait cacher de l'argent. Annie Flam occupe en effet une autre partie de la maison qui communique par le rez-de-chaussée avec l'appartement de Nina. Légère tente alors d'étrangler la femme qui résiste malgré tout et finit par lui lier les mains avec des bas nylon. On imagine aisément l'angoisse de la victime qui, immobilisée, ne peut rien faire pour prévenir sa sœur. Lorsque l'agresseur revient un peu plus tard, elle s'inquiète de l'état d'Annie, mais il la rassure en répondant qu'elle va bien. En fait, la malheureuse est déjà morte et son appartement est la proie des flammes, ce que Nina ignore. Légère ne lui laisse d'ailleurs guère le temps de s'en inquiéter puisqu'il la viole et la brutalise avant de la coucher elle aussi dans son lit. Il sort alors les vêtements de la garde-robe et y met le feu. Commotionnée, Nina Flam revient à elle alors que l'incendie commence à se propager. Elle rassemble ses forces et se rue sur la porte, mais découvre avec stupeur que Légère est encore là. Le monstre la repousse dans le brasier. Fort heureusement, il ignore qu'une seconde porte permet de sortir du bâtiment. Cette issue sauvera Nina Flam d'une mort affreuse.
Une fois l'incendie circonscrit, on retrouve le corps d'Annie, momifié par la chaleur. Malgré les dégâts, le médecin pathologiste parvient à faire un prélèvement vaginal qui confirme, sans doute possible, que la victime a bien été violée. L'autopsie montre aussi qu'elle a reçu de nombreux coups portés au visage, l'un d'entre eux lui ayant fracturé la mâchoire. Ce n'est pourtant pas la cause directe du décès. Le médecin légiste, le Dr. McKay, diagnostique une suffocation par inhalation de vomi, la malheureuse ayant probablement régurgité sous le coup de l'émotion.
Bien entendu, Nina Flam n'est pas en mesure de décrire son agresseur et les policiers en attribuent tout d'abord la responsabilité à deux frères récemment évadés de la prison de Dorchester, David et John Tanasichuk. La reconstitution des évènements leur fera abandonner cette piste car la police les considère comme des délinquants "désorganisés", incapable de planifier et de réaliser une telle opération. Allan Légère sera par la suite confondu par l'ADN recueilli dans les prélèvements effectués sur Nina et le cadavre de sa sœur.
Le 1er juin, en fin de matinée, Joe Ivory et sa femme aperçoivent un homme qui tente de s'introduire dans leur garage. Joe, qui n'a pas froid aux yeux, le prend en chasse et le poursuit à travers cours et clôtures avant de perdre sa trace. On retrouvera par la suite les lunettes teintées que Légère a perdues dans sa course effrénée. Après examen des verres correcteurs, il ne fera plus aucun doute que l'évadé se trouvait bien dans la région au moment des faits. Une tentative pour retrouver des traces d'ADN de Légère dans sa cellule afin de les comparer aux prélèvements effectués sur les deux victimes se solde par un échec. Le temps passe et les choses semblent se calmer au cours de l'été. On en vient même à supposer que Légère a mis le cap sur une autre province.
Les évènements vont alors s'accélérer à Newcastle à partir de la fin septembre. C'est d'abord un homme qui reçoit une décharge de chevrotines dans le dos, puis le couple Russel qui se fait attaquer à quelques pas du poste de police. Lorsque les agents arrivent, ils sont immédiatement appelés sur les lieux d'une effraction à trois kilomètres de là. Deux semaines plus tard, l'histoire va de nouveau basculer dans l'horreur.

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Linda et Donna Daughney furent sauvagement assassinées par Légère à New-Castle, Nouveau-Brunswick le 14 octobre 1989 (© Guy Aube).

Le 14 octobre 1989 au matin, un couple, passant en voiture  à Newcastle, aperçoit de la fumée qui s'élève de la maison des sœurs Daughney. Ils donnent immédiatement l'alerte. Les pompiers éteignent rapidement l'incendie et découvrent les corps sans vie de Donna, bordé dans son lit, et à ses côtés, celui de Linda couché sur le plancher. Les cadavres ont été préservés de l'incendie car seule la chambre vide a brûlé, le second sinistre destiné à calciner les corps au plus vite ayant fini par s'étouffer. La police remarque que la porte arrière a été forcée au point que la serrure a été arrachée.
Comme dans le cas d'Annie Flam, la cause de la mort est rapidement attribuée à une agression. Les signes sont même identiques trait pour trait au cas des sœurs Flam, à ceci près que cette fois, il n'y a pas de survivante. Le médecin pathologiste détecte des coups, des traces de viol et de sévices montrant que le meurtrier a longuement torturé ses victimes. En effet, comme Annie Flam, Donna, 45 ans, présente des traces de vomissement et de suffocation. Agée de 41 ans, Linda montre aussi des plaies perforantes certainement dues à des coups de couteau, des traces de strangulation et la fracture des deux mâchoires. Le modus operandi accuse bien évidemment Allan Légère, mais jusque-là, aucune preuve tangible ne vient étayer cette hypothèse. Certes, plusieurs témoins ont vu un homme lui ressemblant aux environs de Newcastle, mais les descriptions restent vagues. Une fois encore, Légère va se faire discret pendant un mois et durant toute cette période, la vallée de la Miramichi va vivre avec la peur au ventre. La terreur atteindra son comble lorsqu'on apprendra qu'un camion contenant deux carabines a été forcé et que les armes ont disparu. Un homme correspondant au signalement d'Allan Légère a été aperçu, carabines en main. Bientôt, les habitants, armés pour certains d'entre eux, n'osent plus sortir et la fête d'Halloween est annulée. Les effectifs de la Gendarmerie Royale sont renforcés, mais ni les battues, ni les barrages, ne parviennent à débusquer le fugitif qui court sur son propre terrain. Pourtant, le 28 octobre, Légère manque se faire prendre le long de la voie ferrée. Repéré par un agent de la GRC accompagné d'un chien, il réussit tout de même à s'enfuir et à disparaître encore une fois dans la nature. Il ne restera pas très longtemps inactif.

James-Smith.jpgUn peu plus d'un mois plus tard, le père James Smith fut battu à mort par le "Monstre de la Miramichi" à Chatham Head (© The Miramichi Leader).

Le 16 novembre, des paroissiens de Chatham Head attendent le père James Smith qui doit dire la messe à 19 heures. Quelques-uns, inquiets de cette absence inhabituelle, s'en vont au presbytère et découvrent un spectacle hallucinant : le bureau et la cuisine où se trouve le malheureux curé sont barbouillés de sang. L'homme de 69 ans est méconnaissable, tué la veille à coup de pieds avec une sauvagerie inimaginable. On trouve aussi des traces sanglantes dans d'autres pièce où la victime a sans doute tenté de fuir. Plusieurs feuilles tombées à terre portent l'empreinte d'une chaussure et des traces de pas sont également visibles dans le sang répandu.
Rapidement, la chasse est lancée. On retrouve le véhicule du prêtre au Keddy's Motel à Bathrust ainsi que les bottes soigneusement lavées. Le sergent Kennedy, un expert de l'identification judiciaire, examine les souliers et se convainc qu'elles ont été portées par "Alan Légère ou quelqu'un ayant les mêmes caractères morphologiques et particularités individuelles qu'Allan Légère". Mais si les bottes apportent quelques renseignements, elles ne vont guère aider les policiers qui reprennent l'enquête à zéro. Des faits bien antérieurs vont pourtant trahir le tueur qui est à présent poursuivi par une force spéciale constituée de spécialistes de la GRC et d'agents de la police locale. Une association de "Crime Stoppers" promet alors une récompense de 50.000 dollars pour la capture du fugitif.
Lorsque Légère avait tenté de pénétrer dans le garage de Joe Ivory le 1er juin, il avait perdu ses lunettes teintées à verres correcteurs qui avaient été trouvées peu après. La GRC cherche donc si quelqu'un a commandé des lunettes identiques au Nouveau-Brunswick ou dans les provinces avoisinantes. Sur l'énorme liste qui leur parvient, ils sélectionnent un certain Fernand Savoie dont les papiers ont été volés et qui n'a — à ses dires — jamais commandé de verres correcteurs à Montréal. La route de Fernand Savoie dans la métropole québécoise va être retracée : on retrouve, chez des prêteurs sur gage, des bijoux laissés par le dit Savoie contre la somme de 450 dollars. L'homme a également séjourné au Queen Elisabeth Hotel où il a occupé une chambre à 130 dollars la nuit. Curieusement, l'individu s'enregistre et laisse sa chambre chaque jour, mais nul ne s'est alarmé de ce comportement inhabituel voire étrange. La femme de chambre a juste remarqué qu'il sortait peu.
Le 23 novembre, Jane Meredith ouvre la porte du Pipers Club, un pub de Saint-John (Nouveau-Brunswick). Un homme en parka et bottes attend à l'extérieur. Il s'installe à une table et commence à écrire une longue lettre. Lorsqu'il part vers 21 heures 45 alors que la neige commence à tomber, il laisse un texte manuscrit de 20 pages.
L'homme prend alors un taxi et braque sur le conducteur, Ron Gomke, une carabine calibre 308 à canon scié en précisant : « Nous allons à Moncton… Je suis l'homme que tout le monde recherche. Je suis Allan Légère ».
Le temps empire et le conducteur de taxi doit rouler prudemment sur la route verglacée. Lorsque Légère lui ordonne de dépasser un camion, il s'exécute mais perd le contrôle du véhicule et frappe un banc de neige. Dissimulant alors son arme, le tueur arrête une voiture conduite par Michelle Mercer, une constable de la GRC en congé. Celle-ci s'étonne du comportement de l'homme et de la peur qu'il semble inspirer à son compagnon. Elle leur annonce alors qu'elle est de la police : la réaction de Légère est immédiate. Il la menace de son arme et la force à continuer. Cependant, la femme-policier ne perd pas la tête et engage la conversation avec le forcené, d'autant plus qu'avec la tempête de neige, la situation est tendue. Finalement, ils se retrouvent allant plein ouest sur la Transcanadienne. Au niveau de Sussex, à mi-chemin entre Moncton et Saint-John, Michelle déclare qu'elle doit faire le plein et s'arrête au Four Corners Irving Gas Station and Convenience. Légère va alors de nouveau cacher sa carabine dans un sac et prend les clés pour aller payer. Mais ce qu'il ignore, c'est que Michelle Mercer a un double. La décision est vite prise : « Nous laissera-t-il nous en aller ? demande Ron
— Non, répond Michelle.
— Alors nous n'avons rien à perdre ! ».
Michelle Mercer démarre en trombe et, suivant les indications de Ron Gomke, elle parvient au QG local de la GRC où elle donne l'alerte. Il est pourtant trop tard. Légère a de nouveau mis les voiles sans faire de vague, et les policiers armés jusqu'aux dents ne trouveront qu'un pompiste plongé dans ses factures. En fait, Légère a détourné un camion et fonce vers Moncton en compagnie d'un nouvel otage.
Brian Golding, le conducteur du camion détourné, a vu Michelle Mercer et Ron Gomke s'enfuir. Il a aperçu l'homme qui sortait en trombe mais il ne l'a pas reconnu. « Au début, je n'ai pas cru que c'était lui, dira-t-il par la suite. Il ne ressemblait pas aux photos diffusées par les journaux ».
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Allan Légère fut arrêté au terme d'une poursuite épique sur les routes enneigée du Nouveau-Brunswick.

Golding va alors avoir une excellente idée. Comme la conduite sur la route enneigée est délicate, il propose à Légère de décrocher la remorque pour aller plus vite. Légère accepte, mais il commet deux erreurs. Cela revient en effet à signaler ouvertement que le camion a un problème puisque Golding, qui travaille pour la Day & Ross Inc. Truck, est connu dans la région. Ensuite, il lui ordonne de quitter la route 126 pour s'engager sur la 118 le long de la rivière Miramichi, une route inhabituelle pour Golding. Ils croisent ainsi un autre conducteur qui donne immédiatement l'alerte en utilisant sa CB. Légère n'ira pas beaucoup plus loin…
Pris en chasse par une voiture de la GRC, Légère va obliger le conducteur à poursuivre sa route pendant une demi-heure. En attendant une occasion favorable, les policiers ne tentent rien, soucieux de préserver la vie de l'otage, car il devient vite évident que la partie est perdue pour le criminel. A un barrage, Légère laisse Golding se garer sur le bas-côté et celui-ci saute immédiatement à bas du camion en criant : « C'est lui ! C'est lui ! Il est armé !».
Les policiers vont faire descendre Allan Légère sans trop de douceur, le blessant légèrement au visage. Trente minutes plus tard, Il se retrouve enfermé sous bonne garde au quartier général de la GRC à Newcastle. Il sera ensuite transféré à la prison du compté de York, et placé sous surveillance maximale. Suivi par deux caméras 24 heures sur 24, il est totalement isolé des autres détenus. Il inspire tant d'inquiétude que la porte de sa cellule n'est ouverte qu'en présence de deux policiers municipaux, deux agents des services correctionnels et deux ou trois constables de la GRC. Il ne tentera pourtant rien. Allan Légère est arrivé au bout de sa route, laissant une région entière à la fois soulagée et profondément marquée.
Le premier procès d'Allan Légère va s'ouvrir le 12 août 1990 à Moncton où il est jugé pour évasion et prise d'otage. Il plaide non coupable aux deux accusations, ce qui n'empêche pas le jury d'émettre un verdict contraire après six heures de délibération. Le juge le condamne à neuf ans de prison dès le lendemain.
Le procès préliminaire dans lequel Légère est accusé de viol et d'homicide met en cause de nombreux témoins (environs deux cents) ainsi que des preuves plus complexes à exploiter. Les résultats des analyses ADN sont formelles : non seulement c'est le même homme qui a violé les sœurs Flam et les sœurs Daughney, mais c'est aussi lui qui a tué ces dernière ainsi qu'Annie Flam. Bien entendu, les avocats tentent de faire invalider ces éléments puisque les références ADN de Légère ont été recueillies sans son consentement. En effet, dans un cas, les agents de la GRC ont récupéré un mouchoir taché de sang que le tueur avait utilisé pour s'essuyer après son arrestation mouvementée. A une autre occasion, ils lui avaient arraché quelques cheveux pour effectuer les tests. Le juge David Dickson va rejeter la demande, autorisant pour la première fois au Canada l'utilisation des tests ADN dans une affaire criminelle. Il reconnaît cependant que les preuves ont été obtenues "illégalement". Pour protester contre ce qu'il considère comme un procès "biaisé", Légère annonce qu'il va entamer une grève de la faim. Il réussit néanmoins à faire interdire le livre de Rick McLean et André Veniot "Terror, Murder and Panic in New-Brunswick". Ces auteurs réitèreront cependant avec un second livre : "Terror's End" qui sera publié.
Le 26 août 1991, le véritable procès peut enfin s'ouvrir à l'Oromocto High School transformée en tribunal pour l'occasion. Légère, qui a déjà congédié un avocat, est défendu par Maître Weldon Furlotte. L'audience est ouverte dans un climat électrique et le choix du jury est un dilemme : ont-ils écouté les informations, lu les livres, subi des pressions de la part de parents ou d'amis ? Pas moins de cent cinquante jurés potentiels sont auditionnés. Finalement, juge et défense se mettent d'accord sur un jury populaire composé de 6 femmes et de 6 hommes, tous d'âges compris entre 30 et 60 ans.
La première utilisation de l'empreinte ADN au Canada, présentée par le procureur Jack Walsh, va se heurter à un problème de taille. En effet, comme beaucoup de régions relativement isolées, la vallée de la Miramichi a longtemps vécu en quasi-autarcie, tant pour ses ressources que pour l'accroissement de sa population. Comme cela a été le cas pour la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean au Québec, la forte consanguinité a conduit à un appauvrissement du "réservoir génétique" pouvant conduire à de faux positifs lors des tests ADN. Comme il n'est pas question de comparer tout l'ADN d'un suspect avec celui récolté sur la scène de crime, l'analyse s'effectue sur des segments précis et connus pour différer d'un individu à l'autre, sauf en cas de consanguinité… Cette ambiguïté va être largement exploitée par la défense qui prétendra qu'un biais dans la méthode d'analyse désigne Légère comme seul coupable, d'autant plus qu'au moment du procès, la technique est en pleine évolution et qu'on n'a pas encore de recul suffisant concernant son extrème fiabilité.
L'argument ne va pas tenir face à une accusation qui présente 243 témoins et de nombreuses autres preuves. Les jurés ne mettent que quelques minutes à délibérer. Allan Légère est déclaré coupable et condamné à la prison à vie. Compte tenu de sa dangerosité, il purgera sa peine dans une institution de sécurité maximale à Sainte-Anne-des-Plaines au Québec et, lors du verdict, le juge ne lui laissera guère d'espoir quant à une libération anticipée : « Il n'est pas dans mes habitudes de commenter un jugement, précise le juge Dickson, mais à votre place, je ne me ferais pas trop d'illusions…».
Légère s'estime cependant toujours victime du système, prétendant avoir été perverti par la prison, alors même qu'il n'était pas directement responsable de la mort de l'épicier John Glendenning. Il est vrai que lors du procès qui voyait comparaître Légère aux côtés de ses deux jeunes complices Matchett et Curtis, il avait déjà clamé son innocence. Agé de 17 ans au moment des faits, Tony Matchett a toujours endossé le crime, admettant que Légère n'avait pas tué Glendenning. Récemment libéré après 20 ans de détention, Matchett continue cependant de prétendre que celui qui allait devenir le "Monstre de la Miramichi" avait inspiré ses actes. Il est vrai qu'à 38 ans, Allan Joseph Légère avait un passé criminel conséquent, alors même que ses comparses étaient des délinquants mineurs. Pourtant, il n'avait pas encore tué. Aurait-il versé de la grande délinquance dans le crime sadique si la justice avait été moins sévère ? C'est probable. D'abord parce que l'agression du commerçant et de son épouse en 1986 ressemble trait pour trait aux attaques qu'il portera plus tard : violence extrême, torture, viol… La conduite de Légère tient plus du comportement d'un psychopathe que d'un simple détenu en cavale qui cherche à survivre et à se faire oublier. Compte tenu de ses facultés à se dérober aux recherches policières, il aurait pu disparaître et ne plus jamais faire parler de lui. Il s'est au contraire retranché dans une région qu'il connaît bien, la prenant littéralement en otage et semant la terreur et la mort partout où il passait. En cela, Légère tient plus du spree killer que du serial killer qui joue sur la discrétion et le long terme, mais c'est sans doute une question de circonstances et ce cas précis montre combien la limite peut être floue entre ces deux catégories de tueurs.
Légère ne devrait plus faire parler de lui désormais, sinon à propos d'un éventuel transfert pour une autre prison à sécurité moindre, une bien mauvaise idée qui a soulevé un mouvement de protestation médiatique et populaire en juin 2000. Depuis, Allan légère continue de vivre au rythme de la SHU de Sainte-Anne-des-Plaines, la seule Special Handling Unit au Canada, aux côtés de Paul Bernardo et de Clifford Olson, les deux célèbres tueurs en série. La SHU, une boîte de Pandore qu'il ne faudra jamais ouvrir.


David William Shearing : un irrépressible besoin de tuer

David-William-Shearing.jpgDavid William Shearing massacra les 4 membres d'une même famille en 1982 en Colombie-Britannique afin de torturer sexuellement les 2 petites filles qui les accompagnaient, avant de les assassiner, portant à 6 le nombre des victimes. Sa possible libération après  plus de 25 années de détention souleva un tollé général en juin 2008 (© The Vancouver Province).

L'histoire de David William Shearing, spree killer par excellence et sadique sexuel d'une rare cruauté, est d'abord celle d'une famille canadienne qui a vu disparaître trois générations, grands parents, parents et enfants, sauvagement assassinés alors qu'il partageaient un même amour de la nature et une passion commune pour le camping.
Bob Johnson n'avait jamais manqué un seul jour de travail, aussi, lorsqu'il ne se présenta pas à son poste à la mi-août 1982, après deux semaines de vacances, son employeur s'alarma et prévint la police. Bob, son épouse Jackie, et leurs deux filles, Janet 13 ans et Karen 11 ans, avaient quitté leur domicile de Kelowna en Colombie-Britannique pour le Wells Gray Park, l'un des parcs naturels les plus populaires de la province situé à 75 kilomètres au nord de Kamloops. Ils devaient y retrouver les parents de Jackie, George et Edith Bentley, des retraités alertes et passionnés de camping. Ceux-ci avaient récemment acheté un Ford Camper Special modèle 81 ainsi qu'un petit bateau en aluminium. Les enquêteurs s'alarmèrent d'autant plus que les Bentley n'avaient pas non plus réapparu à Port-Coquitlam, ce qui laissait craindre le pire. Malgré les recherches menées dans le parc, nul ne trouva trace de la famille de six personnes.
Le 13 septembre 1982, un promeneur, qui cueillait des champignons dans la région de Clearwater, prévint la police, prétendant qu'il avait trouvé un véhicule incendié ressemblant à la Plymouth 79 de Bob Johnson. Un groupe de policiers de la GRC dirigé par le sergent Michael Eastham se rendit immédiatement sur place. A l'intérieur, ils découvrirent les restes carbonisés de quatre adultes qui avaient été visiblement tués par balle, probablement du calibre .22. L'ouverture du coffre arrière révéla que les deux filles du couple Johnson, Janet et Karen, avaient subi un sort similaire. Il ne restait pratiquement rien des petits corps tant l'incendie avait été violent, et il était évident que pour parvenir à ce degré de carbonisation, l'assassin avait utilisé un accélérateur de feu. Restait à trouver le second véhicule. Malgré des recherches de grande ampleur menées aussi bien à terre que depuis les airs, le Ford Camper Special demeura introuvable. En revanche, les policiers localisèrent le site de la tragédie où l'on retrouva des bouteilles de bière de la marque que buvait Bob Johnson, des piques ayant servi à griller des Marshmallows, ainsi que des douilles de calibre .22.
Afin d'attirer l'attention du public sur l'affaire et d'inciter d'éventuels témoins à se faire connaître, la GRC se procura un Ford Camper Special identique à celui des Bentley, allant jusqu'à le surmonter d'un bateau en aluminium. Environ 1300 personnes prétendirent avoir vu le camping-car et, à tort, la police suivit un moment la piste d'un Camper conduit par deux hommes parlant français qui s'en retournaient probablement au Québec. En fait, en dehors d'avoir sensibilisé le public qui fournit un total de 13.000 témoignages inutiles, l'opération fut un échec. Il fallut attendre plus d'un an après le drame pour que deux gardes forestiers découvrent les restes du camping-car, lui aussi brûlé et dissimulé dans le massif de Trophy Mountain, à 20 kilomètres de la scène de crime et à environ 30 kilomètres de la zone où on avait retrouvé la voiture de Bob Johnson. La police supposa que le tueur était un homme de la région puisque ce chemin reculé était peu connu des touristes, car peu accessible.
Reprenant la totalité des renseignements fournis, les enquêteurs commencèrent à s'intéresser à un certain David Shearing, 23 ans, qui avait été cité par un témoin. A vrai dire, Shearing n'était pas un inconnu des services de police : il était fiché pour agression, conduite en état d'ivresse, détention de drogue, homicide involontaire au cours d'un accident de la circulation avec délit de fuite… Issu d'une famille respectable, pourtant éduqué et détenteur d'un diplôme de mécanique automobile, David Shearing était le mouton noir, l'enfant dégénéré qui comptait un père gardien de prison (alors  décédé) et un frère policier. Interrogé par le sergent Eastham, David Shearing finit par craquer et avoua avoir violé à répétition les petites filles après avoir abattu les adultes. Il leur avait fait subir des sévices sexuels pendant deux jours et avait fini par les achever avant de les placer dans la Plymouth et d'y mettre le feu. Il était ensuite tout bonnement rentré chez lui avant de revenir le lendemain pour chercher le Camper. Il avait incendié le camping-car, non sans en avoir retiré les objets de valeur qui furent plus tard retrouvés dans la ferme de ses parents où il vivait.
Le 16 avril 1984, David Shearing plaida coupable pour les six accusations de meurtre. Le lendemain, il fut condamné à six peine concurrentes de prison à vie avec une peine de sûreté de 25 ans. Interrogé par le journaliste Max Haines, le sergent Eastham déclara que s'il était remis en liberté, cela ne faisait aucun doute que Shearing tuerait de nouveau : « Il n'a jamais montré le moindre signe de remords… ». Spree killer par les circonstances, Shearing présente cependant une personnalité psychopathique et non psychotique. Les composantes sexuelles et sadiques de ses motivations sont manifestes. S'il en avait eu l'occasion, il aurait probablement recommencé.
Maintenant retraité, la sergent Eastham a raconté l'affaire avec force détails dans un livre intitulé "The Seventh Shadow", pour éviter que les gens oublient qu'une telle tragédie peut se reproduire. Comme il l'écrit en introduction, "C'est l'histoire de vacances d'été en famille qui ont tourné au cauchemar dans la nature sauvage du Canada". Mais sauvage, la nature inhumaine de David William Shearing l'était bien plus encore et malheureusement, il n'était pas un cas unique…


Dale Merle Nelson : la folie à l'état pur


Le 5 septembre 1970 à 0 heure 30, le détachement de la GRC à Creston (Colombie-Britannique), reçoit un appel affolé Maureen McKay : son beau-frère, Dale Merle Nelson a agressé sa tante et s'est isolé avec deux des filles de celle-ci, une autre ayant réussi à s'enfuir. Elle précise aussi que la belle-mère de Dale, Iris Herrick, Annette la femme de Dale et ses trois jeunes enfants, vivent à proximité. Deux constables se rendent sur place en urgence. S'ils connaissaient Dale Merle Nelson, ils se hateraient davantage. En effet, ce bûcheron souffrant d'impuissance noie ses complexes dans l'alcool et la violence. Lorsqu'il ne s'ennivre pas, il chasse, et il est même connu pour avoir la gachette facile et le coup de carabine précis. Il supporte mal la séparation avec sa femme et a même tenté de se suicider quelques mois auparavant, mais cette nuit-là, ce n'est pas contre lui-même qu'il va déchaîner sa violence.
Une première voiture de police va croiser la route de Frank Chauleur, Maureen Mckay et sa fille de 4 ans, qui escortent à l'hôpital Debbie Wasyk, la jeune fille qui a réussi à s'échapper. Sur place, les policiers découvrent Sharlene Wasyk, 8 ans, terrorisée mais saine et sauve. En revanche, la maison est la scène d'un horrible carnage : Shirley Wasyk, la tante de Maureen McKay, gît inerte sur son lit, le crâne fracassé à coups d'extincteur. Dans une seconde chambre, les constables découvrent le corps sans vie de Tracey, le visage profondemment entaillé, éventrée comme une pièce de gibier qu'on aurait pas pris le temps de vider. Il est évident que l'homme qui a commis de tels crimes n'a plus toute sa raison. En nombre insuffisant, les policiers décident alors de mettre à l'abri les témoins qui les ont accompagnés car la voiture de Dale Nelson est demeurée sur place et l'homme ne peut être loin. Lorsqu'ils reviennent, la Chevrolet bleue du tueur a disparu et bien pire encore, le corps de Tracey a été enlevé !
Un peu avant 1 heure du matin, le centre de secours de Creston reçoit l'appel angoissé d'une femme du nom d'Isabelle St. Amand qui affirme qu'un homme armé s'est introduit chez elle. La conversation sera stoppée net et tous les efforts pour rétablir la communication seront sans effet. Les policiers de la GRC se rendent immédiatement sur les lieux du drame qu'ils pressentent, d'autant plus qu'Isabelle St. Amand habite non loin des Wasyk… Ils vont trouver, un à un, les corps de chacun des occupants de la demeure : Raymond Phipps, sa femme Isabelle St. Amand, et leur trois garçons, Paul, Bryan et Roy, tous tués d'une balle dans la tête. Cathy, 8 ans, est portée disparue. La police va alors entreprendre une vaste battue pour tenter de retrouver la petite fille.
A 15 heures 30, la police retrouve enfin la Chevrolet embourbée. A l'intérieur, pas de traces de l'enfant mais la découverte de taches de sang et d'un marteau ensanglanté font craindre le pire. Poussant plus loin leur reconnaissance, les enquêteurs découvrent avec horreur le bras puis la jambe et la tête de Tracey, et un peu plus loin, les restes de son corps démembré.
Dale Merle Nelson ne sera finalement localisé et arrêté que le lendemain. Pressé de questions, il admettra avoir froidement exécuté Cathy St. Amand. Les policiers constateront également que non content d'avoir mis en pièces le cadavre de Tracey Wasyk, il a consommé une partie du contenu de son estomac !
Le procès de Dale Merle Nelson va s'ouvrir le 22 mars 1971. Il ne durera pas très longtemps puisque Nelson sera condamné à la prison à vie. Ce sera cependant un étalage d'ignominies. Ainsi, on apprend que Nelson a forcé Sharlene Wasyk à lui faire un cunnilingus. Du cadavre mutilé de TraceyWasyk , il a retiré les organes génitaux et nul ne saura ce qu'il en a fait. Enfin, comble de l'horreur, le médecin légiste annoncera que Cathy St. Amand a été sodomisée et ce, probablement alors qu'elle était à l'agonie…
Dale Merle Nelson passera 28 ans derrière les barreaux avant de décéder en 1999 à l'âge de 59 ans.
Les motivations des tueurs de masse sont souvent bien différentes de celles des tueurs compulsifs : mis à part Victor Ernest Hoffman, un schizophrène qui tua neuf personnes en croyant abattre des cochons, la plupart d'entre eux réagissent à une situation, réelle ou imaginaire, qui les pousse à recourir à une violence démesurée. Ce fut ainsi le cas pour Leonard Hogue, Marc Lépine, Valery Fabrikant, Mark Chahal et Pierre Lebrun. Parfois, le meurtre a un motif crapuleux : seule la démesure de la tuerie vaut alors  à son auteur le terme de tueur de masse. Ce fut par exemple le cas de l'affaire Guay qui traumatisa le Canada de l'après-guerre en inaugurant une nouvelle et sinistre tendance criminelle.


Le crime de Joseph Albert Guay

Joseph-Albert-Guay.jpgPremier tueur de masse de l'histoire canadienne, Joseph-Albert Guay n'hésita pas à faire sauter en plein vol un DC-3 et ses 23 passagers et membres d'équipage en septembre 1949 pour éliminer Rita Morel, sa femme, qui venait de contracter une assurance vie de 10.000 dollars. Pire tueur de masse de tout le continent américain, il fut condamné à mort et exécuté en 1951 (© mysteriesofcanada.com).

Rien ne prédisposait Joseph-Albert Guay à devenir un tueur de masse. Tout d'abord vendeur ambulant de montres et de bijoux, il se distingua par ses talents commerciaux et, après la seconde guerre mondiale durant laquelle il épousa Rita Morel, il ouvrit une bijouterie à Québec. Le ménage battit rapidement de l'aile et Guay, toujours à l'affût de nouvelles conquêtes, commença de négliger son commerce. Il séduisit  Marie-Ange Robitaille, une jeune femme de 19 ans qu'il se mit à entretenir, lui offrant un appartement et une bague de fiançailles. En effet, Guay profitait pleinement de la crédulité de sa conquête, se présentant à elle sous le nom de Roger Angers, célibataire. Ayant découvert la tromperie, sa femme Rita confronta les deux tourtereaux : Marie-Ange rompit immédiatement au grand dam de Joseph-Albert. Guay imagina alors un stratagème pour se débarrasser de sa femme et résoudre, dans le même temps, ses problèmes de trésorerie.
A la fin des années quarante, le bijoutier utilisait fréquemment l'avion pour transporter de la marchandise, aussi n'eut-il aucune peine à convaincre son épouse de faire de même en transportant jusqu'à Baie-Comeau un colis qui était censé contenir des bijoux. En fait, Guay avait demandé à son employé, Généreux Ruest, de confectionner une bombe à retardement destinée à exploser en vol. Celle-ci comprenait de la dynamite, une batterie, ainsi qu'une horloge qui était programmée pour se déclencher au-dessus du Saint-Laurent. La propre sœur de Ruest, Marguerite Pitre, qui travaillait également à la bijouterie, porta le colis piégé à l'enregistrement de la Canadian-Pacific. Le 9 septembre 1949, Joseph-Albert Guay accompagna  Rita à l'aéroport de Québec où il souscrivit une assurance-vie de 10.000 dollars à son nom, une précaution que l'on prenait fréquemment à l'époque. Après 41 minutes de vol, l'avion explosa et s'écrasa dans la forêt près de Sault-au-Cochon, dans le Charlevoix, au confluent de la rivière Saint-François et du fleuve Saint-Laurent, tuant les dix-neuf passagers et les quatre membres d'équipage.

avion-guay.jpgRestes du DC-3 après le crash qui couta la vie 23 passagers et membres d'équipage (© mysteriesofcanada.com).

Le DC-3, totalement disloqué, ne permettait guère de déceler les causes de la tragédie qui semblait alors résulter d'un simple incident de vol. Guay, que rien ne venait accuser, pouvait donc se réjouir à juste titre puisqu'il touchait une jolie somme pour la mort de son épouse . C'était sans compter sur la défaillance de Marguerite Pitre qui tenta de se suicider dix jours plus tard. Transportée à l'hôpital, elle confessa son crime, incriminant son propre frère et son commanditaire, mais prétendant qu'en tant qu'exécutants, ils n'étaient pas au courant des projets criminels de leur patron.

marguerite-pitre.jpgMarguerite Pitre fut l'une des deux complice de Joseph-Albert Guay. Elle fit enregistrer le colis contenant la bombe qui disloqua le DC-3. Bien que sa culpabilité ne soit pas tout à fait certaine, elle ne bénéficia pas de la clémence du juge et fut la dernière femme exécutée au Canada (© mysteriesofcanada.com).

Guay fut arrêté deux semaines après le crash et jugé en février 1950. Il accusa formellement ses complices qui furent arrêtés à leur tour. Une polémique suivit l'inculpation pour meurtre au premier degré dont Marguerite Pitre faisait l'objet, car rien ne prouvait qu'elle savait ce que contenait le colis. Incriminer ses employés ne sauva pas Guay de la peine capitale. Condamné à mort, il fut exécuté le 12 janvier 1951 sans avoir exprimé le moindre remords. Ses dernières paroles furent : « Au moins, je meurs célèbre ! ». Bien qu'atteint de tuberculose osseuse, Généreux Ruest le suivit dix-huit mois plus tard, mené à la potence en chaise roulante. Malgré le doute, Marguerite Pitre subit le même sort et fut la dernière femme à être exécutée au Canada.
Pire meurtre de masse à l'époque des faits, l'affaire Guay ne fut pas oubliée puisqu'elle fut le sujet d'une nouvelle de pure fiction écrite en 1982 par Roger Lemelin, un voisin et ami du criminel, qui produisit une version quelque peu différente de l'histoire. Celle-ci fut portée à l'écran deux ans plus tard par Denys Arcand sous le titre "Le crime d'Ovide Plouffe". La version non fictive fut également relatée par Dollard Dansereau dans le livre "Les causes célèbres du Québec".
Sans être un tueur psychotique ou un psychopathe, Joseph Albert Guay se singularise par son mépris profond de la vie humaine, que ce soit pour ses victimes ou pour ses complices (étaient-ils pleinement conscient de ce qu'ils allaient faire ?) et en celà, il mérite tout à fait son titre. D'autres, depuis, se sont révélés sous la lumière crue des projecteurs…


Marc Lépine : un loup parmi les chiens

p71-0652-1.jpgL'école Polytechnique de Montréal, la plus importante école d'ingénieurs du Canada, accueille 5000 étudiants à proximité du campus de l'Université de Montréal. Le 6 décembre 1989, le dernier jour de la session d'automne, avaient lieu des exposés et des soutenances (© Archives Nationales du Québec).

L'école polytechnique de Montréal, située sur la face nord du Mont-Royal, est un vaste immeuble de briques jaunes à l'aspect impressionnant. C'est la plus grande école d'ingénieurs au Canada, où environ cinq mille étudiants suivent les cours dans des domaines multiples.
Le 6 décembre 1989, il fait froid et un méchant grésil cingle la façade. En salle C-230, tout est calme, et sur le coup des 5 heures, les cours sont sur le point de s'achever. Nul ne prête attention à ce jeune homme à casquette blanche qui a gardé son parka et traîne avec lui un sac de plastique vert. Anxieux, agité, il pourrait ressembler à n'importe quel étudiant, s'il n'avait ce regard fuyant et cette expression menaçante. En ce dernier jour de la session d'automne, tout le monde est à cran alors que s'achève une journée de présentations orales faites par les étudiants. Habitués aux retards de l'assistance, les professeurs Bouchard et Cernéa ne prêtent pas attention au nouveau venu qui s'écrie soudain : « Tout le monde s'arrête ! ». Après un moment de surprise, des petits rires fusent dans l'assistance, mais le jeune homme ne semble pas plaisanter. Il ordonne aux femmes de se regrouper et aux hommes de quitter la salle. Pour montrer qu'il ne s'agit pas d'une farce, il sort du sac en plastique une carabine semi-automatique équipée d'un chargeur de trente coups, et tire à deux reprises vers le plafond. Il est 17 heures 10. La peur s'installe et chasse la plupart des mâles qui déguerpissent en moins de quatre-vingt-dix secondes tandis que les étudiantes se regroupent dans un coin, terrorisées. Certains hommes, dont les deux professeurs, restent sur place, indécis, avant de se résoudre à battre en retraite. L'individu s'adresse aux femmes restées dans la salle : « Vous êtes une bande de féministes ! Je hais les féministes ! ». Aux hommes qui se retirent, il explique : « Je combats le féminisme ». Courageusement, une étudiante du nom de Nathalie Provost lui rétorque que toutes les femmes ne sont pas nécessairement des féministes, mais la remarque le met en rage. Froidement, méthodiquement, il commence à tirer de gauche à droite sur les malheureuses étudiantes qui cherchent à se mettre à l'abri et hurlent de peur et de douleur. Toutes sont touchées sauf une. Au total, plus de vingt coups seront tirés. Nathalie Provost ne reçoit pas moins de trois balles, mais elle survivra.
A l'extérieur, les étudiants tentent de trouver un responsable, mais à cette heure, le personnel d'encadrement a fini sa journée. Tandis que les autres essayent de déclencher une alarme, le tueur sort de la pièce C-230. Il est 17 heures 12. L'homme les menace de son arme et passe devant eux avant de continuer sa route. Nul ne s'interpose ; nul ne tente de le maîtriser. Au passage, il avise trois étudiants, dont deux femmes acculées dans une salle de photocopie, et leur tire dessus. Refluant vers la salle C-228, il découvre une étudiante et tente de l'abattre, mais son chargeur est vide. Après avoir rechargé l'arme, il veut retrouver la malheureuse. Celle-ci s'est retranchée dans la pièce dont elle a verrouillé la porte. La présence d'esprit de Michelle Richard vient de lui sauver la vie. Le tireur continue alors son chemin à la recherche de proies plus faciles : il tire à deux reprises, sur une étudiante qui tentait de se cacher, et à travers une porte où se profilait la silhouette d'une autre femme, les tuant toutes les deux.
Les hommes restés à l'extérieur de la salle C-230 vont enfin se risquer à l'intérieur : ils y découvrent neuf femmes à terre dont six sont déjà mortes. Un étudiant donne enfin l'alerte et les ambulances arrivent avec une rapidité déconcertante. Pourtant, les infirmiers ne s'aventurent pas dans le bâtiment, attendant l'intervention de la police. Pendant ce temps, le tueur a déjà atteint la cafétéria décorée de "ballounes", des baudruches rouges et blanches. Il tire immédiatement sur une jeune femme qui fait la queue aux caisses et abat deux autres femmes qui sont restées attablées. Les premiers coups de feu ont été tirés il y a seulement dix minutes, et l'alerte n'a pas été donnée dans l'ensemble de l'école. Une centaine d'étudiants prennent alors leur souper dans la cafétéria qui propose gratuitement du vin pour fêter le dernier jour de la session.

data.over-blog.com/2/86/92/52/blog/PG-2-victim-taken-to-ambula.jpg" class="DrteTexte" height="225" width="300" alt="PG-2-victim-taken-to-ambula.jpg" />La police va mettre beaucoup de temps à investir les locaux de l'école polytechnique pour mettre fin au carnage et les secours seront fortement retardés.

 A l'extérieur du bâtiment, les premiers policiers sont enfin en position mais, plutôt que de se ruer à l'intérieur de l'établissement, ils bloquent les issues sans imaginer que certaines classes n'ont même pas interrompu leurs cours. C'est le cas en salle B-311 où deux étudiants et une étudiante font un exposé devant un groupe d'une vingtaine de personnes et deux professeurs. Maryse Leclair, une étudiante de dernière année, est la propre fille du directeur des communications de la police de Montréal. Elle ignore que son père est en route pour lui porter secours, et lui-même ne sait pas encore qu'il arrivera trop tard. Maryse est tirée à bout portant. La panique qui s'en suit est indescriptible. L'homme tire au jugé mais avec une grande maîtrise, jusqu'à vider son chargeur sur les étudiantes qui tentent de fuir ou de se cacher. Se rendant compte que Maryse Leclair est encore vivante, il revient sur ses pas, s'empare du couteau de chasse qu'il dissimulait sous son chandail, et le plonge dans le cœur de la malheureuse. Dans la salle, un silence de mort succède aux cris et aux gémissements jusqu'à ce que retentisse une alarme d'incendie. Le tireur fou jure et s'arrête alors, retournant l'arme contre lui. Il se tire une décharge sous le menton, projetant des bouts d'os et de cervelle dans toute la pièce qui empeste la cordite, le métal surchauffé et le sang. A côté du corps sans vie de l'assassin gisent un blessé léger et trois autres victimes innocentes dont une, la quatorzième, vient de décéder. Il est 17 heures 25 et tout est terminé.

tuerie-polytechnique.jpgA 17 heures 10, les premiers coups de feu éclatèrent en salle C-230. Les secours arrivèrent 25 minutes après le début du massacre. Il était déjà trop tard pour treize étudiantes et une secrétaire (Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, Barbara Klucznik Widajewicz). La tragédie souleva la question du contrôle des armes au Canada. Les conditions d'acquisition des armes et d'achat des munitions furent durcies en 1995 et la nouvelle loi prit effet le 6 décembre de la même année.

A l'enfer succède une période de grande confusion. A l'extérieur, les renforts de police ne cessent d'affluer et le bruit court que le tueur s'est suicidé. Enfin, à 17 heures 36, les policiers investissent le bâtiment. Sylvain Brouillette, un agent pas beaucoup plus vieux que la plupart des victimes, découvre dans les premiers toute l'horreur du massacre. Le pire sans doute est que le père de Maryse Leclair découvre lui-même le cadavre de son enfant, ne pouvant ainsi ignorer la manière ignoble dont elle a été achevée. Au total, quatorze femmes ont été tuées, et on ne dénombre pas moins de treize blessés des deux sexes. En fait, seules les femmes étaient visées mais, lorsqu'elles se trouvaient en compagnie d'une homme, celui-ci était également pris pour cible. Tous les témoignages concordent pour dire que le tireur fou avait une excellente maîtrise de son arme et pouvait, à volonté, blesser ou tuer.  Visiblement, l'assassin tuait essentiellement les femmes.
Très vite, la police apprend que le forcené se nomme Marc Lépine et qu'il a agi seul pour des motifs anti-féministes. Né d'un père algérien et d'une mère québécoise sous le nom de Gamil Gharbi le 26 octobre 1964, Marc Lépine a connu une enfance difficile. Battu par son père, il se retrouve seul avec sa mère, Monique Lépine, dont il prendra le patronyme, rejetant le nom de famille paternel. Curieusement pourtant, Marc Lépine adopte le point de vue de son père qui estime que les femmes sont des êtres de seconde classe qui ne devraient pas sortir de leur rôle. Bien entendu, cette opinion est pour le moins impopulaire dans le Québec de la fin des années 80 encore marqué par la domination de la religion et du pouvoir paternel, et fortement imprégné par la vague révolutionnaire et féministe qui s'y opposa à la fin de la décennie précédente. En grandissant, le jeune homme va alors se persuader que toute femme indépendante est une concurrente qui lui fait obstacle et, peu à peu, il commence à considérer les étudiantes comme de véritables ennemies. Vivant en reclus, sans ami, ses relations féminines tournent court lorsqu'il se dévoile. Passionné par les ordinateurs, les armes et la vie militaire, il va d'échec en échec, de cours de programmation en tentatives ratées pour intégrer l'armée canadienne. A 25 ans, Marc Lépine a accumulé les frustrations en tout genre qui, à son sens,  trouvent toutes leur source dans la position de plus en plus dominante des femmes. Paranoïaque, Lépine commence alors à développer ce que les psychiatres nomment une "réaction catathymique" : la charge émotionnelle grandissante, faite de colère et de frustration, pousse peu à peu à une réaction violente, souvent extrême.
Les motivations de Marc Lépine, telles que nous les connaissons, ne sont pas de simples supputations : il a volontairement laissé une lettre dans son manteau, message posthume dans lequel il explique les raisons de ses actes :

Excusez les fautes. J’avais 15 minutes pour l’écrire
Veillez noter que si je me suicide aujourd’hui 89/12/06 ce n’est pas pour des raisons économiques (car j’ai attendu d’avoir épuisé tous mes moyens financiers refusant même de l’emploi) mais bien pour des raisons politiques. Car j’ai décidé d’envoyer Ad Patres les féministes qui m’ont toujours gaché la vie. Depuis 7 ans que la vie ne m’apporte plus de joie et étant totalement blasé, j’ai décidé de mettre des bâtons dans les roues à ces viragos…
[Lire le texte intégral]

Ce massacre, longuement préparé, n'avait pas d'autre issue que le suicide de son auteur. Depuis quelque temps déjà, Lépine ne se donnait plus la peine de chercher un emploi. Il avait acheté la carabine et les munitions deux semaines auparavant, dépensant ainsi un total de 750 dollars qui épuisaient ses économies. Il savait alors que de toute façon, il n'en aurait plus besoin. Le plus révélateur sans doute est que ce lent et irrémédiable glissement vers la violence aveugle s'est fait sans qu'aucune des personnes qui le connaissaient ne s'en aperçoivent. Sa mère déclara par la suite qu'il ne semblait pas plus anxieux ou désespéré qu'à l'habitude. Profondément frustré par une évolution sociale sur laquelle il n'avait aucune influence, il a rejeté ses échecs sur les féministes et les femmes en général, ne dissociant pas les unes des autres. La réaction catathymique n'a été que l'aboutissement d'un long processus d'autodestruction mentale qui a fini par s'extérioriser dans une explosion de violence.
Les tenants et les aboutissants du massacre de l'école polytechnique ont profondément marqué la société canadienne en général, et les Québécois en particulier. Dans un premier temps, nombreux sont ceux qui se sont insurgés contre la vente libre d'armes et de munitions, même s'il ne s'agit pas d'armes automatiques (c'est-à-dire permettant de tirer en rafales). Les carabines semi-automatiques peuvent en effet tirer plus rapidement que les armes dites "manuelles" puisqu'on a pas à approvisioner avant chaque nouveau tir. La réaction du gouvernement a été rapide mais limitée. Les armes semi-automatiques sont toujours en libre circulation au Canada, mais il faut désormais présenter des papiers d'identité pour les acquérir et acheter des munitions. Un fichier central regroupe l'ensemble des détenteurs d'armes. On peut cependant se demander si cette mesure pourrait avoir un réel effet préventif sur un nouveau  "6 décembre". En effet, Marc Lépine était majeur et inconnu de la police. Il ne présentait aucun signe apparent de démence. Il pouvait donc se procurer une arme tout à fait légalement et sans que quiconque ait à s'en inquiéter.

03fe.fabrikant.jpgValéry Fabrikant, un professeur d'origine russe au comportement paranoïaque, abattit quatre de ses collègues de l'université Concordia de Montréal en 1992 (© Radio Canada).


Un peu plus de deux ans après les faits, un professeur de génie mécanique du nom de Valery Fabrikant fit irruption dans les locaux de l'université Concordia à Montréal, arme à la main, et ouvrit le feu sur plusieurs de ses collègues. Il tua sur le coup Matthew McCartney Douglass, professeur en génie civil, Michael Gorden Hogben, professeur de chimie, et Aaron Jaan Saber, professeur en génie mécanique, et blessa Elizabeth Horwood, une secrétaire. Le titulaire de la chaire de génie électrique et informatique, Phoivos Ziogas, succombera également à ses blessures un mois plus tard.

Denis-Lortie.jpgDenis Lortie, caporal de l'armée canadienne, tua 3 personnes à l'assemblée nationale du Québec en 1984 (© canadian Press).

D'autres meurtres de masse avaient cependant déjà prouvé que ce type de phénomène est difficilement prévisible : ainsi, en 1975, Michael Slobodian âgé de 16 ans, fit irruption dans son école à Brampton, Ontario, et fit feu, abattant un professeur et un élève, et blessant treize autres jeunes avant de se donner la mort. En 1984, un militaire exalté, nommé Denis Lortie, fit même irruption à l'Assemblée Nationale du Québec et tua trois personnes avec un pistolet-mitrailleur.
Mais l'affaire de l'école polytechnique ne se limite pas à la question de l'achat et de la détention d'armes. Quelles que soient les mesures adoptées, un individu décidé peut se procurer une arme sur le marché clandestin ou en acheter une aux USA. Un simple couteau, un jerrican d'essence ou une bombonne de gaz peuvent suffire pour commettre l'irréparable. La tragédie de Polytechnique a également marqué les consciences pour deux autres raisons.
Crime manifestement sexiste, l'événement mettait en lumière à quel point la libération de la femme et son influence grandissante étaient encore mal acceptées dans la société québécoise qui passait alors pour être une société progressiste. Comme dans tout processus d'évolution, il y avait une avant-garde et des esprits à la traîne, mais contrairement à ce qu'on aurait pu croire, un certain nombre d'entre eux appartenait à l'intelligentsia, à commencer par Marc Lépine qui, malgré ses échecs, était un individu évolué et éduqué. Le plus surprenant sans doute est que, quelques jours après le drame, la presse commença d'excuser la réaction des autres étudiants restés sans réaction devant la tragédie qui s'annonçait. On alla même jusqu'à censurer de fait les critiques à l'encontre des "témoins impuissants" sous prétexte qu'il ne fallait pas culpabiliser les jeunes hommes. Outre l'aspect humanitaire (fallait-il poursuivre des jeunes gens qui n'avait pas su décider d'une conduite commune ?), ce genre de comportement venait cautionner le manque d'intérêt des uns pour les autres. C'est le second point crucial soulevé par la tragédie. L'absence de réaction face à Marc Lépine est révélatrice d'un malaise profond de la société moderne. Comme le disait André Beaulieu, un professeur en lycée, quelques jours après la tragédie : « Que cinquante à soixante gars n’aient pas réagi pour tenter de le maîtriser prouve que notre société est décadente. Je veux bien que l’on excuse ces jeunes garçons, mais de là à se cacher dans le corridor, c’est anti-naturel. Je ne comprends pas. Ça me dépasse ».
Pour beaucoup de gens, en particulier dans le milieu ouvrier, les intellectuels avaient perdu le réflexe de protéger les femmes. Etait-ce en réaction inconsciente aux avancées du féminisme, ou simplement un reflet d'un comportement de plus en plus individualiste ? De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette lâcheté de groupe, mais les médias ne s'en sont guère fait l'écho, montrant bien que l'indifférence s'étendait à l'ensemble des protagonistes pris dans le piège du conformisme. Le pire sans doute est que, confrontés individuellement à une situation analogue, beaucoup de ces jeunes étudiants auraient probablement réagi et pris la défense de leurs consœurs. Ainsi en 1992, un membre du personnel de la sécurité de l'université Concordia maitrisa Valéry Fabrikant avant qu'il ait eu le temps de commettre d'autres meurtres, de même qu'en 1984, un agent de la sûreté avait intercepté Denis Lortie alors qu'il menaçait d'utiliser à nouveau son arme. Le geste de l'un des survivants de Polytechnique montre à quel point le fardeau de la lâcheté doit être lourd à porter, même s'il s'agit de la lâcheté d'un groupe entier : pris de remords, Sarto Blais devait se suicider quelque temps après le drame, imité un an plus tard par ses propres parents désespérés par la perte de leur enfant. Blais n'était pas plus coupable que les autres, sans doute seulement un peu plus conscient. Un étudiant en génie mécanique, qui soupait à la cafétéria au moment des faits et travaillait à temps partiel pour Urgence Santé, s'ôta lui aussi la vie, portant à dix-huit le nombre de victimes directes et indirectes.
Depuis le massacre de l'Ecole Polytechnique, des monuments se sont dressés un peu partout au Québec et au Canada pour commémorer l'évènement. On peut y lire le nom des quatorze victimes qui moururent au cours de ces vingt minutes de folie, le 6 décembre 1989 : Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, Barbara Klucznik Widajewicz…

n091401a.jpgdesousa_grade10.jpgKimveer Gill (paradant ci-dessous sur sa page personnelle Internet), tua sans raison apparente Anastacia de Sousa (© The Post) une étudiante du Dawson College de Montréal, et blessa plusieurs autres personnes avant que la police ne parvienne à l'abattre.

En 1995, une loi réglementant la vente de toutes les armes à feu au Canada fut votée. Elle prit effet le 6 décembre, six ans jour pour jour après les faits qui l'avaient initiée. Au grand dam des familles de victimes et des partisans d'un contrôle strict des armes, cette loi fut abrogée dans le courant de l'année 2006. Le 13 septembre de la même année, Kimveer Gill fit irruption au Dawson College de Montréal, porteur de trois armes à feu. Ce jeune homme de 25 ans, tourmenté et passionné par les armes, avait créé son blog sur un site de vampirisme. Il y paradait, vêtu de noir et armé d'un fusil d'assaut ou d'un poignard. Ce jour-là, il tira sur les élèves, tuant la jeune Anastascia DeSousa et blessant dix-neuf étudiants. Depuis, le Canada attend un nouveau 6 décembre…

[Cartes]

Bibliographie :

Dale Merle Nelson

• Diane Anderson, Bloodstains : Canada Multiple Murders, Detselig Enterprises Ltd, 2006.

Allan Legère

• Rick MacLean, André Veniot, Terror: Murder and Panic in New Brunswick. Toronto, Canada: M&S Paperbacks, 1990.
• Rick MacLean, André Veniot, Waters, Shaunn, Terror's End: Allan Legere on Trial, Toronto, Canada: M&S Paperbacks, 1992.
• Articles de la presse canadienne.

Marc Lépine

• Adrian Cernea, Poly 1989 : Témoin de l'horreur, éditions Lescop 1999.
• La Presse, Le Devoir et articles de la presse canadienne.


Autres sujets : articles de la presse canadienne.

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© Christophe Dugave 2008
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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 09:30
Polices canadiennes et tueurs en série

 

 

Si le Canada est un pays calme qui ne fait guère la une de la rubrique internationale en matière de crimes, il n'en abrite pas moins quelques tueurs en série particulièrement prolifiques. Ses forces de polices, qui regroupent environ 62.500 agents et officiers, sont pourtant reconnues individuellement et collectivement comme efficaces puisqu'elle ont plutôt bien contenu la montée des mafias et des triades, et ont porté des coups décisifs aux bandes de motards criminalisés à la fin des années 90. Avec une moyenne de seulement 192 policiers pour 100.000 habitants contre 222 à 262 aux USA, au Royaume-Uni ou en Australie, les polices canadiennes justifient d'un taux de résolution de l'ordre de 3 affaires criminelles sur 4, très comparable à leurs équivalents français. Alliées efficacement dans la lutte contre la drogue et le grand banditisme, elles ont pourtant manqué de clairvoyance et de réactivité face à des tueurs en série de plus en plus nombreux. Cela s'explique en partie par la multiplicité des corps de police, leur morcellement dans l'immensité des dix provinces et des trois territoires, et par les difficultés de collaboration, voire les véritables guerres interservices qui en résultent. En effet, il n'est pas simple d'organiser la coopération d'unités indépendantes – souvent jalouses de leurs prérogatives – qui opèrent sur le même territoire avec des missions plus ou moins redondantes et des pouvoirs souvent équivalents.

Le seul corps policier ayant une juridiction étendue à l'ensemble du territoire est la "Police Montée", la Gendarmerie Royale du Canada (puisque le Canada dépend encore théoriquement de la Couronne Britannique), la fameuse GRC. Viennent ensuite les polices provinciales telles que la puissante Sûreté du Québec (SQ) dont l'importance découle de la volonté du gouvernement québécois de se démarquer en tout point du reste du Canada. La Police Provinciale de l'Ontario (OPP) bénéficie de moyens tout à fait équivalents à ceux de la SQ. Les grandes municipalités comme Toronto, Montréal ou Vancouver ont les moyens d'entretenir d'importants systèmes policiers qui disposent de moyens conséquents d'investigation, tant en termes de personnel que de facilités matérielles (identification médicolégale, fichiers, logiciels de traque). D'autres municipalités plus modestes ont également leurs propres polices municipales, mais celles-ci se contentent alors bien souvent de régler les problèmes courants de sécurité publique et sous-traitent les affaires criminelles ou les délits importants avec la police provinciale ou la GRC. Hors Québec et Ontario, c'est même souvent la "Police Montée" qui opère sur la presque totalité des territoires des différentes provinces comme c'est le cas pour le Manitoba, la Saskatchewan ou la Colombie-Britannique. La GRC sort alors de ses fonctions de "super-gendarmerie" s'intéressant principalement aux délits fédéraux, pour assurer parallèlement une véritable police de proximité.

Dans pratiquement tous les cas, cette organisation conduit à des doubles juridictions, des chevauchements de pouvoirs, qui conduisent immanquablement à une "guerre des polices", même si les rôles ont été préalablement bien définis. En effet, les criminels opèrent bien souvent dans plusieurs localités indépendantes et, dès lors, les frictions se multiplient entre les hierarchies mais aussi entre les enquêteurs de terrain. C'est le cas entre la police de Montréal (SPCUM) et la Sûreté du Québec, la GRC et la Police Métropolitaine de Toronto, la GRC encore et la Police de Vancouver. Même si ce n'était pas le résultat d'une stratégie élaborée, plusieurs serial killers ont manifestement su tirer parti de cette division et des manquements qui en découlent. En revanche, le Canada a su harmoniser un certain nombre d'outils d'enquête informatiques (sans doute aussi parce qu'ils sont onéreux et donc limités en nombre). Dans ce domaine, le Canada avait bien des années d'avance sur la France et se révélait même plus efficace que le FBI en matière de logiciels de profilage. Cependant, ils ont davantage servi pour la criminalité classique que pour la détection des tueurs en série, non pas parce que ces programmes n'étaient pas adaptés pour la traque des serial killers, mais parce que la police ne ressentait pas le besoin d'entreprendre des investigations poussées pour des raisons bassement politiques. En fait, la politique du "pas dans ma cour" prévalait dans le traitement des crimes en série, nul n'étant enclin à reconnaître qu'un serial killer le défiait impunément. Cette attitude puérile allait faire beaucoup victimes.


Une police morcelée pour surveiller dix millions de kiomètres carrés

Fondée en 1873, la "Police à cheval du Nord-Ouest" devait assurer la sécurité publique dans les immenses territoires peu peuplés situés dans le Grand Nord qui n'avaient pas obtenu l'appellation de province. Un an plus tard, cette troupe paramilitaire comptait quelque trois cents hommes. Dans les années suivantes, elle réduisit non seulement la criminalité, mais elle noua également des relations avec les différentes tribus indiennes occupant le sol canadien. La "police à cheval du Nord-Ouest" suivit alors la colonisation des territoires, puis protégea la ligne du chemin de fer transcanadien au début des années 1880. Avec l'augmentation massive de la population dans les provinces du centre et de l'Ouest au début du vingtième siècle, la police à cheval vit ses missions renforcées, notamment en ce qui concernait l'assistance aux colons, ce qui la rapprocha encore de la population. Elle renforça également ses liens avec les autochtones qu'elle protègeait, en particulier contre les trafiquants d'alcool. Son nom changea, tandis que l'organisation de la Gendarmerie Royale s'ébauchait pour prendre la forme actuelle : quinze divisions réparties en quatre régions (Atlantique, Centre, Nord-Ouest et Pacifique) comptant au total plus de 23.000 hommes. La GRC relève maintenant du ministère de la Sécurité Publique et de la Protection Civile du Canada, et exerce un service de police fédérale sur l'ensemble du territoire. Elle joue également un rôle de police judiciaire et de proximité dans sept des dix provinces, à l'exception du Québec, de l'Ontario et de Terre-Neuve et Labrador, couvrant ainsi des centaines de municipalités et communautés autochtones et de nombreux aéroports. Avec un budget de plus de trois milliards de dollars en 2005, la GRC dispose donc de moyens considérables pour lutter contre la criminalité. Ayant pouvoir sur l'ensemble du territoire, elle semble à même de lutter efficacement contre les tueurs en série, y compris les routards du crime qui sévissent dans plusieurs provinces. Pourtant, la principale mission de la police fédérale reste la lutte contre les délits fédéraux (contrebande, contrefaçon, terrorisme), et elle n'intervient souvent que tardivement dans les enquêtes criminelles sur les meurtres multiples qui ont généralement lieu dans de grandes métropoles possédant leur propre police. L'expérience a montré à maintes reprises que l'efficacité de la GRC était alors fortement handicapée par les guerres intestines entre corps et les réactions protectionnistes qui révélaient l'ampleur de la rivalité "fédéral-provincial-municipal".
D'abord connue sous le nom  de "Police Provinciale du Québec" puis "Sûreté Provinciale du Québec", la Sûreté du Québec a vu le jour en 1870. Sa mission principale est d'assurer la sécurité des biens et des personnes, mais elle se charge aussi d'appliquer les lois fédérales sur le territoire québécois (bien que la GRC y dispose d'un contingent). Avec un effectif de 7000 membres et un budget de plus de 700 millions de dollars en 2005, elle présente une organisation complexe à la hauteur d'une police nationale comprenant notamment des services d'identité judiciaire, d'analyse du comportement et d'analyse de l'information criminelle, ainsi que de nombreuses équipes d'enquête réparties en une dizaine de districts. Le plus chargé est sans conteste le district 6 qui regroupe, entre autres, Montréal et Laval. En 2002, la SQ a vu ses effectifs renforcés en absorbant plusieurs polices municipales dans le cadre d'une réorganisation massive des municipalités du Québec.
Construite sur un modèle analogue, la Police Provinciale de l'Ontario (OPP) regroupe 8350 membres et dispose de matériel lourd et d'une infrastructure complète lui permettant de faire face à des enquêtes complexes sans aide extérieure. Cependant, elle n'intervient pas directement sur le territoire de la grande mégapole canadienne, Toronto (où se concentre une grande partie de la criminalité), qui possède son propre service de police, la Toronto Metro Police. Dans la région des lacs, au sud de l'Ontario, où la densité de population est comparable à celle de la France, plusieurs polices régionales viennent renforcer l'OPP telles que la Niagara Regional Police, la Hamilton Wentworth Regional Police et la Waterloo Regional Police. Toutes bénéficient de la puissante infrastructure de l'OPP, y compris des plateformes de recherche et de corrélation informatisées telles que la SALCV, RIGEL ou AFIS.
Moins connue, la Royal New-Foundland  Constabulary fait respecter la loi dans la province de Terre-neuve et Labrador. Même si ses effectifs sont limités (environ 500 membres), elle n'en demeure pas moins en relation permanente avec la GRC, que ce soit pour l'appui logistique ou l'échange d'informations.
Avec 2,7 millions d'habitants, Toronto est la plus grande ville canadienne. La Toronto Metro Police compte plus de 5000 agents, officiers et enquêteurs. Dans l'ordre décroissant viennent ensuite Montréal (1,9 millions d'habitants intra muros) et Vancouver (550.000 d'habitants) dont les services de sûreté sont également à la taille des cités : 4800 membres pour le SPCUM (Service de Police de la Communauté Urbaine de Montréal)  et 3200 pour le VPD (Vancouver Police Department) auxquels s'ajoutent les services de police de West et de North-Vancouver et divers services de police et de la GRC qui assurent la sécurité dans la zone du Grand Vancouver, les Lower Mainlands, qui compte quelque 2,2 millions d'habitants. Chacun de ces corps de police a connu des heures difficiles dans la chasse aux tueurs en série, mais le ratage le plus récent et le plus manifeste est sans aucun doute le fait du VPD qui ignora pendant des années les disparitions de prostituées dans l'Eastside de Vancouver jusqu'à totaliser une soixantaine de cas pour lesquels la seule explication plausible était l'existence d'un serial killer.
Dans les territoires concédés aux Premières Nations, une cinquantaine de polices autochtones (principalement en Ontario et au Québec), telles que le Service de Police Mohawk ou le Service de Police Cree, assurent la liaison entre la GRC, qui représente le pouvoir fédéral, et les conseils de bandes qui gèrent les réserves. Ces forces de sécurité aux moyens limités ont principalement un rôle de maintient de l'ordre, et ne sont pas en mesure de poursuivre des enquêtes criminelles. Dans la plupart des cas, des accords cadres ont été établis avec la GRC ou d'autres corps policiers qui délèguent des agents et des officiers (principalement d'origine autochtone) pour faciliter la relation entre police et membres des tribus amérindiennes. Les polices locales jouent cependant une fonction importante en relayant les informations aidant à retracer le parcours des nombreuses amérindiennes qui ont disparu, et permettant, de ce fait, de détecter un éventuel tueur multirécidiviste. En effet, la situation des Amérindiens au Canada est bien différente de celle de leurs cousins américains. A l'inverse des Etats-Unis, l'histoire de la conquête du Canada n'a pas été aussi marquée par le génocide des Premières Nations, même si les populations autochtones n'ont cessé de diminuer au cours des siècles. Les tribus indiennes se sont donc faites plus présentes dans la vie politique canadienne, défendant leurs intérêts bec et ongles. Il en a résulté une sorte de passif, dressant autochtones et descendant de colons les uns contre les autres. Même si cette opposition reste généralement pacifique, elle n'en est pas moins réelle, et elle a laissé des traces dans la société canadienne. Comment s'étonner alors que les victimes amérindiennes ne bénéficient pas de la même couverture médiatique que des blanches de bonne famille ? Lorsque les autochtones sont des toxicomanes se prostituant pour se payer drogue et alcool, on ne peut guère s'étonner que nul ne veuille lever le petit doigt, même si cela insulte la morale la plus élémentaire.


Le profilage à la canadienne


Avec 262 rubriques, le Système d'Analyse des Liens entre Crimes Violents (SALCV) est un outil extrêmement précieux pour la détection et la traque des tueurs en série. Cependant, il ne se substitue jamais totalement aux policiers spécialisés dont l'expérience et l'intuition sauront faire la différence. 

A l'image de la GRC, de l'OPP et de la SQ, les grandes polices municipales possèdent des services d'enquêtes criminelles performants faisant appels à des "auteurs de profils criminels", des profileurs bien loin du romantique modèle cinématographique, puisqu'il s'agit de policiers expérimentés intégrés dans des structures de soutien aux enquêtes, et dont le méticuleux travail de compilation est appuyé par une batterie de logiciels spécialisés et de laboratoires d'analyse médicolégale. Pour résoudre des affaires de meurtriers multirécidivistes, les différents corps policiers ont monté leurs structures en réseaux et utilisent des programmes de profilage tels que le SALCV (importé en France sous le nom de SALVAC), et RIGEL. Mais le profilage est avant tout une affaire d'hommes et d'expérience. Même si on peut avoir l'impression que tous les serial killers se ressemblent, ou tout du moins qu'on peut les répartir entre quelques catégories bien définies, ils n'en restent pas moins des hommes. Bien que privés de repères sociologiques et de références morales, ils présentent toute la complexité de la pensée humaine, ce qui les rend difficile à détecter et à identifier. La solution est sans doute d'employer une brochette de profileurs travaillant en parallèle pour examiner les nombreux indices et témoignages (31.000 pièces d'indices et 3.200 suspects dans l'affaire Bernardo & Homolka), luxe que peut se permettre le FBI avec sa puissance colossale, mais certainement pas un pays tel que le Canada comme le déclarait Kim Rossmo lorsqu'il dévoila son nouveau logiciel de profilage géographique, RIGEL, « …En conséquence, nous devons être créatifs, innovants et plus efficaces ».
De tous les serial killers canadiens, Clifford Olson est certainement le plus célèbre, d'abord parce qu'il a assassiné au moins onze enfants, peut-être une quarantaine, mais aussi parce que son manque de remords et son cynisme en ont fait une parfaite incarnation du mal. Son histoire montre aussi que ce psychopathe pédophile aurait certainement pu être mis hors d'état de nuire beaucoup plus tôt si la police avait disposé de moyens permettant de repérer les crimes en série et de localiser leurs auteurs avec une certaine précision. Ainsi, vers le milieu des années 80, les policiers du Comité Consultatif du Centre d'Information de la Police Canadienne, le CIPC, recommandèrent la création d'un fichier central permettant de compiler et de comparer les données recueillies à propos des crimes violents, en particulier des viols et des meurtres à caractère sexuel. Le Canada avait un retard certain sur les Américains, déjà familiarisés avec le phénomène des serial killers. Ainsi, le logiciel du FBI baptisé VICAP (Violent Crime Apprehension Program) inspira un système équivalent de conception purement canadienne : le Fichier des Crimes Graves alias FCG. En 1990, le FCG contenait des informations relatives à 800 cas, principalement des homicides, consignées par des enquêteurs de terrain et retraitées par des analystes. Pourtant, le FCG n'a guère brillé comme outil de soutien aux enquêtes puisqu'il n'a pas permis de résoudre le moindre crime.
Alors que les déboires du FCG le menaient à sa perte, l'inspecteur Ron MacKay de la Gendarmerie Royale suivait une formation à la fameuse "Unité de la Science du Comportement" au quartier général du FBI à Quantico, en Virginie. Responsable de la sous-direction de l'analyse des crimes violents à la Direction Générale de la GRC à Ottawa, l'inspecteur MacKay était ainsi devenu le premier profileur canadien. Au contact des formateurs du FBI, il avait compris l'importance des systèmes informatisés pour la compilation et l'analyse des données relatives aux crimes en série. Dès 1991, il entreprit la création d'un équivalent du VICAP en collaboration avec des membres de la Police Provinciale de l'Ontario et de la Sûreté du Québec. Sous la responsabilité du Sergent Greg Johnson, un policier qui justifiait d'une grande expérience de terrain, MacKay et ses collègues entreprirent tout d'abord d'examiner les systèmes existant aux USA. En effet, plusieurs états avaient entrepris de développer des logiciels plus ou moins équivalents au VICAP : HEAT dans le New-Jersey, HALT dans l'état de New-York, HITS dans l'état de Washington ou encore ATAC en Pensylvannie, qui étaient utilisés par les polices d'états et les polices municipales. L'expérience avait montré que bien qu'efficaces, ces systèmes avaient quelques imperfections. Dans sa version originelle, VICAP ne permettait pas de traiter les agressions sexuelles graves considérées depuis comme une étape clé vers le meurtre en série.
En collaboration avec ses collègues et avec un expert des sciences du comportement, MacKay et ses collègues rédigèrent un questionnaire en 262 points décrivant très précisément les divers aspects des délits : indices, modus operandi, détails comportementaux, victimologie etc… destiné à être directement rempli par les enquêteurs. Ce système simple mais très complet devait cependant être soumis à un contrôle de qualité permettant de s'assurer de la pertinence des données, et de les homogénéiser en vue d'un traitement informatique. Un premier prototype du nom de MaCROS proposé par le sergent Keith Davidson, responsable de la coordination de l'analyse des crimes violents en Colombie Britannique, fut testé et approuvé. Deux experts en informatique furent recrutés spécialement pour créer de toutes pièces un nouveau logiciel fonctionnant sous Windows et particulièrement convivial : le Système d'Analyse des Liens entre Crimes Violents (SALCV) baptisé VICLAS en anglais.
Le SALCV se révéla rapidement un outil précieux pour les analyses et les  recherches de corrélations entre crimes violents, et le fait qu'il accepte de traiter plusieurs langues telles que l'anglais, le français, l'allemand etc… en faisait un système universel, d'autant plus qu'il était monté en réseau. En mai 1997, on comptait déjà 20.000 cas recensés avec 3200 liens établis au Canada concernant aussi bien les cas d'agression sexuelle, les homicides ou tentatives d'homicide, les disparitions, les enlèvements et les cadavres non identifiés. Cependant, le SALCV souffrait de ses propres qualités : logiciel précis, il lui fallait des réponses non ambiguës qui devaient être formulées par un expert dans divers domaines tels que les enquêtes criminelles, les sciences comportementales et l'informatique. Programme évolutif, il exigeait aussi une permanente remise à niveau de ses utilisateurs, et donc la présence de spécialistes dans chaque section du SALCV. On compte aujourd'hui dix centres SALCV dont sept sont contrôlés par la GRC, un par l'OPP, un par la SQ et le dernier par le SPCUM.
Depuis sa mise en service, le SALCV s'était taillé une réputation prestigieuse au sein de nombreuses polices nord-américaines et européennes au point que plusieurs états américains, la Belgique, le Royaume-Uni, la Hollande, l'Autriche, l'Australie et d'autres l'adoptèrent comme principal programme d'investigation. Le Docteur David Cavanaugh de l'université d'Harvard devait déclarer que les Canadiens « …sont arrivés à faire pour les systèmes d'analyse de liens ce que les Japonais ont fait pour la chaîne de montage de voiture : à partir d'une bonne idée qu'ont eu les américains, ils ont conçu le meilleur système du monde ». La France devait également l'acquérir sous le nom de SALVAC pour en équiper à la fois la Gendarmerie et la Police Nationale.
En matière d'enquête, le SALCV ne se contente pas d'apporter un soutien précieux aux policiers. Nécessitant des informations précises, le système se porte en quelque sorte "garant" de la qualité de l'enquête qui suit une procédure systématique. Le policier de terrain doit répondre à des questions précises et par conséquent tout faire pour obtenir les éléments lui permettant de renseigner chaque rubrique. D'autre part, il encourage la mise en commun des données et les collaborations multiples entre enquêteurs, y compris entre corps de police indépendants. Mais le système souffre de certains biais. D'abord, il reste toujours soumis à l'avis de l'enquêteur principal qui accepte ou rejette les conclusions. D'autre part, à ses débuts, VICLAS eut à affronter l'opposition de nombreux policiers qui rechignaient à consacrer le temps nécessaire pour remplir le formulaire, mais les résultats obtenus eurent vite fait de balayer les réticences. Cependant, les problèmes relatifs à la loi d'accès à l'information ou à la loi sur la protection des renseignements personnels étaient préoccupants. Ainsi, dans les cas de crimes graves, les policiers hésitaient à informer le SALCV d'une "preuve clé" qui aurait pu se trouver divulguée avant l'arrestation du coupable. D'autre part, dans ses versions premières, le SALCV était un logiciel de profilage judiciaire et comportemental et ne prenait donc pas en compte la notion de profilage géographique introduite par l'inspecteur Kim Rossmo de la police de Vancouver.
Au début des années 80, Rossmo suivait une formation dispensée par les criminologues Patricia et Paul Brantinghan de l'université Simon Fraser qui défendaient l'idée qu'en connaissant l'endroit où habitaient les criminels, on pouvait prédire l'endroit où ils allaient commettre leurs crimes. Rossmo renversa la théorie qui s'appliquait parfaitement à la plupart des tueurs en série. Les serial killers, noyés dans la masse des anonymes, vivent et travaillent comme la plupart des gens. Ils tuent dans un quartier qu'ils connaissent, la "zone de confort", intermédiaire entre l'endroit où ils vivent ou travaillent, la "zone tampon", et "l'extérieur" qu'ils connaissent moins. Comme l'explique le Sergent Brad Moore, profileur géographique, « plus un criminel se trouve proche de son domicile à l'intérieur de la zone de confort et plus il va être enclin à commettre un crime ». Mais bien entendu, la superficie de ces zones varie considérablement d'un psychopathe à l'autre, et elle est impossible à déterminer à l'avance.  On sait cependant que les serial killers organisés on tendance à étendre leur zone de confort par rapport aux agresseur désorganisés. Cette façon d'agir n'est guère différente des méthodes de chasse des grands fauves. Rossmo appuya même sa théorie sur l'étude des stratégies utilisées par les lions dans les plaines du Serengeti en Afrique. Rossmo imagina donc qu'en répertoriant les scènes de crime et en les corrélant l'une à l'autre, on pouvait localiser le domicile du tueur. Le concept de CGT (Criminal Georgaphic Targeting ou ciblage criminel géographique) était né. En traçant un cercle de rayon variable autour d'une scène de crime et en répétant l'opération pour chaque nouveau meurtre, on obtenait une série d'intersections bordant le contour de la zone de domiciliation probable du tueur. Bien sûr, compte tenu du nombre d'inconnues et donc du nombre de combinaisons possibles, l'utilisation de l'outil informatique était indispensable. RIGEL venait de voir le jour. Sa grande force était qu'il pouvait être connecté à VICLAS et pouvait ainsi affiner ses conclusions.

Exemple de carte de probabilité de présence maximale (ici en jaune et orange) d'un agresseur multirécidiviste à Vancouver établie à l'aide du logiciel de profilage géographique mis au point par le profileur Canadien Kim Rossmo (© Vancouver Police Department).

Les premiers essais firent sensation : testé a posteriori sur le cas Clifford Olson, RIGEL désigna un quartier de quatre blocs à Coquitlam (banlieue de Vancouver) où Olson avait effectivement habité. Dans le cas de l'affaire Bernardo & Homolka et en se basant sur les meurtres de Kristen French et de Leslie Mahaffy, RIGEL pointa Port-Dalhousie où étaient domiciliés Paul Bernardo et Karla Homolka. Le véritable baptême du feu pour RIGEL eut lieu lorsque le logiciel fut confronté au cas de l'Abbotsford killer. RIGEL tomba pratiquement pile sur le domicile de Terry Driver qui avait effectivement tué une jeune fille de 16 ans et tenté d'assassiner son petit ami. Le programme connut également de nombreux succès avec des violeurs en série qui sont, par définition, le cauchemar de la police puisqu'ils choisissent souvent leur victime au hasard dans une zone relativement étendue. Curieusement, lorsque la police arrêta le violeur en série John Oughton au milieu des années 80 (soit antérieurement à la création de RIGEL), elle trouva chez lui une carte où étaient localisés ses 79 viols. Il avait ainsi planifié ses attaques afin que les enquêteurs ne puissent pas les corréler. Soumis à RIGEL une décennie plus tard, les 79 localisations permirent pourtant de cerner très précisément le domicile d'Oughton.
Cependant, RIGEL connaît lui aussi des limites bien qu'il ait été adopté par la GRC, la police de Vancouver et l'OPP. Ainsi, il est inefficace avec les tueurs itinérants, ceux qui n'ont pas de port d'attache. De même, fonctionnant à base de probabilités, il ne peut effectuer une réelle prédiction qu'à partir de cinq scènes de crimes, ce qui est déjà énorme en termes de pertes humaines.
La contribution de logiciels tels que VICLAS ou RIGEL est considérée comme déterminante par de nombreux policiers, mais son impact réel sur les enquêtes reste difficile à évaluer puisque la teneur même du programme, et en particulier du questionnaire, doit rester secrète pour ne pas être détournée par les criminels récidivistes. Dans le cas des tueurs en série, on doit aussi considérer que ces programmes ont eu des "ratés", que ce soit au cours du renseignement ou du traitement des données puisqu'ils n'ont pas su identifier les criminels après leur second ou leur troisième crime. Là encore, le facteur humain peut parfois peser très lourd. S'adressant à des criminels multirécidivistes, les programmes de profilage compilent, comparent mais n'anticipent pas, contrairement à ce qui peut être réalisé dans la lutte contre les gangs organisés. En effet, ces derniers obéissent à la logique de l'argent qui exclut généralement les comportements fantasques et imprévisibles. Ainsi, la collaboration entre les différents corps de police et le Service Canadien de Renseignement Criminel (SCRC) ont permis de démanteler de nombreux gangs, en particulier les bandes de motards criminalisés et des groupes mafieux impliqués dans le trafic de drogues. Mais les tueurs en série posent un tout autre problème puisque la dimension fantasmatique déterminante est mal appréciée par les codes de calcul. Les ordinateurs et les logiciels ne sont donc pas près de supplanter les enquêteurs de terrain, même si la puissance informatique est une arme toute aussi redoutable entre les mains de policiers que peut l'être un pistolet. Dans le cas des tueurs solitaires dont le comportement échappe parfois à toute logique apparente, le jugement du profileur reste donc la clé de voûte du système. C'est lui qui validera ou non les informations qui seront intégrées dans les bases de données, et c'est encore lui qui acceptera ou rejettera les résultats fournis par la machine.


La science contre les tueurs en série

L'informatique a envahi tous les secteurs de l'enquête policière, de l'enregistrement des indices et des pièces à conviction jusqu'au traitement des données et des résultats. Il n'y a guère que la photographie qui ne se soit pas convertie au numérique, puisque non-recevable par une cour de justice en raison du trop grand risque de falsification. D'autres techniques de pointe sont couramment utilisées pour confondre les criminels de tout poil, notamment les délinquants sexuels et les tueurs psychopathes dont on peut trouver des traces souvent infimes sur plusieurs scènes de crime. Ne seront détaillées ici que quelques une des méthodes les plus étonnantes ou les plus nouvelles.

Le système AFIS est utilisé par la plupart des corps de police canadiens (© Toronto Metro Police).

La plus connue est sans conteste l'analyse des empreintes digitales et l'utilisation des fichiers d'identification criminelle. Bien évidemment, cette méthode ne vaut que par comparaison avec les empreintes d'un éventuel suspect. Au Canada comme en France dont il est originaire, le fichier AFIS (Système d'Identification Automatique des empreintes digitales) contient près de trois millions de jeux d'empreintes informatisées contenant pour certaines jusqu'à 150 points de comparaison possibles. Quelque 70.000 criminels ont aussi été répertoriés. L'ensemble du fichier étant sur réseau, toutes les provinces peuvent l'utiliser à volonté, aussi bien pour des recherches ouvertes que pour des corrélations. Il n'en demeure pas moins que l'étape décisive reste la collecte des empreintes.
Les techniciens en scène de crime disposent d'un jeu complet de poudres permettant de révéler des empreintes sur tous les supports et, lorsque celles-ci sont trop ténues ou trop fragiles, il peuvent les "fixer" grâce aux vapeurs de cyanoacrylate, une substance qui polymérise à l'air libre.
Tous comme les empreintes digitales, les empreintes palmaires sont uniques et présentent un plus grand nombre de points de comparaison. Longtemps négligées bien qu'elles soient fréquemment trouvées sur les scènes de crime, ces empreintes sont maintenant répertoriées dans AFIS et régulièrement utilisées au cours des enquêtes.
Les empreintes dentaires sont également exploitées, la plupart du temps sur les cadavres à identifier puisque tous les dentistes en conservent une copie. Le cas de Wayne Boden, "Le Tueur Vampire", est fameux puisqu'il permit de confondre le coupable sur la base de morsures infligés à la poitrine de ses victimes, justifiant ainsi l'émergence de l'odontologie légale au Canada.
Le sang est un élément souvent omniprésent sur les scènes de crime, soit parce qu'il provient de la mise à mort de la victime, soit parce qu'il y a eu lutte. On peut ainsi espérer isoler des traces provenant de l'assassin qui aura été blessé (même très légèrement) ou se sera blessé lui-même, chose fréquente lorsqu'on manipule une arme coupante ou tranchante. En effet, le psychopate en pleine action se soucie généralement peu de sa propre sécurité. Tuer est pour lui un besoin impérieux qui ne saurait être limité par le simple risque de se faire prendre ou de se blesser. En plus de fournir le facteur rhésus et le groupe de son propriétaire, le sang est, en effet, un bon pourvoyeur d'ADN à présent couramment utilisé pour l'identification criminelle. Mais le sang peut aussi fournir de nombreuses informations sur le modus operandi du tueur, notamment si c'est celui de la victime. En effet, les gouttes de sang sont elles aussi porteuses d'un message : taille, forme, densité, abondance sont autant d'informations, et certains techniciens en ont fait une spécialité. On peut ainsi en déduire si le sang était d'origine veineuse ou artérielle selon l'abondance et la puissance du jet, si la victime courrait, se traînait à terre ou était malmenée. Les traces de sang délivrent aussi un message codé, mais aisément compris des initiés : le corps a-t-il été remué, déplacé ? Même lorsqu'elles sont invisibles à l'œil nu, les traces sanglantes peuvent être mises en évidence par des réactifs tels que le luminol, cette substance qui fluoresce sous l'effet de la lumière ultraviolette en présence du fer complexé dans l'hémoglobine. Pour peu que la surface étudiée soit suffisamment poreuse, le sang peut ainsi être détecté longtemps après un meurtre et ce, malgré des lavages répétés. Ce fut ainsi le cas pour William Fyfe dont le jean portait encore des traces du sang de ses victimes longtemps après les meurtres et ce, malgré plusieurs passages en machine.
Le sperme peut également être aisément visualisé en lumière noire (ultraviolette), et il existe des réactifs spécifiques des secrétions intimes. Comme le sang, c'est un excellent fournisseur d'ADN. Les cheveux (dotés de leur racine), peuvent aussi apporter des informations capitales. Dans certains cas, un simple récurage des ongles de la victime permettra de recueillir des cellules ou du sang appartenant à l'assassin et arrachés lors d'une lutte. N'oublions pas que même une pièce à conviction peut fournir des preuves biologiques anciennes mais exploitables, telle la bague de Teresa Liszak-Shanahan retrouvée chez William Fyfe qui recellaient quelques cellules de la victime.
L'ADN, l'acide désoxyribonucléique, est considéré comme une preuve biologique "absolue" et est utilisé dans les enquêtes criminelles depuis 1986. Cette molécule, porteuse de l'information génétique, opère comme un véritable "plan de montage" de l'organisme humain et est globalement identique chez tous les membres d'une même espèce. Elle comporte cependant certaines différences minimes qui conditionnent la variabilité entre les individus. Ce sont certaines de ces variations qui vont intéresser les laboratoires d'identification criminelle. Par comparaison, on peut établir, avec un risque infime d'erreur (une chance sur un milliard de milliards avec l'analyse des séquences courtes répétées en tandem), que l'ADN recueilli sur une scène de crime et l'ADN obtenu par frottis buccal ou prise de sang chez un suspect, sont issus d'une seul et même individu. La preuve ne vaut en effet que par comparaison puisque l'information génétique contenue dans l'ADN est inutilisable pour déterminer le profil d'un suspect en dehors de certaines maladies génétiques facilement détectables.
Outre sa grande fiabilité, la force des techniques d'identification d'ADN est leur extrême sensibilité. En effet, la méthode repose sur une technique de PCR (Amplification en chaîne par la polymérase) permettant la multiplication du nombre de copies de la molécule d'ADN selon un processus très proche de celui qui préside à la division et la multiplication cellulaires. Ainsi, à partir de traces infimes de matériel génétique intact, on peut obtenir des quantités importantes de fragments d'ADN qui peuvent être analysés. Si les premières déterminations nécessitaient un ADN nucléaire de bonne qualité, on sait, à présent, utiliser l'ADN mitochondrial, beaucoup plus abondant. L'analyse sélective du chromosome Y permet souvent de distinguer l'ADN mâle (l'agresseur étant souvent un homme) de sa victime (généralement une femme qui ne possède pas ce chromosome). Bien que la molécule d'ADN soit relativement fragile, elle peut être identifiée dans des milieux complexes (la terre par exemple comme ce fut le cas dans l'affaire Pickton). Même partiellement dégradée, la molécule peut fournir suffisamment de renseignements pour être utilisable comme preuve. Cependant, il existe toujours une possibilité d'erreur, par exemple lorsque l'agresseur a volontairement apporté de faux indices, mais surtout quand la scène de crime a été mal préservée par la police et que les échantillons ont été contaminés.
Il existe à présent deux banques génétiques distinctes au Canada : la première, créée de facto par l'accumulation d'indices utilisables génétiquement et conservés (par exemple les prélèvements ayant servi à confondre William Fyfe, des années après le meurtre d'Hazel Scattolon), et une banque génétique regroupant divers prélèvements effectués chez des individus ayant été convaincus d'agressions à caractère sexuel ou de crimes contre la personne.
Les substances végétales ou minérales sont elles aussi exploitables : feuilles, herbes, terre etc… En liaison avec les universités ou les institutions fédérales ou provinciales qui utilisent des techniques de pointe, les corps de police peuvent identifier les indices et leur provenance. Ainsi, un échantillon de terre peut être soumis pour analyse à Agriculture Canada, ou être comparé aux banques de données de cette institution afin de déterminer la provenance de l'échantillon. Il en est de même avec les pollens microscopiques qui permettent de relier un lieu de découverte avec un lieu de provenance.
Les nouvelles méthodes de chromatographie gazeuse ou liquide, couplées à la spectrométrie de masse, permettent d'isoler et d'identifier des quantités infinitésimales de substances ou d'analyser des mélanges complexes. Cette méthode est particulièrement utile pour l'identification des produits stupéfiants ou illicites, en particulier pour déterminer si un tueur en série a drogué ses victimes. Là encore, la méthode n'est pas infaillible puisqu'une substance telle que le rohypnol, la "drogue du viol", une benzodiazépine à effet amnésiant lorsqu'elle est absorbée avec de l'alcool, est très rapidement éliminée par l'organisme et donc très difficilement détectable.

Michael Angelo Vescio, assassin de deux adolescents au Manitoba, fut trahi par son arme et par la technique dès 1947, ouvrant ainsi au Canada l'ère de la police technique et scientifique (© Winnipeg Police)

L'analyse optique est également très utile, notamment en microscopie sous lumière polarisée ou sous lumière ultraviolette qui permettent de distinguer des détails invisibles à l'œil nu. La microanalyse optique est notamment utilisée pour comparer les traces laissées par les rayures du canon sur les balles et a permis de confondre de nombreux criminels, y compris des tueurs en série. Ainsi, le 30 juin 1947, deux hommes sont arrêtés à Thunder Bay (Ontario), alors Port-Arthur, après un hold-up dans un magasin. L'un d'entre eux s'appelle Michael Angelo Vescio, 32 ans, et a été trouvé en possession d'un pistolet automatique Browning 9mm modèle FN GP35. Les enquêteurs s'intéressent de près à cette arme qui ressemble fortement à celle utilisée pour tuer deux adolescents l'année précédente. En effet, à la suite de la mort du jeune George Robert Smith dont le corps à été découvert à Fort-Rouge, un des district de Winnipeg (Manitoba), la police a retrouvé les balles qui ont traversé le corps, et celles-ci comportent des stries identiques à celles tirées par le Browning saisi. Quelques mois auparavant, le jeune Roy Ewen McGregor, agé également de 13 ans,  avait été assassiné dans des conditions identiques. Dans les deux cas, les balles avaient totalement traversé les corps et s'étaient dispersées sur les scènes de crimes, mais elles avaient été retrouvées par l'emploi d'un détecteur à mines, une première en la matière. Les policiers vont alors confronter Michael Vescio à trois enfants d'une dizaine d'années qui ont été violés par un individu correspondant à son signalement et que l'on soupçonne être le tueur. Vescio avouera les viols et les meurtres mais prétendra néanmoins avoir tué accidentellement ses victimes. Jugé et condamné en novembre 47, il sera finalement exécuté le 19 novembre 1948.
La microscopie électronique permet une analyse très fine d'éléments microscopiques tels que, par exemple, la structure de la kératine des cheveux, variable selon les individus. Mais souvent, un simple examen visuel par un médecin expérimenté permet de déceler des indices ou de mieux comprendre comment la victime a été agressée et tuée. En effet, en plus de donner des informations sur la cause de la mort, les hématomes, les fêlures et les cassures, les déchirures, les coupes et les enfoncements permettent de définir l'arme utilisée et la manière dont son assassin s'en est servi, et ce parfois longtemps après les faits.
Les lividités cadavériques, résultant de l'accumulation des globules rouges dans les zones basses de l'organisme, sont de véritables témoins montrant qu'un corps a été ou non déplacé. La putréfaction des cadavres n'est généralement pas suffisante pour gommer toutes les traces et c'est même souvent un outil pour déterminer la date approximative de la mort. Les services d'identification criminelle se sont ainsi adjoint des entomologistes qui peuvent dater précisément un corps rien que par l'examen de l'espèce et de l'état de développement des insectes qui l'ont colonisé. L'absence de larves en cours de développement est un renseignement en lui-même puisqu'il indique que le corps a été préservé de la ponte des mouches et autres nécrophages. En revanche, dans des cas de température et d'hygrométrie maximales, l'abondance d'asticot peut se révéler préjudiciable à une identification post-mortem. Ainsi, à la "Ferme des Corps", un institut médicolégal américain où l'on étudie la décomposition de corps humains placés dans diverses situations, le docteur Bill Bass a observé que les larves d'insectes pouvaient dévorer l'ensemble des chairs d'un individu de taille normale en une quinzaine de jours, ne laissant plus que des os parfaitement nettoyés alors même qu'un corps enterré mettra des mois, voire des années, pour se décomposer totalement. Pourtant, même un squelette blanchi peut raconter son histoire : fractures, démembrement, traces infimes sur les os (par exemple lorsqu'un couteau a pénétré les chairs jusqu'à l'os). Serges Archambault, le "Boucher de St-Eustache", fut trahi par son habileté à démembrer les corps, une compétence que seul un boucher de métier pouvait posséder, et qui fut présentie par la pathologiste américaine Kathy Reichs qui travaillait en liaison avec la police de Montréal. Le feu lui-même n'est pas suffisant pour détruire totalement un cadavre, sauf si son intensité a été exceptionnelle. Mises à part les graisses cutanées, le corps humain est en effet un piètre combustible et, même cuit à point, il peut encore livrer bien des secrets.
La puissance des méthodes d'analyse judiciaire, popularisées par des écrivains tels que Patricia Cornwell ou des spécialistes comme Kathy Reichs, n'a cependant pas échappé aux serial killers. Ceux-ci ne peuvent plus espérer passer inaperçus : des semaines, des mois, des années parfois après leurs forfaits, la science peut les désigner comme coupable avec une probabilité d'erreur incroyablement petite. La seule parade est de brouiller les pistes en ajoutant des indices comme le faisait le tueur américain Gary Leon Ridgway qui ramassait des chewing-gums et des mégots dans la rue et les abandonnait sur le lieu de ses crimes. Une autre solution, à la fois la plus sûre et la plus complexe, consiste à faire disparaître les corps. Sans cadavre, sans arme du crime, la police est quasiment impuissante. Ce n'est pas un hasard si les tueurs en série les plus prolifiques tels que Clifford Olson ou Robert Pickton ont soigneusement enterré ou détruit les corps de leurs victimes. La relative longévité criminelle de William Fyfe ou de Gilbert Jordan peut s'expliquer simplement par le fait que Fyfe avait commencé à tuer bien avant le développement de nouvelles techniques d'analyse de pointe, et que Jordan assassinait ses victimes en les faisant boire, ce qui pouvait tromper enquêteurs et médecins pathologistes. De même, certaines substances telles que le gamma-hydroxybutyrate (GHB), déjà présent dans l'organisme, sont très difficiles à détecter.
Même la plus fiable et la plus sensible des techniques n'est pas à l'abri d'une incertitude ou d'une imprécision, et ce, malgré la préservation de la scène de crime. Codés et standardisés, les prélèvements sont réalisés selon une procédure éprouvée mais pas toujours infaillible. L'homme, si précieux par son jugement et son intuition, peut parfois gâcher ou effacer des preuves en négligeant certaines précautions. La première d'entre elles est le balisage et le respect absolu de la scène de crime que les techniciens de l'identification criminelle examineront selon une procédure rigoureuse, avant même l'intervention des enquêteurs. Dans tous les cas, des photos, voire une vidéo, seront prises afin de reproduire la vue d'ensemble et d'immortaliser les détails.
Pourtant, malgré la normalisation et les contrôles de qualité, les serial killers courent toujours, au Canada ou ailleurs. Les plus grosses erreurs sont en fait commises à un stade précoce, lorsqu'il faut décider ou non de fédérer les forces de police pour tenter de cerner un éventuel tueur en série. C'est une décision souvent difficile qui doit généralement tenir compte des animosités entre corps de police ou même entre services, et qui doit surmonter les réticences à reconnaître qu'un serial killer est à l'ouvrage. Mais parfois, la police se trouve confrontée à des tueurs d'un genre un peu différent mais non moins redoutables…

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© Christophe Dugave 2008
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31 mai 2009 7 31 /05 /mai /2009 15:30
Serge, David, Cecil et les autres…

 
 
Pour un psychopathe, devenir serial killer n'est qu'une question de circonstances. La terminologie a fixé les limites de cette appellation réservées aux tueurs multirécidivistes : au moins trois victimes assassinées en des lieux et à des dates différentes, mais cette appellation peut aussi s'appliquer à des individus n'ayant tué qu'à deux reprises lorsqu'il est évident qu'ils ne se seraient pas arrêté après ces premiers meurtres si la police ne les avait pas mis hors d'état de nuire. La notoriété du tueur dépend aussi de nombreux facteurs : informations disponibles, mode opératoire plus ou moins horrible, personnalité du psychopathe, rebondissements de l'enquête et du procès… Ainsi, Kathy Reichs, la célèbre anthropologue et écrivaine américaine, est plus connue que Serge Archambault, le serial killer québécois qu'elle contribua à démasquer.

Serge Archambault tua sauvagement trois femmes au Québec en 1989 et 1992. Il fut à la fois confondu par la caméra de surveillance d'un distributeur de billets et par l'anthropologue américaine Kathy Reichs (© Marc Pigeon).

En effet, le 6 janvier 1992, le corps d'une femme de 47 ans fut retrouvé dans la maison qu'elle occupait avec son mari dans la petite ville de St-Calixte, près de Montréal. Elle portait une blessure à la tête qui indiquait sans ambiguité qu'elle avait été tuée par balle. Le 26 novembre de la même année, une femme de 24 ans fut découverte dans son bungalow de Deux-Montagnes, non loin de Montréal. Bien qu'elle ait été étranglée, divers indices permettaient de relier les crimes : les victimes avaient été sauvagement battues et mutilées, et leurs cartes de crédit avaient été dérobées et débitées peu de temps après, comme le fit William Fyfe quelques années plus tard. Lors du second meurtre, une caméra de surveillance filma l'agresseur alors qu'il retirait de l'argent, et celui-ci fut rapidement identifié et apréhendé. Il s'agissait de Serge Archambault, 35 ans et père de deux enfants, qui avoua rapidement un troisième meurtre commis en 1989. Il avait alors caché les restes de sa première victime dans une zone boisée de St-Hubert, sur la rive sud du Saint-Laurent. Le 30 novembre, soient 4 jours après l'arrestation du coupable, une partie du cadavre démembré d'une femme de 29 ans fut découvert, enveloppé dans un sac en plastique. Quatre autres sacs dispersés dans le bois furent retrouvés quelques jours plus tard. L'anthropologue américaine Kathy Reichs, qui collaborait activement avec la Sûreté du Québec, releva des traces de coupures sur les os et une section extrêmement précise des articulation qui indiquaient que le tueur avait des connnaissances anatomiques. C'est sans surprise que les enquêteurs apprirent que ce voyageur de commerce avait été boucher et, qu'en conséquence, il savait débiter un cadavre. Le 19 novembre 1993 au palais dejustice de St-Jérôme, celui que la presse surnommait "le Boucher de St-Eustache" fut condamné à la prison à vie pour meurtre au premier degré. On raconte que parmi ses affaires personnelles, les enquêteurs retrouvèrent des renseignements sur de nombreuses autres femmes. Il pourrait ainsi avoir été impliqué dans d'autres crimes jamais résolus.

Paul Cecil Gillis fut un temps l'un des pires tueurs en série du Canada. A l'âge de 25 ans, il assassinna huit jeunes femmes en Colombie-Britannique. Son épopée criminelle prit fin lorsque Gillis assassina Laverne Merle Johnson en 1974. La police commença de le soupçonner lorsqu'il participa aux recherches comme volontaire et trouva miraculeusement le corps mutilé et caché sous un pont. Interné au centre psychiatrique d'Oak Ridge, il y croisa Peter Woodcock avant d'être transféré à l'hôpital psychiatrique St-Thomas (Ontario). En avril 1988, Gillis et un autre patient du nom de Roger Abel profitèrent d'une permission de sortie pour agresser et violer une jeune fille qu'ils tentèrent vainement de tuer avant de regagner tranquillement leurs chambres à St-Thomas. La jeune victime dénonça ses agresseurs qui furent appréhendés dès le lendemain. Gillis fut condamné à la prison à vie et déclaré "Dangerous Offender" avant d'être envoyé au SHU de Kingston.

Le 24 août 2000, David Threinen, 52 ans, se présenta devant la commission de libération sur parole. Comme il pouvait s'y attendre, sa demande fut refusée. Lors d'une précédente comparution, il avait déclaré qu'il s'effrayait lui-même, qu'il avait peur de ne pas pouvoir s'arrêter. Agé alors de 25 ans, ce pédophile maniaque et violent avait enlevé et étranglé de jeune enfants de la région de Saskatoon au cours de l'été 1975. Ainsi, au mois de juin, la jeune Darlene Cranfield, 10 ans, rencontra un de ses amis et lui proposa d'aller faire un tour à la rivière. Le jeune Richard Klassen devait faire des courses, aussi déclina-t-il l'offre ; il fut le dernier à la voir vivante. Un peu plus tard, Darlene se rendit  au bord de l'eau en compagnie de Robert Grubesic, 9 ans. Il y rencontrèrent David Threinen qui les enleva et les étrangla avant d'abandonner leurs corps qui ne furent découverts que deux mois plus tard. Quelques semaines après le drame Samantha Turner et Cathy Scott furent assassinnées à leur tour, peu avant que leur meurtrier ne soit enfin capturé. Threinen fut jugé et condamné à la prison à vie. Il ne sera probablement jamais remis en liberté.

Le désir sexuel, et ses déviations pathologiques, sont le principal moteur des serial killers, en particulier ceux de sexe masculin (c'est à dire l'immense majorité des tueurs multirécidivistes). Mais parfois, un homme peut assassinner parce qu'il est tout bonnnement atteint d'une psychose qui nécessite un déclencheur pour que sa violence explose. C'est le cas de Kenneth Ford qui fut surnommé "Le Barbebleue du Québec".

Kenneth Ford, le "Barbebleue du Québec", tua successivement ses quatre compagnes enceintes parce qu'il refusait sa paternité (© Allô-Police).

On peut avoir bien des raisons de vouloir se débarrasser de sa femme : jalousie, vengeance, cupidité ou simple sadisme, mais les motivations de Kenneth Ford étaient pour le moins singulières. En février 1953, à Cowansville, cet homme de 35 ans alerte la Sûreté du Québec parce qu'il prétend avoir découvert sa femme inanimée dans sa baignoire. Norma Ford gît effectivement dans son bain, bel et bien morte. L'eau est rougie par le sang qui s'est échappé de profondes entailles en arrière de sa tête. La cause de la mort est évidente à première vue : le savon est tombé dans le fond de la baignoire et la victime a glissé dessus, basculant en arrière et heurtant le robinet à facettes. Norma Ford s'est donc noyée lorsqu'elle a perdu connaissance. Une analyse minutieuse de la scène de l'accident révèle cependant plusieurs anomalies : pyjama propre sur le dessus du tas de vêtements alors que le pyjama déjà porté est en dessous, tapis de bain déjà mouillé et absence de projections sanglantes sur les murs… Au-dehors, l'incinérateur contient des cendres provenant de vêtements masculins. On peut donc imaginer que Kenneth Ford a tué sa femme dans un autre endroit et qu'il a dû se débarrasser de ses propres affaires souillées par le sang, de même qu'il a sommairement nettoyé le tapis de bain sur lequel il a traîné le corps. Les policiers suspectent bientôt un crime maquillé en accident. Bien que Kenneth Ford ait semblé choqué par la disparition de son épouse, sa personnalité ne laisse pas les policiers indifférents : décrit par beaucoup comme un employé modèle et un mari sérieux, une enquête plus approfondie esquisse de lui une autre image. Ainsi, certaines femmes ont fait le portrait d'un contremaître tyrannique, harcelant sexuellement ses employées. On découvre bientôt que sa femme était enceinte et qu'il ne semblait pas emballé par sa future paternité, lui qui n'avait pas connu son père. Son attitude vis-à-vis de sa femme avait même changé du tout au tout depuis qu'il avait appris la grossesse. La police retrace alors la route de Kenneth Ford depuis qu'il avait atteint l'âge adulte et elle n'en est qu'au début de ses surprises. En effet, natif de l'état américain du Vermont, Ford s'était lié avec une jeune fille de 18 ans qui s'était noyée alors qu'elle était à la pêche avec lui. Il avait alors vécu en concubinage avec une jeune femme qui avait malencontreusement trouvé la mort en tombant dans sa cave… Kenneth Ford avait ensuite déménagé pour le Québec où il avait vécu un moment avec une femme qui se tua dans un accident de voiture. Mais le plus troublant sans doute était que, d'après les rapports d'autopsies, les trois victimes étaient enceintes !
Les interrogatoires, menés sous forme de discussions impromptues, permirent de confondre ce tueur un peu particulier qui aimait les femmes mais les rejetait avec une violence incroyable lorsqu'elles portaient sa descendance. La découverte des patins, maladroitement enfouis sous la neige, révéla qu'ils étaient souillés de sang humain. Le dessin de la lame correspond aussi parfaitement aux blessures relevées sur le crâne de Norma Ford. La carrière criminelle du "BarbeBleue du Québec" connut une fin rapide et tragique : jugé et condamné, il fut exécuté à la prison de Bordeaux à l'automne de la même année mais la pendaison ratée le laissa agoniser pendant 13 longues minutes.

Au  Canada comme ailleurs, plusieurs meurtriers ont raté l'examen d'entrée dans le club très fermé des tueurs en série, mais ils n'en sont pas moins de redoutables psychopathes : ni les policiers qui les ont arrêtés, ni les psychiatres qui les ont expertisés, ni les juges qui les ont condamnés, ne doutent qu'il s'agit d'individus dangereux qui auraient continué à tuer s'ils n'avaient été retirés de la circulation. Plusieurs d'entre eux sont même suspectés d'avoir tué davantage sans qu'on ait pu formellement les impliquer dans d'autres meurtres. Dans certains cas, les autorités sont restées impuissantes devant le déferlement d'une violence annoncée. Ce fut notamment le cas de l'affaire Jonathan Yeo qui soulevait de nouveau l'épineux problème de la libre circulation des armes à feu.
Jonathan Yeo était un individu connu de la justice pour avoir agressé et violé plusieurs femmes au Canada. Il venait d'être relâché sous caution lorsqu'il tenta de franchir la frontière  américaine à Niagara Falls, Ontario, le 9 août 1991. Constatant que l'homme était en possession d'une arme, la douane américaine l'avait refoulé, prévenant par la même occasion leurs collègues canadiens que l'individu semblait dangereux, d'autant plus qu'ils avaient découvert sur lui une note de liberté sous caution ainsi qu'un message où il annonçait son intention de se suicider. Malheureusement, même s'il avait violé sa libération conditionnelle en tentant de quitter le Canada, la douane canadienne ne pouvait légalement rien faire pour le retenir. Jonathan Yeo avait donc regagné sans problème son pays d'origine où il se promenait en possession d'une arme qui avait servi lors d'une précédente agression sexuelle pour laquelle il avait été condamné. Une heure et demie plus tard, il enlevait et assassinait Nina de Villiers à Burlington, Ontario. On retrouva le corps de la jeune femme dix jours plus tard dans un marais près de Napanee. Quatre jours après le premier meurtre, Karen Marquis fut agressée et froidement exécutée chez elle au Nouveau-Brunswick. Les études balistiques montrèrent la relation directe existant entre les deux meurtres qui furent attribué à Jonathan Yeo. Celui-ci préféra mettre fin à ses jours plutôt que de se rendre à la police. Bien que terminée par la mort du principal protagoniste, l'affaire relança le débat sur la nécessité du contrôle des armes à feu puisqu'on dénombre pas moins de mille décès par balle chaque année au Canada (soit tout de même trois fois moins qu'aux USA, à population constante).

Les histoires criminelles connaissent aussi de curieuses coïncidences, empreintes d'un ironie indiscutable. Ainsi, le 24 avril 1984, les restes de John McLaughin, connu sous le surnom de "Jack le Serpent", furent découverts dans une propriété appartenant à un certain Noel Winters, non loin de Saint-John au Nouveau Brunswick. A ses côtés, gisait Maria Kraus-Hillebrand, 26 ans, ainsi que le cadavre de leur chien. "Jack le Serpent" n'était pas ce qu'on avait coutume d'appeler, une  "innocente victime". Encaisseur pour le "West End Gang" de Montréal, garde du corps lié de près aux Hell's Angels, mêlé au trafic de drogue, il était suspecté d'une douzaine de meurtres. La police supposa que McLaughin était venu collecter une livraison de drogue impayée. A vrai dire, Noel Winters, le propriétaire du terrain où reposait le couple, n'était pas un saint lui non plus : le serpent était tombé sur un scorpion. En effet, à l'époque de la découverte, Winters purgeait déjà deux peines de prison à vie pour le meurtre d'un homme de 64 ans et de son fils de 32 ans dont les corps, découpés en morceaux, avaient été découverts dans des sacs en plastique. Winters ne survécut guère à la macabre découverte : le jour même où l'on annonçait que les dépouilles de McLaughin et de sa compagne avaient été retrouvées, il se pendit dans sa cellule. La police supposa qu'il s'était suicidé pour échapper aux représailles des associés de sa dernière victime.

La police elle-même n'échappe pas au phénomène du serial killer et, même si le filon du flic psychopathe a été largement exploité par le cinéma et la télévision, on en connaît pas moins quelques exemples bien réels. Ainsi, au Canada, un policier retraité de 52 ans du nom de Ronald West fut inculpé, 30 ans après les faits, du meurtre de deux infirmières de la région de Toronto. Doreen Morby, 34 ans, et Margaret Ferguson, 38 ans, avaient été toutes deux violées et assassinées à deux semaines d'intervalle en mai 1970, et ce dans des circonstances similaires. A l'époque des faits, le commissaire Archie Fergusson, de la Police Provinciale de L'Ontario, n'avait pu trouver suffisamment d'indices pour épingler le coupable. Cependant, les prélèvements réalisés au cours de l'autopsie avaient été soigneusement conservés. Comme ce fut le cas la même année pour William Fyfe, l'ADN devait  désigner le coupable. Ronald West fut confondu alors qu'il était en prison pour une série de vols avec effraction, et se trouvait suspecté d'une double meurtre commis huit années auparavant sur une aire de pique-nique de Blind River, Ontario, non loin de son lieu de résidence Le tueur avait attaqué un couple dans son camping-car, prétendant être officier de police. Il avait, semble-t-il, abattu Jackie McAllister et blessé très gravement Gord, son mari. Un jeune homme de 29 ans du nom de Brian Major était arrivé sur ces entrefaites et avait été tué lui aussi. S'il ne fait aucun doute que Ronald West a violé et assassiné les deux infirmières, il n'est pas tout à fait certain qu'il soit réellement le tueur de Blind River, bien que les coïncidences soient pour le moins frappantes.

L'histoire de David Alexander Snow est elle aussi singulière, et les circonstances de son arrestation sont pour le moins rocambolesques. On ne croit guère à ces films à suspense où le justicier arrive à la seconde même où le méchant va achever la belle à sa merci. Cela n'arrive jamais en effet. Jamais ou presque… Le 12 juillet 1992 pourtant, les constables Peter Cross et John Woodlock de la GRC allaient sauver la vie d'une femme, in extremis. Ils étaient en train d'intervenir dans le quartier de Capilano-Perberton à Vancouver, dans le cadre d'une plainte pour tapage nocturne au coin de Garden Avenue et de Marine Drive. Habituellement affectés à la zone du Lower Lonsdale, ils avaient dû modifier l'itinéraire de leur patrouille en raison du manque d'effectifs. En effet, la majeure partie des policiers du sud de la Colombie Britannique était impliquée dans une gigantesque chasse à l'homme dans la zone du Mont Seymour, un massif montagneux situé dans l'arrière-pays de North Vancouver. Le fuyard était un dénommé David Alexander Snow, 37 ans, ravisseur, violeur et tueur récidiviste à qui l'on attribuait au moins deux morts.
Avant d'avoir pu en terminer avec la plainte pour tapage nocturne, Cross et Woodlock furent appelés par le répartiteur pour une alarme silencieuse au Bridge House Restaurant sur Capilano Road, un peu avant 4 heures du matin. Comme le déclara plus tard Woodlock, « L'alarme silencieuse était prioritaire ». Les deux policiers stationnèrent donc leur véhicule à proximité du restaurant et décidèrent d'en faire rapidement le tour, alors même que le central avait rappelé pour préciser que la compagnie d'alarme était allée sur place et n'avait constaté aucune effraction. Les agents se séparèrent pour faire le tour du bâtiment. Cross repéra un tas de chaises empilées et décida de vérifier que nul ne s'était caché là. Il eut la surprise de découvrir un individu penché sur un corps dénudé et apparemment inerte. L'homme était en train de garrotter sa victime qui n'opposait déjà plus de résistance. « J'ai tout d'abord pensé qu'elle était morte et qu'il venait juste de la tuer » expliqua Cross . Le constable dégaina son arme alors qu'il était à la hauteur de l'agresseur, mais celui-ci prit la fuite en direction d'une haie. Il tenta de sortit un pistolet passé dans sa ceinture, mais le laissa tomber dans sa course éperdue. Cross s'était lancé seul à sa poursuite, et criait. Woodlock entendit son coéquipier qui s'identifiait et ordonnait à quelqu'un de s'arrêter. Prenant conscience de la situation, John Wooodlock tenta alors en vain de demander du renfort dans sa radio portable puisque la batterie était à plat. Bien que lancé à la poursuite du fuyard, Cross trouva le moyen de prévenir le jeune agent : « Il y a une femme par-derrière avec un sac sur la tête. Retourne là-bas ! ». Woodlock s'exécuta, découvrant tout d'abord l'arme perdue par l'agresseur puis le corps immobile, couché sur le côté droit  "dans une position presque fœtale". Il dégagea la tête de la victime du sac en plastique qui recouvrait sa tête et la soulagea du bâillon imprégné de sang  qui l'étouffait. Il tenta sans succès de briser le fil de fer qui enserrait le cou de la femme, puis entreprit de le desserrer à la main, chose qui se révéla malaisée tant il était enfoncé dans la peau du cou. « Quand elle a gémi, j'ai réalisé qu'elle était vivante », racontera Wooodlock. Le policier passa beaucoup de temps à libérer la femme dont les poignets et les chevilles étaient attachées avec des liens très serrés. Comme les agents de la GRC ne sont pas autorisés à porter des couteaux, il dut dénouer les liens l'un après l'autre en attendant les secours.
Pendant ce temps, Cross avait rattrapé et maîtrisé l'agresseur. Il n'était pas au bout de ses surprises. Lorsqu'il le retourna, il découvrit avec stupéfaction qu'il avait arrêté David Alexander Snow, l'homme que des centaines de policiers traquaient dans la zone du Mont Seymour. C'était d'autant plus surprenant de le trouver là que les abords du Mont Seymour étaient bloqués par un impressionnant dispositif policier depuis une douzaine d'heures. Lorsqu'il fouilla son prisonnier, Peter Cross se rendit compte qu'il avait eu beaucoup de chance : Snow avait un autre pistolet chargé dans sa poche et, à n'en pas douter, il s'en serait servi s'il n'avait été persuadé que Cross l'avait mis en joue. En effet, l'homme était loin d'être un débutant. En avril 1992, il avait tué de sang froid Ian et Nancy Blackburn en Ontario. Trois mois plus tard, il venait d'enlever deux femmes qu'il avait entraînées dans une zone boisée où il leur avait fait subir des sévices sexuels. Fort Heureusement, la police avait retrouvé les malheureuses dont l'identité n'a jamais été divulguée. La première, âgée de 19 ans, gisait inanimée près de sa voiture. La seconde était attachée à un arbre et avait été portée disparue depuis huit jours. Toutes deux avaient été en mesure d'identifier leur agresseur comme étant David Snow, un homme recherché par la police ontarienne pour fraude. Curieusement, cet anti-social de 37 ans ne s'était jamais fait remarquer avant de commencer à tuer.

Couverture du livre "A friend a the Family" : son auteur, Alison Shaw, cotoya le tueur qu'elle n'aimait guère bien qu'il se soit associé à son mari (
© Macfarlane Walter & Ross, 1998).

Brocanteur à Orangeville, Ontario, Snow s'était un temps lancé dans la démolition d'immeubles et s'était associé avec un dénommé Darris Shaw qui l'appréciait. En revanche, son épouse, Alison Shaw, ne l'aimait guère, et plus elle le connaissait, plus elle le trouvait inquiétant. C'est sans doute elle qui passa le plus de temps avec le tueur que sa fille appelait "Oncle David", relation trouble qu'Alison Shaw devait décrire par la suite dans un livre intitulé " A Friend of the Family" (" Un ami de la famille").
Si David Alexander Snow fut condamné en 1997 pour le double meurtre de Ian et Nancy Blackburn, il ne fut en revanche pas inculpé de tentative de meurtre sur la personne de Dalia Gelineau, la femme qu'il avait tenté d'étrangler derrière le Bridge House Restaurant. Le juge Jerome Paradis, de la cour provinciale de North-Vancouver, estima en effet qu'il n'avait pas eu l'intention de tuer sa victime, décision qui souleva un tollé médiatique ! Comment expliquer en effet que la pauvre femme de 53 ans se soit retrouvée avec son slip enfoncé dans la gorge, un sac en plastique sur la tête et un garrot si serré que la peau du cou recouvrait le fil métallique, collet que l'agent Woodlock avait eu bien du mal à ôter ? Le juge se rattrapa par la suite en déclarant Snow "agresseur dangereux", mais la décision avait soulevé l'indignation générale, d'autant plus que Dalia Gelineau, qui avait survécu aux camps de concentration cinquante années avant les faits, avait été physiquement et psychologiquement détruite par la tragédie qu'elle venait de vivre.

Incarcéré pour une soixantaine de délits dont le viol de six femmes, Martin Ferrier ambitionnait de devenir le plus grand tueur en série du Canada. En dépit de son impressionnante carrure, il a peu de chances d'y parvenir puisqu'il a été de nouveau incarcéré pour avoir molesté un journaliste quelques heures après sa libération (© Canadian Press).

Les rêves des tueurs en série font peur, même si ce ne sont que des fatasmes. Devenir le "tueur en série le plus prolifique du Canada" était – et reste sans doute – l'ambition de Martin Ferrier, un colosse au crâne rasé, haut de 1 mètre 95 et pesant 127 kilos. Judy Perry, sa mère, dénonce l'attitude de son propre fils : « Il va tueur quelqu'un », assure-t-elle aux journalistes du National Post. « Il veut être aussi connu que Paul Bernardo et avoir une aussi belle cellule équipée d’un ordinateur et d’une télévision couleur ». L'homme a déjà prétendu avoir commis trois meurtres mais cela semble peu probable, aussi n'a-t-il pas été poursuivi en dépit de ses déclarations. En juillet 2004, la libération prochaine de Martin Ferrier faisait grand bruit dans les médias. Cet homme de 31 ans avait alors passé quinze des dix-sept dernières années en prison pour une soixantaine de délits comprenant le viol de six femmes, des attaques à caractère sexuel, la détention d'armes prohibées et diverses autres agressions et violences. Les habitants de Brampton, petite ville de l'Ontario située non loin de Toronto où il avait décidé de s'installer, pouvaient donc se faire du souci. Considéré par les médecins comme un "incurable psychopathe", il semblait ne rien avoir retenu de ses nombreux séjours derrière les barreaux, sinon une agressivité toujours plus grande : « Il a tout le temps choisi de faire de mauvais choix, commentait Judy Perry. Il n'a rien appris pendant qu'il était en prison, excepté à devenir encore plus mauvais ». 
Martin Ferrier a même été l'enjeu d'une bataille politique autour de la modification de certains aspects du système judiciaire canadien. Ainsi, ses actes, qui relevaient pour beaucoup de la criminalité courante, ne lui avaient pas valu d'être déclaré "agresseur dangereux", un titre très contraignant puisqu'il oblige le détenu libéré à se soumettre à un contrôle régulier très strict, et que tout manquement lui vaut de réintégrer sa cellule. En fait, nombreux étaient ceux qui réclamaient que l'appellation soit attribuée d'office à des individus particulièrement violents ou s'étant rendu coupable d'au moins trois délits à caractère sexuels. Ainsi, Larry Takahashi, connu en Alberta sous le surnom du "Violeur à la Balaclava", a écopé de la prison à vie pour le viol de sept femmes entre 1979 et 1983. De ses propres aveux, ce violeur en série, qui a admis avoir violé une trentaine de victimes et était soupçonné de 138 agressions, déclarait présenter un fort risque de récidive s'il était relâché. Il obtint donc sans problème le label de "dangerous offender".
Libéré le 7 juillet 2004, Martin Ferrier demeura libre moins de douze heures. Traqué par les journalistes, il prit à parti un caméraman et menaça de le tuer, ce qui lui valut d'être à nouveau arrêté puis condamné à deux ans de prison qu'il purgea à l'Ontario Warkworth Institution. De nouveau libre le 9 juillet 2006, il déclarait vouloir s'installer quelque part au Québec pour recommencer une nouvelle vie. Deux semaines auparavant, la chaîne de télévision CTV avait diffusé un documentaire dans lequel Martin Ferrier apparaissait plutôt comme un petit voyou que comme un grand psychopathe. Sa mère, qui l'avait jusque-là décrit comme un tueur en série en puissance (alors qu'il n'avait été condamné que pour des délis mineurs et non pour viol), déclarait, dans une "surprenante volte-face" que son fils était un "nounours au grand coeur qui ne ferait de mal à personne". Reste à savoir si ses menaces correspondaient à un besoin de notoriété ou à des aspirations réelles.

La liste des apprentis serial killers est loin d'être close et on pourrait encore citer Henry Williams, assassin de deux mineures au début des années 70 ou Braeden Nugent, double meurtrier en 1995 à Thunder Bay, Ontario, et décédé d'une overdose en prison en 2006, mais aussi Daniel Wood et Barry Niedermeier. Aux dires de Stéphane Bourgoin, les serial killers sont parmi nous et ils sont plus nombreux que l'actualité judiciaire ne le laisse supposer.

[Cartes]

Bibliographie :

David Alexander Snow
• Alison Shaw, A Friend of the Family, Macfarlane Walter & Ross, 1998
• A Friend of the Family, film projeté à CTV en septembre 2006, inspiré du livre d'Alison Shaw


Serge Archambault
• Kathleen J. Reichs, William M. Bass Forensic Osteology: Advances in the Identification of Human Remains, Charles C. Thomas Publisher, 1988.

Kenneth Ford
• Roch Dandenault, Mémoires d'un Flic, Ed. Shrebrooke, Québec, 1976.

Divers
• Diane Anderson, Bloodstains : Canada Multiple Murders, Detselig Enterprises Ltd, 2006.


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© Christophe Dugave 2008
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  • : Transcanadienne, sur la piste des tueurs en série d'une mer à l'autre
  • : Un blog intégralement consacré aux meurtriers multirécidivistes au Canada.
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Mes romans et recueils de nouvelles sont visibles sur le site de LIGNES IMAGINAIRES.

Clifford Olson est décédé le 30 septembre 2011 à Laval, près de Montréal. Il fut, non pas par le nombre mais par son sadisme et son absence totale de remords, l'un des pire sinon le pire tueur en série du Canada. Sa triste histoire (non réactualisée) peut être lue ici.

 

Dans un tout autre registre, voici mon second roman "Lignes de feu", un thriller qui se déroule aussi au Québec mais cette foi-ci en septembre 2001, rencontre un certain succès…

 

lignes de feuPour en savoir plus, cliquez ici ou sur la couverture (© photo : S. Ryan 2003)

 

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Un nouveau cas de serial killer jugé en Colombie Britannique : Davey Mato Butorac, 30 ans, est actuellement jugé à Vancouver pour les meurtres de deux prostituées droguées, Gwen Lawton et Sheryl Korol retrouvées mortes en 2007 à Abbotsford et Langley. Il est également suspecté d'avoir assassiné une troisième victime.  Comme c'est maintenant la mode au Canada pour les affaires de tueurs en série, le procès est frappé d'une interdiction de diffusion des informations. Et comme cela semble également en vogue depuis le procès Pickton, Butorac n'est poursuivi que pour "meurtre au second degré", c'est à dire sans préméditation…

Citations

Si seulement les filles savaient qui je suis et ce dont je suis capable !
Si on pouvait lire dans mes pensées, on m'enfermerait et on jeterait la clé.

Angelo Colalillo (1965-2006), tueur en série (Québec)

       
Les enfants ont besoin d'un endroit pour jouer !… 

Les prédateurs ont aussi besoin d'un endroit pour jouer.

Peter Woodcock (1939- ), tueur en série (Ontario).

 

Robert Pickton a le cœur sur la main. Mais le cœur de qui au fait ?

Anne Melchior, journaliste à propos de Robert William Pickton (1950- ), tueur en série (Colombie-Britannique).  

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